CA 317 février 2022
jeudi 10 février 2022, par
Emblématique d’un monde "cul par-dessus tête", c’est un projet d’élevage de saumons sur des terres agricoles. Autrefois très fréquent dans nos rivières ce poisson a disparu, conséquence de l’industrialisation : déchets industriels, rejets de l’agriculture chimique et des élevages hors-sol, destruction des haies et des talus…
Emblématique d’un monde "cul par-dessus tête", c’est un projet d’élevage de saumons sur des terres agricoles. Autrefois très fréquent dans nos rivières ce poisson a disparu, conséquence de l’industrialisation : déchets industriels, rejets de l’agriculture chimique et des élevages hors-sol, destruction des haies et des talus…
L’été 2021 nous apprenons par la presse le projet d’implantation par la société norvégienne "Smart Salmon" d’une usine qui produirait 20 000 tonnes de saumon (soit presque la moitié de la consommation en France) sur 10 ha de terres agricoles appartenant à "Guingamp-Paimpol Agglomération" sur la commune de Plouisy dans les Côtes-d’Armor. Face au gigantisme et à l’impact environnemental d’un tel projet, assez rapidement une pétition circule sur les marchés recueillant 1000 signatures. Puis le collectif "Douriou Gouez" (eaux sauvages en breton) se constitue contre ce projet. Après quelques apparitions plus ou moins visibles nous appelons à un pique-nique le dimanche 12 décembre 2021 sur le site pressenti. Dans la semaine qui précède, la Confédération Paysanne 22 et l’association Eau et Rivières de Bretagne expriment officiellement leur opposition au projet et appellent au rassemblement qui réunira 300 personnes. Nous aurons la bonne surprise d’avoir la visite des ostréiculteurs de la côte venus avec quelques bourriches d’huitres, très inquiets de prévisibles rejets d’eau polluée dans la rivière du Trieux.
L’ensemble comporte de grands bassins d’eau de 10 m de hauteur pour l’élevage de saumons, un abattoir, un atelier de découpe et de conditionnement. Y seraient adjoints un méthaniseur, une station d’épuration, une production de légumes sous serre, des panneaux photovoltaïques, le tout pour la coquette somme de 100 millions d’euros… C’est du sérieux. Et bien sûr la création de 50 à 100 emplois qui séduit les élus de l’agglo. Sur le papier tout est parfait.
Mais pourquoi élever des saumons dans des bassines ? … Les élevages de saumons sont en général en bord de mer, notamment dans les fjords norvégiens (aussi en Écosse et au Chili) dans de grandes cages. Mais dans ce milieu marin et surpeuplé, les poissons sont parasités par les poux de mer, ce qui provoque une forte mortalité. Évidemment ces bestiaux font des crottes qui s’amoncèlent sur les fonds marins, ainsi que les résidus de traitements médicamenteux. En proposant l’artificialisation de ces élevages hors de l’océan, les têtes pensantes de l’aquaculture pensent résoudre tous les problèmes.
Une fois les bassines remplies, il faudra 1500 m3 d’eau par jour, ce qui correspond à la consommation actuelle de Guingamp et ses communes limitrophes (plus de 20 000 habitants). Cette eau peut provenir d’un grand forage - ce qui pourrait tarir les forages des agriculteurs environnants - ou bien du réseau . Mais comme le rappelle Eau et rivières de Bretagne : "Contrairement à ce qu’on peut penser, on n’a pas d’eau de façon illimitée en Bretagne, ce que l’on prélève se fait au détriment du milieu naturel ou d’autres usages.", et rappelons qu’en Bretagne ce sont principalement des eaux de surface (les rivières) qui sont disponibles.
La société Smart Salmon prétend qu’une fois traitée et filtrée, l’eau sera de la même qualité et même meilleure quand on la rejetera : "On ne fait que l’emprunter". Mais selon Eau et Rivières de Bretagne « le traitement de l’eau en circuit fermé est un mythe, les rejets organiques et médicamenteux devront bien être traités quelque part !".
Cela ne va pas rassurer les ostréiculteurs…
En prévoyant un méthaniseur, la société Smart salmon est à la mode puisque l’État subventionne la production de méthane, transition énergétique oblige [1] Mais la méthanisation pose des problèmes souvent occultés : Les effluents d’élevage ne donnent que très peu de méthane. Pour fabriquer du gaz il faut du carbone, et de manière régulière, sinon ça ne fonctionne pas. Pour ça les agriculteurs seront incités à produire du maïs ou d’autres matières végétales pour le méthaniseur, au détriment des productions pour l’alimentation humaine ou animale et au risque d’accaparer du foncier agricole. Une fois le gaz extrait, il reste le digestat qui n’est rien d’autre qu’un engrais riche en azote et en phosphore. Selon Kristen, membre énervé de la Confédération Paysanne, « On n’arrive pas à baisser le taux de nitrate dans les cours d’eau et on va encore une fois demander des efforts aux agriculteurs, et on vient rajouter ce projet sur un territoire déjà saturé et sous pression !"
C’est bien cet azote, après celui des lisiers de porcs et de volailles, qui rejoint la mer et favorise les algues vertes. Depuis des dizaines d’années, des budgets sont alloués pour faire baisser les taux de nitrate dans l’eau ; des techniciens de la chambre d’agriculture conseillent les agriculteurs sur les bonnes pratiques d’épandage des lisiers, des réglementations sont mises en place, mais rien n’y fait. Chaque année les plages sont envahies d’algues vertes et cette usine en rajouterait encore !
Pour rendre plus acceptable ce projet, une production hydroponique de légumes hors sol, est prévue. De plus en plus de légumes sont produits de cette façon (tomates, concombres, fraises, endives….) laissant croire qu’on peut se passer du sol pour se nourrir. Certains s’emploient aussi à fabriquer de la viande sans animaux... Alors la terre ne produira plus que des matières premières pour l’agroalimentaire (ou les méthaniseurs…).
Voilà dans un seul projet un concentré d’artificialisation du vivant, beaucoup de technologie avec ses promesses de perfection, reléguant les savoir-faire paysans et artisans à des curiosités folkloriques.
La disparition des saumons sauvages devient une opportunité de valorisation du capital, mais aussi des élus de l’agglomération qui peuvent se vanter de créer de la richesse et de l’emploi. Pour nous ce sera l’occasion de rappeler qu’en pourrissant la terre on s’est appauvri et qu’il faut y mettre un terme.
Bernard - Côtes-d’Armor-22/01/22
"Reprendre la terre aux machines" de l’Atelier Paysan au Seuil : en lien avec le sujet évoqué plus haut voici un petit livre écrit par des paysans, des syndicalistes, des militants. Ce manifeste propose un panorama historique de l’industrialisation de l’agriculture. Il tente d’identifier les facteurs qui assurent le maintien d’un modèle agricole très critiqué. Il s’intéresse aussi aux technologies agricoles imposées par le complexe agro-industriel. Il développe l’hypothèse que l’existence d’un marché de produits alternatifs contribue à la stabilité du modèle de production industrielle, et fait quelques propositions pour freiner le désastre.
[1] Voir l’article page suivante La méthanisation : L’énergiculture au secours de l’agriculture intensive