dimanche 6 mars 2011, par
Rubén González, syndicaliste d’une entreprise métallurgique d’État, vient d’être condamné le 28 février à une peine de 7 ans et 6 mois de prison pour fait de grève [ http://oclibertaire.free.fr/spip.php?breve340 ].
Mais, heureuse surprise, le 3 mars, une chambre du Tribunal Suprême a rendu une décision transformant la peine d’emprisonnement en une remise en liberté surveillée avec obligation de pointer tous les 15 jours. La bataille contre le scandale de cette condamnation, qui menaçait de prendre de l’ampleur, au Venezuela et en dehors, a de toute évidence obligé le pouvoir politique et judiciaire chaviste à reculer piteusement. Reste la bataille judicaire pour l’annulation du jugement.
Pour ceux et celles qui ne connaissent pas bien les détails de cette affaire, il nous a semblé intéressant de revenir sur ce cas de répression anti-syndicale au pays de la « révolution bolivarienne » qui, pour certains, pas très regardants, fait figure de nouveau paradis socialiste.
Nous reproduisons l’entretien qu’a réalisé le journal El Libertario avec Rubén González en mai 2010, alors en détention provisoire. Il illustre bien un certain climat politique dans ce pays, en particulier contre ceux qui n’acceptent pas de se payer de mots et manifestent simplement pour obtenir ce qu’il leur est dû.
Au Venezuela se développe un contexte de criminalisation de la protestation sociale, dans lequel plus de 2400 personnes sont amenées devant les tribunaux pour avoir participé à une manifestation liée à la défense de leurs droits. En 2009 on observe l’application de mesures judiciaires contre 33 travailleurs et dirigeants syndicaux, dont le cas le plus grave est celui de Rubén González, Secrétaire Général du Syndicat des Travailleurs de Ferrominera Orénoque (Sintraferrominera), une société d’Etat située dans l’État de Bolivar, pour avoir participé à un arrêt de travail en août de cette année là. Le ministère public n’est pas le seul instrument punitif contre la protestation, il y a aussi les médias d’État qui ont répandu l’idée que ces manifestations syndicales répondent à une motivation autre que celle de la revendication des droits des travailleurs, comme ce fut le cas lors du conflit de la Ferrominera [ voir à ce propos l’appel “ Pour la défense du droit à la protestation sociale !” que nous avons relayé ici :
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article665 ]
Cette version du gouvernement fut légitimée, en outre, par des médias paraétatiques comme le portail Internet Aporrea, qui pendant le conflit, s’est rangé du côté des patrons et du gouvernement, en diffusant les versions officielles de l’Agence de Presse Gouvernementale (ABN) (http://www.aporrea.org/trabajadores/ n140848.html)
El Libertario a rendu visite en prison à Rubén González, qui s’identifie toujours comme un militant du parti au pouvoir (PSUV). L’entretien a été réalisé au siège de la police de la municipalité de Caroni, dans l’État de Bolivar, où il se trouvait soumis à un emprisonnement arbitraire et à durée indéterminée, en violation de toutes les garanties de procédure et des droits de sa défense. Les autorités n’ont autorisé que quelques minutes de conversation, qui a eu lieu dans le parking de la police sous un soleil de près de 40 degrés. La diffusion de cette interview est destinée à sensibiliser les militants, tant au niveau national qu’international, sur la situation de Rubén González, à demander sa libération immédiate et inconditionnelle, et enfin, à dénoncer la situation de criminalisation des secteurs sociaux en lutte au Venezuela.
« J’en appelle à tous les travailleurs de ne plus avoir peur de revendiquer leurs droits »
On affirme que ta situation est le résultat de rivalités politiques entre les secteurs acquis au gouvernement bolivarien dans la région, et non en raison de tes actions en tant que dirigeant syndical. Que peux-tu en dire ?
C’est une manipulation qu’ils ont répandue. Dans la coulisse, il y a des dirigeants syndicaux “rouge, très rouge” [couleur officielle du chavisme] qui jouent de leur influence dans l’entreprise auprès du gouvernement. Ils m’ont évincé et m’ont remplacé. Ils disent que je suis allé à l’encontre du parti parce que j’étais candidat à la mairie de la municipalité de Raúl Leoni à Angostura, sous l’étiquette du Mouvement électoral du Peuple (MEP), qui était pourtant un parti du gouvernement, soutenant Francisco Rangel [gouverneur de la province de Bolivar] et le président Chávez. Ils mettent ceci en avant maintenant pour dire que je suis un indiscipliné et tout ça. Comment peut-on être discipliné quand on est en train de voir que les choses ne marchent pas bien ? Qu’est-ce que ça veut dire, lorsqu’on t’impose une ligne et que, si tu ne la respectes pas, tout simplement, on t’arrête et on te met en prison. Ils ont mis ça en exergue, mais il n’en est rien.
Donc, ton arrestation est le résultat de ta participation comme leader syndical ?
Nous venions de signer une convention collective avec Ferrominera en décembre 2008, qui est entrée en vigueur en Juin 2009. Quand elle entre en vigueur, ils doivent payer rétroactivement les compléments de salaire, les payer au mois de juillet, ce qui était écrit dans la convention collective, soit des montants de 7000, 4000 et 9000 Bolivars [le salaire minimum en mai 2009 était de 879 bolivars]. Ils devaient également augmenter de 40 Bolivars les travailleurs se trouvant en dehors de la convention collective. Puis, le dimanche 9 juillet, le président Hugo Chavez arrive à l’usine et un des dirigeants syndicaux dont je viens de parler dit qu’à la Ferrominera tout va bien, qu’il n’y a pas de problème et que rien n’est dû aux travailleurs. Cela m’a beaucoup préoccupé. À Ciudad Piar les travailleurs organisent un piquet devant le portail. J’arrive au portail. Je leur dis « vous êtes d’accord ? Vous allez rester là, parce que si c’est le cas vous savez que ce n’est pas anodin. » Ils m’ont dit oui, et m’ont demandé d’aller chercher le président de l’entreprise pour qu’il leur explique pourquoi il ne parlait pas clairement au Président de la République, parce qu’ils ont des arriérés de salaires, et que notre situation est assez mauvaise : la clinique ne fonctionne pas, les transports et les approvisionnements pour la production ne fonctionnent pas. Il n’y a pas de papier toilette ou de serviettes dans les salles de bains, c’est une catastrophe. Alors, les ouvriers ont arrêté de travailler et je suis allé à Puerto Ordaz.
J’ai réussi à m’entretenir avec le directeur général du personnel qui m’a demandé si je voulais parler au président de Ferrominera. Je lui ai dis que oui, parce que je voulais lui faire savoir que les travailleurs demandaient sa présence. Qu’est-il arrivé ? Ce même directeur m’a dit que le président ne voulait rien savoir de moi. J’ai dit « D’accord, s’il ne veut pas me parler, mais les travailleurs qui sont là-bas sont aussi sous sa direction. » Vous savez ce qu’ils ont fait ? Ils ont joué la démoralisation des travailleurs, et au bout de 15 jours, aucun représentant de l’entreprise ne s’était présenté. Tout ça d’une manière totalement irresponsable. Le 16ème jour, un représentant est arrivé, auquel j’ai dit que ce qu’on voulait était de parvenir à un accord. On a même signé un protocole d’accord et tout. Avec cet accord, nous sommes allés à une réunion au cours de laquelle il y avait plus de 1000 travailleurs. Durant la réunion, le président a dit qu’il avait été trompé, car on lui avait dit qu’il n’y avait que 40 pelés. Je lui ai dit « regardez président, vous voyez qu’il n’y a pas 40 pelés ? Ils demandaient votre présence pour voir ce qu’il en était du paiement de leurs salaires » Ils ont signé l’acte qui dit qu’il allait trouver l’argent pour payer les travailleurs, et qu’il allait également évaluer le paiement des jours de grève. Tout ça n’a pas été suivi d’effets, et maintenant la situation est beaucoup plus critique. Mais les travailleurs ont raison.
Quel a été le processus ayant conduit à ta privation de liberté ?
Qu’est-il arrivé alors ? Je suis également conseiller municipal, j’ai été deux fois élu à la municipalité Raúl Leoni, et ce qu’ils ont fait, c’est de me tendre une embuscade. Avec la DISIP [services secrets] ils m’ont envoyé une assignation à comparaître. Je me suis rendu à cette injonction, et ils me font attendre pour que le CICPC [Police criminelle] vienne me saisir. Les types ont usé de la force, mais je me suis aussi défendu. Et l’un des DISIP me dit : « calme toi Rubén, ils viennent avec un mandat, de toute façon tu vas y aller ». Je suis rentré dans une voiture, on m’a emmené à la CICPC, et à ce moment là, je me suis senti un peu mal.
Quels sont les délits retenus contre toi ?
Conspiration, incitation au délit, entrave à la circulation, violation de zones de sécurité et violation du droit au travail. Sur quels faits reposent ces accusations, je ne le sais pas, car ils ne donnent aucune explication. Le problème est maintenant plus ou moins régularisé mais j’ai tout de même été 4 mois le prisonnier de personne. J’ai d’abord été emmené au centre de détention de Guaiparo, un endroit où ils avaient aussi plein de voyous. Puis j’ai été envoyé à la caserne de la police du Caroni. Ce n’est que quand j’ai été déféré devant la Cour, que j’ai pris connaissance de tous ces chefs d’accusation. Le tribunal décida comme mesure provisoire la privation de liberté par assignation à résidence, ce qui m’a amené à rester près de 4 mois à la maison. Il y a un mois, je ne me souviens pas de la date exacte maintenant, un commando du CICPC m’a enlevé de chez moi. Ils m’ont dit « On va t’emmener, signe et viens. » Donc, ils me retenaient et personne ne savait où je me trouvais. Des sources proches de ce petit monde nous ont dit que l’ordre était de me tuer. Ils m’ont laissé dans une caserne deux jours, puis à 22h, je suis retourné à Ciudad Piar, et ils sont revenus me chercher. Ils m’ont fait entrer dans le tribunal, à 23h30. Et pour que tu voies à quel point c’est inouï, à 19 heures ils ont viré la juge, et à 22h ils ont mis un nouveau juge, et à minuit ils ont sorti un ordre de transfert permettant de me faire prisonnier ici. A ce moment, les choses ont se sont passées de manière expéditive pour pouvoir me retenir ici. Ils m’ont ramené au CICPC à 2 h du matin et c’est là que j’ai appris qu’ils avaient révoqué la mesure précédente et que, désormais, je serais prisonnier dans une cellule. Ensuite, nous avons déposé un recours, mais à la place ils ont préféré faire appeler les parties. Le juge d’ici ne convoque pas appelé les parties. Nous avons déposé un autre recours qu’ils ont accepté, mais ils l’ont déclaré sans suite en disant que nous nous sommes autoconvoqués. Pourquoi je dis ça ? Parce que, dès qu’ils ont édicté la mesure d’emprisonnement, le tribunal est resté sans juge et sans bureau. Comment expliquer que le procureur du ministère public ait édicté un acte définitif ? Cet acte définitif est celui que nous attaquons, parce qu’il n’a aucune forme de légalité. Les règles stipulent que les mesures prises au cours de cette période de suspension sont nulles. Ils ne veulent pas se conformer à tout ça, mais ils veulent me traîner devant les tribunaux, à une audience préliminaire. Mon épouse a fait 19 jours de grève de la faim. Je peux vous dire que personne n’est venu, aucune autorité. Un niveau d’insensibilité total.
Combien de temps durera la privation de liberté ?
Tout dépend du tribunal qui va me juger. Je suis entre les mains de politiques qui prennent un téléphone et disent à un juge ou un procureur « laissez-le là, ne le sortez pas. » Ici, l’article 48 du Code de procédure pénale, l’article 49 de la Constitution, n’ont aucune valeur, ça ne vaut rien ici. Ici il n’y a pas de constitution qui vaille. Ici, rien n’est fait conformément à la loi, mais selon le bon vouloir de ceux qui sont dans la coulisse.
Quelles sont tes conditions de détention actuelles ?
Dieu merci, je n’ai rien à redire aujourd’hui, ici ils m’ont bien traité. Je suis avec 4 personnes qui sont des policiers qui ont eu des problèmes. Mais je ne veux pas être ici, je vais avoir 51 ans et je ne mérite pas ce traitement, car tout ce que j’ai fait dans ma vie, c’est travailler. J’ai essayé de faire les choses proprement, depuis que je suis dans le monde syndical. Je suis militant du PSUV, j’ai contribué à organiser le parti dans plusieurs municipalités, j’ai participé au référendum, la modification constitutionnelle, la réforme constitutionnelle, l’élection du président, tout ça, je l’ai soutenu. Quand les choses sont mauvaises, je dis qu’elles le sont et quand elles sont bonnes, je le reconnais, mais ils veulent nous faire dire que le mauvais est bon, et que le bien est mal. Je pense qu’il faut défendre la conscience de ce que nous devons faire.
Quelle a été l’attitude du PSUV [le parti au pouvoir, où milite RG] ?
Omission complète. Certains qui m’appuient ont peur de sortir pour me soutenir ouvertement parce que cela signifie licenciement et poursuites. Par exemple, un étudiant qui m’a soutenu a été molesté par la DISIP au pied de son immeuble. Quel mal ai-je fait ? Ce que j’ai fait, c’est remplir ma tâche ! Si les gens se mettent en grève et que je suis le secrétaire général, comment puis-je tourner le dos aux travailleurs ? Je dois me mettre en avant. Quand tu me dis « conspiration », quelle conspiration ? « Entrave à la circulation », nous n’avons bloqué aucune route. Et d’ailleurs ceux qui ont bloqué les portails sont les agents de surveillance eux-mêmes. Et le plus fort est « incitation au délit », si rien na été cassé !
Quel message souhaitez-vous donner au mouvement social et aux travailleurs dans le pays ?
Je lance un appel, en tant que dirigeant syndical, à tous les travailleurs du Venezuela et aux directions des syndicats, des directions qui, à un moment donné, ont été élues pour représenter les intérêts des travailleurs. C’est ça leur rôle, ne pas se vendre au patron ou ne pas défendre les partis politiques ou des intérêts particuliers. Notre action reste dans le cadre de la convention collective, du droit du travail et des lois en tant que telles. Je leur lance un appel à réfléchir sur le travail qu’ils réalisent en regard du mandat que les travailleurs leur ont confié. Sur la criminalisation de la protestation, je crois que pour la première fois dans notre histoire on assiste à la criminalisation des travailleurs qui protestent pour le non paiement des salaires qui leur sont dus. Si on me dit qu’à la Ferrominera il n’y a pas eu violation de la convention collective, c’est normal que je sois en prison. Mais la violation de tous les droits sociaux des travailleurs inscrits dans la convention collective perdure encore, et à aucun moment ils ne sont respectés. Merci d’être venu me rendre visite, passez le mot à des organisations internationales. Dans cette démocratie, comme celle qui se construit au Venezuela, nous n’avons pas le droit de protester et protester suffit pour être emprisonné ou disparaître. Je suis ici, bien qu’étant membre du parti au pouvoir parce que je ne partage pas certains aspects de la ligne. Ou bien, c’est qu’ils cherchent à satisfaire à des intérêts personnels à l’intérieur du syndicat, et pour cela il fallait m’évincer. J’ai des adversaires dans la municipalité et la direction du syndicat, mais le sens de la démocratie est d’agir avec tous les facteurs, et à la fin la raison, les idées et la discussion l’emporteront, et pas la contrainte imposée à une personne en particulier.
Je souhaite également ajouter que des travailleurs ont été licenciés, heureusement les licenciements ont été déclarés nuls, mais il y a des mesures de licenciement contre 6 dirigeants syndicaux. J’appelle tous les travailleurs pour qu’ils cessent d’avoir peur, pour qu’ils fassent peur à la peur, de revendiquer leurs droits. Mais avec tout ce qui se passe, nous allons continuer la lutte pareillement. Il y a ceux qui luttent un jour et c’est bien, d’autres qui luttent 5 ans et c’est mieux, d’autres 10 ans et c’est excellent, mais ce qui importe c’est ceux qui luttent toute leur vie pour continuer à aller de l’avant.
El Libertario
Site : http://www.nodo50.org/ellibertario/
Blog : http://periodicoellibertario.blogspot.com/
[ Traduction : OCL ]