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CA 311 juin 2021

NON A LA REFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE

vendredi 11 juin 2021, par Saint-Nazaire

En pleine aggravation de la situation sanitaire et sociale, avec la multiplication des licenciements et des suppressions d’emplois, et une nouvelle flambée du chômage qui semble inévitable à court terme, le gouvernement ne trouve rien de plus urgent que de s’en prendre... aux chômeur.ses et aux précaires.


Des conditions d'accès à l'allocation chômage durcies

La réforme de l’assurance chômage, qui a été amorcée en 2019 puis suspendue à cause de l’épidémie de Covid-19, a été remise sur les rails, et devrait s’appliquer à partir du 1er juillet.
En dépit des oppositions syndicales, le gouvernement persiste dans le durcissement des conditions d’accès aux droits. Des dizaines de milliers de personnes vont perdre une grande partie de leur allocation chômage [1]. D’autres n’y auront plus accès.

Un changement important est apparu dans le calcul du salaire journalier de référence (SJR), qui est la base pour le versement des indemnités journalières.
Actuellement le SJR est obtenu en partant d’une moyenne des salaires touchés les jours travaillés pendant un an ; mais, à partir du 1er juillet 2021, il sera calculé en divisant le salaire par tous les jours du mois, travaillés ou non, pendant deux ans. Le résultat est mathématique : la moyenne du SJR s’effondrera, et avec elle celle des indemnités chômage.

Un effondrement tel que

le Conseil d’État (sollicité par la CGT) a décidé, en novembre 2020, de rejeter ce calcul des indemnités, obligeant le gouvernement à contourner ce rejet. Ainsi un décret publié le 30 mars prévoit de fixer un plancher en dessous duquel l’allocation ne pourra pas descendre. Les jours non travaillés seront toujours pris en compte, mais pas tous ; seulement 43 % d’entre eux, sur une période maximale de deux ans. Cela aura pour effet mécanique de réduire moins fortement les allocations, mais en les diminuant malgré tout considérablement par rapport à l’avant-réforme.

La baisse affectera les ressources d’une grande partie des demandeur.ses d’emploi, en particulier ceux.celles, très nombreux, en emploi discontinu qui alternent petits boulots et périodes d’inactivité, mais aussi ceux.celles qui ont eu deux périodes d’emploi non contiguës ; ce sont donc les plus précaires et particulièrement les plus jeunes.

La simulation du ministère du travail est éloquente : actuellement, une personne qui a travaillé six mois (deux CDD de trois mois, payés au Smic, sur les 24 derniers mois) perçoit une allocation-chômage de 975 euros par mois, pendant six mois. Avec l’application d’un plancher, elle percevrait 659 euros pendant un peu plus de dix mois. La baisse serait alors de 32 % ; et elle pourrait atteindre jusqu’à 43%. Avec si peu, ce n’est pas vivre, à peine survivre ...

Selon l’Unédic (l’association paritaire syndicats-patronat qui pilote le régime de l’assurance chômage), au moins 1,15 million de personnes (40% des allocataires) ayant ouvert des droits à indemnisation entre le 1er juillet prochain et la fin juin 2022, première année d’application de la réforme, verraient leur allocation reculer de 17 % en moyenne en comparaison de celle qu’ils auraient touchée en vertu des règles antérieures.

Par ailleurs, la ministre du travail s’est récemment "aperçu" que sa version du 30 mars présentait des effets très négatifs "non voulus", susceptibles de pénaliser en particulier les femmes en congé maternité et les salarié.es en arrêt maladie et au chômage partiel dont le nombre a explosé avec les mesures sanitaires. Le gouvernement prévoit donc un nouvel amendement ; un texte de plus, en somme, pour une réforme qui a déjà été beaucoup réécrite depuis le 1er décret de juillet 2019.

En outre, le gouvernement a décidé que le retour aux règles, appliquées au 1er novembre 2019 et qui avaient été suspendues pour cause de coronavirus (ouverture et rechargement des droits, dégressivité), se mettra en place dès que la crise économique s’atténuera un peu [2].

Ainsi le gouvernement prévoit, dès octobre, l’allongement des conditions d’ouverture de droits (6 mois travaillés sur 24 au lieu de 4 mois sur 28 actuellement) et le durcissement des prolongations d’indemnisation (6 mois travaillés au lieu de 1 mois actuellement). Cela va toucher des centaines de milliers de chômeur.ses supplémentaires.

Pourquoi aujourd'hui cette réforme d'une grande violence ?

Les raisons officielles : réaliser des économies [3], tout en résorbant la précarité sur le marché du travail et en incitant les chômeurs à accepter des offres de postes "durables". Alors qu’en réalité diminuer les allocations de tous les chômeurs obligera les gens à accepter n’importe quel emploi pour survivre.

Il faut toujours taper sur les mêmes

Le cynisme de la ministre du Travail ne connaît pas de limites : « L’objectif de cette réforme, c’est de lutter contre la précarité du fait d’un recours excessif aux contrats courts », déclare-t-elle. "Il s’agit de casser cette dynamique dite de la « permittence » (être en permanence dans des postes intermittents). Comme si, en taillant dans l’indemnisation des demandeur.ses d’emploi qui ont le toupet de toucher leur allocation chômage entre deux périodes travaillées, ils.elles seraient "plus motivés pour retourner au boulot, accepter des contrats d’une durée plus longue." Comme si les chômeur.ses sautaient pour leur bon plaisir de contrat court en contrat court avec comme conséquence des allers-retours incessants entre petits boulots et chômage indemnisé. Comme si les travailleur.ses avaient le choix du type de contrats que le patronat leur impose. Car ce sont bien les patrons qui usent et abusent des contrats précaires, des "missions" qui peuvent se réduire à... une heure ... Et les ordonnances Macron de la loi Travail ont d’ailleurs amplement contribué à faciliter pour les patrons le recours à ces contrats courts

Le gouvernement dit créer un bonus-malus à destination des patrons : ceux qui abuseraient des contrats courts seraient soumis à des cotisations majorées, tandis que les autres, à la main d’oeuvre plus stable, verraient leurs prélèvements diminuer. Or que vaut une telle mesure, prétendument prise pour ménager un équilibre entre les contributions exigées des salarié.es et des patrons ? Quasiment rien.

Tout d’abord, le recours à l’intérim n’est même pas pris en compte. Ensuite seuls 7 secteurs sur 38 ont été retenus alors que le BTP ou le médico-social, le spectacle, l’hôtellerie-restauration, le tourisme, l’agriculture qui emploient massivement des contrats courts sont laissés de côté. Et même pour les secteurs concernés, le malus exclut les sociétés employant moins de 11 salarié.es. De plus les pénalités ne concerneront que les entreprises privées. L’État, premier patron de France et gros pourvoyeur d’emplois précaires, dans la santé, l’enseignement, les administrations publiques ... est hors du champ d’application du dispositif. Enfin, le niveau de pénalité est purement symbolique : + 0,95 point de cotisation chômage. En outre, ce bonus-malus ne se répercutera sur le niveau des cotisations patronales qu’à partir de septembre 2022, les secteurs d’activités les plus frappés par la récession en étant "provisoirement" exemptés. De quoi caresser les patrons dans le sens du poil.

Pourquoi l’entêtement du gouvernement à imposer cette réforme de l’assurance-chômage ?
Il veut coller à son image de grand réformateur, et ceci avant le scrutin présidentiel de 2022 afin de séduire des électeurs très droitiers qui pensent qu’il faut remettre ces “fainéants de chômeurs” au boulot [4]

Quelles mobilisations ?

Cette réforme a beau être une attaque anti-sociale de plus, il n’est pas facile de mobiliser. Certes, les travailleur.ses du spectacle montrent la voie depuis plusieurs mois, en liant leur combat à celui des privé.es d’emploi et des précaires et en réclamant au cours de leurs actions (occupations de théâtres, Vendredis de la colère), pour tous et toutes, l’abrogation de cette réforme. Certes, on préfèrerait que ce soient les chômeur.ses et précaires qui s’organisent, se mettent massivement en mouvement et soient solidaires des travailleur.ses du spectacle. La faible organisation des chômeur.ses et des précaires est sans doute l’une des cause de la timidité de la lutte contre cette réforme. Ils.elles ont des parcours très hétérogènes, sont très dispersés, sans lieu collectif pour se rassembler, et sont autant d’individualités prises dans une spirale de lutte contre la pauvreté qui confine parfois à la survie.

C’est pourquoi ce combat contre la réforme doit mobiliser tous les salarié.es, qu’ils aient ou non un emploi. A l’heure où le contrat court devient la norme et où le travail à la tâche explose, où l’exploitation toujours plus féroce des un.es va de pair avec la paupérisation galopante des autres, il est essentiel de mener un débat et des actions collectives non seulement contre la réforme des allocations chômage mais aussi sur les questions du travail (son utilité sociale, son organisation, sa répartition...) et de la solidarité (la cotisation sociale dans quel but ? La répartition comment ? Pour qui ? Décidée par qui ?...) afin de dessiner un autre horizon, un autre modèle de société.
2 mai 2021, Kris

P.-S.

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Notes

[1Selon l’Unédic, le montant moyen mensuel de l’allocation chômage plafonne actuellement à 910 € net par mois, proche du seuil de pauvreté donc. 5 % seulement des allocataires perçoivent plus de 1750 € par mois et ils ne sont que quelques centaines en France à toucher le montant maximum de 7000 € !
Enfin, tous les demandeurs d’emploi ne sont pas indemnisés. Seuls 40 % des inscrits à Pôle emploi ont ainsi perçu une allocation chômage en juin 2019 soit 2,4 millions de personnes sur 6,4 millions

[2Introduire une modulation des règles d’assurance-chômage en fonction de la santé économique du pays serait une nouveauté. Elle est recommandée par le Conseil d’analyse économique (CAE), institution placée auprès du Premier ministre. Un argument qui remet un peu plus en cause le caractère assurantiel du système. La personne en recherche d’emploi ne serait plus vraiment indemnisée en fonction des cotisations versées par son employeur et redistribuées, mais en fonction de critères extérieurs à son parcours dans l’emploi. Cela, en renforçant le lien entre prestation et indemnisation, mettrait fin au principe de solidarité déjà mis à mal depuis fin 2018, quand les cotisations salariales ont disparu et que l’État a pris la main sur le régime de l’assurance chômage en participant à son financement via la CSG ; ce qui a contribué à casser la logique assurantielle, côté salariés, et a ouvert la voie à un changement profond de modèle. Il n’y a qu’un pas pour que l’Etat transforme l’assurance chômage en une allocation forfaitaire minimale, au gré des fluctuations économiques, dans un contexte de chômage structurel même en période de croissance

[3Les causes du déficit de l’Unédic « d’une ampleur inédite » : le report ou la disparition de nombreuses cotisations sociales patronales côté recettes et, côté dépenses, l’indemnisation de 420 000 personnes supplémentaires liées à la crise économique et le financement délégué à l’Unédic de 8,3 milliards pour la mesure d’activité partielle sans cotisations décidée par le gouvernement.

[4« La liberté, ce n’est pas de se dire que finalement je vais bénéficier des allocations chômage pour partir deux ans en vacances », déclare Christophe Castaner, en 2017, alors porte-parole du gouvernement

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