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CA 329 avril 2023

État de la lutte « d’avant 7 mars »… et pas que !

Dossier "mouvement contre la réforme des retraites"

lundi 10 avril 2023, par Courant Alternatif

Nous partageons ici le fruit des échanges sur l’état de la lutte au 25 février, dans plusieurs régions de France.(1) Il ne s’agit pas d’une restitution stricte mais d’une synthèse du su et du vécu des camarades qui se sont exprimé.es. Ce moment est à considérer dans un contexte bien précis : il succède aux premiers tours de piste contre la loi sur les retraites et et se déroule durant le « creux » des vacances scolaires étalées sur la saison du ski. Il est donc important d’avoir à l’esprit qu’il s’agit d’un point d’étape bien antérieur au 7 mars ! Ce sont donc les dix jours à venir dans les starting-blocks dont on ne savait s’ils ébranleraient quoi que ce soit. Deux questions de fond résument d’emblée la nature de la situation :

  • y a-t-il un mouvement ? ‒ au sens où nous l’entendons : social et politique, classiste et auto-organisé.
  • pourquoi, paradoxalement, la mobilisation semble-t-elle plus importante en qualité comme en quantité dans la périphérie, « la France des sous-préfectures », où l’on constate des records de mobilisation ?

Le contexte et ses racines

Le thème de la retraite met systématiquement beaucoup de monde dans la rue, mais à chaque fois qu’on remet le couvert, ce n’est pas tout à fait la même lutte car ce n’est pas forcément le même carburant qui alimente la dynamique. Il change en fonction de ce qui s’est passé entre deux luttes. Depuis 2018, il y a eu le Covid, la réélection de Macron, l’inflation… Que ce soit des organisations syndicales comme des média, l’angle d’analyse de cette mobilisation est « la bataille de l’opinion », ce qui convient parfaitement au gouvernement ; cela lui permet de circonscrire la confrontation dans le cadre institutionnel. Les syndicats jouent gros dans la partie car d’un côté ils doivent montrer à l’État qu’ils savent encadrer les luttes, de l’autre ils doivent obtenir quelque chose s’ils souhaitent de l’adhésion. Mais pour obtenir quelque chose… ils doivent se faire déborder.

Les gens ne sont pas d’accord pour travailler deux ans de plus, mais le gros de ceux qui manifestent aujourd’hui savent qu’ils ne travailleront pas deux ans de plus. Selon les cas ce sera trois mois, six mois de plus… On manifeste une désapprobation, mais on ne voit pas ce qui est réellement fédérateur. Quant à lâcher un mois de salaire comme en 95… Aussi, à Boulogne, sein des cortèges, on observe un turn-over des boîtes selon les journées, ce ne sont pas forcément les mêmes boîtes privées qui se mobilisent : une journée les routiers en nombre, une autre l’énergie, etc.  Donc une forte présence des entreprises privées cette fois, pas uniquement les entreprises du secteur public. Et, fait notable, la présence de groupes de salarié.e.s sous les couleurs de la CFDT. Ce ne sont pas forcément les cadres, c’est le commerce, l’industrie, bref, les prolos.

Il y a aussi, ce malaise qui traverse une partie de la population depuis quelques années, c’est l’abandon des zones rurales et semi-rurales. La déliquescence du transport et service public dans ces zones est fortement ressentie, bien plus que travailler deux ans de plus. Il y a une coupure de classe qui passe aussi par la question du territoire. Et dans zone rurale où je vis ( Vienne ), l’action proposée pour le 7 est de réoccuper les ronds points avec le même imaginaire que celui des Gilets jaunes mais, cette fois avec des gens en grève. Car malgré les claques prises comme la pandémie, l’inflation, la crise, la guerre … il y a des gens dans la rue. Ça provoque des discussions dans les cercles de sociabilité, familiaux, au travail … qui redonnent du sens politique à la discussion, ce qui est paradoxal c’est que ce n’est pas la seule question de la retraite qui est en jeu, mais aussi – surtout ? ‒ l’arrogance de classe du gouvernement, de la bourgeoisie et de ses médias en affirmant « Nous savons ce qui est bon pour vous ! ». Pour les mal-comprenants, ce sera la pédagogie maison. Bref la menace pemanente ; la répression systématique.

Ainsi, en cette impression de « veillée d’armes » en attendant le 7 mars, le retour sur des mouvements amples, voire des victoires, laissent entrevoir des possibilités d’engager une lutte longue et dure. Outre les GJ qui ont marqué les esprits, Il y a eu la victoire de Notre dame des Landes, vécue comme telle par une partie de la population. Et ce n’était pas une lutte obnubilée sur l’aéroport en-soi, elle a permis des convergences avec les portuaires, les paysans … De la même manière, les combats en cours et de la même source les luttes de Bure ou contre les méga-bassines peuvent faire écho.

Au sein des cortèges énormes et normés

Le constat est unanime : les manifestations, sont partout denses, pas homogènes et... encadrées par l’intersyndicale. D’une ville à l’autre, celle-ci sera drivée le plus souvent par la CGT ou la CFDT, selon leur poids local, engoncées dans leur représentativité et aussi, on le rappelle, en proie à leurs luttes internes. Cette forte influence syndicale n’est pourtant pas à l’aise ; consciente que sa main-mise n’est pas totale sur « les troupes », elle reste aux aguets quant à la tournure des événements, craignant des incidents « en marge » des défilés « responsables et pacifiques ». La question de la légitimité taraude en permanence ; on est nombreux et normalement l’État doit céder. Et ça serait terminé, Mais l’État ne cède plus, il ne peut se le permettre. C’est la raison du retour des syndicats sur le devant de la scène, considérés comme corps responsables et garants de l’ordre. Sans eux, la bourgeoise a peur et les manifestants se font casser la gueule. Leur fonction sociale est remise en avant. À Boulogne sur Mer, la dichotomie est palpable : en manif de centre ville, la piétaille qui répond à l’appel des syndicats, dans le quartier de marée, des trouble-fêtes non estampillé.e.s se battent là où ils bossent. Un type de « double photographie » existe aussi en fonction du type de ville mobilisée. Poitiers est la ville administrative, et Châtellerault, plus petite mais industrielle et ouvrière, donc deux sociologies différentes. La mobilisation est plus forte ici comme ailleurs à Châtellerault. ( Vienne ).

Sur la question de la retraite, tout le monde a fait ses calculs et il n’y a pas un régime de retraite qui est comparable aux autres. En 95 ça a marché parce que c’était les régimes spéciaux de la SNCF qui étaient attaqués ; il était hors de question qu’on leur supprime. Ils étaient prêts et ont mis le paquet. Il faut que avoir quelque chose de particulier, d’un peu personnel, un bout de gras à défendre dans cette histoire collective des retraites. Le problème c’est que de défaite en reculs, les régimes spéciaux disparaissent les uns après les autres… Pas surprenant de voir des gens de 40 ans qui n’ont jamais fait grève dans le privé, car d’abord dans le privé tu n’es pas compté, ensuite tu bosses dans une PME ou TPE, qui potentiellement embauche 50 salarié.e.s, éventuellement sous-traitantes des grands groupes, et le patron n’a pas de puissance et d’influence au niveau national, enfin ces salariés ne voient pas le sens de la grève dans un secteur qui ne pèse ps non plus sur l’économie générale.

Un camarade de la Marne signale qu’il existe des contrats particuliers et de grande précarité. Ce sont des CDDI (!). Sur une période de trois ans on est renouvelé par plages de quatre mois renouvelables, on est payé au Smic, voire en dessous et on est dans l’ « économie sociale et solidaire » alors qu’on fait un travail qualifié.La précarité et le fait de ne pas pouvoir se défendre, c’est un argument valable mais vu la situation, qu’y a-t-il à perdre ?   Souvent, le précaires pensent que la grève ce n’est pas pour eux, c’est pour les cheminots, les profs, etc.

Comment penser sa retraite quand on est jeune ?

La question de l’absence des jeunes dans les cortèges est évoquée avec insistance. Les jeunes ne sortent pas. Ils sont en contrat précaire et en plus ont intégré le discours selon lequel ils n’auront de toute façon pas de retraite. Une autre piste serait que pour une personne qui a trente ans aujourd’hui, la question de la retraite l’amène dans une période où on nous annonce le pire sur le point climatique. Ce qui pose question, car dans les publications et au sein des groupes politiques, l’enjeu climatique est surexploité au point de reléguer les problèmes sociaux, économiques… auxquels les jeunes sont confrontés de plein fouet. Le discours récurrents sur l’angoisse de la jeunesse quant aux enjeux liés au climat les paralyse ; c’est d’ailleurs un discours élaboré par des gens qui construisent aussi un mouvement politique sur un créneau, aussi valide soit-il, qui devient exhaustif.

Pourtant cette question de réchauffement est intégralement liée à la question du régime d’accumulation et de d’exploitation capitaliste. Et de remarquer qu’il y a tout-de-même des jeunes dans les manifs : les jeunes travailleurs ! Il nous faut donc nous aussi sortir du schéma simpliste : jeune = étudiant.e ou lycéen.ne. D’ailleurs on remarque ( à Lille ) qu’un des freins à la mobilisation émane du dispositif « Parcours-Sup » avec son contrôle continu et sa pression permanente. IL faut aussi prendre en compte aussi le facteur de la précarisation dans le secteur de l’enseignement puisqu’à la fac 40 % des enseignants de la fac sont des non-titulaires. Ceci dit, pour les 70 000 étudiants lillois a été obtenu la banalisation des cours lors de journées de mobilisation, il ne peut y avoir d’examens lors des dates de mobilisation. Mais ce n’est pas vraiment déterminant…

Cependant, des étudiant.e.s éloigné.e.s des organisations étudiantes envisagent quelques actions coup de poing pour le 7 mars. A Lille 2, il est intéressant d’observer que chez les étudiants en journalisme des petits média se créent. Ces gens produisent du texte et il y a même un journal papier qui est né. Chez les profs, le lendemain de la première journée ça a discuté, ça parlait de 2003, il faut partir sur quelque chose de long et bloquer les examens. Rien n’est donc perdu.

Un après-7 mars encore nébuleux

Le problème d’un certain militantisme, c’est la peur d’aller au devant des gens qui ne sont pas du sérail … A Marseille et Toulouse les assemblées autonomes sont assez ouvertes et donc elles permettent davantage de rencontres. IL y a un enjeu à aller chercher les gens, on peut se retrouver à une cinquantaine de personnes à l’AG. On le constate aussi dans les AG étudiantes quand elles réussissent à s’ouvrir… Il y a une forte méfiance dans les milieux politiques radicaux à s’adresser à d’autres, comme ce fut le cas chez les Gilets jaunes.

Bien que souvent repris en référence, les GJ représentaient sorte d’ « citoyennisme radical » qui ont su rallier « l’opinion », et s’ils ont su penser un des formes d’action, ils sont restés orphelins d’un projet politique fédérateur. Car pour passer du mouvement d’opinion au mouvement social, il faut que les gens se redéfinissent aussi leur position dans la société en terme de classe. On le trouve un peu avec la question « des inégalités »,  mais la question de la classe a été tellement abandonnée, la gauche et l’extrême gauche parlent « des 99% »... Heureusement, il y a quand même une certaine de joie dans les manifs ; il n’y a pas que de la résignation .

Le mot du début ?

On a un rapport au temps qui est fracturé car chacun superpose des moments et des formes différentes d’intervention  : les gilets jaunes, les lutte syndicales, les formes de manifestations alternatives… et qu’on n’arrive pas à retrouver une totalité avec tout cela, les différentes parties d’un tout ? Parlons nous de la même chose ?

Et puis, a question de la foire aux identités dans les manifs depuis des années freine aussi la possibilité pour les radicaux de se sentir une appartenance avec les gens qui manifestent actuellement. Un camarade ne se reconnaît pas dans la figure du travail de l’intersyndicale alors qu’il appartient à la classe des exploités. La LFI parle de peuple ‒ comme les Gilets jaunes encore une fois ‒, et se projette au 8 mars aussi. Difficile de produire et d’avoir une identité un peu collective et commune !

Il y a d’autres luttes qui pourraient amener un peu d’oxygène pour que ça s’enflamme Il y a toujours des grévistes ou des contestataires quelque part ; la question des retraites sera-t-elle un catalyseur ? Sur le plan tactique, on se pose la question de la disparition du cortège de tête dans les métropole. À Lille, on a l’impression qu’on est encore dans une phase d’attente et qu’on accepte de jouer la carte de la mobilisation de l’opinion pour que les gens reviennent dans la rue à leur rythme … Avant le 7 mars serait l’idéal.

Lille / Boulogne sur Mer

Notes :
(1) Participaient à la discussion : Lille & Boulogne sur Mer ; Reims / la Marne ; Poitiers / la Vienne et plusieurs personnes non adhérentes à l’OCL.

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