CA 327 février 2023
Rubrique Brèves de l’économie
lundi 20 février 2023, par
Commençons tout de suite par tordre le cou aux fake news gouvernementales de base.
Non, le système de retraites n’est pas en péril. C’est très difficile de prévoir comment les déficits ou excédents vont évoluer. Ça dépend du nombre d’enfants que nous n’avons pas encore eus, de combien de temps ils feront des études, de l’évolution du chômage, de l’évolution de l’emploi (non, ce n’est pas la même chose), de l’évolution des salaires, de l’évolution de l’inflation… Avec tout ça, il peut y avoir un déficit une année et un excédent l’année suivante, bien sûr… Donc, le COR (Conseil Orientation des Retraites, organisme censé piloter les retraites) fait plusieurs prévisions avec plusieurs scenarii, et pour le moment suivant le scenario nous avons un léger excédent ou un léger déficit. Et cette année et l’année prochaine, il y a un excédent. Mais oui, le nombre de retraités va continuer d’augmenter avant de diminuer (fin du baby boom d’après guerre suivi du début de la baisse de la natalité, environ 60 ans après). Il y a donc un déficit passager à prévoir. Est-ce que ça justifie de priver de retraite les jeunes actuels ?
Oui, l’espérance de vie s’est allongée. Mais non, pas de quatre ans en si peu de temps. Elle a augmenté de 4,9 ans pour les hommes en 20 ans, et de 2,9 ans pour les femmes. Donc, actuellement, toutes les réformes mordent sur les gains d’espérance de vie. Et rappelons que ce qui reste stable, c’est la différence d’espérance de vie suivant les classes sociales : pour les hommes, un cadre vit en moyenne six ans de plus qu’un ouvrier (lorsqu’ils ont déjà atteint 35 ans), et la différence entre diplômé du supérieur et non diplômé est de 7,5 ans. Tout le monde n’est pas égal devant le recul de l’âge de la retraite.
On nous bassine avec des retraité·es dont le pouvoir d’achat aurait augmenté plus que le reste de la population. Certes, mais il faut voir d’où on part. Jusqu’à la fin des années 70, être pauvre quand on était vieux, c’était normal. On s’est même mis à parler de « nouvelle pauvreté » quand la pauvreté s’est accrue chez les jeunes. Et si la retraite a été instaurée en gros en 45, il a fallu attendre les années 80 pour que partent à la retraite les gros bataillons de ceux qui avaient cotisé la durée requise. Nous sommes un des pays où le niveau de vie baisse le moins quand on part à la retraite. Mais ça, c’est valable pour les hommes qui travaillent jusqu’à leur retraite. Le taux de chômage est faible chez les seniors parce qu’il se calcule sur la population active. Mais en réalité, 60 % des seniors sont actifs (en emploi, à temps plein ou partiel, ou au chômage), les autres sont handicapés, malades, RSAstes… Surtout, les inégalités sont très fortes. Les femmes touchent en moyenne 39 % de moins que les hommes. Les retraites reflètent les inégalités de salaires, mais en les aggravant. D’abord parce que les cadres cotisent plus dans les retraites complémentaires, donc touchent plus. Et ensuite parce que vivant plus longtemps ils touchent leur retraite plus longtemps. Les précaires sont particulièrement touchés par la durée exigée de cotisations. Tous les pouvoirs d’achat n’ont pas augmenté.
Rappelons comment ça se calcule. A la base, c’est un salaire différé, c’est-à-dire que c’est le montant de nos cotisations qui détermine le montant de nos droits à la retraite. Sauf que c’est un système par répartition, c’est-à-dire que ce n’est pas chacun sa gueule, les cotisations de retraite actuelles servent à payer les retraites versées actuellement. Dans les pays anglo-saxons et dans de plus en plus de pays, c’est une retraite par capitalisation : nos cotisations sont versées à des fonds de pension qui les investissent dans la finance pour verser ensuite un revenu qui correspondra à ce qu’elles auront rapporté. Là, c’est chacun sa gueule et faîtes confiance aux marchés financiers. Donc, chez nous, c’est un équilibre un peu fragile, il faut s’assurer chaque année que le montant des cotisations sera suffisant pour payer les retraites promises. Comme quoi, une solution simple, ce serait de payer les femmes autant que les hommes, tout de suite, mécaniquement, les caisses de retraite seraient excédentaires. Si on augmentait le SMIC, ça devrait aider aussi. C’est ce système que Macron voulait abolir à la réforme précédente. Il y a apparemment renoncé. Il veut faire comme pour les services publics, on dégrade de plus en plus vite jusqu’à ce qu’on se tourne vers le privé. Comme c’est un système d’assurance, nos retraites sont proratisées : si je n’ai travaillé que les 3/4 du temps prévu, je ne toucherai que les 3/4 de la retraite prévue. Logique. Mais pour mieux nous arrimer au boulot, on y a ajouté un système de décôte : on nous retire en plus 5 % par année manquante. Si j’ai travaillé 30 ans au lieu de 40, je ne toucherai que 75 % de ma retraite moins 50 % de décôte, donc il ne me reste plus que 25 %. Un peu maigre… Pour échapper à la décôte, il faut travailler non pas jusqu’à l’âge légal mais jusqu’à l’âge limite, 67 ans actuellement. C’est pourquoi on voit encore pas mal de vieux au boulot. L’âge légal est donc important, mais l’âge limite aussi, pensez-y chaque fois que vous verrez un vieux con à la télé se lamenter qu’il se sent en pleine forme pour continuer à travailler. Si on fait péter l’âge limite, vous risquez d’être forcé·es de travailler plus longtemps.
Dernier fake new et pas des moindres : la retraite minimum à 1200 euros. C’est sûr que ça en fait saliver beaucoup. Mais pour ça, il faut avoir tous ses trimestres et n’avoir jamais dépassé le SMIC. Qui est resté au SMIC toute sa vie sans jamais être passé par la case chômage ? Les chercheurs ont cherché, et trouvé… 48 personnes ! On passe sur les durées plus courtes pour les travaux pénibles, après avoir retiré des critères de pénibilité le port de charges lourdes, les vibrations (marteau piqueur par exemple) et la manipulation de produits chimiques… Ah ! J’oubliais ! La fameuse retraite des fonctionnaires, ces fainéants qui n’ont jamais rien foutu de toute leur vie. Figurez-vous que toutes les statistiques sont formelles, malgré la différence de calcul, la baisse de niveau de vie d’un fonctionnaire quand il part à la retraite est sensiblement la même que celle de quelqu’un du privé.
Nous avons effectivement, malgré tous ses défauts, un bon système de retraite par rapport à la majorité des pays. Et c’est ça qui est insupportable pour le patronat. S’attaquer aux retraites, c’est s’attaquer aux salaires, c’est renforcer l’exploitation. Le gouvernement l’a d’ailleurs dit presque clairement. Il doit présenter un budget équilibré à l’Europe et il compte encore baisser les impôts pour les entreprises, il doit donc diminuer d’autant le budget retraites. C’est marqué dans les objectifs de la loi de finance qui encadre la réforme des retraites. Donc oui, il s’agit bien de nous sacrifier sur l’autel des profits. Autre chose insupportable pour le patronat : si notre retraite est assurée, nous n’allons pas épargner et investir dans les marchés financiers. Dans le cadre d’une retraite par capitalisation, nos cotisations sont reversées sur ces marchés pour financer les entreprises. Le MEDEF enrage de voir ce magot continuer de lui échapper.