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Chronique argentine de crises et de résistances - n°3

Du 3 au 18 janvier 2024

vendredi 19 janvier 2024, par admin x


Informations sur l'actualité sociale et les conflits de classe

depuis l'élection à la présidence du libertarien Javier Milei

n°3 – Du 3 au 18 janvier 2024

Mises à jour périodiques

Tandis que la loi « omnibus » prévoyant d’imposer en quelques semaines un modèle « ultra-libéral » et un régime d’état d’urgence permanent ultra-répressif à l’ensemble de la société argentine est en train d’être discutée dans les coulisses feutrées du Parlement, les opposants ont commencé à se mobiliser dès l’annonce des mesures, les 20 et 27 décembre dernier (voir Chronique argentine n°2).

Un appel à une grève générale a été vite lancé par le principal syndicat du privé, la CGT, pour le 24 janvier, aussitôt rejointe par tous les autres syndicats, les mouvements d’entraide sociale, les organisations de chômeurs, les groupes artistiques, les collectifs et mouvements de toute sorte (féministes, peuples autochtones, de défense de l’environnement…), certaines PME et des débuts de rassemblements auto-organisés sous forme d’assemblées de quartier et de cacerolazos (concerts de casseroles) hebdomadaires.

Les mesures que prend le nouveau gouvernement argentin, qui a reçu le total soutien du FMI, ne peuvent qu’aggraver la crise sociale déjà criante, de faire monter les niveaux d’exploitation pour les travailleurs légaux ou informels, la paupérisation de la population et la destruction de l’environnement, tout cela avec de sérieux risques d’effondrement économique d’ici quelques mois, à très court terme.
Les mobilisations se poursuivent et se diversifient à mesure que des secteurs spécifiques se mettent en mouvement (culture, fonctionnaires…) selon leur propres échéances et les modes d’actions qu’ils choisissent. Tout cela va converger vers la journée du 24 janvier, journée de mise à l’arrêt (paro) de toutes les activités économiques du pays.

Une journée de devrait permettre l’expression d’une accumulation de colères, que le gouvernement traite de manière contradictoire. D’un côté, il fait mine d’ignorer cette grève et les manifestations prévues, il les minore, déclarant que cela ne changera rien et qu’il ne cédera rien aux « ennemis de la réforme » ; de l’autre, il fait le contraire, en proférant des menaces d’interdiction et de poursuites judiciaire et en mettant en scène la mobilisation de dispositifs démesurés dans le cadre d’un « protocole » de répression (et de délation) à grande échelle.

Au sommaire de cette séquence :

    • - Des revers judiciaires pour le méga-décret DNU
    • - Les mobilisations sociales : chômeurs et mouvements d’entraide sociale, fonctionnaires, travailleurs du secteur culturel, tentatives de réactiver les Assemblées de quartier
    • - Dette, FMI, hausse des prix...
    • - Le libertarien Javier Milei, au-delà du pittoresque, la dynamique politique, les soutiens…
    • - Le projet de loi dans les méandres du Parlement : compromis ou passage en force ?
    • - Vers la grève générale du 24 janvier

Début janvier, un premier petit revers judiciaire pour l'exécutif.

Un tribunal a donné droit au recours des avocats de la CGT et a émis une mesure conservatoire contre le méga-décret du gouvernement. De ce fait, cette Chambre nationale du travail a suspendu l’applicabilité du chapitre IV du DNU, celui faisant référence au monde du travail qui veut étendre la période d’essai de trois à huit mois, réduire les indemnités de licenciements, faciliter le licenciement de ceux qui participent à des « mesures de force » (blocage, occupation du lieu de travail...) qui entravent la production et limiter considérablement le droit de grève.

Selon les juges, les raisons pour lesquelles il y aurait une urgence à éviter la nécessaire intervention du Pouvoir législatif sur ce texte de type législatif ne sont pas clairement établies.
De plus, certaines règles du DNU ont un caractère répressif, voire de sanction. Les juges soulèvent aussi qu’il n’est pas démontré en quoi les réformes introduites par le méga-décret, comme elles s’appliquent immédiatement, sans passer par le processus législatif courant, pourraient améliorer l’emploi officiel à court terme et rapidement, d’autant plus que le décret insiste lui-même sur le fait que la situation de sous-emploi n’a pas évolué depuis 12 ans.
Il s’agit d’une suspension, qui le rend inapplicable pour l’instant, mais qui ne présage en rien un d’un appel et d’un autre jugement, d’un jugement sur le fond ou d’une décision législative le validant.
Dans l’immédiat en tout cas, toutes les mesures affectant le droit du travail sont suspendues.
Ce revers juridique a été interprété comme un encouragement aux mobilisations, en particulier à celle du 24 janvier et au rôle central qu’entend jouer la CGT dans la mise en place et la montée en puissance d’une opposition résolue et responsable à Milei et à son gouvernement.

Autre revers judiciaire : bis repetita

La Chambre nationale du travail s’est déclarée compétente et a émis une nouvelle mesure conservatoire suspendant l’application du chapitre sur le travail du (DNU) émis par le gouvernement de Javier Milei, en réponse cette fois à un recours de la CTA.
Ce revers judiciaire pour Milei est similaire à la décision prise la veille en faveur de la CGT dans toutes les questions relatives à la réforme du travail et du droit syndical. La Chambre a également confirmé sa compétence dans l’affaire, malgré les tentatives du gouvernement de faire examiner l’affaire par le tribunal contentieux administratif.

L’arrêt explique longuement pourquoi l’intervention de la CTA et la demande de mesure conservatoire sont pertinentes. Mais surtout, il avertit que la validité du DNU pourrait encourager « des risques sérieux que le conflit social – déjà prévu dans les derniers jours de l’année 2023 – puisse s’aggraver et/ou conduire à des actes de violence inhabituelle ».
D’autres revers ont suivi, des recours suspensifs ont été obtenus : par les producteurs de la yerba mate contre la dérégulation des prix (province de Misiones), par des anciens combattants contre la Loi sur les Terres (à La Plata), plainte d’un retraitée de 78 ans contre l’augmentation des cotisations des mutuelles de la santé (et obligation faite à un hôpital de redescendre ses tarifs, Buenos Aires), tandis que de nouveau recours sont déposés contre la section Droit du Travail, comme la CGT et les autres syndicats, cette fois à l’initiative du Centre des Capitaines et Officiers de la Marine Marchande d’Outre-mer et de l’Association du Personnel Aéronautique… Des dizaines de recours ont été déposés dans tout le pays, par des particuliers, des associations professionnelles et entités les plus diverses…

Hausse des prix et des tarifs

Les prix de l’essence ont augmenté d’un coup de 27 %
Les tarifs des transports en commun augmenteront mensuellement leurs tarifs, en fonction de l’inflation, à partir de la mi-janvier.
+ 30 %, c’est l’estimation faite par le gouvernement pour l’inflation du seul mois de décembre. Il n’y a pas encore de données officielles.
L’inflation, qui était de 143 % (calculée au cours des 12 derniers mois glissants) au plus fort de la campagne électorale, en septembre dernier, a atteint 161 % en novembre. Pour la fin de mois de décembre, les chiffres de la seule région de Buenos Aires avoisinaient les 200 %, et cela avant les hausses des tarifs subventionnés (énergie, transports) ou réglementés (mutuelles santé) prévues en janvier et la fin de l’encadrement des prix et des loyers.

Les assurances maladie privées (qui fonctionnent pour les cotisants avec un système de pré-paiement) ont annoncé pour janvier des augmentations d’environ 40 % et les transports publics de la ville de Buenos Aires et de sa zone métropolitaine de 45 %.
La dévaluation du peso de 54 % le 12 décembre 2023 a mécaniquement provoqué une inflation équivalente sur les produits importés. Mais, alors que l’Argentine produit du pétrole, les prix de l’essence à la pompe ont pratiquement doublés au cours du mois de décembre.

Le 11 janvier, l’institut de statistique officiel publiait l’indice pour les 12 mois de l’année 2023 : + 211,4 %.
Avec une augmentation de 251,3 %, c’est le poste alimentaire qui a le plus augmenté en 2023, dépassant même le niveau général moyen. Parmi les denrées alimentaires, les produits qui ont le plus augmenté sont le riz (748,7 %), le sucre (419,5 %) et les pâtes (416,7 %). Les produits de consommation très courante sont donc ceux qui ont le plus augmentés.
Les viandes ont également connu des augmentations supérieures au niveau général de l’inflation. La viande de bœuf a ainsi augmenté au-delà de 320 %. Le poulet a augmenté de 280 %… Comme les fruits et légumes, le pain, la farine…
Tous les produits alimentaires de base, ceux consommés par les plus pauvres, ont augmenté au dessus du niveau « moyen » de l’inflation.  [1]

Maintien de l’ordre : bientôt l’armée sera mobilisable

Un décret est en cours de préparation par lequel l’armée sera légalement mobilisable aux frontières de pays comme « auxiliaire de police ». Un décret réglementaire de 2006 qui établit que les militaires ne peuvent intervenir que « face à une menace émanant d’un État étranger » sera révoqué. En Argentine, c’est de tradition la gendarmerie qui est en charge des contrôles et de l’ordre aux frontières. Avec cette disposition, l’armée pourra donc la remplacer et des milliers de gendarmes seront pleinement disponibles et mobilisables comme force de maintien de l’ordre et de répression des manifestations sur tout le territoire, en particulier dans les zones urbaines.

En décembre dernier, pour la première fois, des gendarmes ont été déployés dans au moins trois endroits de la Communauté autonome de la ville Buenos Aires contre des manifestations : la Casa Rosada (siège du gouvernement), derrière la grille de protection, la cathédrale et le pont Pueyrredón.
Faire de l’armée un corps « auxiliaire » de la police ne plaît pas à tout le monde dans les sphères militaires. C’est sans doute pourquoi 22 hauts-gradés de l’armée ont été virés.

Lors d’une récente cérémonie pour la nomination du nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air, le ministre des armées a déclaré : « Les forces armées sont là pour défendre la Constitution, elles sont là pour défendre les intérêts vitaux de la Patrie, l’intégrité territoriale, l’autodétermination, la souveraineté, la liberté, la vie de chacun des Argentins, mais fondamentalement, ce sont des défenseurs. et gardiens de la paix, de la paix de chacun des Argentins ».

Ce ministre, Luis Petri, n’est autre que le n°2 de la candidate Patricia Bullrich aux dernières présidentielles, devenue ministre de la Sécurité. Une ministre, qui s’est aussi vue attribuer la Direction du service pénitentiaire fédéral (historiquement dépendant du ministère de la Justice) qui a convoqué une réunion conjointe des deux cabinets, Défense et Armée, reproduisant ainsi avec son « collègue » des Armées le rapport de subordination qui les unit. C’est d’ailleurs la ministre de la répression, entourée de généraux de l’armée, qui a annoncé le 12 janvier cette mobilisation des militaires aux côtés de la police.
Quand on voit les résultats de la militarisation de la lutte contre le crime organisé aux États-Unis, au Brésil, en Équateur… il y a de quoi s’inquiéter pour le futur immédiat de l’Argentine.

En recevant sous les caméras un ancien flic condamné en 2021 à deux années de prison avec sursis pour avoir tiré une douzaine de balles dans le dos de deux jeunes de 17 et 18 ans, sans arme, qui prenaient la fuite après avoir volé l’appareil photo d’un touriste, et tuant l’un d’eux, elle a clairement indiqué qu’elle travaillait à la refonte du code pénal et en particulier dans le but de « protéger » les forces de l’ordre, en légitimant la pratique de la « gâchette facile » et les violences policières en général, en rappelant qu’en cas de crime commis par un policier, les cas de doute doivent toujours bénéficier aux policiers.

Dette extérieure : le FMI toujours à la manœuvre

La dette souveraine de l’Argentine dépassait les 400 milliards de dollars en octobre 2023.
Sur ce montant, l’Argentine doit un peu plus de 10 %, soit 44 milliards de dollars, au FMI.
Elle est le principal débiteur de l’organisme.
Mais sa dette récente s’étend à des emprunts effectués auprès du Qatar, et de la Chine, avec pour cette dernière, un accord de ligne de crédit par échange de devises signé par le précédent gouvernement de Alberto Fernández, de 5 milliards de dollars, augmenté en octobre 2023 à 6,5 milliards.

Le 10 janvier, le nouveau gouvernement est arrivé à un accord dit « technique » avec des envoyés du FMI après cinq journées de négociations avec le président de la Banque centrale.
Ce dernier va décaisser immédiatement 4,7 milliards de dollars pour… permettre à l’Argentine de régler des échéance des remboursement de dette (en capital officiellement mais pas en intérêts) de décembre et janvier et cela jusqu’au mois d’avril 2024… Le précédent versement du FMI, de 7,5 milliards de dollars, avait eu lieu en août 2023.
Ces remboursements concernent les 920 millions de US$ empruntés en décembre à la Banque de développement de l’Amérique latine et des Caraïbes (CAF) par une sorte de prêt-relai trouvé dans la précipitation pour payer une échéance au FMI quelques jours plus tard, le 21 décembre, et cela afin de contourner la ligne de crédit auprès de la Banque populaire de Chine… et rembourser deux échéances (auprès de FMI) en capital de près de 2 milliards chacun, en janvier et en avril.

Par contre, une échéance de février, de 600 millions, devra être réglée par l’Argentine sur ses réserves propres car, nuance, ce sont des échéances, non pas de capital mais d’intérêts.
Techniquement toujours, sur les 4,7 milliards prêtés par le FMI, plus de 1 milliard sont en fait une avance sur une échéance prévue pour mars 2024, et environ 350 millions, sur des échéances trimestrielles de juin et septembre prochain…

En échange, le gouvernement argentin s’est engagé pour l’année 2024 à :

  • - accumuler les réserves de change de la Banque centrale à hauteur de 10 milliards de dollars et réduire l’important excédent de pesos ;
  • - cesser d’utiliser la Banque centrale comme instrument de crédit auprès du budget de l’État ;
  • - réaliser l’« ajustement budgétaire » conforme aux prévisions qu’il a pronostiquées dans les différentes mesures (DNU et loi ominibus) en réalisant un excédent primaire (c’est-à-dire avant calcul des charges nettes des intérêts de la dette publique) de 2 % du PIB.
  • Cet « ajustement » budgétaire sera explicitement atteint :
  • - si les politiques sociales sont revues à la baisse, avec des augmentations ciblées aux familles et par des aides alimentaires, et par la suppression des subventions « sociales » aux tarifs (énergie, transports….) et la remise en question et l’abandon programmé des plans d’aides sociales à l’insertion et à la formation professionnelle (plans Potenciar Trabajo) pour les chômeurs et autres exclus du marché du travail formel ;
  • - par l’arrêt des transferts de l’État fédéral aux provinces et aux entreprises d’État ;
  • - par les réductions drastiques des investissements publics (notamment dans les infrastructures) ;
  • - par des réductions de « coûts administratifs » dont des licenciements de fonctionnaires ;
  • - par l’arrêt des « financements de marché » (marchés financiers), c’est-à-dire les émissions d’obligations et autres titres de créance du Trésor Public, au profit de l’amélioration du remboursement de la dette intérieure ;
  • - par un assainissement des modes de gestion de l’apurement des dettes contractées par les importateurs… ;
  • - par un impôt sur les exportations et la stimulation de l’économie exportatrice, notamment dans l’exploitation du potentiel de l’extraction minière et énergétique ;
  • - par l’assainissement des recettes en provenance des exportations agricoles

Au terme de cet cet accord, qui doit encore être approuvé par le conseil d’administration du FMI, le ministre de l’Économie Luis Caputo a menacé : « Si les réformes ne sont pas approuvées, des mesures plus sévères seront prises et les gens souffriront davantage ».
Précision importante  : ce qui a été convenu et signé le 10 janvier 2024 n’est pas un nouvel accord, mais une « correction » apportée à l’accord antérieur du 28 janvier 2022. Un accord qui a connu six révisions entre sa signature et juillet 2023. Depuis, l’Argentine paie ses échéances avec d’autres prêts, notamment avec des yuans grâce à l’accord de swap avec la Chine… Elle a même déjà réglé, sous le précédent gouvernement, des échéances au FMI en monnaie chinoise depuis que l’organisation internationale accepte d’autres devises que le dollar.
Le décaissement des 4,7 milliards de dollars du FMI ne serviront à l’Argentine qu’au remboursement de sa dette (en capital, sans les intérêts) vis-à-vis du FMI lui-même et d’aucun autre créancier… Pour l’ensemble des autres dettes, le seul plan d’ajustement est censé faire des miracles…
Rien d’extraordinairement nouveau : le FMI prête pour être remboursée et s’assurer que les mesures économiques et budgétaires sont bien sur les rails.

Le libertarien Javier Milei,

au-delà du pittoresque,

la dynamique politique, les soutiens…

Contrairement à d’autres textes et commentaires qui traitent du sujet, on s’efforce ici à s’en tenir et se limiter à ce qui apparaît comme important dans ce que décide le nouveau gouvernement argentin. Les décisions, les actes, les textes sont analysés ou rapportés, et parfois juste survolés en fonction des sources disponibles ou de l’importance que l’on peut leur accorder…
C’est pourquoi on ne s’attardera pas ici sur la personnalité de Javier Milei en s’étendant sur le pittoresque du personnage, ses lubies, ses divagations, ses outrances, ses extravagances, ses chiens vivants et morts… Il y en a des tonnes dans des centaines de supports, de médias…
Par contre, essayer de savoir la solidité et l’épaisseur de ses réseaux, sur qui il s’appuie déjà, sur qui peut-il potentiellement compter en Argentine et en dehors pour parvenir à mettre en œuvre un paquet de mesures hors du commun dans les bouleversements qu’elles vont introduire dans le pays.
Les textes de loi et de décret, ce n’est pas Milei qui les a écrits. Dans la chronique n°2, il est question de Federico Sturzenegger comme son principal conseiller et rédacteur des textes de lois et décrets. Il n’est pas le seul dans cette tâche mais apparaît comme central dans le dispositif. A cela il faudrait ajouter que certains articles vont si loin dans les détails que leur rédaction ont très certainement été sous-traitées à des avocats ou juristes spécialisés dans tel ou tel domaine.

Milei et son équipe

Mileu n’est pas seul aux commandes, évidemment, c’est très clair. Il a une équipe autour de lui.
Mais c’est un cercle très restreint qui prend les grandes décisions (Milei, son chef de cabinet Nicolás Posse, 3 ou 4 conseillers dont Sturzenegger, sa sœur Karina, très proche de lui surtout en matière de spiritisme, et qui a dirigé sa campagne… ). Dans la mise en pratique, on repère quelques grands axes qui correspondent à quelques ministères-clés : économie, maintien de l’ordre, affaires sociales (rebaptisées Capital humain)…

Pour ce qui a trait au maintien de l’ordre et la répression, il délègue ça à Patricia Bullrich. Depuis plus de 10 ans, elle est devenue une idéologue de l’ultra-droite, une acharnée obsessionnelle de la thérapie de choc dans l’application de mesures ultra-libérales et de la répression des manifestants, des opposants, des mouvements de chômeurs, des syndicats, des groupes de défense de l’environnement et des droits humains, etc. C’est une sorte de nouvelle Thatcher, une bourgeoise de la droite radicale, qui semble agir comme si elle avait une revanche permanente à prendre contre tout ce qui s’apparente à la gauche (elle a frayé dans sa jeunesse avec la gauche révolutionnaire péroniste qui disait se battre contre la capitalisme et pratiquait la lutte armée...), aux mouvements sociaux… A l’écouter, elle mettrait bien tout le monde en prison. Son « Protocole du maintien de l’ordre », elle ne l’a pas inventé du jour au lendemain, il faisait partie du contenu de sa campagne électorale des présidentielles de 2023, où elle est arrivée en 3ème position avec 23,83 % des voix.

Elle a été ministre des flics et de la répression sous Macri (où elle voulait déjà imposer son programme ultra-répressif sans y être parvenu), elle était à la manœuvre lors de la répression policière des 14 et 18 décembre 2017 dans le centre de Buenos Aires de deux manifestations de piqueteros, de syndicalistes, de femmes, de retraités... contre la réforme des retraites, avec la militarisation de la zone autour du Parlement, avec des niveaux de violence jamais vus depuis 15 ans pour blesser et intimider (balles en caoutchouc dans les visages et les têtes, 122 blessés dont 3 graves perdront l’usage d’un œil, 124 arrestations…) suivie de perquisitions aux domiciles des manifestants arrêtés pour justifier les garde-à-vues et construire un dossier de poursuites judiciaires.

Elle est responsable la même année de la disparition de deux militants, Santiago Maldonado (engagé dans le solidarité avec les communautés mapuche en lutte) et Rafael Nahuel (jeune mapuche de 22 ans vivant dans un quartier périphérique de Bariloche)… Elle le soutenait mais elle trouvait le grand bourgeois milliardaire Macri trop mou, trop lent, trop gradualiste dans ses réformes… Elle, elle veut foncer dans le tas et frapper fort (Blitzkrieg). Son mot d’ordre préféré : « C’est tout ou rien ».

Elle défend l’armement des citoyens… les restrictions du droit de grève qui reviennent à l’interdire, un audit et un contrôle strict des aides sociales, la fin des manifestations surtout dans Buenos Aires… Elle s’est rallié à Milei sans problème en lui apportant le chapitre répressif qui lui manquait.

Et ce qui en fait un « poids lourd » du gouvernement, c’est que son ministère de la Sécurité a récupéré les services pénitentiaires (d’ordinaire sous la coupe du ministère de la justice), et que cette politicienne a un fort ascendant sur le ministre des Armées (qu’elle avait pris comme son n°2 aux élections, son subordonné donc) et supervise les cabinets des deux ministères. Elle est aussi en train d’imposer la marque de sa doctrine punitiviste au ministère de la Justice dans la rédaction des nouvelles lois et notamment la refonte du code pénal.

Pour les mesures économiques et leur volet financier, un autre poids lourd de par sa fonction, Luis Caputo, économiste, ministre de l’économie, ancien ministre des finances du gouvernement Macri et ex-président de la Banque centrale… Il vient du monde de la finance, trader à Wall Street pour le compte de JP Morgan, puis à la bourse de Londres pour le compte de la Deutsche Bank, puis patron de cette dernière pour l’Argentine… Il est cité dans les Panama Papers comme ayant été gestionnaire de fonds offshore aux îles Caïman, et d’au moins un autre domicilié à Miami et dans le Delaware (paradis fiscal aux USA)… On peut considérer qu’il a le profil, les connexions pour se situer au coeur du dispositif des réformes économiques. Il est membre d’une famille de la bourgeoisie porteña active dans la politique, avec un cousin businessman dans la construction et soutien de Macri (qui l’a remercié en lui passant commande de grands travaux) et un neveu tombé dans le libertarisme et très actif dans la direction de la campagne électorale…

Un autre personnage important qui aura en charge de restructurer la politique sociale, Sandra Pettovello, la ministre du « Capital humain » (le ministère qui condense les anciens portefeuilles de l’éducation, du travail, du développement social et de la Femme, du Genre et de la Diversité) a menacé les bénéficiaires des plans sociaux de retirer les aides sociales à ceux qui manifestaient dans les rues, en répétant ses maximes comme un mantra : « El que las hace, las paga » et « el que corta, no cobra » (« Celui qui les fait, les paiera » et « celui qui bloque, ne touchera rien »). Au delà des mots, des menaces et des campagnes de propagande idéologique contre les fainéants et les fraudeurs, c’est elle qui a la charge de liquider les plans Potenciar Trabajo.

En attendant, l’allocation est gelée à 78 000 pesos mensuels, qui correspondaient à environ 205 dollars avant la dévaluation et 95 depuis… Il était indexé à 50 % du salaire minimum. Lors de sa dernière augmentation, en décembre 2023, avec les seuls effets de l’inflation cumulée (et avant ceux de la dévaluation du peso), le pouvoir d’achat du salaire minimum était inférieur de 26,7% à celui du même mois en 2019 et de 43,5 % par rapport à 2015.

Cette ministre supervise tous les programmes sociaux distribuant des aides : les cartes d’alimentation, le programme Acompañar du ministère destiné aux femmes et LGBTI+ en situation de violence de genre, le programme de bourses Progressar pour la formation professionnelle (destinées surtout aux 16-25 ans, et jusqu’à 30 ans pour les études supérieures, dont le groupe familial de référence touche moins de 3 fois le salaire minimum), l’allocation pour enfant destinée aux chômeurs… Il y en a d’autres, peu élevées mais nombreuses… Elle a en charge le projet de refonte de tout le système de l’aide sociale, de liquider les plus importants (Potenciar Trabajo) et de redéfinir les conditionnalités des autres, en privilégiant ce qui a trait à la famille.

Les réseaux libertariens et les autres...

Les soutiens, il en a certainement, dans certains réseaux libertariens états-uniens ou internationaux comme le réseau Atlas( [2]. Ces réseaux sont-ils importants ? Sans doute un peu, mais encore faut-il s’entendre sur cette importance. Il y a de l’argent (ExxonMobil, Philip Morris, certaines fondations richissimes...) et même des financements publics par des agences gouvernementales états-uniennes, mais ce n’est non plus pas la pieuvre qui va tout engloutir. Par contre, c’est très certainement un réseau qui peut mobiliser une sorte de logistique intellectuelle, avec des avocats d’affaire, des lobbyistes professionnels, des think tanks, des spécialistes de montages financier complexes, des communicants et des relais présents dans les grands networks radio-TV et ceux de l’Internet, etc., et bien sûr toute la gamme des entreprises qui composent ce réseau, placées aux premières loges des opportunités de bonnes affaires à réaliser dans le contexte argentin actuel

Il faut quand même se méfier de ces histoires de réseaux occultes, d’accords secrets entre tel et tel capitaliste… Des tas de liens d’intérêts existent entre des tas de gens, entreprises, banques, intermédiaires, politiciens… Ce n’est pas des complots, c’est le fonctionnement de l’économie capitaliste.

On parle de liens avec Elon Musk… Il y a un soutien réciproque affiché. Mais en termes de business, il n’y a rien pour l’instant de réalisé. Parmi les 30 mesures annoncées par Milei à la radio nationale juste après son arrivée au pouvoir, figurait la 28ème : « Déréglementation des services Internet par satellite pour permettre l’entrée d’entreprises étrangères comme Starlink » [3]. Rien que du très logique. Il n’y a d’ailleurs pas que les satellites, il y a aussi les batteries de véhicules électriques de la marque Tesla. L’autre secteur pouvant donc intéresser Musk, c’est le lithium. Et Milei l’a également annoncé lors d’une émission de TV juste avant Noël : Elon Musk, le gouvernement des États-Unis et les entreprises américaines sont « extrêmement intéressés par le lithium ».  [4] Or l’Argentine en regorge dans son sous-sol, dans 3 provinces du nord-ouest du pays (Catamarca, Salta et Jujuy) où, avec le nord du Chili et le sud de la Bolivie, elle compose le « triangle du lithium », une zone transfrontalière de plateaux des Andes centrales et de déserts (Atacama….) où se trouvent des lacs salés (salares, salinas) contenant les plus importantes réserves connues au monde (entre 55 et 60%).

Le seul groupe qui l’a soutenu et financé ouvertement depuis le départ, est Techint , une multinationale italo-argentine, plutôt spécialisé dans l’acier, mais qui, avec sa filiale Techpetrol, cherche à investir dans le gaz et le pétrole. Ça tombe bien, Milei veut privatiser YPF, la pétrolière d’État… et comme par hasard, aussitôt arrivé au pouvoir, Milei nomme 4 cadres de Techint à la direction de YPF…

En quête de nouveaux soutiens

Mais il est aussi en recherche de soutiens. Du côté des États-Unis (de préférence plutôt trumpistes, mais pas seulement) et d’Israël clairement. Il va à Davos avec un agenda bien chargé pour en trouver de nouveaux. Il va se réconcilier avec le pape qu’il avait traité de tous les noms (« fils de pute », « gauchiste prédiquant le communisme à travers le monde », « représentant du malin sur Terre », « l’idiot qui est à Rome »…). Il l’a invité à venir en Argentine « quand il veut » et une visite à Rome est en préparation pour février.
Milei veut se situer dans un axe atlantiste-occidental, appartenir à ce « premier monde »-là. C’est ce qui explique pourquoi il a refusé l’entrée de l’Argentine dans les BRICS, vu comme un regroupement de pays hostiles au G7 et à l’UE…

Lors de sa campagne électorale, il disait vouloir rompre avec les pays de « communistes » et d’« assassins » comme la Chine et le Brésil. Il n’en fera rien, car l’Argentine a besoin des relations commerciales et financières avec ses 2 principaux partenaires économiques. La Chine comme client et investisseur, comme financeur à travers un accord d’échange de devises permettant aux deux pays de commercer dans leur propre monnaie, l’Argentine d’utiliser le yuan pour régler ses importations de Chine et la Chine de payer ses achats de produits argentins (viande de bœuf, soja….) en pesos, accord qui permet aussi à l’Argentine de bénéficier d’une ligne de crédit discrète en yuans où les montants consentis ne sont pas comptabilisés comme de la dette et les taux maintenus secrets. Il ne rompra pas non plus avec le Brésil car les échanges commerciaux entre les deux pays voisins sont colossaux et vitaux et qu’ils font partie du Mercosur…

L’Argentine n’a pas rompu son adhésion à l’initiative des Routes de la soie qui inclut des projets d’investissements chinois dans des infrastructures à l’intérieur du pays (ports, transport, énergie…).
En Argentine, ses soutiens sont surtout le fait de recyclages de politiciens de la droite libérale (du gouvernement Macri [2015-2019]), d’opportunistes de tous bords, de barons locaux dans certaines régions où la puissance économique est réellement, ou potentiellement, détenue par les secteurs de la production de biens destinés à l’exportation (agrobusiness, extraction minière…) et où les conflits sociaux et environnementaux prennent souvent des aspects hyper-violents. Vieux éléphants de différents partis de droite en cours de recyclage et jeunes loups libertariens de différents mouvances (réseaux de cryptomonnaie…) fournissent l’essentiel du soutien « militant ». Des forces qui parfois s’excluent mutuellement : dans plusieurs endroits du pays, lors des précédentes législatives, le parti de Milei a imposé le ralliement d’un baron local… contre l’avis de jeunes militants… qui sont partis en claquant la porte.
Sans parler bien sûr de toute la subculture télévisuelle des émissions trash de faits divers sanglants en continu, de la pub, des émissions de variétés vulgaires, et celle parallèle de l’Internet commercial, des milliers de conneries crasses débitées à la seconde par des crétins et crétines « influenceur-e-s »…

Un bémol sur la personnalisation.

Beaucoup de textes et de commentaires ont tendance à reprendre, même pour les critiquer, les traits de personnalité du personnage Milei et par voie de conséquence à participer de cette personnalisation. Ce qui compte, c’est bien sûr d’abord ce qu’il fait et va faire. Les actes, les décisions et leur mises en application. Les mots, les paroles, la communication doivent être relativisées, sans être effacées.

Cependant, même si l’on veut rester dans une lecture « matérialiste » de ce qui se déroule et se joue en ce moment du côté de l’Argentine, il en demeure pas moins que c’est Milei et pas un autre qui est arrivé au pouvoir. Cet évènement singulier devrait au minimum être appréhendé comme un révélateur social et politique.
Un peu comme Macron, son parti (LLA) n’existait pas, il n’avait pratiquement pas d’élus, pas d’ancrage local… Mais contrairement à Macron, c’est vraiment un outsider de la politique des partis, un type qui n’était pas dans la politique avant 2021 quand il est devenu député, ni dans un cabinet ministériel… Un économiste donnant des cours dans diverses écoles tout en faisant carrière dans la banque et la finance. Un type qui s’est fait connaître qu’assez récemment (2017) grâce à des émissions de radio et de TV. Un type, et ça c’est une donnée importante, qui a su capter les voix d’une partie notable des abstentionnistes, d’une partie des pauvres de l’intérieur du pays surtout, bercés par les rêves de réussite grâce à l’envie de se lancer dans un petit entreprenariat populaire, grâce à leurs efforts (la « valeur travail ») et qui pourtant restent dans la misère, à cause du « système », de la « caste », des parasites de toutes sortes, de la bureaucratie, des réseaux clientélistes, des assistés sociaux, des réglementations tatillonnes, des salariés syndiqués et protégés, des étrangers, etc.

La base électorale est extrêmement hétérogène, et il fait un carton dans la jeunesse, celle évidemment des quartiers huppés de Buenos Aires et de sa région, mais aussi chez beaucoup de jeunes habitant dans des régions reculées et des zones déshéritées de l’intérieur du pays, parfois encore scolarisés (le droit de vote avait été abaissé à 16 ans). Une élection qui a vu le triomphe, pas seulement de l’« extrême-droite » ou du « populisme », mais d’un amalgame de plusieurs courants de droite (auparavant peu compatibles entre eux) et de plusieurs colères provoquées par des tensions et conflits éclatant aux points de croisement, de fractures et de contradictions qui traversent les sociétés capitalistes contemporaines. Les deux droites classiques (libérale et cosmopolite d’un côté, conservatrice et nationaliste de l’autre) qui occupaient une grande partie du spectre politique se sont additionnées sans trop de problèmes, alors même qu’elles n’étaient pas en danger, menacées ni par une gauche de toute façon absente, ni même par un « centre-gauche » vaguement néo-keynésien, réduit à peu de choses (5,85% pour le candidat des « mouvements sociaux »).

A cela, s’est ajouté, un peu comme dans l’idée d’une « droite alternative » (ou alt-right), se sont cristallisés et rassemblés des courants d’opinions un peu diffus, d’ordinaire disséminés dans tout l’éventail politique ou l’abstention et qui, lors d’élections générales, n’ont généralement que peu d’incidence. Pour faire vite, l’addition des colères et courants d’opinion sont :

  • - les traditionalistes de l’ordre familial et patriarcal classique (anti-féministe, anti-LGBTQIA+, masculinistes revendiqués…) notamment les courants conservateurs, pro-vie et anti-avortement qui s’étaient activés et mobilisés en 2018 ;
  • - les traditionalistes de l’ordre économique (anti-écolos, négateurs du réchauffement climatique, accrochés et dépendants aux modes de consommation basés sur les énergies fossiles et les matériaux polluants, indifférents aux questions de préservation de la bio-diversité car favorables à l’exploitation et à la destruction des ressources si c’est profitable à la poursuite du développement capitaliste et de son modèle de consommation…) ;
  • - les adeptes des divers complotismes qui, avec le Covid, l’invention de toutes sortes de « réalités alternatives » et l’irruption de nouvelles perturbations et incompréhensions dans ce qui paraissait être l’ordre naturel des choses et du monde, semblent toujours plus florissants que jamais et générateurs de nouvelles croyances, de nouvelles obsessions et de nouvelles phobies…
  • - à ces grands blocs de courants, de peurs et de colères, s’ajoutent les phobies classiques qui ne diminuent pas : racisme, xénophobie, haine de classe contre les pauvres...

Toute la stratégie de communication de Milei, c’est d’avoir envoyé continuellement des signaux en direction de ces différents publics et à d’autres (anti-avortement, pour l’autorisation du port d’arme et de la vente d’organes, la liberté totale de tout marchandiser…) , qui se retrouvent dans toutes les couches ou classe sociales, des centaines de milliers de personnes qui jusque là dispersaient leurs voix sur des candidats différents ou ne votaient pas, et qui donc ne faisaient pas nécessairement partie d’un même camp électoral.
Le vote Milei a été une sorte libération pour toutes ces frustrations, phobies, rêves de bonheur contrariés.

La victoire de Milei est aussi la défaite du camp d’en face, du gouvernement précédent impopulaire d’Alberto Fernández et de son candidat, le ministre de l’Économie sortant, Sergio Massa, un péroniste libéral, de droite. Un gouvernement qui a réprimé des manifestants, surtout s’ils étaient un peu basanés ou chômeurs, qui commençait à remettre en question la politique sociale du kirchnérisme, qui appliquait les mesures d’austérité imposées par le FMI tout en essayant de trouver des échappatoires comme l’accord commercial et financier avec la Chine… alors même que tous les signaux économiques repartaient dans le rouge (inflation, dette, pauvreté…).
Le candidat kirchnériste, qui portait un discours de gauche, social et anti-libéral (et qui milite et a milité dans des mouvements de chômeurs, d’exclus, il a été membre de HIJOS….) a été battu aux primaires péronistes en août 2023 avec 5,85 % des voix contre 21,43 % pour Massa.

Il reste cependant un épais mystère qui n’a pas été encore dévoilé : pourquoi les Argentins aiment-ils tant se fourvoyer dans des choix malheureux, de rejouer sans cesse le même jeu qui les amène à la perte : après la décennie néo-libérale de Menem (1989-1999) qui a conduit le pays à la ruine, après l’expérience libérale Macri (2015-2019) qui a réussi lui aussi, en quelques mois, à faire chuter le peso à 50 % de sa valeur, à rembourser grassement des « fonds vautours » détenteurs de titres de la dette argentine (certains comme le hedge fund de Paul Singer ont gagné dans l’opération 25 fois leur mise de départ !) [5], à faire grossir davantage la dette auprès du FMI (grâce aussi à une certaine Christine Lagarde), à re-faire exploser l’inflation, à appliquer une redoutable politique d’austérité (licenciements de fonctionnaires, coupes dans les aides sociales…) provoquant la remonté des taux du chômage et de la pauvreté… Un gouvernement qui a été viré aux élections suivantes.
Pour l’instant en tous cas, le principal soutien du gouvernement Milei sont ses électeurs et d’avoir réussi à forger un bloc hégémonique à la fois très à droite et ultra-libéral. C’est la solidité de ce bloc qui sera mis en l’épreuve des premiers mois de l’exercice du pouvoir et de l’application des mesures très violentes qu’il entend imposer au pas de charge.

Mobilisations sociales

Comedores populares
Le 5 janvier, la première manifestation de l’année a été devant l’hôtel de luxe où vit Javier Milei a été appelée par les mouvements d’exclus et de chômeurs comme l’organisation sociale Barrios de Pie, soutenu par la UTEP (syndicat des travailleurs de l’économie sociale), qui organisent de « cantines populaires » dans plusieurs quartiers de Buenos Aires. Sous le nom de « tournée des marmites vides », la revendication principale, c’est de la nourriture et les moyens financiers pour continuer à vivre… à faire fonctionner ses structures permanentes (frais, loyers…)… et augmenter la rémunération des plans Potencia Trabajo permettant à des milliers de personnes, de femmes surtout, de trouver le temps d’assumer ce travail volontaire…

« Ne retirez pas la nourriture de la bouche des enfants » et « Non à l’ajustement dans les assiettes » pouvaient-on lire sur les banderoles portées par plus d’une centaine de femmes vêtues en tenues de cuisinières et transportant d’énormes casseroles et poêles. Cette seule organisation distribue quotidiennement 10 000 repas dans la capitale et sa banlieue.
Le Registre national des cantines et repas pour enfants communautaires (ReNaCoM) reconnaît l’existence de 34 782 cantines populaires dans tout le pays. Petits déjeuners et goûter pur les enfants, plusieurs repas par semaine pour les familles…

Mobilisation des travailleurs de la culture

La loi « omnibus » abroge une loi qui avait institué le Fonds National pour les Arts, créé en 1958 et qui emploie 120 personnes. C’est une structure historique qui depuis des décennies aide des projets de musiciens, plasticiens, cinéastes, acteurs, photographes, écrivains, danseurs, artisans, architectes et designers… C’est en outre une structure autonome de l’État, auto-financée par ses propres recettes, la billetterie des lieux de spectacle, les droits liés à l’enregistrement de la propriété intellectuelle et par 5 % de la valeur des spots publicitaires diffusés sur les supports radio/TV, et pas par le budget de l’État. mais dont le gouvernement entend réaffecter « ses ressources humaines, budgétaires et matérielles ».

En outre, les nouvelles mesures abrogent la loi sur le prix unique du livre qui aura pour première conséquence la disparition des librairies et points de vente de dimension modeste qui ne pourront pas négocier des rabais auprès des éditeurs et distributeurs…
Dès le 28 décembre, plus de 3 000 travailleurs de la culture s’étaient réunis en assemblée au Teatro Argentino de La Plata (limitrophe du Grand Buenos Aires et capitale de la province du même nom) sur le thème « la culture est en danger » pour exprimer leur rejet des nouvelles mesures.

Le 30 décembre, environ deux mille travailleurs de la culture (théâtre et spectacle vivant principalement) se sont rassemblés dans le quartier historique de San Telmo et ont participé à une manifestation qui a parcouru les rues du quartier, s’arrêtant devant plusieurs lieux culturels connus, comme la Radio Nationale, le Théâtre Cevantes et se terminant devant l’Institut National du Théâtre.
Alors que le secteur de la culture se voit directement menacé d’étranglement financier, au même moment, le nouveau président libertarien s’envolait pour Mar del Plata (400 km au sud-est de Buenos Aires), au milieu d’un déploiement démesuré et dispendieux de forces de l’ordre, tout cela aux frais d’un Etat en faillite, pour assister à un spectacle donné par sa fiancée et compagne, Fátima Flórez, comédienne de variétés.
D’autres institution de promotion de la culture, comme l’Institut national du théâtre, l’Institut national de la musique, la Commission nationale des bibliothèques populaires ou l’Institut national du cinéma et des arts audiovisuels seront soit fermés, soit réduits au minimum.

Les travailleurs de la culture s’organisent et se mobilisent

Depuis la publication du méga-décret et de la loi « ominibus », des groupes artistiques, des personnes « auto-convoquées », se sont rassemblés dans différentes régions du pays et devant le Congrès lors de journées d’interventions et de prises de parole très ouvertes. Par ailleurs, lors des séances plénières des diverses commissions débattant de la « Loi Omnibus » à la Chambre des députés, plusieurs responsables de la culture ont pris position pour sa défense.

A Córdoba, une assemblée de plusieurs centaines de personnes travaillant dans les secteurs de la culture et de la communication s’est tenue. Tous les secteurs étaient présents : théâtre, cinéma, musique, cirque, danse, communication, éducation, bibliothèques populaires, arts visuels, centres culturels. Ils et elles ont décidé de former une sorte de mouvement permanent appelé « Cordobazo Cultural ». La rencontre a eu lieu dans le centre culturel La Piojera, qui était un haut lieu de réunions et d’organisation du soulèvement ouvrier, étudiant et populaire dans cette capitale provinciale industrielle qui culmina fin mai 1969 contre la dictature du général Onganía, connu sous le nom de Cordobazo [6].

L’assemblée du Cordobazo Cultural se propose de décider et lancer des actions concrètes de rejet du DNU et de la loi « omnibus » que veut imposer le pouvoir exécutif, établir un agenda qui aborde certaines dates déjà définies au niveau national afin de défendre les espaces d’expression culturelle menacés et un modèle de société. Dans ce cadre, un plan de lutte local a été adopté en articulation avec tous les autres espaces en état de mobilisation au niveau de la ville et de la province.
A Buenos Aires, une assemblée similaire s’est réunie et s’est baptisée « Unidxs por la Cultura ». Un appel à un Cacerolazo Culturel National a été lancé pour le mercredi 10 janvier, en fin d’après-midi.
Outre la ville de Buenos Aires, des cacerolazos sont annoncés à La Plata, Mar del Plata, Córdoba, Rosario, Santa Fe, Jujuy, Tucumán, Santiago del Estero, San Juan, Salta, Chubut, San Luis, Mendoza, Neuquén, Chaco, Corrientes, Misiones et Entre Ríos.

Cacerolazo cultural

Le 10 janvier, dans une quarantaine de ville d’Argentine, des milliers de travailleurs de la culture se sont rassemblés aux sons des instruments de cuisine, de sifflets et de batucadas pour exprimer leur refus des mesures prises par le gouvernement.

A Buenos Aires, deux mille personnes se sont rassemblées sur la Place des Deux Congrès. Artistes et travailleurs de la culture, s’étaient joints des groupes de travailleurs de la santé, des enseignants, un regroupement appelé « Retraités insurgés »… Casseroles et poêles à frire, mais aussi tambours, trompettes… et les nombreux musiciens présents ont improvisé un mini-concert sauvage en face du Congrès… en chantant des slogans contre la politique du nouveau gouvernement.

À la fin du rassemblement, une fois la nuit tombée, une immense banderole a été dressée, avec des lumières et des torches portant l’inscription « Argentinazo Cultural ». Au milieu des feux, des lumières, de la musique et des chants, les gens ont commencé à sauter et à crier que les 30 000 disparus de la dictature étaient bien présentes dans ce rassemblement.
Tous les secteurs sont mobilisés. Les différentes organisations professionnelles (cinéastes, scénaristes, théâtres, comédiens, troupes, musiciens, plasticiens, libraires, audiovisuel, arts visuels, danse….) multiplient les appels, les pétitions… en essayant de faire bouger et réagir dans tous les milieux concernés (usagers ou consommateurs de biens culturels, autres secteurs qui en dépendent...) et à l’international

Fonctionnaires

Les fonctionnaires et autres travailleurs de l’État sont dans le viseur de la politique ultra-libérale du nouveau gouvernement.
Parmi les premières mesures prises en décembre, le non-renouvellement de tous les contrats arrivés à échéance le 31 décembre 2023. Ce sont 7 000 virées d’un seul coup.
L’ATE, syndicat des fonctionnaires, appelle à une « journée de lutte » le 15 janvier pour protester contre les licenciements de fonctionnaires fédéraux et de la communauté autonome de la Ville de Buenos Aires, soit 9 jours avant la grève générale du 24.
Le lundi 15, il y a donc eu des rassemblements dans tout le pays. Manifestations, séances de radios ouvertes, blocages de rues et de routes.
« Aujourd’hui, ATE fête ses 99 ans. Le gouvernement doit savoir qu’il ne pourra pas nous dissoudre par décret ni nous soumettre par l’intimidation. Le gouvernement nous dit qu’il ne la voit pas (la protestation), mais nous pensons qu’il la voit, nous la voyons bien, elle est dans la rue et nous n’allons pas nous arrêter. Nous allons approfondir notre plan de lutte jusqu’à ce que nous récupérions tous nos droits », a déclaré Rodolfo Aguia, secrétaire général du syndicat des travailleurs de l’État.

Les licenciements sont un des sujets de la colère. Les salaires aussi car le gouvernement envisage clairement des augmentations de salaires nettement inférieures à l’inflation. Des primes de décembre n’ont pas été versées.
A l’Anses (Administration nationale de sécurité sociale) qui dépend du ministère du Travail, plus de 300 licenciements étalés jusqu’en mars ont été décidés.
A court terme, les emplois publics dépendant des provinces sont également menacés depuis que le gouvernement a décidé de réduire drastiquement les transferts budgétaires depuis l’État fédéral.

Cacerolazos, ruidozos…

Dans Buenos Aires se réactivent des espaces de mobilisation sur une base de quartier et de proximité territoriale. Assemblées des assemblées, « vecinos autoconvocados » (voisins auto-mobilisés), les appels à des cacerolazos (concerts de casseroles) et à des « ruidozos » (rassemblement pour faire du bruit) tous les mercredis se multiplient, dans les quartiers du centre, près du Congrès, ou dans des zones plus périphériques de la capitale.

Assemblées de quartier et assemblées de secteur comme celui de la santé ou encore assemblée et rassemblement dans le quartier de Palermo des travailleurs du Conicet (le Cnrs argentin) où des dizaines d’emplois administratifs sont supprimés à compter du 31 janvier et la publication des bourses de recherche pour 2024 est suspendue… du fait que l’organisme de recherche n’a pas de budget défini. Officiellement, le nouveau gouvernement a indiqué vouloir reconduire le budget de 2023 à l’identique, alors même qu’avec l’inflation et la dévaluation la même quantité de pesos ne représente plus du tout la même valeur : salaires, frais de fonctionnement, projets de recherche, tout est en suspens, les gestionnaires eux-mêmes ne savent pas si et comment ils pourront payer les prochaines factures...

En route pour le 24 janvier !

Des secteurs militants appellent à une mobilisation le 17 janvier, date intermédiaire en vue de la grève générale programmée le semaine suivante, le 24/01.

Communiqué
Journée nationale de lutte vers la grève et la mobilisation du 24 janvier
6 janvier 2023

Le mercredi 17 janvier, les mouvements sociaux et territoriaux mèneront des actions dans tout le pays pour arrêter l’ajustement sauvage que le gouvernement de Milei tente de mettre en œuvre.
Par le biais de marmites populaires, d’assemblées et de radios ouvertes, nous exposerons dans les rues, dans nos espaces et sur les places de toute l’Argentine, notre rejet catégorique du DNU et de la Loi Omnibus qui ne visent qu’à piller et appauvrir notre peuple travailleur.

De même, nous participerons aux actions définies par les groupes de retraités et de pensionnés, prévues le 10 janvier, et à la journée de lutte des travailleurs de l’Etat le 15 janvier.

Face à cette nouvelle crise, les secteurs financiers et les grandes entreprises cherchent à continuer à accumuler des richesses en augmentant l’exploitation de la classe ouvrière. C’est la tâche fondamentale du gouvernement dirigé par Javier Milei.

Alors que nous avons beaucoup perdu ces dernières années, dès les premières semaines du nouveau gouvernement, la moitié de nos salaires a été confisquée par une dévaluation répondant aux intérêts des grands patrons.

Quelques jours plus tard, un méga DNU a cherché non seulement à abroger de multiples règlements et de lois dans le sens de ce qui précède, mais aussi à immobiliser et à détruire la capacité d’organisation de la classe ouvrière en s’attaquant au droit de grève et à l’organisation syndicale. Ceci dans le cadre de menaces ouvertes de répression en cas de résistance dans la rue. Ces mesures qui s’ajoutent aux attaques contre les acquis du mouvement ouvrier, contre les secteurs de la culture, à la promotion des privatisations des entreprises d’État, sont contenues dans le projet de loi Omnibus, qui est ouvertement anti-populaire et que nous devons vaincre dans la rue.

Dans ce contexte, les mouvements sociaux sont frappés par une forme particulière d’ajustement et de persécution, parce que nous avons pu montrer au précédent gouvernement notre capacité à apporter des réponses organisées dans nos territoires et dans la rue.

Ils nous traitent comme des orques et s’en prennent à nos enfants. L’objectif de la diabolisation est clair : plonger ceux d’entre nous qui résistent dans la misère et faire de nous les responsables d’une crise dont nous sommes les victimes.
Le gel des plans Potenciar Trabajo et l’énorme inflation ne font que reproduire plus de violence dans nos quartiers, attisant les différences entre les travailleurs, nous appauvrissant encore plus.

Le message du gouvernement est clair : ils s’attaquent à nous, aux travailleurs et travailleuses, pour piller nos ressources naturelles, et gare à ne pas opposer de résistance à ces mesures qui ne visent qu’à accroître la concentration des richesses en Argentine.
Le DNU ne peut pas passer, l’ajustement sauvage de nos salaires ne peut pas passer. Non sans affecter gravement nos conditions de vie, déjà extrêmement durement frappées.
Pour nos conditions de vie, le DNU ne peut pas passer !
L’ajustement sauvage contre nos salaires ne doit pas passer !
Journée nationale de lutte le mercredi 17 janvier dans tout le pays !
A bas le DNU, à bas l’ajustement, vive la résistance du peuple organisé, vers la grève générale !

FeNaT-CTAA - Libres del Sur - Movimiento Argentina Rebelde - Frente Popular Darío Santillán - MTD Aníbal Verón
COORDINADORA POR EL CAMBIO SOCIAL
[ FOL (FRENTE DE ORGANIZACIONES EN LUCHA) - FRENTE POPULAR DARÍO SANTILLÁN CORRIENTE PLURINACIONAL – MULCS (MOVIMIENTO POR LA UNIDAD LATINOAMERICANA Y EL CAMBIO SOCIAL) - MOVIMIENTO 8 DE ABRIL - FAR Y COPA EN MARABUNTA - FOB AUTÓNOMA (FEDERACIÓN DE ORGANIZACIONES DE BASE, AUTÓNOMA) - OLP RESISTIR Y LUCHAR - MOVIMIENTO JUANA AZURDUY - ARRIBA LXS QUE LUCHAN ]

Mobilisation dans les régions : mise en place des « multisectoriales » sous le mot d’ordre « La patrie n’est pas à vendre »

Comme l’avait annoncé la CGT dans son appel à la grève nationale du 24 janvier, cette journée serait préparée par l’appel à constituer au niveau de chaque province des instances de convergence appelées multisectorielles.

A ne pas confondre avec interprofessionnel, le multisectoriel vise à rassembler non seulement l’ensemble des salariés à travers leurs syndicats, mais aussi l’ensemble des groupes sociaux et des catégories professionnelles, regroupements politiques, associations religieuses… susceptibles d’être concernées par le plan d’ajustement ultra-libéral de Javier Milei.

Il s’agit clairement de la constitution d’un front de type interclassiste, regroupant potentiellement toutes les organisations de salariés et de chômeurs auxquelles s’ajoutent celles de commerçants, artisans, travailleurs indépendants, PME, ainsi que tout ce que le pays peut compter d’associations les plus diverses… les pastorales sociales, les clubs sportifs, les groupes de musique… et bien sûr les différents partis politiques de gauche (kirchnéristes, indépendants, trotskistes…). Tout cela autour des « referentes » politiques comme on dit là-bas, les leaders et responsables de partis, élus locaux, maires, députés provinciaux…

Pendant ce temps, les politiciens du péronisme essaient de recoller les morceaux de leur divisions : maires de grandes villes, gouverneurs, députés… se rencontrent pour définir une position commune et affichent un soutien à la CGT… sans appeler eux-mêmes à grève.

Le milieu des PME est divisé.

Si le grand patronat qui gagne beaucoup d’argent en Argentine grâce au commerce extérieur (gros viticulteurs de Mendoza, agrobusiness des plaines centrales, grande bourgeoisie portègne… ) s’est très logiquement rangé derrière Milei, du côté des PME, le ralliement est moins net. Une partie des associations professionnelles se prononcent contre les mesures, y compris celles du droit du travail. Certaines organisations de PME, (Asamblea de Pequeños y Medianos Empresarios, Industriales Pymes Argentinos…) déclarent même que leurs entreprises n’ont rien à gagner à détruire les droits de travailleurs… sans compter les autres mesures et l’inflation qui vont appauvrir la population… et donc réduire la consommation et les lois déréglementant les prix et la provenance des produits qui vont plonger le petit et moyen commerce du quotidien dans une jungle où les plus forts imposeront leur loi...Ce qu’ils disent en gros : contrairement à la propagande du gouvernement, ce n’est pas l’emploi qui va être favorisé avec les nouvelles loi, mais l’écroulement du marché intérieur, et donc des licenciements, des fermetures d’entreprises…

Des patrons pro-Milei se mobilisent

Un petit regroupement de dernière minute appelle les employeurs à se mobiliser contre la grève du 24 janvier. Des patrons de PME, des commerçants surtout, se sont regroupés dans un Comité de PME, Entrepreneurs et Producteurs (PEP) avec un certain Rodolfo Llans, président d’un petit syndicat patronal. Ce PEP est né au tout début de ce mois pour soutenir le DNU et la loi omnibus. Regroupement informel, il vient tout juste de déposer un nom de domaine pour son site internet et la création de son compte X (ex-tweeter) date du 13 janvier.
Ils appellent à un cacerolazo contre la grève.

Le gouvernement veut intimider la CGT

Ce serait une décision de Milei lui-même, prise après coup et transmise à la ministre de la répression Patricia Bullrich. Celle-ci a fait savoir très médiatiquement à la CGT que la centrale syndicale doit verser 40 millions de pesos (environ 45 000 euros au cours officiel) pour payer les frais du maintien de l’ordre du rassemblement du 27 décembre dernier devant les tribunaux fédéraux de Buenos Aires. La première demande a été envoyée au syndicat des camionneurs, suivie d’autres amendes similaires envoyées à une douzaine d’organisations, des syndicats de la CGT, de la CTA, de divers mouvements et organisations politiques… Au total, on en serait à 56 millions de pesos.

C’est très clairement :

  • - une riposte de Milei au dépôt victorieux d’un recours juridique de la CGT qui a été validé par la Chambre nationale du travail ordonnant la suspension de tout le chapitre du DNU concernant le droit du travail.
  • - une réponse immédiate à une déclaration faite la veille par Pablo Moyano, leader des camionneurs (et fils du précédent leader de la même branche) de la CGT disant que l’objectif de la mobilisation est de « faire tomber le DNU, faire tomber la loi Omnibus, se mobiliser le 24 et être présent dans chaque conflit qui se généralisera dans les différents secteurs ».
  • - le premier signe de la mise en place d’une stratégie de la tension avec la CGT.

Alors que s’étaient engagées des discussions et des débuts de négociation entre des représentants du ministère du travail et certains leaders de la CGT, il semble que l’aile dure du gouvernement, avec Milei lui-même à sa tête, soit en train de reprendre la main, et montre que l’exécutif n’entend rien négocier ni céder sur quoi que ce soit, et aurait donc décidé d’une stratégie de confrontation.
Le sous-secrétaire du ministère ayant mené les discussions a été très vite viré de son poste.

Armando Cavalieri, le leader syndicaliste de la Fédération du Commerce et des Services de la CGT (FAECYS, avec officiellement 1,2 millions d’adhérents) qui avait décidé de négocier avec le ministère (notamment sur le financement des syndicats) et de soutenir certains aspects du DNU, comme la création d’un fonds de licenciements abondé par des cotisations prélevées (à hauteur de 8 % maximum) sur les salaires (et placé sur des supports de capitalisation par l’employeur) permettant d’anticiper les indemnités de licenciement, a été contesté par les autres bonzes de la direction et mis en minorité.

Pour Pablo Moyano, un des poids lourds de la bureaucratie de la CGT, a réagi en déclarant que l’envoi très médiatisé de la facture (de 40 419 227,56 pesos exactement) « fait partie du spectacle que le ministre Bullrich a organisé  ». Dans la même interview à une radio, il a ajouté : « cette dame, déjà à l’époque du règne de Macri, avait déjà infligé une amende de près de 800 millions de pesos à notre association syndicale pour la tenue d’assemblées, et la Justice l’a rejetée. C’est une autre absurdité où elle veut imposer la force face à des centaines de mobilisations qui vont avoir lieu au fur et à mesure que se poursuit ce modèle économique qui détruit le pouvoir d’achat des travailleurs ».

Moyano qui avait déclaré que les mobilisations et la grève avaient pour objectif de « faire tomber » le méga-décret et la loi « omnibus », a été désigné comme un des « ennemis de la réforme » et des « bons Argentins » qui sont « pour le changement » dans un tweet par Milei.

La grève illégale ?

Le 17 janvier, c’est le ministre de la Justice, Cúneo Libarona, qui monte au créneau. Selon lui, la grève de la CGT est tout bonnement illégale… et donc, à une semaine de la date, il menace de poursuites…

Pour l’instant dit-il, c’est un « avertissement » selon lequel il pourrait déclarer la grève illégale et engager des poursuites judiciaires contre les participants à la mobilisation. Sa collègue Patricia Bullrich, ne voulant pas être en reste, a mis en place le numéro d’appel 134 pour recevoir les plaintes pour « extorsion » présumée visant des entrepreneurs, de commerçants ou des travailleurs indépendants.

Selon Cúneo, le ministère du travail pourrait convoquer les centrales syndicales et déclarer la mesure illégale. Elle est illégale car « elle n’a pas de fondement ». Ensuite, selon lui, il serait possible d’intenter une action en justice pour « dommages et intérêts à ceux qui ont encouragé la grève illégale »  [7].

Mais le gouvernement a averti que la journée de grève serait décomptée sur les salaires de tous les salaires des fonctionnaires de l’État grévistes. Or en Argentine, cette mesure ne peut intervenir pour les travailleurs de l’État que si la grève est jugée « illégale », une grève légale ne donne pas lieu à des retenues.

La CGT multiplie les rencontres

Chose encore impensable il y a quelques semaines, une rencontre officielle a été organisée et publicisée entre les principaux leaders nationaux du syndicat et les députés des partis trotskistes du Front de Gauche des Travailleurs (FIT-U), une alliance de 4 organisations de ce courant politique. Cette coalition a obtenu 5 élus nationaux à la Chambre des députés (et dispose d’élus dans plusieurs Parlements régionaux).

Ce n’est pas le signe d’une quelconque radicalisation de la CGT, mais d’une volonté de se placer au centre de la contestation, en multipliant les gestes, les ouvertures, les contacts avec un peu tout le spectre de ce qui peut s’opposer au tsunami que Milei et sa clique veulent imposer.
Un peu après, les leaders cégétistes se réunissaient avec les représentants de la Fédération nationale des locataires.

Mobilisation des enseignants

Alors que le pays est en pleines vacances scolaires, des dizaines de regroupements, associations pédagogiques, syndicats locaux du milieu enseignant ont lancé un appel commun à la mobilisation le 24 janvier, et avant, le 15 / 01 en solidarité avec les fonctionnaires.

Extraits
« La grève appelée par la CGT et le CTA pour le 24 janvier est essentielle pour unir et renforcer les luttes. Les mesures conservatoires qui ont temporairement stoppé la réforme du travail du DNU sont une victoire pour l’appel à la grève et non une raison pour la lever. Au contraire, elle doit être poursuivie dans le cadre d’un plan de lutte national. Avec les meilleures traditions du mouvement ouvrier, garantissons la massivité de la grève et des mobilisations au Congrès et dans toutes les villes du pays. Mobilisons-nous avec force et unité, avec une indépendance de classe, en soulignant la nécessité de poursuivre un plan national de lutte jusqu’à ce que le paquet des mesures d’austérité, d’autoritarisme et de répression soit vaincu. Favorisons les assemblées, les plénières et les réunions dans chaque syndicat ou secteur pour débattre et renforcer les actions ».
(…)
En ce qui concerne la situation salariale dans le secteur de l’enseignement, ils ont donné un aperçu : « à Santa Fe et dans quelques autres provinces, ils ont commencé les négociations paritaires, mais dans beaucoup d’autres, ce n’est pas le cas. Dans le contexte d’une pulvérisation de nos salaires et de nos pensions due à la dévaluation et à l’inflation galopante, nous devons récupérer nos revenus. Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’argent. Il y a de l’argent et il se trouve dans les poches de quelques-uns et du FMI. Les ressources vont également à ceux qui profitent de l’éducation. Nous devons construire les plus hauts niveaux d’unité. Pour ce faire, il est nécessaire que la CTERA [Confédération des Travailleurs de l’Education de la République d’Argentine] et les autres confédérations d’enseignants, ainsi que tous les syndicats qui les composent, convoquent des assemblées, des plénières et des congrès afin d’unifier la lutte des enseignants dans le pays.
Nous appelons également les travailleurs de l’éducation à organiser des assemblées dans toutes les écoles et les espaces de coordination lors de la reprise du travail.
La possibilité de ne pas reprendre les activités scolaires relève de la responsabilité des gouvernements nationaux et provinciaux.
Ils nous déclarent la guerre, nous devons lutter avec la communauté.
Il est important de faire entendre nos exigences au Congrès et auprès du pouvoir judiciaire, mais sans leur faire confiance et en sachant que l’unité dans la rue est décisive pour faire échouer le plan qu’ils veulent nous imposer. La classe ouvrière argentine a plus de cent ans de lutte ».

Dans cette période estivale, difficile de mesurer l’état de mobilisation des travailleurs de l’enseignement.

A une semaine de la grève du 24 janvier, le gouvernement veut accélérer la cadence du débat parlementaire et faire adopter rapidement le trains de mesures de la loi « omnibus » (664 articles) contenant le Décret de nécessité et d’urgence (DNU, et ses 366 articles). qui a pour objectif officiel de résoudre la crise économique définie comme le « résultat de l’abandon du modèle de démocratie libérale et d’économie de marché incarné par notre Constitution de 1853 et de l’évolution, pendant des décennies, vers un modèle de démocratie sociale et d’économie planifiée qui a échoué non seulement dans notre pays, mais aussi dans tous les pays où il a été mis en œuvre au cours de l’histoire ».

Or, le parti de Javier Milei est ultra-minoritaire au Parlement. Avec 38 députés sur 257 et 7 sénateurs sur 72. Avec ses alliés de coalition PRO (Proposition républicaine), il ne peut compter comme votes « sûrs » que sur 78 députés et 13 sénateurs. Il doit donc obtenir des soutiens parmi les 64 députés des différents groupe de droite et centre-droit et si besoin, des 26 du Sénat.

Les marchandages politiciens ralentissent le rythme voulu et complique un peu les choses… Des discussions ont lieu portant sur la modification, voire la suppression de plusieurs articles. Mais pour l’exécutif, il existe un « noyau dur » de la réforme, tout ce qui a trait à l’économie, et là-dessus, il a fait savoir que tout compromis serait exclu. Donc ça bloque un peu, ça freine surtout dans des commissions pour filtrer les éventuelles modifications du projet avant passage au vote… Et dans les couloirs, dans des salles de réunion parallèles (y compris dans une grand hôtel voisin) où se nouent de nouvelles alliances, se testent d’anciennes fidélités, etc... Les sujets qui fâcheraient le plus seraient : le mécanisme de réévaluation des retraites, le partage des recettes fiscales entre l’État fédéral et les régions, la hausse de la taxe sur les exportations, la loi sur les hydrocarbures…

Sur le papier, avec une majorité de droite à la Chambre, clairement en faveur d’un libéralisme économique plus étendu, il n’est pas impossible que la loi passe. Mais rien n’est sûr. En tous cas, l’idée de voter la loi pour la fin de cette semaine s’est envolée car irréaliste. Le dénouement aura probablement lieu la dernière semaine de janvier. C’est semble-t-il ce sur quoi table le nouveau gouvernement.

Entre temps, l’exécutif a encore connu un petit revers sur le plan judiciaire. Un procureur général de l’État avait fait appel devant la Chambre du contentieux administratif fédéral afin que les divers recours contre le DNU soient réunis dans une seule procédure. Les juges ont rejeté la demande du pouvoir exécutif, qui souhaitait que les affaires soient entendues en tant que recours collectif afin d’éviter la dispersion des recours contre la DNU, ce qui comporte la possibilité de décisions contradictoires. En un mot, chaque recours comportant une demande de protection sera traité séparément.

Pendant ce temps, sur les marchés parallèles, le peso continue de baisser jour après jour… La référence étant le dollar états-unien, la cote de ce dernier ne cesse de monter, atteignant le 17 janvier 2024 les 1 200 pesos pour 1 « dollar bleu » contre environ 820 au cours officiel (« dollar vert »). A ce rythme là, si l’écart entre ces taux de change grandit encore substantiellement, une nouvelle dévaluation n’est pas à exclure.

La grande inconnue est la journée du 24 janvier. Quelle sera son ampleur ? Quelle sera la réponse répressive et politique de l’État ? Sur quelles perspectives s’ouvrira le jour d’après dans un pays qui s’enfonce chaque jour plus profondément dans une crise économique endémique et structurelle ?

J.F. / 18 janvier 2024
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Chronique argentine de crises et de résistances - n°3
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Notes

[24) Quelques informations sur l’Atlas Network sont regroupées ici

[3Rapporté par Clarín, 12 janvier 2024

[4Ibid Rapporté par Clarín, 12 janvier 2024

[5Le Monde 31 mars 2016. « Pour les hedge funds, l’opération est un jackpot : NML, le fonds appartenant au milliardaire américain Paul Singer, devrait ainsi empocher près de 2 milliards de dollars, pour des obligations rachetées à 80 millions de dollars dans les années 2000. Soit une plus-value de près de… 2 500 % ! »

[6« -azo » : en langue espagnole, le suffixe « azo » ajouté à un substantif signifie « coup » porté sur quelque chose ou quelqu’un à l’aide du substantif ou en référence à lui. D’un usage très courant dans certains pays d’Amérique latine pour désigner des évènements « frappants » (« coup de poing », « coup de colère »…) de la vie sociale ou politiques. Le Cordobazo est ainsi le « coup de colère de Córdoba ». De même que la méga-décret de Milei annulant 300 dispositions légales est désigné comme le « Decretazo », le « décret coup de poing ». Ou un « cacerolazo » est un ensemble de « coups » portés avec ou sur des « casseroles ».

[7Página 12, 17 janvier 2024, « Cúneo Libarona amenaza con demandar a los sindicatos por el paro ».

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1 Message

  • Avec le mot d’ordre « La Argentina no se vende » (l’Argentine n’est pas à vendre) des Argentins résidant à l’extérieur de leur pays, appellent à des rassemblements de solidarité ce 24 janvier pour protester contre la politique ultra-libérale du gouvernement d’extrême droite de Javier Milei.

    Berlin, Madrid, Barcelone, Valence, Rome, Bruxelles, Amsterdam, Toronto, Mexico, Montevideo, Paris et Toulouse font partie d’une longue liste de villes où auront lieu ces rassemblements.

    C’est la première fois dans l’histoire argentine qu’une grève générale avec mobilisation est appelée à peine un nouveau gouvernement installé.

    En France, une intersyndicale (CFDT, CGT, FO, FSU, UNSA et Solidaires) a publié un communiqué exprimant sa solidarité avec les centrales syndicales argentines en appelant à manifester devant l’ambassade argentine à Paris (angle de la rue Cimarosa et avenue Kleber, 75016, Paris – Métro Boissière, Ligne 6), mercredi 24 janvier à 18 h.

    Ce rassemblement est également organisé par l’Assemblée de Citoyens Argentins en France (ACAF) et soutenu par d’autres organisations argentines, latino-américaines et françaises.

    Un appel féministe / anti-fasciste à ce rassemblement a également été lancé : https://paris-luttes.info/rassemble...


    Rassemblement devant l’ambassade argentine à Paris

    contre le DNU et la loi omnibus.

    En soutien aux mobilisations et à la grève générale en Argentine

    RDV mercredi 24 janvier à 18h

    à l’angle de la rue Cimarosa et Av. Kléber, 75016 Paris

    (Métro Boissière, Ligne 6)

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