Accueil > Actualités, Tracts et Communiqués > Actualités > Après le 7 mars, toujours de sérieuses limites…

Après le 7 mars, toujours de sérieuses limites…

dimanche 12 mars 2023, par OCLibertaire


Voir en ligne : Sur le site de La Mouette enragée de Boulogne sur Mer


Après le 7 mars, toujours de sérieuses limites…

A Boulogne-sur-mer, la journée de mobilisation du 7 mars a pris un caractère plus offensif. C’est un saut qualitatif mais qui restera sans effet si on ne poursuit pas au plus vite et plus fort dans cette voie.

A l’échelle locale, comme au plan national, l’intersyndicale se réjouit du succès de la journée du 7 mars, vendue les jours précédant comme celle qui mettrait « La France à l’arrêt ». La CFDT peut être satisfaite, une fois encore les manifestations furent nombreuses et fournies jusque dans les plus petites communes de ce pays, où le taux de participation fut parfois inégalé. C’est un atout incontestable et un indice de la colère qui sourd. Tout comme la présence certes modeste mais remarquée de la Confédération Paysanne dans le cortège boulonnais, qui nous change de celle des policiers d’Alliance…

Mais comme nous l’avons redit à longueur de tracts, « … il ne nous suffira pas de défiler nombreux dans les rues de Paris ou des villes de province » pour gagner face à l’État. Pour y parvenir, il nous faut élargir et reconduire la grève dans tous les secteurs de la production et des services, désorganiser le temps et l’espace capitaliste, et surtout établir un contre-pouvoir à la base.

Pour l’heure, entrevoit-on ces éléments confluer et s’incarner dans la pratique ? On perçoit ça et là des signaux encourageants, mais ils demeurent faibles et de peu de poids face au vent mauvais que soufflent les bureaucraties syndicales parisiennes sous direction Cfdtiste. Surtout, ils ne doivent pas être interprétés pour autre chose que ce qu’ils sont. Ainsi, nul n’ignore que les cinq délégués fédéraux de la CGT qui ont concocté l’agenda visant à « augmenter le rapport de force », en ont un autre en tête qui louche, celui-là, sur le 31 mars, début du 53° congrès de la confédération…

Le pouvoir et les médias locaux criminalisent les travailleurs en lutte

Localement, les réactions au déroulement de la journée du 7 mars confirment que nous avons perdu un temps précieux et qu’il faut intensifier les actions sur le terrain. Quand une sous-préfète, un maire, des patrons de la marée et ceux d’Enedis parlent d’une même voix, ça confine à l’évidence. Égale à elle-même, la presse locale nous rapporte l’indignation partagée par ce petit monde dont les réquisitoires concentrent tout le mépris de classe dont il est pétri, l’arrogance qui le caractérise et l’ignorance crasse de l’humeur d’une partie du prolétariat.

Bernard Lambert, dans son ouvrage “Les paysans dans la lutte des classes” brosse avec sagacité le portrait de ces journaux régionaux qui “rapportent des nouvelles faciles, qui ne menacent aucun tabou, aucune idée reçue, aucune autorité en place. (…) Leurs rédactions doivent nécessairement entretenir les meilleures relations avec les autorités locales, ne serait-ce que pour ne pas tarir leurs sources ultérieures d’information ». De leur côté, des camarades du journal lillois “La Brique” ont publié un dossier intitulé “La Voix du Nord : impostures, arnaques et profits” qui met à mal le mythe du journal issu de la résistance et lève le voile sur ses pratiques.

Dans l’intimité de ses locaux, la sous-préfète a donc réclamé aux organisations syndicales de publiquement se désolidariser et dénoncer les actes de violence qui auraient été commis. C’est un vieux réflexe médiatico-policier que de trier les bons et les mauvais acteurs des luttes, de condamner la violence des uns afin de mieux louer la responsabilité des autres. Exercice servi le plus souvent par une rhétorique paranoïaque et la construction de figures exogènes inquiétantes ; tour à tour ou en même temps, ces médias convoqueront : les « casseurs », les « éco-terroristes », les « black-blocs », les « ultra-jaunes », les « anarcho-autonomes », les « radicalisés »… Dans ses colonnes, La Voix du Nord jette le soupçon sur des individus venus de l’extérieur afin de commettre des violences « inédites ». C’est pénétrant, comme du Cnews ou du BFM-TV… Naturellement, la violence que nous vendent ces marchands de faits divers, c’est forcément celle « des autres », pas la violence sociale et politique de ceux dont elle sert les intérêts, ni celle de ceux qui nous exploitent au quotidien. Dans leur monde à eux, cette violence-là est à la fois légitime, encouragée et valorisée. Ils la nomme la réussite sociale.

Mémoire et combat ouvrier

Rappelons aux bureaucrates locaux que des actions comme celles qui on été menées à Capécure le 7 mars, n’ont absolument rien d’inédit. Bien d’autres, toutes aussi déterminées, si ce n’est plus parfois, le furent sur les mêmes lieux lors de mouvements précédents ; que ce soit en 1992 lors de la suppression du « statut de 47 » des dockers, du mouvement des marins pêcheurs de 1993, des grèves de 1995 et particulièrement en 2003, 2006, 2010 et 2019 où La Glacière fut le témoin de frictions épiques. Il est vrai qu’on ignorait encore l’existence des « black-blocks » à l’époque dans les rédactions de la PQR…

Lorsque consciente de ses intérêts propres, la classe ouvrière livre un véritable combat, elle retrouve dans l’action les réflexes qui lui ont permis de remporter ses plus belles victoires. Elle sait alors se faire respecter autant des patrons, des jaunes, des politiciens et de leur police. C’est avec le fil de cette histoire là que les Gilets Jaunes ont renoué un temps ; pendant que les directions syndicales de l’intérieur de leurs bureaux les dénonçaient à la vindicte…

« D’où parles-tu camarade ? »

Pour le maire de Boulogne-sur-mer, les actions conduites la nuit par les travailleurs en lutte « sont des actes qui ne peuvent se réclamer de l’action revendicative, qu’ils discréditent, et qui ne peuvent avoir ni indulgence ni tolérance. » On apprécie d’autant la parole d’un homme politique lorsqu’on sait d’où il parle. Son intronisation nationale, Frédéric Cuvillier la doit pour partie à ses bons et loyaux services aux côtés d’Emmanuel Macron au sein du gouvernement de son ami François Hollande. Celui-là même, rappelez-vous, qui se gaussait des « sans dents » ! A l’époque, Frédéric Cuvillier soutenait la Loi Travail de sa collègue Myriam El Khomri dont il faisait l’article bras dessus, bras dessous, avec la CFDT… Frédéric Cuvillier est aussi le camarade de la socialiste Marisol Touraine qui, à la même époque, a portée la durée de cotisation retraite à 43 annuités.

Qu’en qualité de promoteur de logo qu’il est devenu, Frédéric Cuvillier se contente de faire ce qu’il fait le mieux : parfaire l’aménagement capitaliste de l’espace urbain et la touristification de l’économie locale et qu’il nous épargne ses leçons de morale et s’abstienne de se substituer aux travailleurs en lutte. Boulogne-sur-mer est une ville ouvrière et même si son maire travaille d’arrache pied à le faire oublier à sa clientèle de passage, qu’il sache, lui qui a rallié Macron en 2017, que le principe de réalité vous rattrape toujours… Pour un politicien comme pour un flic ou un journaliste, on suppose qu’un ouvrier « ça doit se tenir sage », qu’en aucun cas il ne doit retourner contre ses agresseurs toute la violence sociale qu’il endure depuis l’école jusqu’à la tombe…

Hélas, pour la bourgeoisie radicalisée, le cours du combat entre les classes est une affaire ni rhétorique ni théorique, il s’incarne et s’exprime dans des faits et des actions concrètes, en aucun cas il ne sera, comme disait l’autre, « un dîner de gala ».

Délation et répression : c’est aussi à cela qu’on reconnait le patronat

Le 7 mars, les électriciens en grève ont mené ici comme partout ailleurs des actions ciblées. Ainsi, les patrons de la zone commerciale d’Auchan, de la zone industrielle de l’Inquétrie et de celle de Capécure, tout comme le lycée Mariette, des locaux de la CAB… ont été privés du service que leur rendent chaque jour les salariés du secteur. Au moins ont-ils pu en apprécier la qualité à sa juste valeur, puisque immédiatement après en avoir été privés, ils ont crié leur exaspération. Ainsi, aux voix des mareyeurs choqués par certains actes et qui promettent d’établir la liste des débordements qu’ils ont pu observer à La Glacière, s’ajoute celle des patrons d’Enedis qui entendent porter plainte.

Commençons par nos gloires locales. Fidèle à sa réputation, le patronat de Capécure qui murmure à l’oreille de la sous-préfète, s’émeut de la fonte d’un peu de bitume et du déménagement de mobilier urbain. On se pince pour s’assurer qu’on a bien compris, quand on sait qu’au cœur de ses entreprises, depuis des générations, des travailleuses et des travailleurs y ruinent leur santé et perdent leur vie à la gagner. Et comment qualifier l’atmosphère qui y règne, quand un travailleur effaré supplie au petit matin de le laisser franchir le piquet de grève, sinon : « il va se faire engueuler », tel un gosse, par « son patron ! » Paradoxalement, on le trouve trop discret pour être honnête ce patronat, comme l’ensemble des capitalistes de la filière d’ailleurs, quant à la responsabilité qu’il porte dans la mise à sac de la ressource halieutique et la pollution des mers et des océans… Pour le coup, on peut être assuré qu’il « n’a rien vu, rien entendu ! »

Du côté d’EDF, malgré le dépeçage et la privatisation en cours, les luttes des électriciens n’ont pas faibli, et la répression patronale non plus. Dernièrement, la direction de RTE, l’une des filiales avait dénoncé quatre électriciens grévistes à la DGSI qui les avait surveillé et mis sur écoute téléphonique pour une action symbolique sur le réseau. Au petit matin, cette même police était venue interpeller les grévistes à leur domicile qui sont passés dernièrement en procès au tribunal correctionnel de Paris… En janvier, deux mois d’emprisonnement avec sursis et 150 euros d’amende ont été requis par un procureur contre cinq élus de la CGT Energie pour une action menée durant les dernières grèves pour les salaires.

Du spectacle de la contestation à la contestation du spectacle

Les blocages économiques commencent à fleurir ça et là et conduisent à nous interroger sur leur raison d’être, tout comme sur la façon de les conduire. Le fait de substituer le blocage de la marchandise à l’arrêt de la production par la grève traduit de fait un état de faiblesse de la classe en mouvement. Les restructurations industrielles ont émietté les collectifs de travail et affaibli leur force d’intervention à l’intérieur même des entreprises. Désormais, les actions se mènent le plus souvent à l’extérieur de celles-ci. C’est une question à laquelle il nous faut réfléchir plus collectivement et plus en profondeur. [1]

Les actions de blocage offrent certains avantages indéniables comme celui de permettre à des travailleurs de différents secteurs d’activité de se retrouver pour agir ensemble le temps d’une action. Mais elles présentent aussi des limites évidentes, surtout lorsqu’elles sont menées de manière spectaculaire plus qu’offensive. Pire, lorsqu’elles sont négociées en amont avec les autorités. Cette ambiguïté était manifeste le 7 mars. Pour certains il était sérieusement question de porter un coup aux intérêts du patronat, pour d’autres il s’agissait toujours et encore d’attirer l’attention des « pouvoirs publics. »

Comment l’intersyndicale justifie-t-elle le maintien à distance de la manifestation des points de blocages ? A peine a-t-elle effleuré les abords de la zone industrielle alors que plusieurs centaines de prolétaires occupaient le terrain depuis trois heures du matin !

Se donner les moyens de gagner exige d’abord de sortir de l’entre soi d’une intersyndicale qui, on l’a bien compris, entend garder le contrôle sur un mouvement qui n’en est toujours pas un et peut-être ne le deviendra pas. Pourtant, seule l’ouverture et l’élargissement du débat et l’appropriation collective de la décision le permettra. A moins que le « syndicalisme rassemblé » est prêt à assumer auprès des travailleurs la responsabilité d’une nouvelle et lourde défaite ? Au plus vite, les grévistes doivent pendre le contrôle de l’action collectivement, élaborer eux-mêmes leur calendrier et les modalités d’intervention sur le terrain. Le mouvement appartient à ceux qui luttent pour gagner, pas « aux partenaires du dialogue social. »

Boulogne-sur-mer, le 11/03/2023

P.-S.

Depuis plusieurs mois, nous menons une enquête ouvrière à laquelle nous convions chaque travailleuse et travailleur à participer. Le questionnaire en ligne est à renseigner ici : https://laclasse.noblogs.org . Un livre est en préparation, il synthétisera le fruit de notre travail. N’hésitez pas à nous contacter si ce projet vous intéresse.

Notes

[1Depuis plusieurs mois, nous menons une enquête ouvrière à laquelle nous convions chaque travailleuse et travailleur à participer. Le questionnaire en ligne est à renseigner ici . Un livre est en préparation, il synthétisera le fruit de notre travail. N’hésitez pas à nous contacter si ce projet vous intéresse.

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette