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CA 322, été 2022

Économie : Le grand retour de l’inflation ?

lundi 18 juillet 2022, par Courant Alternatif

L’indice des prix à la consommation de l’I.N.S.E.E. d’avril dernier indique une hausse moyenne des prix à la consommation de 4,8% sur un an, hausse des prix qui est en train de s’accélérer. La faute à la guerre ? En partie oui, mais en partie seulement. Une partie de cette hausse avait démarré avant.


Il faut essayer de garder la tête froide. L’Ukraine représentait 12 à 13% des exportations mondiales de blé, et la moitié des exportations mondiales d’huile de tournesol. Mais le blé ne se récolte pas avant juillet, et le tournesol en août. Et en plus, il y a des stocks (variables selon les pays, mais qui se comptent souvent en années). Donc, il n’y a pas de pénurie pour le moment. Si les prix augmentent, c’est à cause de la spéculation, parce qu’en fait le prix des céréales se décide sur les marchés financiers, en partie à Chicago. Oui, les populations des pays du tiers monde dont le blé est la base de l’alimentation et qui ne le produisent pas elles-mêmes, essentiellement l’Afrique du Nord et le Moyen Orient, vont beaucoup souffrir. Mais ce n’est pas parce qu’on manque de blé. Physiquement, il y a et il y aura apparemment dans les années qui viennent assez de blé pour nourrir tout le monde. Si ces populations risquent très probablement d’avoir faim, c’est à cause de la spéculation et de l’utilisation de l’arme alimentaire comme arme politique. Et si le blé est la base traditionnelle de leur alimentation, c’est parce que dans le passé elles en produisaient. Elles n’en produisent plus parce que la colonisation et la mondialisation sont passées par là. En Afrique noire et en Asie, le blé n’est pas la base de l’alimentation. Ces pays-là peuvent tout à fait s’en passer. Pourtant le prix des autres céréales a augmenté. Mais à ma connaissance, l’Ukraine n’est pas un producteur de riz ni de mil. De plus, les dernières récoltes de riz ont été bonnes. C’est que ces céréales ont été emportées dans la tourmente haussière de la spéculation. Et en Afrique de l’Ouest, l’augmentation du prix du riz et du mil a probablement beaucoup plus à voir avec l’embargo que la CDAO a imposé contre le Mali (qui, oui, est lui un producteur de riz). Les menaces de famine sont bien réelles. Mais pour le moment, ce n’est pas une menace de pénurie, c’est la beauté du capitalisme qui permet qu’on meure de faim au milieu de l’abondance.

En ce qui concerne la hausse du prix du pétrole, rappelons que sur le long terme, le pétrole et le gaz devraient augmenter, non pas à cause de la guerre, non pas à cause de la Russie, mais parce que c’est une ressource qu’on finira par épuiser. Et entre l’inflation et le gaz de schiste, je vous le dis de suite, perso, je choisis l’inflation. Par contre les variations brutales que nous subissons depuis quelques temps, là encore, sont le résultat des spéculations. Des spéculations et des multinationales à la Total (16 milliards de bénéfice en 2021). Parce que les réserves minimales de pétrole raffiné imposées par la loi sont de trois mois. Donc, il devrait s’écouler plus de trois mois entre un événement qui influence le prix et la hausse à la pompe. Ce n’est pas vraiment ce qu’on observe…

Qui dit pénuries dit hausse des prix. Et il y a effectivement de nombreuses petites pénuries en ce moment. Ces pénuries sont liées à la division internationale du travail et à la concentration inouïe du capital. Quasiment toute la production est fractionnée et modularisée. Le fractionnement de la production, ça veut dire que même les plus basiques des produits sont dépendants de la fluidité du commerce mondial. Si on a le lait, mais qu’il y a rupture de stocks sur les bouchons en plastique des bouteilles, ben il y aura pénurie de lait. Son prix augmentera pour les consommateurs (pénurie) et baissera pour les éleveurs (puisqu’on ne peut plus écouler leur lait). Bref, la misère pour tout le monde, sauf pour quelques-uns. La modularisation, c’est de standardiser les éléments qui composent les produits. Ça n’est pas forcément top en termes de qualité, de climat, etc. mais ça permet de rendre compatible une production à grande échelle d’éléments standardisés avec une variété importante de modèles de produits finis, et donc de favoriser les très grandes entreprises. Par exemple, Samsung produit en Corée 28% des semi-conducteurs du monde. S’il y a un problème sanitaire, climatique ou politique grave là-bas, plus de voitures, de téléphones, d’électroménager (et j’en oublie plein) nulle part. Non seulement le capitalisme détruit la planète, mais il ne semble même pas la façon la plus efficace d’assurer la production.
En fait, l’inflation va au-delà de ce que devraient provoquer les pénuries, et ça commence à inquiéter les économistes. En effet, les banques et la finance en général n’aiment pas l’inflation car elle rogne leurs rentes. La grande offensive libérale des années 80 dont nous payons encore aujourd’hui les conséquences avait trouvé une théorie simple. Premièrement, l’inflation est d’origine monétaire (d’où le nom de monétaristes donné au courant ultralibéral). Donc, ce qu’il faut, c’est limiter la planche à billets, interdire aux États d’émettre de la monnaie pour se financer (d’où le traité de Maastricht en Europe), utiliser le taux d’intérêt pour limiter l’expansion du crédit. Ça tombait bien, ça justifiait que les banques et les marchés financiers se gobergent sur les dettes publiques, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire. Deuxièmement, on a inventé la spirale inflation/salaire, qu’il fallait casser. L’idée, dérivée cette fois-ci de façon retorse de la théorie keynésienne, c’est que lors que les syndicats sont puissants, ils obtiennent des augmentations de salaire, et les entreprises doivent alors augmenter leurs prix de vente pour se rattraper, et du coup nouvelles grèves pour des augmentations de salaires et ainsi de suite. Et nous avons toutes et tous pu observer qu’en quelques décennies, cette spirale a été bien cassée. A l’origine du mouvement des gilets jaunes, il y a bien le fait que les prix ont augmenté sans que les salaires n’aient suivi.

Dans cette vision-là, plus crédible que la théorie monétariste, ce qui est à l’origine de l’inflation c’est la lutte entre capital et travail pour le partage de la valeur ajoutée. Nous avons toutes et tous remarqué que depuis pas mal d’années, le rapport de forces n’est pas vraiment en faveur du travail. La spirale inflation/salaires a bien été cassée, mais au profit de la spirale inflation/profit. C’est l’augmentation des profits dans un monde où la concurrence chère aux économistes n’existe plus depuis longtemps qui explique probablement le mieux l’inflation. L’inflation rogne les profits apparents (dividendes, intérêts des obligations…). Les économistes utilisent le terme de rendement nominal pour expliquer que ce qui compte c’est le rendement réel, c’est-à-dire un rendement nominal dont on a déduit l’inflation. Et à voir l’état du CAC 40, il semble bien que la spirale profit/inflation est à fond, la grande bourgeoisie préserve ses rentes au détriment du niveau de vie de la population. Ceci dit, ça ne pourra pas durer indéfiniment.

Sylvie

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