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CA 327 Février 2023

Royaume Uni : une colère qui monte...

lundi 13 février 2023, par Courant Alternatif

Cela fait quarante ans que le Royaume-Uni n’a pas connu pareil mouvement social. Face à la recrudescence des luttes, face à la succession de grèves inédites, le gouvernement réactionnaire britannique attaque les travailleur.se.s et renforce son arsenal par de nouvelles lois anti-grève. (1)


*** Mouvement d’Été..

Contre une inflation qui oscille entre 11 et 13 % sur l’année 2022 et une précarisation sans vergogne, les travailleurs et travailleuses du Royaume-Uni ont repris le chemin des grèves, des luttes désertées depuis l’ère Thatcher. De grèves locales, la mobilisation a pris de l’ampleur, entraînant des secteurs jusqu’alors en retrait tels celui des infirmières dont la mobilisation est une première historique.
Dès le mois de juin, dans les transports, dans le secteur ferroviaire, ce sont plus de 40 000 salarié.e.s qui se sont mobilisés. Du jamais vu depuis plus de 30 ans tant la colère est grande contre les gouvernements responsables de la dégradation des conditions de vie et de travail. Fin juillet et en août, on a assisté à « l’été des mécontentements ». Dans un pays où la quasi totalité des secteurs est privatisée, le patronat proposait 3% d’augmentation de salaire, quand le syndicat RMT (Rail Maritime Transport) osait revendiquer 7%, alors que le taux d’inflation dépasse les 10%. A ce mouvement des cheminots, s’est rajouté celui du métro londonien qui a paralysé la capitale :10 000 grévistes. Puis, les dockers du port de Felixstowe -le plus grand port de fret d’Angleterre- ont voté à plus de 90% pour la grève. Ceux de Liverpool ont suivi... La Royal Mail, la Poste, privatisée depuis 2011, verra plus de 110 000 salarié.e.s entamer 4 jours de grève fin août à l’appel du syndicat CWU -Communication Workers Union-. Près de 2 millions de travailleur.se.s se sont mis en grève à ce jour. La colère était telle parmi les salarié.e.s que les unions syndicales de secteurs, de branches, se devaient de réagir. Mais, avec les moments de débrayages sectoriels décidés bureaucratiquement, les journées se suivaient, se chevauchaient, tandis que les salarié.e.s se croisaient mais ne se retrouvaient pas ensemble dans ces luttes ainsi dispersées.
Face à ces mouvements de l’été, la première réaction du gouvernement a été de culpabiliser les grévistes et de tenter de retourner l’opinion publique favorable aux salarié.e.s en lutte. Ces dernier.e.s étaient accusés de prendre en otage la population par l’arrêt des transports et de participer à leur façon à l’augmentation de l’inflation. Une rengaine bien connue, en France aussi, que nous serinent les bourgeoisies, via leurs porte-voix gouvernementaux et patronaux, en martelant que les augmentations de salaires en période d’inflation créent une spirale salaires/prix qui augmente à son tour l’inflation, etc...
Dans ce contexte de luttes qui tendraient à se généraliser, les bureaucraties syndicales tergiversent et freinent du mieux possible l’extension de celles-ci, profitant de la faiblesse des mouvements par branches ou secteurs qu’elles peuvent encore encadrer. L’objectif étant de canaliser la colère vers le débouché électoral favorable au Parti Travailliste. Tandis que le leader du parti déclare qu’il « défendra toujours les travailleurs qui luttent pour de meilleurs salaires et de meilleurs conditions de travail », le responsable transport de ce même parti est congédié pour avoir pris la parole et rejoint un piquet de grève.

Rappelons que les principaux syndicats britanniques, dans une union patriotique, ont, à la mort de la reine le 8/09/2022, annulé, suspendu les grèves votées et prévues pour les 15 et 17 septembre. Le leader du syndicat du rail exprimera « ses plus sincères condoléances à la famille royale, ses amis et au pays ». Il « respectera la période publique de deuil ». Un répit pour les bureaucraties, pressées par une remontée de la lutte des classes au Royaume-Uni.
Face à la raideur patronale contre toute hausse de salaires demandée par les grévistes, l’offensive gouvernementale s’est poursuivie. C’est le moment que choisit Boris Johnson, l’ex-premier ministre, pour voter une loi qui vise à briser les grèves. Le 21 juillet, la loi qui interdisait aux entreprises d’engager des intérimaires pour remplacer des grévistes est abrogée. Cette loi s’appliquera dans tout le Royaume-Uni.

*** ...Mouvement d’hiver

Si B. Johnson a dû affronter l’été du mécontentement, c’est le nouveau premier ministre -Rishi Sunak- qui subira « l’hiver du mécontentement ». Ainsi après les cheminots, les enseignants, les postiers, ce sont les infirmières qui votent la grève après « le rejet de négociations de la part du gouvernement ». Ce sont donc plus de 100 000 infirmières qui se mettent en grève et descendent dans la rue les 15 et 20 décembre à l’appel du RCN -le Royal Collège of Nurse-, syndicat créé en 1977.
Une première historique pour le système national de Santé (NHS) créé dans l’après- guerre en 1948. Cette grève survient alors que le système de santé public et gratuit, mais sous-financé depuis des années, est plongé dans une grave crise. Le gouvernement a annoncé une augmentation du budget du NHS de 3,3 milliards de livres l’an prochain et l’année suivante. Jamais de grève n’avait eu lieu dans ce secteur depuis ses 106 d’existence. Il est vrai qu’il s’agissait d’associations. La mobilisation sera puissante dans tout le royaume y compris en Irlande du Nord : l’Ulster. Leur syndicat le RCN -Royal Collège of Nursing- se contente de réclamer 5% d’augmentation là où la demande des salariées était un rattrapage de 14 %. Le salaire réel des infirmières aurait chuté de 20% depuis 2010, et 47 000 postes d’infirmières ou de sages femmes ne sont pas pourvus. L’an dernier, 25 000 salariées qui travaillaient dans le « soin public » ont claqué la porte. « Les mauvaises rémunérations contribuent à la pénurie de personnel dans tout le Royaume-Uni, ce qui affecte la sécurité des patients », dénonce le syndicat. Un hôpital sur quatre a mis en place des banques alimentaires pour soutenir le personnel, selon NHS Providers, qui représente les groupes hospitaliers en Angleterre. Et plus de 7 millions de personnes attendent de recevoir un traitement dans les hôpitaux.
C’est aussi en décembre que les ambulanciers se sont mobilisés. Sur les deux journées de grèves prévues les 21 et 28 décembre, seule la journée du 21 aura eu lieu. Ce jour- là, plus de 10 000 salariés débrayent. Ces journées sont un succès par l’ampleur du mouvement avec le soutien de l’opinion publique. Pourtant leur syndicat GMB (Britain Général Union) annule la deuxième mobilisation. Là encore, on peut remarquer que les dates 15 et 20 décembre pour les unes, 21 et 28 décembre pour les autres se suivent mais ne mobilisent pas l’ensemble des travailleurs en grève vers une dynamique pour se battre, contre un patronat inflexible, sur les augmentations salariales et contre un gouvernement qui le soutient par ses lois anti-grève.

C’est dans ce climat de luttes sociales tendues que le nouveau premier ministre conservateur, Rishi Sunak fait appel à l’armée et à des fonctionnaires zélés pour casser la lutte et l’impact de la grève des ambulanciers ou des douanes : la police des frontières, réquisitionnant pour l’occasion plus de 1 000 militaires. Ces derniers assuraient ainsi la « continuité » du service public. Le ministre de la Santé déclare que « les syndicats d’ambulanciers ont délibérément choisi de faire du mal aux patients ». Et, l’ancien financier devenu premier ministre d’accuser les syndicats « qui causent la misère de millions de personnes avec des grèves dans les transports en particulier, cruellement programmés pour frapper à Noël ».

*** Prime et « service minimum » comme réponse à la colère

Fort de son pouvoir de premier ministre, le milliardaire affirme que l’Etat n’a pas les moyens de répondre aux personnels de santé et leur propose une prime pour passer l’hiver. Là où les bureaucraties temporisent alors que la crise économique et sociale ne cesse de s’approfondir au sein de la population, le chef du gouvernement britannique passe à l’offensive contre les travailleur.se.s en lutte. Début 2023, R. Sunak annonce de nouvelles lois anti-grève visant les secteurs en lutte en imposant le « service minimum » dans les transports, l’éducation, la santé, les pompiers. Si ce service minimum n’est pas assuré, les grèves pourraient être déclarées illégales et le patronat pourrait licencier les grévistes et poursuivre en justice les syndicats. Le droit de grève au Royaume Uni a été sérieusement entravé par l’ex-première ministre Margaret Thatcher dans les années 1980, avec notamment l’interdiction des grèves « de solidarité » (en soutien à d’autres salarié.e.s). Le Trade Union Act de 2016 a imposé de nouvelles contraintes : pour déclencher une grève, les syndicats doivent obligatoirement consulter leurs adhérents par voie postale, pendant plusieurs semaines, et la consultation n’est légale qu’avec un minimum de 50 % de réponses. L’application de ce « service minimum » obligera dans les faits les salarié.e.s grévistes à devoir travailler durant leurs moments de grève. Il musellera davantage l’action des travailleur.se.s pour défendre leurs droits. L’introduction d’une telle mesure est une attaque de plus contre les droits démocratiques que la bourgeoisie a concédés aux travailleur.se.s et à leurs syndicats. Rappelons que la bourgeoise et le gouvernement précédent avait déjà autorisé l’emploi d’intérimaires et de 1 200 militaires pour casser les grèves, notamment des ambulanciers.
Le gouvernement joue le pourrissement du mouvement de grève et le retournement de l’opinion publique contre les grévistes, pour l’instant plutôt populaires.

*** Les bureaucraties cherchent à gagner du temps

Face à un gouvernement réactionnaire inflexible qui sert au mieux les intérêts de la bourgeoisie et du patronat et tandis que les travailleur.se.s ont crié leur colère et leur détermination par l’intensité du mouvement, les bureaucraties freinent, arc-boutées dans leur secteur : ainsi, le syndicat GMB qui, après le succès de la grève du 21 décembre avec 10 000 ambulanciers en mouvement, décide d’annuler la journée d’action du 28 décembre. Un recul brutal contre ces travailleurs mobilisés pour défendre leur droits, leurs conditions de travail, la casse de services publics dont celui de la Santé nationale -NHS- et qui réclament des augmentations salariales pour lutter contre la hausse des prix. La secrétaire du GMB, faisant fi du soutien de l’opinion publique envers les soignant.e.s et ambulanciers, faisant fi de leur détermination, appellera patronat et gouvernement à discuter sur les augmentations de salaires pour résoudre le conflit, « et y compris des augmentations qui ne seraient pas à la hauteur de l’inflation » déclarera t-elle.
La volonté de la classe ouvrière à combattre le nouveau gouvernement se heurte aux bureaucraties qui, friandes de négociations, temporisent, hésitent à signer les miettes octroyées par les patrons du privé de peur d’être désavouées ensuite. Rappelons que les effectifs syndicaux sont descendus de 13 millions en 1980 à 6,5 millions aujourd’hui.
Il y a certes eu l’effet Margaret Thatcher, l’ancienne premier ministre surnommée la « Dame de fer » qui pendant son mandat (1979-1990), a mené une politique ultra libérale, privatisé les services publics, supprimé de nombreux acquis sociaux, et est parvenue à casser la grande grève des mineurs de 1985. Mais la responsabilité des leaders syndicaux qui préfèrent trouver des portes de sortie en partenaires sociaux responsables plutôt que de combattre a fait le reste. Ce qui est aujourd’hui le cas avec le mouvement en cours.
D’ailleurs, le secrétaire général de la confédération national des syndicats TUC, qui réunit l’ensemble des syndicats de secteur, Paul Nowak, donne le ton. Il désavoue préventivement toute lutte contre ces nouvelles lois anti-grève et déclare : « nos syndicats trouveront toujours des moyens pour prendre des mesures efficaces… mais nous contesterons légalement... politiquement et nous contesterons devant les tribunaux ». Il va de soi que sa contestation juridique et politique sert à temporiser, canaliser la colère dans l’attente des verdicts à venir ou à reporter la colère des travailleur.se.s vers les urnes afin qu’iels aillent voter pour le Parti Travailliste le moment venu. Il donne la mesure de la capitulation que l’ensemble des bureaucraties locales ou sectorielles entonneront à sa suite.
Et, quand le secrétaire national du TUC propose une journée nationale d’action pour le 1er février, celle-ci reste défensive : dénoncer le projet de loi malveillant. Ce qui n’empêche pas la secrétaire nationale du Royal Collège of Nursing d’appeler à débrayer les 6 et 7 février, craignant que les revendications du secteur soit perdues, noyées dans l’ensemble et, sans doute, le mécontentement de la base.
Il n’y a là nulle trahison de la part de ces bureaucraties, comme le proclament les révolutionnaires gauchisants qui attendent leur tour pour enfin remettre les syndicats sur le chemin de la révolution. La situation au Royaume-Uni, dévoile le rôle de régulateurs, de modérateurs des bureaucraties prêtes aux compromis avec le gouvernement au service du capital.
Le combat reste politique. La bourgeoisie se doit de briser les révoltes ouvrières afin de soumettre les travailleur.se.s à accepter l’austérité pour les entraîner ensuite vers une union nationale qui mènera à la guerre sous la houlette de l’OTAN. Au-delà des revendications sociales, c’est la confrontation de classe qui resurgit brutalement.
L’évidence est là. Au Royaume-Uni comme partout ailleurs où la colère gronde et les révoltes éclatent, les travailleurs et travailleuses doivent prendre confiance en leur force, et défendre par eux-elles-mêmes leurs intérêts de classe. Se coordonner vers la grève générale, créer des comités de luttes autonomes avec des délégué.e.s directement élu.e.s et responsables devant des assemblées générales de luttes, puis se débarrasser des carcans syndicaux ou politiques qui les entravent.

Decaen 15 01 2023.

Note
1- Sources : Le Monde, La tribune, BFM-echo, Révolution permanente, Ouest-France.

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