CA 317
samedi 12 février 2022, par
La méthanisation a le vent en poupe. La Bretagne n’échappe pas à cette mode, et la région administrative compte plus de 130 unités de méthanisation en service, auquel il faut ajouter celles de Loire-Atlantique. Et les projets fleurissent au nom de la dé-carbonisation et des énergies vertes. Rapide autopsie d’une fausse bonne idée.
La méthanisation a le vent en poupe. La Bretagne n’échappe pas à cette mode, et la région administrative compte plus de 130 unités de méthanisation en service, auquel il faut ajouter celles de Loire-Atlantique. Et les projets fleurissent au nom de la dé-carbonisation et des énergies vertes. Rapide autopsie d’une fausse bonne idée.
La méthanisation consiste à utiliser des déjections animales mêlées à des cultures intermédiaires (avoine, orge, etc.) et des résidus céréaliers pour les mélanger dans un « méthaniseur ». Cette grosse marmite chauffe la mixture à 38 °C pendant au moins 40 jours. Sous l’action des bactéries, du méthane et du CO2 s’en dégagent. Le méthane est alors converti en électricité ou envoyé dans le réseau gaz. La chaleur dégagée par le dispositif sert quant à elle à chauffer l’exploitation agricole. Ce qui sort du digesteur est appelé « digestat » : un concentré d’azote, de phosphore et de micro-organismes qui seront ensuite épandus sur les terres en guise d’engrais.
Ce schéma idéal recouvre cependant des réalités multiples. Les installations de méthanisation peuvent avoir des caractéristiques très différentes, de taille comme de valorisation du biogaz obtenu. La majorité des unités de méthanisation en Bretagne sont directement liées à des exploitations agricoles qui produisent moins de 5 000 kwh par an, mais il existe des installations qui atteignent les 47 000 kwh/an, portées par des industriels ou des collectivités. Donc, si le type de valorisation le plus répandu est la cogénération, qui permet produire et de transformer le biogaz en chaleur et en électricité, une unité industrielle comme la centrale Biogaz de Kastellin [1], injecte à l’année 32 millions de kWh de gaz (2,4 millions de m3) dans le réseau de transport de GRT gaz en Bretagne.
En 2014, Ségolène Royal ministre de l’environnement de François Hollande annonce un plan avec pour objectif la création de 1500 unités de méthanisation à l’horizon 2017. Cette décision de l’environnement surenchéri sur le plan EMAA (Energie, méthanisation, autonomie, azote) initié par le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll en 2013. Le calcul est relativement simple. Face à une crise de l’élevage bovin (lait et viande) qui met sur la paille nombre d’éleveurs, il s’agit de leur garantir des revenus réguliers en développant sur leurs exploitations des unités de production d’énergie « verte ». D’autant que cette production sera largement subventionnée par l’Europe côté investissement (Plan Junker), avec un prix de rachat du kwh garanti pour 20 ans. « Comme produire de la nourriture n’est plus rentable, nous sommes poussés vers la production d’énergie, qui n’est guère plus rentable et très dépendante d’exonérations » analyse la coordination rurale [2], dénonçant l’énergiculture au secours de l’agriculture, véritable dénaturation du métier de paysan contraint à nourrir des machines plutôt que la population.
Ce que ne disent pas les discours officiels, c’est que le potentiel de méthanisation la plus rentable n’est pas issu des déjections animales, mais des boues de station d’épuration et des graisses industrielles (voir diagramme). Ce qui est également peu évoqué, c’est que la méthanisation à partir des seuls lisiers étant peu rentable, elle nécessite systématiquement des apports de Culture intermédiaire à vocation énergétique (Cive), soit des productions végétales qui sont récoltées avant leur maturité pour « nourrir » les méthaniseurs. Ainsi à terme ce sont l’équivalent de trois départements qui seront consacrés à 100 % aux cultures intermédiaires (avoine, orge, etc.) pour alimenter le processus et atteindre les objectifs nationaux d’une production de 60 TWh issus des 5 000 unités de méthanisation prévues en 2030.
Par ailleurs la technicité des installations, la complexité des phénomènes biologiques et biotechnologiques, nécessitent des compétences très spécifiques que ne possèdent pas les agriculteurs. Leur mission risque de se limiter à l’approvisionnement des digesteurs et à l’élimination des digestats sur leurs terres, la gestion des méthaniseurs étant placée sous la responsabilité des énergéticiens et des technologues.
L’impératif de décarboner l’énergie au nom de la préservation du climat, est un leitmotiv de la méthanisation. La propagande autour d’une énergie verte et propre nous incite à penser qu’une énergie issue du recyclage de déchets et produisant des fertilisants biologiques, répondrait tout autant au problème des émissions de gaz à effets de serre qu’à celui des apports chimiques nécessaires à l’agriculture intensive.
Rien n’est moins certain. Alors que la méthanisation est réputée vertueuse pour sa faible émission de gaz à effet de serre, certains opposants constatent que la dégradation des bâches qui couvrent les digesteurs génère des fuites de méthane, qui est lui aussi un gaz a effet de serre [3]. L’Irstea [4] nuance et explique que les risques de fuites se situent plutôt au niveau des soupapes de sécurité et des canalisations qu’à celui du stockage des intrants.
Par ailleurs « le digestat qui est très volatil, comprend de l’ammoniac qui se disperse très facilement dans l’air. A son contact, il s’oxyde et va développer du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2. » À cela s’ajoute, l’apparition de l’oxyde d’azote, un polluant pris en compte dans les mesures actuelles de la pollution de l’air. Mais aussi, le développement de particules fines.
Au delà de fuites de gaz, normales ou accidentelles, la qualité du digestat épandu comme engrais est tributaire de la nature des produits de base de la méthanisation. Ainsi l’Anses [5] a pu refuser après analyse l’épandage de digestats car les données fournies révélaient des effets nocifs sur les organismes du sol. Puisque « les intrants peuvent apporter des contaminants organiques, notamment des résidus d’antibiotiques ou des bactéries antibio-résistantes ». Sans compter, lorsque les intrants sont d’origines industrielles ou issus de stations d’épuration, les effets des composants chimiques sur les micro-organismes nécessaires à l’activité des sols, ou encore sur les vers de terre. Le digestat est aussi un fertilisant qui stérilise les sols en quelque sorte...
Pour les riverains des méthaniseurs, si les nuisances liées au transport ou aux odeurs sont souvent quotidiennes, les risques d’accidents sont également bien réels, et d’autant plus conséquents que l’installation est importante. Ainsi le 23 Août 2020 un accident du méthaniseur de Châteaulin cité plus haut a entraîné une pollution de l’Aulne [6] et privé pendant plusieurs jours une cinquantaine de communes du bassin d’eau potable ! Cette unité de méthanisation étant alimentée en intrants composés à 50% de déjections animales et à 40% de boues, graisses et déchets d’usines agroalimentaires du secteur, lorsque 400 m3 de digestat ont fuit vers le réseaux d’eaux pluviales, tous les clignotants ont viré au rouge, obligeant la Préfecture à prendre un arrêté déconseillant de consommer l’eau du robinet à 180 000 personnes...
Ceci n’est qu’un exemple parmi les 279 incidents répertoriés en 2021 sur 176 sites différents [7], comprenant, fuites, incendies, explosions, entraînant moult atteintes à l’environnement et aux populations.
Compte tenu de ces risques, les méthaniseurs sont considérés comme des installations dangereuses, soumises à autorisation et contrôle. Initialement leur implantation relevait du régime des ICPE, Installation classée pour la protection de l’environnement. Mais la réglementation a été assouplie en juin 2018. Si le méthaniseur consomme moins de 100 tonnes de matières par jour, un simple enregistrement auprès de la préfecture suffit. Au-delà de 100 tonnes le régime de l’autorisation implique une enquête publique pour recueillir l’avis des populations riveraines et des collectivités territoriales. Mais, dans la mesure où un gros méthaniseur de 610 kW consomme 30 tonnes par jour, peu de projets sont désormais concernés.
L’assouplissement législatif de 2018 pris par le ministre Nicolas Hulot, fait donc que les méthaniseurs consommant moins de 100 T par jour peuvent aujourd’hui s’installer sans enquête publique ni étude d’impact, à 50 mètres d’une habitation... Ceci a bien sûr boosté les implantations. Nous sommes ainsi passés en France métropolitaine d’une quarantaine de méthaniseurs en 2011 à 1 021 en service 10 ans plus tard, et 5 000 prévus à l’horizon 2030
Après la simplification administrative de 2018, un certain nombre de collectifs de riverains se sont regroupés dans le Collectif National Vigilance Méthanisation, qui défend une méthanisation « raisonnable » encadrée par les services de l’État, pour réduire les nuisances liées à cette activité. Les doléances portent régulièrement sur les odeurs nauséabondes dues aux émissions d’hydrogène sulfuré et d’ammoniaque gazeux à proximité des installations et au cours de l’épandage des digestats. Il est important de noter que ces gaz malodorants sont également toxiques ! Actuellement ce sont plus de 250 associations et collectifs de riverains des sites de méthanisation qui en dénoncent les nuisances.
Pour exemple, le collectif La tête dans le gaz de Corcoué-sur-Logne, une commune au sud de Nantes, limitrophe de la Vendée, se bat contre un projet de méthaniseur « Métha Herbauge », dit XXL, et qui serait le plus grand de France s’il voyait le jour en 2023 : 680 000 tonnes de fumiers, lisiers et de CIVE devaient initialement y être traité annuellement. Le volume a été réduit à la baisse, et ce ne sont « que » 498 000 tonnes d’effluents provenant de 210 exploitations qui devraient être transformées en digestat et en gaz injectés dans le réseau (1% de la consommation de la Loire Atlantique). Un méga projet à 88 millions d’euros, porté par une « coopérative » agricole, la coopérative d’Herbauge qui regroupent 450 agriculteurs de Loire Atlantique et de Vendée essentiellement producteurs de lait et de viande bovine, et un industriel d’origine danoise « Nature energy France », devenu un opérateur international de production de biogaz lié au groupe Shell depuis 2020. Les actions consistent à s’opposer à l’enquête publique, organiser des campagnes d’opinion et des manifestations ainsi que d’obtenir l’opposition des collectivités territoriales au projet.
Plus modestement les associations de la communauté de commune de Saint-Nazaire, qui militent contre les nuisances industrielles sur l’estuaire de la Loire (cf. CA 304), se sont confrontées à un projet porté par Engie avec la CARENE (communauté de commune) et Idea (groupe de logistique), prévu dans la zone portuaire, sur le site de La Barillais, au milieu de différents sites Seveso dont l’usine Yara de Montoir. Cette usine de méthanisation devrait pouvoir transformer en biogaz 25 000 tonnes de déchets « classiques, portuaires, agricoles » par an. Un projet à 10 millions d’euros contre lequel les associations n’ont pu qu’influencer la nature des intrants pour limiter les dégâts du digestat. Toute tentative de mobilisation s’est avérée vaine au delà de la simple information dans la mesure où le projet sera implanté dans une zone industrielle ne touchera pas directement les riverains et qu’il ne fera qu’ajouter du risque industriel à ceux déjà existants.
Qu’elles soient de masse ou plus modestes, les oppositions à la méthanisation ne pourront cependant faire l’économie d’une critique du modèle capitaliste qui les sous-tend, visant l’industrialisation, la production et la rentabilité avant tout, et aucunement la satisfaction des besoins des populations.
Ces oppositions ne pourront pas davantage faire l’impasse sur une mise en cause du modèle de cette société, qui sous couvert de développer des énergies de substitution sur fond de crise climatique, ne fait qu’ajouter de nouvelles productions énergétiques présentées comme naturelles et renouvelables, sans jamais poser la question de leur utilité sociale. Mais ce serait inévitablement reposer la question du mode de production, donc de la révolution, et ne pas « uniquement » s’inquiéter de la pollution et de ses nuisances... Ce qui n’est pas si simple !
Saint-Nazaire
Le 21/01/2021
Sources : Reporterre, Télégramme de Brest, ADEME, Comité national Vigilance méthanisation, coordination rurale, Médiapart...
[1] Situé à Chateaulin, Finistère, cette centrale est la propriété du groupe Vol-V Biomasse, dont ENGIE est devenu l’actionnaire majoritaire de la filiale Biomasse, avec à terme pour les opérateur gaziers un projet de production de porter à 30 % la part du gaz renouvelable dans la consommation française en 2030
[2] La coordination rurale est un syndicat agricole, parfois classé à l’extrême droite ! C’est assurément une organisation corporatiste et productiviste, mais qui n’en demeure pas moins emprunte de « bon sens paysan » et échappe de fait aux classifications hâtives et réductrices des journalistes des mégapoles
[3] Le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4) sont tout les deux des gaz à effet de serre. Le premier reste dans l’atmosphère une centaine d’années tandis que le second n’y séjourne qu’une douzaine d’années. À l’échelle du siècle, le méthane est tout de même 25 fois plus puissant que le gaz carbonique en potentiel de réchauffement global (PRG) ! Ce gaz est responsable d’environ 20 % de l’effet de serre actuel
[4] Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture
[5] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
[6] petit Fleuve Breton, nommé aussi « rivière de Châteaulin » qui se jette dans l’océan en rade de Brest
[7] Base Aria du ministère de la transition écologique, « accidentologie du secteur de la méthanisation » 2021. Cette étude récence les accidents entre 1996 (300 installation) et 2021 (1500 installations). Soit une moyenne de 18,8 évènements par an entre 2016 et 2020, contre 3 évènements annuels entre 2005 et 2015...