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CA 339 avril 2024

Contre la démolition des HLM par l’ANRU :
Moratoire pour les projets contestés en cours

mercredi 10 avril 2024, par Courant Alternatif

Le 7 février 2024, une cinquantaine de personnes sont venues devant l’Agence nationale pour la rénovation urbaine l’ANRU pour réclamer la réhabilitation de leur immeuble plutôt que leurs destructions et demandé un moratoire sur les projets contestés en cours. Une délégation a été reçue par la directrice de l’Anru, Anne-Claire Mialot, malgré ses réticences. Cette initiative est une première encourageante ; des militants du logement, des architectes, des urbanistes, plus de 700 personnes au total issus de 45 associations ou amicales de locataires de toute la France, ont décidé de s’unir, et de faire entendre leur voix pour tout remettre à plat et inventer d’autre solution.


Loin des clichés sur l’habitat social, les habitants des quartiers populaires se battent pour sauvegarder leur cité, sauver leur histoire, préserver le patrimoine ouvrier. La majorité de la population touche des salaires minables autour du smic et se saigne pour avoir un toit, sans parler des précaires, de ceux qui galèrent et dorment dehors.
Toulouse, Grenoble, Marseille, Lille, Roubaix, Amiens, Chatenay-Malabry, les Franmoisins, Aubervilliers... une cinquantaine de collectifs d’habitants de quartiers populaires et d’associations ont organisé un rassemblement devant le siège de l’Anru, ainsi qu’une conférence de presse l’après-midi ainsi qu’une réunion de travail dans la foulée pour protester et agir contre la démolition de leurs quartiers et demander un moratoire sur les projets contestés en cours.
Dans son appel fondateur lancé mi-novembre le collectif Stop aux démolitions Anru dénonce une logique aberrante d’un point de vue social, financier, urbanistique, architectural, et écologique.
De nombreux architectes se sont joints à la contestation des associations de défense des locataires, la CNL (confédération Nationale du Logement), le DAL ( Droit aux logements), l’APPUI, Pas sans nous... Depuis des décennies les locataires des cités HLM en but à des projets de destructions de leurs habitat, de leurs quartiers, affrontaient seuls les mairies, les promoteurs et l’ANRU qui se renvoyaient la balle des responsabilités. Ce regroupement est une première engageante dans le combat nécessaire pour sauvegarder l’habitat populaire et le développer.
L’agence, qui célèbre son vingtième anniversaire cette année, est pointée du doigt pour ses vastes projets de renouvellement urbain qui sentent la gentrification, et pour sa politique de destruction de logements sociaux. L’Anru est un organisme étatique qui est censé réhabiliter les logements sociaux. mais qui assujettis son financement à la destruction d’une large partie de ceux-ci. C’est aussi, nouveauté lucrative, la possibilité laissée aux privés d’acheter des pans entiers de logements sociaux. Cette politique, à terme, signe la disparition des logements véritablement sociaux. Alors que deux millions de locataires, éligibles aux HLM, attendent un logement digne et abordable, l’Etat les détruit au lieu de privilégier leurs réhabilitations et ne propose aucun chantier d’envergure de construction de logements sociaux. De 2004 à 2021, au travers du Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU) puis du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), l’ANRU a assujetti son financement à la démolition de 164 000
logements sociaux pour en reconstruire 142 000 pas toujours très social, donc 22 000 logements sociaux en moins. Et ce, à l’heure où la crise du logement sévit plus que jamais : la France compte 333 000 personnes sans domicile fixe et 2,4 millions de ménages en attente d’un logement social.
Chaque modification de l’espace urbain doit théoriquement être accompagnée d’une concertation avec les habitants. La concertation légalement obligatoire est de pure forme, la « co-construction est un mot creux, les décisions sont prisent d’avance. Un locataire d’Amiens raconte que dans son quartier, la concertation a commencé le soir de l’arrêté préfectoral qui annonçait la démolition. Et c’est partout les mêmes pratique, la même logique :
Par exemple à la Planoise à Besançon où se trouvent 6 000 logements sociaux. Environ 1 200 vont être démolis alors qu’ils sont plutôt en bon état. Une manière de virer les pauvres pour la municipalité qui compte reconstruire des logements destinés à des ménages plus aisés. Sous couvert de mixité sociale, les plus précaires sont expulsés toujours plus loin des centres villes alors qu’ils vivent là depuis des années. A Vaulx-en-Velin près de Lyon, plus de 1 600 logements sociaux ont été détruits pour construire du privé. Le collectif lillois De L’Air dénonce la destruction de 150 logements sur les 320 que compte l’immeuble des Aviateurs, dans le quartier des Bois-Blancs.

L’Anru se doit légalement de reconstruire ce qui est détruit, reconstituer le « un pour un » l’offre de logements sociaux mais autorise à les reconstruire ailleurs, déplantant les habitants et augmentant les loyers en les changeant de catégorie. A Evreux, la majorité des 700 logements reconstruits (sur 900 démolis) l’ont été en dehors du quartier, laissant les plus pauvres entre eux. Le quartier a été écrémé de sa population insérée, la plus aisée, possédant voiture et une capacité d’initiative. La tendance des bailleurs sociaux est de laisser se dégrader les bâtiments quand ils savent qu’ils seront démolis, même à long terme. « Comme ils n’entretiennent pas la tuyauterie, on a des cas de légionellose. Et pourquoi croyez-vous qu’il y a des rats et des cafards ? » 
Les architectes pour la défense du patrimoine Candilis au Mirail à Toulouse ; « alors que les SDF se multiplient dans les rues, il y a de moins en moins de constructions de nouveaux logements sociaux et pourtant il existe des logements de très grande qualité voués à la démolition en contradiction avec le bon sens et l’intérêt général. Il faut rénover sans démolir. »
A bordeaux il y a eu une réhabilitation exemplaire et inventive sans l’Anru qui voulait détruire contre l’avis de la municipalité ; avec un rajout d’une verrière qui étendait l’appartement d’une pièce.
Depuis dix ans l’atelier populaire d’urbanisme de la villeneuve de Grenoble se bat contre le projet de démolition d’un quartier populaire. « Créé pour décomposer le logement social, pour s’accaparer le foncier dans les métropoles, pour financiariser le logement. L’Anru s’est une machine de guerre qui disloque des vies, qui tue des gens Y’en a marre de l’Anru ! Il faut se battre pour imposer une autre politique du logement basée sur les volontés, les intérêts des habitants et pas sur ceux des patrons, des promoteurs, des financiers. On veut des logements de qualités, des écoles, des commerces, des équipements, des services publics ».
A Nanterre, « c’est un tiers du quartier des Tours Aillaud ; plus connus sous le nom de tours nuages près de la Défense qui va être vendu à un promoteur milliardaire. C’est le bien commun qui est bradé au privé. Nous nous sommes battus, mais nous étions seuls et nous avons perdu. »
A Amiens, « un tiers des 3000 logements HLM va être démoli sans aucune concertation. Le bailleur social dit qu’il répond aux exigences de la maire et de l’Anru, la maire nous dit qu’elle est obligée par l’Anru, l’Anru nous répond que c’est la maire... on nous ballade. Grâce à Pas sans nous et à l’Appui nous avons appris à nous mobiliser. Nos projets ont été balayés. Nous sommes aujourd’hui contents de pouvoir nous nourrir des expériences d’autres. »
Le Franc Moisin de Saint Denis, « un plan de rénovation urbaine quand ça tombe sur un quartier, on ne sait pas ce qu’il faut faire ; encore heureux qu’il y avait l’Appui. On nous dit que 500 logements vont être détruits, vous allez être déplacés. On ne connaît pas les mots techniques. Nous, ce qu’on veut c’est une politique de logement digne, nous sommes devenus des experts, on sait ce que nous voulons pour notre quartier. On a construit notre quartier. Des personnes y habitent parfois depuis des dizaines d’années, et on vient nous expliquer qu’on y a plus notre place parce que nous sommes désargentés. On a décidé de se battre, de faire des référendums citoyens, des balades urbaines, des rencontres dans des écoles... Sur les 500 logements, on a pu en sauver 100. Ils sont malins et vicieux et nous on mit une clause de revoyure ; ça veut dire qu’il faut que nous repartions au combat. Notre ennemi c’est l’Anru qui massacre, qui éloigne, qui gentrifie. On paye nos loyers, on paye les charges et on n’est pas assez bien pour eux ! Ils font des rénovations dégueulasses et ils augmentent nos loyers. On est ici, on reste ici et on ne partira pas ! Il faudra qu’on se tienne main dans la main. L’Anru ne se fera pas sans les habitants »
Les architectes présents s’associent pour demander d’arrêter de faire de la démolition le préalable de toute opération de rénovation urbaine. Ils dénoncent l’effacement programmé du patrimoine populaire souvent de grande qualité architecturale, comme la Maladrerie à Aubervilliers ou de la Butte rouge à Châtenay-Malabry. Le petit-fils de l’architecte qui a construit la Butte rouge à Chatenay-Malabry reste mobilisé avec les associations locales pour défendre « le meilleur pour les prolos », « On démolit beaucoup, ce qui n’est pas nécessaire. On peut transformer. La mairie considère qu’il y a trop de logements sociaux et elle veut construire pour des populations plus fortunées. Les réhabilitations effectuées ne profiteront pas aux habitants actuels. La butte rouge est un modèle d’architecture visité par des architectes du monde entier, un patrimoine populaire avec ses espaces verts, ses bâtiments bas, ses jardins ouvriers. Ça fait 10 ans qu’on se bat mais nous n’avons que limité les dégâts. De la démolition totale on a réussi à protéger plus de 50% de la cité. L’Anru se moque du patrimoine, elle fait juste un calcul sur Excel et programme 1000 logements de plus. »
Lille, Roubaix, Tourcoing ; « à Roubaix il y a trois quartiers qui sont concernés, le plus emblématique c’est l’Alma-gare En 70, 80 une rénovation avait eu lieu en concertation avec les habitants, toute l’Europe était venue voir cette opération exemplaire et aujourd’hui, l’Anru prévoit la démolition de près de 600 logements et d’en reconstruire que 89. l’Alma-gare c’est du logement social de très bonne qualité, avec des équipements sur place, garderie, foyer pour personnes âgées, école, salle de sport, situé proche du centre-ville de Roubaix. Les Peuls à Lille, c’est un quartier historique, une série de courées, des maisons traditionnelles ouvrières du textile, avec un fort intérêt patrimonial et social refait dans les années 70 et maintenant la mairie a décidé de démolir tout ça avec l’Anru. La population est sommée de dégager toujours plus loin, là où il y a encore moins de travail. »

Jean Baptiste Ayraud du DAL : « On veut le droit au logement pour tous. On veut l’arrêt des démolitions de logements sociaux, il faut aussi des logements pour les mal-logés, les sans-abris, ceux qui crèvent à petit feu dans la rue, ceux qui sont menacés d’expulsions. Depuis trente ans on chasse les classes populaires pour faire de l’argent, pour nourrir la rente locative, la spéculation immobilière, pour nourrir le logement cher, cause de la crise que nous traversons. Virer les pauvres c’est aussi éloigner les classes dangereuses. De véritables épurateurs sociaux ; en plus des 160 000 destructions de logements sociaux organisées par L’Anru il faut ajouter les 100 000 destructions décidées par les maires avec l’accord des préfectures, et tout ça bien sûr dans les zones tendues, les zones spéculatives. Ne nous laissons plus faire, il faut s’organiser ! »

La dernière loi dite Kasparian donne un pouvoir exorbitant aux maires pour attribuer des logements sociaux ; cette pratique permet de légaliser le clientélisme déjà en vogue dans les banlieues. Ces cités sont notre patrimoine populaire, notre histoire sociale, notre bien commun. Elles sont nos lieux de vie, nos souvenirs, nos liens, nos solidarités. Ces démolitions forcées nous rappellent que pour les promoteurs et pour l’Etat nous ne sommes de nulle part, que la précarité peut s’étendre à toutes les sphères de notre existence. Sans racines, l’État peut nous déplacer où bon lui semble. Nos vieux, habitant depuis des décennies, en meurent. Tous les témoignages confirment que les personnes âgées ne survivent pas à leurs expulsions. Une vieille dame de 88 ans, relogée par l’Anru en dehors du quartier de la Planoise où elle a toujours vécu, malgré son magnifique appartement, est morte. Quant à sa voisine de 96 ans, placée dans une résidence senior par ses enfants, a tenu six mois.
Quant à la prétendue mixité sociale qui justifierait les expulsions et les destructions ; on peut se demander pourquoi cette préoccupation touche exclusivement les quartiers à gentrifier.
La seule vraie question qu’il faut se poser c’est combien de m2 ont été démoli en zone tendue à moins de 6 euros du mètre carré c’est à dire en PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration) pour combien reconstruits sur les mêmes critères ? La plupart ont été reconstruits en PLS ou en PLI (Prêt locatif social ou Prêt locatif intermédiaire), à 10 euros le mètre carré et plus.
La population se paupérise et a de plus en plus de mal à se loger dans le privé comme dans le public. La majorité des logements construits reste inaccessible pour les classes populaires. Le combat pour des logements dignes, pour la sauvegarde des cités et leurs réhabilitations avec les habitants aux mêmes tarifs, pour la construction de logements véritablement sociaux est un combat prioritaire trop souvent oublié que ce regroupement d’associations tente de mener.

Nadia M

P.-S.

Pour plus d’informations, vous pouvez écouter deux émissions sur L’Actualitédesluttes.info du 26 et 27 février 2024 :
Émission du 26 février 2024 : Contre la démolition des HLM par l’ANRU ; Moratoire sur les projets contestés en cours.
Émission du 27 février 2024 : ANRU STOP AUX DÉMOLITIONS ! Conférence de presse du 7 février 2024

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