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CA 329 avril 2023

Vertement écolo 329

jeudi 20 avril 2023, par Courant Alternatif


{{Le retour du commissaire enquêteur viré

Courant Alternatif s’était fait l’écho des aventures de Gabriel Ulmann, commissaire enquêteur dans l’Isère. Il avait été exclu de la liste d’aptitude préfectorale des commissaires enquêteurs en 2018.
Ses crimes : avoir donné un avis négatif sur le projet de Center Parcs à Roybon mais surtout avoir récidivé en crucifiant le projet « Inspira » de la zone industrialo-portuaire de Sablons sur les rives du Rhône - des usines Seveso en zone inondable - et le projet dans lequel des pontes du conseil départemental de l’Isère avaient des billes. S’en sont suivies 5 années de procédures et là, miracle, le Daubé nous apprend (1) que la cour d’appel administrative de Lyon vient d’ordonner sa réintégration. Un bonheur ne venant jamais seul, le tribunal administratif de Grenoble vient d’annuler la décision préfectorale d’utilité publique du projet Inspira « sur le même fondement d’atteinte à la nappe phréatique que nous [le groupe des commissaires enquêteurs] avions relevé, » Heureusement qu’avec le mégaprojet d’usine de puces électroniques de STMicroelectronics de Crolles (banlieue de Grenoble), les élus, investisseurs, magouilleurs et préfets vont pouvoir se refaire une santé sur le dos de l’eau du coin.

{{Vague vaguelette pour la protection des océans

Un concert de louanges médiatiques unanimes a célébré l’accord his-to-ri-que de protection de la haute mer. Après 15 années (seulement !) de négociations des avancées co-los-sa-les étaient actées. La planète bleue étaient enfin sur la voie de la protection in-té-gra-le de ses fonds et ressources marines. Baste… car la pêche en a été exclue (faut pas pousser mémé dans les filets, quand même), tout comme le plancher océanique qui recèle les nodules polymétalliques que les multinationales, Macron et Mélenchon rêvent d’exploiter pour faire rouler nos fabuleuses voitures électriques décarbonées. « Des tractations [avec l’Autorité internationale des fonds marins] sont en cours à Kingston (Jamaïque) avec sommets en vue... »(2) pour décider de cette exploitation « durable ». Cette dépendance de l’ONU a un programme on ne peut plus équilibré : « À titre d’organisme de réglementation, la principale préoccupation de l’Autorité est probablement d’établir un équilibre entre d’un côté les avantages qu’offre à la société l’exploitation minière des grands fonds marins, y compris l’accès aux minéraux essentiels, le non-déplacement des communautés, l’étude approfondie des fonds marins et le développement technologique et, de l’autre côté, la nécessité de protéger l’environnement »(3). Les océans, comme les forêts tropicales sont de fabuleux réservoirs de molécules pour l’industrie chimique, cosmétique et médicale. Ce point « a été central dans les discussions ». Il s’agit d’en profiter un max en donnant l’aumône aux pays pauvres : un « principe » de pourcentage sur les futures découvertes leur a donc été généreusement accordé. Après, il faudra traduire ce super traité, l’analyser, étudier les dérogations (pour qu’il soit signé), le faire ratifier… D’ici une quinzaine d’années sans doute, les fonds marins seront sauvés grâce à une exploitation rationnelle et indolore pour l’environnement.

{{L'état atomise les noisettes de l'Écureuil }}

Énoncé : sachant que le nouveau programme nucléaire (6 EPR2, voir CA de mars) coûtera très cher (52, 60, 100 milliards ? Et hors coûts de financement), qu’EDF est endetté jusqu’au cou (64,5 milliards) et crie famine, que les banquiers ne se bousculent pas, au vu des résultats minables des EPR 1 dans le monde, que l’État pourrait s’endetter (près de 3000 milliards de dette publique en 2022, alors encore un peu plus...) pour financer directement ce projet, mais que l’UE traque les subventions publiques déguisées aux entreprises… Comment sortir la nucléocratie de la nasse ?
Une solution sublime, forcément sublime vient d’être trouvée : fiancer (en attendant le mariage ?) l’épargne populaire (livret A, LEP, LDD) avec le programme nucléaire prévu. C’est ce qu’a déclaré E. Lombard (patron de la Caisse des Dépôts et Consignations qui gère pour l’État, l’épargne populaire) « Je suis convaincu que l’épargne populaire... qui, au total, atteint 500 milliards d’euros aujourd’hui, [dont 375 milliards pour le livret A] peut davantage encore financer la transformation de notre appareil de production énergétique » (4).

Avantage pour les gloutons nucléocrates : c’est « une des rares ressources qui permet de déployer des financements à très long terme, cela correspond assez bien au profil du nucléaire ».
Inconvénient mineur : cette épargne de « financements à très long terme » sert prioritairement à construire des logements sociaux et à les rénover. Voyons la situation du secteur. Primo, les chiffres de la construction d’HLM restent désespérément bas (85 000 contre les 125 000 prévus en 2021), le secteur ayant été profondément déstabilisé par « Le gouvernement [qui] les avait en effet sommés, en 2017, de réduire leurs loyers pour compenser la baisse des aides personnalisées au logement (APL) » (5). Deuxio, le Livret A sert aussi à financer la rénovation thermique des HLM que la loi « Climat et Résilience » impose aux bailleurs sociaux, afin de réduire les factures des habitants et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Mais les programmes de rénovation énergétique se traînent misérablement. De plus, le risque majeur de ce détournement d’argent, sera de fabriquer des centaines de milliers d’encore plus mal logés car avec le Diagnostic de Performance Énergétique actuel « un certain nombre de logements risque d’être rendus impropres à la location en 2025 (pour les G) puis en 2028 (pour les F). Ceci alors que 1,7 million de ménages sont déjà en attente d’un HLM en France. »

Dans tous les cas, les merveilleux EPR 2 et leur « électricité décarbonée » ne seraient, au mieux, mis en service qu’en 2040. Y a donc comme un trou climatique dans la raquette des nucléocrates.
Avec le nucléaire new look ce sont des couilles en or pour les nucléocrates et des nouilles encore (froides car il faut être sobre et responsable) pour les pauvres dans tous les aspects de leurs vies.

{{Relance du nucléaire et liquidation de l'IRSN : Caramba, encore raté !

Qu’on en juge : 4 jours de « débats » à l’Assemblée Nationale pour valider le projet de relance du capitalisme nucléaire. Trop, c’est trop et trop de démocratie tue la démocratie. Heureusement qu’EDF, Orano, Framatome, Alstom sans oublier le CEA et le corps des X Mines, ont réussi leur coup avec la vote de l’article actant disparition de la limite de 50 % de nucléaire dans le mix énergétique français. Sénateurs et députés ont réussi à court-circuiter la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie prévue au plus tôt pour cet été. LR et les fachos ont voté la main dans la main avec la majorité. Un échec provisoire dans cette pluie de neutrons dorés : le projet d’absorption de l’IRSN par l’ASN (cf CA de mars) a été provisoirement rejeté par les députés. Le gouvernement a essayé de le faire passer en douce dans son projet de relance, mais ça a coincé. Même Pompili (ex ministre de la destruction de l’environnement) a protesté : « Sans aucune étude d’impact… c’est une folie de nous balancer ça comme ça ». Gare à la seconde lecture !

{{Nucléaire : on pavoise au CEA

Une des raisons possibles de la volonté de supprimer l’IRSN réside peut-être dans les projets de développer des SMR (Small Modular Reactors) à savoir des mini-réacteurs que les nucléocrates rêvent de pouvoir installer un peu partout et pourquoi pas dans les villes. Laurence Petit, « Directrice déléguée à l’innovation, aux start-up et aux participations » du CEA ne cache pas sa joie car deux startups nucléaires aidées par le CEA et ses brevets vont pouvoir envisager de construire ces réacteurs. Ainsi « Hexana développe un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, qui est une technologie mature »(6). Ils pourraient être installés sur des sites industriels et l’« autre point fort, c’est la possibilité d’utiliser sur plusieurs cycles des combustibles Mox [fabriqués à partir de combustibles déjà irradiés dans les réacteurs du parc nucléaire français, Ndlr] »… Mieux les matériaux qui seront utilisés sont « qualifiés et pourront être fabriqués en France. » Et c’est « un atout en matière d’économie circulaire ». Comment résister à cette langue de bois en provenance directe des irradieuses forêts de Tchernobyl associant si puissamment écologie et créations d’emploi ?

Juste au passage : Le dernier exemple de réacteur à neutrons rapides s’appelait Super Phénix, qui avait déjà été présenté comme permettant de cramer nos déchets nucléaires (et chut, de fabriquer du plutonium pour les militaires) et d’être une source inépuisable d’énergie. Super -Phénix conçu par le CEA pour EDF, a été un coûteux et piteux échec : la technologie à base de sodium fondu n’a jamais fonctionné au-delà de quelques mois. Ainsi en 1984 20 tonnes de sodium fondu s’échappent du circuit de refroidissement à cause des soudures défectueuses (On se croirait dans la période actuelle, non ?). Il faut savoir que le sodium solide explose au contact de l’eau et sous forme liquide, s’enflamme spontanément au contact de l’air. Depuis Super-Phénix est toujours en voie de démantèlement… Une « technologie mature 

Mais le fond de l’article c’est surtout de parler et de vendre les fantastiques réussites industrielles, économiques et et entrepreneuriales liées aux découvertes techno-scientifiques du CEA. Une mention particulière à la COGEMA, devenue AREVA et après sa quasi faillite, Ourano (leader du combustible nucléaire, toujours en affaires avec la Russie !). Sans oublier les entreprises issues de startups du CEA comme SOITEC (créée par la branche militaire du CEA, la DAM) afin de développer et commercialiser des puces électroniques résistantes aux radiations avant de se lancer dans les puces pour smartphones et l’automobile. Et comment oublier ses copines de la cuvette de Grenoble, STMicroelectronics et Lynred (détenue maintenant par les missiliers Thalès et Safran) ?
Un point commun à toutes ces boîtes : elle viennent toutes de la recherche militaire, se sont élargies au civil, travaillent toujours discrètement pour les entreprises militaires de tous pays et leurs composants ont été retrouvés dans les missiles, drones, systèmes de de détection et chars russes utilisés depuis les débuts de l’invasion de l’Ukraine. Bienvenue dans le monde des « biens à double usage » civils et militaires.

{{Des puces assoiffées… d'eau !

L’action menée par les anonymes qui ont incendié en avril 2022, les câbles électriques alimentant les usines d’électronique SOITEC et STMicro a provoqué un beau bazar local, montré la colossale dépendance en électricité de ces industries (l’usine STMicro de Crolles consomme l’équivalent de la consommation électrique de 140 000 grenoblois) et a donné lieu à un communiqué de l’Union des Clowns Léninistes, du meilleur goût (7). Mais, il y a bien plus que cela.

Derrière la vie connectée, la dématérialisation des objets, de la culture, des process industriels, des relations sociales et humaines, , derrière les applis pour pimenter sa vie sexuelle ou les messageries cryptées de groupes radicaux, derrière les besoins dévorants des industries civiles et militaires en puces électroniques, il y a un impératif : l’eau. Une eau très pure, sinon c’est fichu pour les puces.
Pour nettoyer les plaquettes de silicium et graver des circuits électroniques, l’Alliance constituée par ces entreprises grenobloises « engloutit 700 m3 d’eau par heure (l’équivalent d’une ville de 50 000 habitants), et soumet les collectivités locales à ses exigences : 150 000 euros d’amende par heure à payer à l’entreprise en cas de défaillance dans la fourniture d’eau ; obligation de doubler prochainement les conduites d’adduction sur 18 kilomètres, pour un coût de 25 millions d’euros ; livraison impérative d’une eau d’excellente qualité, exempte de chlore même en période de ‘menace terroriste  »(8). Et elles, elles ont pu continuer à pomper à donf durant toutes les périodes de canicules depuis 2003. Insatiable, l’Alliance prévoit de passer de 16 000 m³ par jour (2022) à 29 000 en 2024. En 22 jours, elles s’engouffrent donc l’équivalent de la méga-bassine de Sainte Soline (650 000 m³) soit 16 méga-bassines par an. Et ce, dans l’indifférence générale des chantres de la lutte anti-bassines.

Le meilleur est à venir avec le méga-projet de nouvelle usine STMicro/ Global Foundries (coût de 5,3 milliards financé à hauteur de 2,5 milliards par des fonds publics). Le doublement des capacités de production fait saliver les rats noirs de la peste capitaliste. Il s’inscrit dans le cadre du Chips Act européen destiné d’une part à casser la dépendance aux puces américaines dans les domaines militaires et stratégiques et d’autre part à produire dans le futur, 20 % des puces mondiales. Entre l’intérêt supérieur national de réindustrialisation, la chansonnette fétide de la création d’emplois, l’aplaventrisme des élus (écolos Piollesques en tête), la cavalcade technologique sans fin, la production de biens inutiles, les besoins militaires et les profits, les habitants du coin savent ce qui leur reste à faire : tirer la langue, mettre un caillou dessus et dire « Merci not’ bon maître » en regardant l’eau pure, s’enfuir. À moins, à moins… que la manifestation prévue le premier avril arrive à déclencher, la prise de conscience, l’ire et l’action collective contre les industriels accapareurs d’eau et leurs chiens courants politiciens (9).

Freux et Eugene the Jeep

Notes
1- La justice annule la radiation du commissaire enquêteur. Le Dauphiné Libéré du 06/03/23
2 - Protection basse pour la haute mer. J-L Porquet. Le Canard enchaîné du 08/03/23
3 - L’autorité internationale des fonds marins et l’exploitation minière des grands fonds marins. Michael Lodge (président de l’AIFM). ONU, s. d
4 - Nucléaire : les milliards d’euros du Livret A pourraient financer les nouveaux EPR. La Tribune du 09/02/2023
5 - HLM : la production de logements sociaux reste très en deçà des objectifs. Elsa Dicharry. Les Échos du 11/01/2022
6 - « C’est la première fois que le CEA essaime des startups qui développent des réacteurs nucléaires innovants » (Laurence Petit). Juliette Raynal. La Tribune du 09/03/23
7 - Pour un sabotage safe avec les premier-es concerné-es. IATAA du 18/09/2022
8 - STMicroelectronics, les incendiaires et les voleurs d’eau. Pièces et main d’œuvre. Publié le 22/07/2022
9 - De l’eau, pas des puces. Stop Micro. Tract d’appel à la manifestation du premier avril 2023 à Brignoud et Crolles.

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