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Chronique argentine de crises et de résistances

n°2 – Du 27 au 31 décembre 2023

mardi 2 janvier 2024, par admin x


Chronique argentine de crises et de résistances
Informations sur l’actualité sociale et les conflits de classe depuis l’élection à la présidence du libertarien Javier Milei
n°2 – Du 27 au 31 décembre 2023
Mises à jour périodiques

En moins de trois semaines au pouvoir, le nouveau président libertarien Javier Milei a annoncé trois séries d’initiatives visant à réaliser des modifications structurelles de grande envergure en Argentine ainsi qu’un « protocole » hyper répressif chargé de les faire appliquer.

Le 12 décembre, à peine 48 heures après l’entrée en fonction du gouvernement, son ministre de l’Économie et ex-trader de la bourse de Wall Street, Luis Caputo a annoncé 10 « mesures économiques d’urgence » dans le but de « neutraliser la crise et de stabiliser les variables économiques ». Parmi ces mesure, la dévaluation du peso qui a immédiatement entraîné, entre autres, une augmentation du prix des denrées alimentaires, affectant directement et surtout les secteurs les plus modestes de la société argentine, mais aussi la réduction des transferts de dépenses publiques de l’État central vers les provinces, la réduction des subventions sur les tarifs de l’énergie et des transports...

Le 14 décembre, la ministre de la Sécurité annonçait un « protocole » de maintien de l’ordre criminalisant entre autre les manifestations de rue portant atteinte à la circulation des véhicules.
Le 20 décembre, au cours de sa deuxième semaine en tant que président, le gouvernement a annoncé un décret de nécessité et d’urgence (DNU) qui comprend plus de 300 mesures visant à déréglementer l’économie, à restreindre le droit de grève, à flexibiliser et précariser les travailleurs (faiblement) garantis par un travail salarié légal, à élargir, préciser et légaliser le cadre répressif du « protocole » policier.
Le 27 décembre, le nouveau cabinet a annoncé et publié le méga-projet de loi « omnibus » de plus de 600 articles élargissant le DNU, à la répression des manifestations, la privatisation des entreprises publiques, l’abrogation des lois protégeant l’environnement…
Ces mesures sont de véritable déclarations de guerre contre les travailleurs, légaux et informels, les chômeurs, les pauvres et même les segments inférieurs, salariés, de la classe moyenne.
Des premières manifestations ont éclaté un peu partout dans le pays ainsi qu’à Buenos Aires, défiant les mesures répressives anti-blocages de rues prises par le nouveau gouvernement « libertarien »et contraignant la bureaucratie de la CGT a lancer une « grève nationale » le 24 janvier prochain.

Au sommaire de cette séquence :

  • Manifestation de la CGT, des autres syndicats et des organisations sociales
  • Publication du méga-projet de loi dit « omnibus » de libéralisation économique, de précarisation des travailleurs, de restriction du droit de grève, de saccage de l’environnement et de répression de la protestation sociale
  • Débat de cette loi au Parlement en janvier et recours juridiques
  • Appel de la CGT et de toutes les organisations syndicales et sociales à une « grève nationale » le 24 janvier
  • Quelles mobilisations, quel rapport de forces pour envoyer balader Milei et sa politique ?
  • D’autres projets de loi vont suivre – Les allocataires de plans sociaux dans le viseur

27 décembre 2023
Manifestation de la CGT devant les tribunaux

Alors que la bureaucratie du principal syndicat du pays, la CGT (péroniste), avait appelé, mais sans mobiliser vraiment son appareil et encore moins ses bases militantes, à un simple rassemblement de soutien au dépôt de recours juridiques contre le DNU devant les tribunaux fédéraux, ce sont des milliers de personnes qui se sont retrouvées à la mi-journée.

Une bonne partie des manifestants n’avaient clairement aucun lien avec le CGT, mais avaient simplement utilisé cette initiative pour exprimer leur colère contre les projets du gouvernement Milei, le DNU mais aussi contre le projet de loi « omnibus » dont la presse commençait tout juste à se faire l’écho, et qui va bien au-delà du DNU.

Dans les heures qui précédaient ce rassemblement, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, a répété une fois de plus l’une de ses phrases fétiches : « Celui qui coupe la rue n’est pas payé ». Dans les dénonciations de l’exécutif, la réponse officielle à quiconque descend dans la rue ne fait pas de distinction entre les organisations sociales de gauche, les syndicats ou les cacerolazos spontanés. Le président Milei lui-même les a une fois de plus tous mis dans le même sac : « Ils défendent le modèle qui a appauvri l’Argentine ». 

Au moins 20 000 personnes, peut-être plus, ont commencé à se rassembler à partir de 11 h sur la place Lavalle. Trop nombreux, ils ne pouvaient pas rester longtemps sur les trottoirs comme le stipulait le « protocole » du maintien de l’ordre « anti-piquetes » défendu par la ministre de la Sécurité Patricia Bullrich. Les prétentions de cette politicienne de la droite radicale (qui dans sa jeunesse a participé à la guérilla de l’extrême-gauche péroniste des Montoneros) se sont révélées, de nouveau dans les faits, essentiellement des menaces, de la propagande, des paroles balayées par le vent de la contestation et d’un ridicule sans nom. Malgré quelques charges et provocations des flics, la rue fut bel et bien occupée par les manifestants pendant plusieurs heures, dans un rassemblement qui plus est fortement médiatisé et où se retrouvaient tout un tas de « personnalités », de juristes, d’avocats, quelques élus, des représentants d’associations et de syndicats…

Le dispositif policier s’est révélé totalement démesuré mais inopérant tout en provocant lui-même des blocages monstrueux du trafic de tout le quartier…Des centaines de policiers de la Garde d’infanterie, des policiers à moto et des membres de la Gendarmerie ont harcelé les manifestants au cours de la première heure du rassemblement en essayant de les contenir sur la place ou sur les trottoirs, mais ils ont été dépassés par une foule de plus en plus nombreuse et bruyante criant « Le pays n’est pas à vendre », « Nous ne sommes pas la caste, nous sommes des travailleurs », et aussi « Maintenant, le protocole, ils l’ont dans le cul ! » et « Grève, grève, grève... grève générale ! » ou encore dans un langage plus fleuri, un brin macho-viriliste mais très courant en Argentine un nouveau slogan devenu vite très populaire : « Libertario compadre, la concha de tu madre / le pegas a los viejos, nos mandas a la yuta / sos un hijo de puta ! » (que l’on peut traduire par : « Camarade libertarien, enculé de ta mère / tu frappes les vieux, tu nous envoies les keufs / tu n’es qu’un fils du pute ».)

Imposer à des manifestants de rester sur le trottoir peut fonctionner avec 200 ou 500 personnes rassemblées, mais au-delà de plusieurs milliers, soit les flics chargent et dispersent tout le monde, soit ils reculent, encadrent, mais laissent les manifestants manifester et bloquer la circulation. Et ça, c’est une décision politique qui dépend d’un rapport de force. Après avoir annoncé qu’elle allait faire payer les frais de la répression du 20 décembre à des groupes et organisations qui n’étaient ni présentes ni organisatrices de cette initiative, ce deuxième camouflet, cafouillage ou aveu d’impuissance en une semaine est en train de virer au grotesque pour la ministre « dame-de-fer » de la répression.

Outre la CGT, appelaient également les 2 CTA, l’UTEP (Union des travailleurs de l’économie populaire), l’Association des travailleurs de l’État (ATE), très remontée après l’annonce du licenciement de 7 000 fonctionnaires, rejoints par la Unidad Piquetera (piqueteros organisés par les partis de la gauche politique/trotskiste), la Coordination pour le changement social (piqueteros de la « gauche sociale »/autonome/indépendante), les mouvements de chômeurs et d’exclus ou les groupes politiques liés au péronisme tendance kirchnériste (centre gauche) comme le Mouvement Evita, Barrios de Pie (Quartiers debout), Libres del Sur ou la Corriente Clasista Combativa… Et dans la foule, des travailleurs de la justice, des banques, des enseignants, des retraités, des jeunes…

Au cours d’une charge, les flics ont arrêté un leader et journaliste de la CTA-A parce qu’il filmait la charge. Plus tard, au moment de la dispersion du rassemblement de Buenos Aires, vers 15 h, la police s’est vengée en chargeant et en arrêtant au moins 5 autres manifestants, dont un membre de la Correpi (Coordination contre la répression policière et institutionnelle). En outre, un déploiement de gendarmes posté aux limites de la ville a bloqué l’arrivée à Buenos Aires d’un bus avec à son bord une cinquantaine de militants et manifestants et un leader syndical très connu venus de la lointaine province de Jujuy (Nord-Ouest, limitrophe du Chili et de la Bolivie).

Un communiqué parmi tant d’autres :
Communiqué du Front des Organisations en Lutte (FOL)
27 décembre 2023

Il y a quelques heures, après la fin de la mobilisation de la CGT, environ six personnes ont été arrêtées de manière totalement arbitraire et dans le seul but d’intimider ceux qui ont affronté le DNU anticonstitutionnel de Milei. En tant que Frente de Organizaciones en Lucha nous tenons pour responsables le gouvernement de la ville de Buenos Aires et la ministre de la sécurité de la nation, Patricia Bullrich, et exigeons la libération immédiate des personnes détenues.
La semaine dernière, le peuple a montré que le protocole antidémocratique de Bullrich n’a aucune légitimité et qu’il n’a eu aucun écho ni soutien. C’est pourquoi le ministre a dû monter toute une pantomime et un spectacle honteux pour démontrer son pouvoir, en déployant une opération policière démesurée, qui a fini par entraver la libre circulation au lieu de la garantir.
Le ridicule atteint un tel point qu’ils sont allés chasser des gens qui se dispersaient pacifiquement afin de poursuivre leur campagne de peur et d’éviter d’admettre ce qui est clairement une défaite retentissante dans leur tentative d’interdire la protestation sociale.
Nous savons que l’ajustement ne se fera pas sans répression et que ce gouvernement est prêt à tout pour imposer un DNU qui a été écrit de la main des grandes entreprises pour leur propre bénéfice et au détriment de la vie de millions de travailleurs. C’est pourquoi nous ne nous laisserons pas intimider et nous resterons dans les rues jusqu’à ce que nous fassions échouer cette attaque contre nos droits><br<
Liberté immédiate pour les personnes emprisonnées pour avoir lutté !

A bas le protocole anti-piquetes de Bullrich !

A bas le DNU inconstitutionnel de Javier Milei !

Des manifestations ont également eu lieu dans l’intérieur du pays et dans le Grand Buenos Aires. Dans l’immense commune de la Matanza, banlieue ouest de la capitale, plusieurs milliers de manifestants se sont retrouvés, et ont bloqué les principaux axes de circulation, dont la Nationale 3. La police n’est pas intervenue, les autorités n’ont même pas fait mine d’appliquer le protocole anti-piquetes.
Dans la soirée, on apprenait qu’au moins 14 recours ont été déposés contre le DNU.

Sur le DNU, Milei a réitéré son intention de l’imposer quoi qu’il arrive. Pour lui, tous les députés et sénateurs qui disent refuser le méga-décret et menacent d’un veto parlementaire ne sont que des corrompus, car en recherche ou en attente de pots-de-vin pour changer d’avis. D’autre part, face à d’éventuels blocages et rejets émanant du pouvoir judiciaire, ou à un rejet par les deux chambres du Congrès, il a affirmé qu’il ne reculerait pas, et qu’il en appellerait à une consultation populaire…

Sauf que légalement, la Constitution établit que seul le Parlement peut convoquer un référendum contraignant. Le pouvoir exécutif, en revanche, ne peut qu’organiser une consultation non contraignante, c’est-à-dire que, même s’il gagne, cette victoire ne peut pas en principe se traduire en réglementations concrètes, elle n’est tout simplement pas appliquée. Cet appel à un plébiscite est un bluff autant qu’un facteur d’agitation populiste d’appel au peuple contre les élus corrompus de la « caste »...
Dans la soirée, on apprenait qu’un des recours déposés par les avocats de la CGT était rejeté. Celui demandant une mesure de protection (amparo) provisoire pour tout ce qui concerne les droits du travail dans le DNU, au motif que ce dernier n’est pas (encore) en vigueur… D’autres recours ont été acceptés et seront étudiés.

28 décembre 2023
Après le « méga-décret », un méga-projet de loi « omnibus » plus dévastateur encore

Le terme « omnibus », couramment utilisé en Amérique latine pour désigner des lois, ne signifie pas qu’il s’agit d’un train de mesures qui s’arrête souvent, ramasse plein de gens à chaque étape et avance plutôt lentement. Dérivé de sa racine latine, « pour tout », le terme désigne ici une loi dont les articles portent sur des sujets distincts, variés, sans rapport les uns avec les autres.

Alors que les manifestants étaient encore réunis le 27 décembre, le cabinet de la présidence transmettait le volumineux projet de loi « omnibus » intitulé « Loi de base et points de départ pour la liberté des Argentins ».
Le 28 décembre, il était rendu public et disponible sur les sites de tous les médias en ligne du pays. Composé de 664 articles, il s’inscrit dans la continuité des 366 articles du Décret de Nécessité et d’Urgence (DNU), le complète, l’élargit considérablement, tout en l’incluant, avec en outre, et là les choses se précisent, l’établissement d’un régime d’exception avec le transfert des capacités législatives du Parlement vers l’exécutif pour 2 années renouvelables.
Impossible d’en rendre compte de manière exhaustive. Essayons tout de même d’aller à l’essentiel, ce qui est déjà énorme.

•Premier point, il faut prendre la mesure de la globalité de cette loi format XXL : pas un domaine ne lui échappe : économie et toutes ses déclinaisons, impôts, finances, retraites, énergie, ordre public, répression de la protestation sociale, environnement, éducation, santé, culture, universités… L’amplitude des thèmes dessine clairement un projet de société, mais avant cela, une opération de destruction massive et systématique de tout un édifice de droits politiques et de garanties sociales.
•Deuxième point fort, ce paquet législatif instaure un état d’exception dans lequel l’exécutif, Javier Milei et son cabinet, demande au Congrès de lui déléguer tous les pouvoirs afin qu’il puisse administrer, légiférer et gouverner le pays selon son bon vouloir, par décrets, sans aucun contre-pouvoir, pendant une durée de 2 ans, renouvelable une fois, soit la totalité du mandat présidentiel.
•Troisième remarque : même si ce projet vise l’ensemble de la société, qu’il s’attaque à la fois à des questions centrales ou à d’autres plus secondaires, à certains droits spécifiques dans un domaine restreint et à d’autres de portée plus générale, son « cœur de cible » est constitué par les travailleurs, les chômeurs, les populations humbles, pauvres, des villes et des zones rurales.

Dans son introduction, le gouvernement explique que l’une de ses propositions consiste à « rendre effective la délégation législative prévue à l’article 76 de la Constitution nationale, en déclarant l’état d’urgence publique en matière économique, financière, fiscale, sociale, de sécurité, de défense, tarifaire, énergétique, sanitaire, administrative et sociale jusqu’au 31 décembre 2025 ». Elle précise que « ledit délai pourra être prolongé par le Pouvoir exécutif national » pour durée de deux années supplémentaires, soit jusqu’à la fin 2027 et la fin du mandat présidentiel. Un état d’urgence de 4 ans donc qui impliquerait que soient délégués et transférés l’ensemble des pouvoirs législatifs du Parlement au pouvoir exécutif dans tous les domaines énumérés.

Les principales mesures 
 
° La répression des manifestations
Le protocole « anti-piquetes » promu par la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, est institutionnalisé et aggravé en termes de persécution et de réduction des droits civils dans le chapitre "Sécurité intérieure" du projet de loi « omnibus » envoyé au Congrès.

Le projet de loi modifie l’article 194 du code pénal et la loi nationale sur la circulation routière, comporte trois dispositions principales :

  • il augmente les peines pour ceux qui interrompent la circulation des transports ou des services,
  • il introduit le concept d’« organisateurs » pour définir tout citoyen qui réunit plus de trois personnes et les rend passibles d’amendes pour préjudice,
  • il rend obligatoire la demande d’autorisation de toute réunion sur la voie publique dans un délai préalable d’au moins 48 heures et habilite le ministère de la sécurité à s’opposer à sa réalisation pour des raisons de « sécurité nationale ».

Criminaliser l’interruption du trafic : la prison pour les manifestants
L’article 194 du code pénal a été rédigé pendant la dictature de Juan Carlos Onganía (au pouvoir de 1966 à 1970, dont la dictature s’est poursuivie jusqu’en 1973) et est actuellement utilisé pour criminaliser la protestation sociale dans tout le pays. Elle a cependant le défaut d’être jugée inconstitutionnelle en ce qu’elle porte atteinte à d’autres droits (de manifester notamment). Le méga-projet de Milei propose de le relégitimer et d’approfondir l’utilisation de cet outil dans la persécution de la protestation sociale. L’article 326 du méga-projet propose de le modifier et d’augmenter les peines de 1 à 3 ans et demi de prison pour ceux qui « sans créer une situation de danger public, entravent, gênent ou obstruent le fonctionnement normal des transports terrestres, maritimes ou aériens ou des services publics de communication, d’approvisionnement en eau, d’électricité ou de substances énergétiques ».

Introduction de la figure de l'« organisateur » pour mieux le poursuivre

La proposition de modification de l’article s’inscrit dans le discours punitif de Milei et Bullrich, résumé par « quiconque manifeste n’est pas payé ». En ce sens, l’amendement proposé mentionne la figure de l’« organisateur » et propose une peine de 2 à 5 ans dans le cas où la manifestation ou la protestation « cause des blessures aux personnes ou des dommages aux biens », la peine pouvant être appliquée que l’organisateur « soit présent ou non à la manifestation ou à l’acampe » [rassemblement permanent prenant la forme d’un campement].
En outre, l’article 332 mentionne la Convention relative aux droits de l’enfant et d’autres lois de protection de l’enfance, ainsi que le code national civil et commercial, afin que les forces de l’ordre puissent signaler la présence de toute personne âgée de moins de treize ans.

La figure de l’« organisateur » serait incorporée dans le code pénal par le biais d’un article 194 bis et la caractérise comme toute personne humaine ou morale qui :

  • invite d’autres personnes à participer à la réunion,
  • coordonne les personnes chargées de mener la réunion,
  • fournit tout moyen matériel ou logistique pour la tenue de la réunion, 

  • fait l’appel, enregistre les présences ou les absences par tout moyen écrit ou vidéo.

En plus de réduire en miettes le droit de manifester et de se réunir, et de laisser ouverte la possibilité de poursuivre les personnes qui ne participent pas aux manifestations, cette section du méga-projet officialise aussi l’idée de faire payer aux manifestants les opérations de maintien de l’ordre décidées par le pouvoir exécutif, ce que le porte-parole présidentiel avait déjà annoncé après la manifestation du 20 décembre.

Modification du code de la route : le droit de circuler au-dessus du droit de manifester
L’article propose également d’appliquer aux manifestants les amendes prévues par le code de la route (n° 24.449) et d’ajouter une nouvelle sous-section aux « interdictions » déjà contenues dans la norme : « Entrave ou obstruction totale de la circulation sur les artères ou avenues, les routes nationales et les ponts inter-territoriaux par le biais d’une mobilisation ou d’une manifestation sociale ». Dans le même ordre d’idées, l’article 337 propose la figure de « l’atteinte aux droits des tiers », permettant ainsi au discours du pouvoir politique de placer le droit de circuler au-dessus du droit de manifester et de le dissimuler sous l’objectif d’affecter les amendes au Fonds pour l’Intégration Socio-Urbaine.

Demande d’autorisation obligatoire / un rassemblement = à partir de3 personnes
Le projet de loi stipule qu’une « réunion ou une manifestation » sera considérée comme le « rassemblement intentionnel et temporaire de trois personnes ou plus dans l’espace public dans le but d’exercer les droits susmentionnés » et exige – avec le ministère de la Sécurité comme organe d’exécution – que toute réunion soit notifiée « au moins 48 heures à l’avance ».
Si cette loi présentée par le gouvernement est approuvée, toute réunion ou manifestation de plus de trois personnes devra fournir au ministère de la Sécurité les informations suivantes :

  • les caractéristiques de la manifestation

  • les coordonnées de la personne physique ou morale qui l’organise,

  • les noms et les coordonnées des organisateurs, délégués ou autorités, qu’ils participent ou non à la réunion ou à la manifestation,
  • 
l’objet et le but, le lieu et l’itinéraire
  • la durée et le nombre estimé de participants.

En revanche, s’il s’agit d’une « manifestation spontanée » – par exemple un « cacerolazo » – le projet de loi prévoit qu’elle doit être notifiée « le plus longtemps possible à l’avance » avec toutes les informations requises. En échange, le ministère de la sécurité devra délivrer un récépissé attestant que la manifestation a été correctement présentée, si elle est autorisée, avec la possibilité de modifier le lieu, la date et l’heure de la manifestation.
Un autre article stipule que les fonctionnaires qui manifesteront auront des retenues sur salaire.

L’initiative de Milei et Bullrich va bien au-delà de la Constitution et laisse le droit de manifester entièrement à l’arbitraire du ministère de la Sécurité avec le pouvoir de refuser des manifestations ou des réunions notifiées pour des raisons de « sécurité des personnes » ou de « sécurité nationale », et cela sans recours possible.

Les privatisations

C’est un autre des gros morceaux de cette loi.
Les entreprises d’État sont au nombre de 41 et emploient entre 90 et 100 000 personnes. Parmi elles, quelques fleurons : Aysa (distribution et assainissement des eaux dans l’aire urbaine du Grand Buenos Aires, soit 15 millions d’habitants), Banco Nación, la compagnie pétrolière historique YPF, Correo Argentino (la poste), Enarsa (distribution des produits gaziers et pétroliers), l’agence de presse et de communication Télam (entre autres médias d’État dont les chaînes radio-TV) et, bien sûr, la compagnie aérienne Aerolíneas Argentinas, déjà à 49 % aux mains du privé et cotée en bourse. Plus 7 autres banques et sociétés financières de moindre importance, des entreprises de construction aéronautique, de fabrication de matériel militaire, d’énergie...

Toutes ne seront pas nécessairement privatisées et le projet de loi n’en désigne aucune en particulier. Il est question d’une trentaine jugées prioritaires. Une première remarque. Avec la dévaluation du peso, la dégradation de l’économie et la crise sociale qui s’annoncent, leurs acquéreurs éventuels pourront bientôt s’emparer de ces boites pour une bouchée de pain.

Retraites

Première mesure importante. Le projet de loi prévoit que l’augmentation des pensions pourra désormais être fixée par le pouvoir exécutif, et non de manière presque automatique en fonction de l’inflation comme la loi de « mobilité des retraites » actuelle l’organise. Il habilite le gouvernement à établir une formule automatique d’ajustement des prestations qui n’est pas précisée pour l’instant.
Le méga-projet propose également le transfert du Fonds de garantie de pérennité du Régime public de répartition (FGS), actuellement entre les mains de l’Administration nationale de la sécurité sociale (Anses) vers celles du trésor national. Ce fonds, créé en 2007 lors de la nationalisation du régime des retraites de base, dispose de 76 milliards de dollars et administre les retraites par répartition de 5,7 millions de personnes.
La loi omnibus ne s’attaque pas au régime des retraites. Il fera sans doute l’objet d’un train de mesures spécifiques, portant certainement sur l’âge de départ, l’introduction de retraites complémentaires privées capitalisables sous forme de fonds de pension...

La légitime défense légalisée

La loi prévoit d’élargir le concept de légitime défense et l’impunité des forces de l’ordre lorsqu’elles font usage de leurs armes, et à des civils s’ils se sentent menacés. Un article du code pénal sera substantiellement modifié. D’un côté, il est précisé que les actes commis par les policiers dans l’exercice de leurs fonctions ne devraient pas être punis. Mais il va plus loin. La loi actuelle stipule déjà que « quiconque agit dans le respect d’un devoir ou dans l’exercice légitime de son droit, de son autorité ou de sa fonction » n’est pas punissable. La modification envisagée déclare que « la proportionnalité des moyens utilisés doit toujours être interprétée en faveur de ceux qui agissent dans le respect de leur devoir ou dans l’exercice légitime de leur droit, de leur autorité ou de leur position. »

Cette modification ne vise pas seulement les policiers en fonction ou hors service qui abattent dans le dos un voleur à la tire ou toute personne dès lors qu’ils se sentent menacés. Elle élargit également le concept de légitime défense dans les cas où les victimes d’une agression causent un tort à l’agresseur. Les circonstances qui justifient l’usage de moyens d’autodéfense sont considérablement élargies à un point tel que toute revendication de l’usage d’un quelconque moyen dans de telles circonstances ne sera pas poursuivi. En d’autres termes, les peines pour ceux qui se défendent dans des situations de risque pourraient être supprimées au nom de le non-imputabilité découlant de ce risque et de manière générale, les règles seraient assouplies pour ceux qui se défendent face à une menace délictueuse.
Dans quels cas l’imputabilité serait-elle supprimée ?

Le projet de Javier Milei vise à éliminer la culpabilité des personnes qui agissent à leur domicile ou lorsqu’elles se reposent, dans les cas spécifiques suivants :

  • Lorsqu’il y a « des signes qui laissent présumer une agression imminente » ;

  • Lorsqu’il y a « une différence d’âge, de corpulence, d’expérience du combat ou de nombre d’agresseurs qui peut raisonnablement faire craindre à la personne qui se défend qu’il y a atteinte à son intégrité physique ou sexuelle » ;
  • Lorsqu’une fausse arme est brandie ou qu’une personne qui attaque avec une arme prend la fuite.
    En outre, les personnes menacées pourront se défendre lorsqu’elles comprendront que leur vie est en danger. « Il est entendu que ces circonstances s’appliquent à toute personne qui refuse d’escalader ou de briser les clôtures, les murs ou les entrées de sa maison, de son appartement ou de ses dépendances, quels que soient les dommages causés à l’agresseur », précisent-ils.

Plus loin, les rédacteurs du projet de loi ajoutent que les circonstances de non-imputabilité s’appliquent également « à l’égard de toute personne qui trouve un étranger à l’intérieur de son domicile, à condition qu’il y ait résistance ».
En outre, la proposition de loi comprend un ajout qui s’appuie sur une autre idée du gouvernement : littéralement, « celui qui le fait, le paie » qui, dans ce contexte, veut dire « toute personne ne respectant pas la loi, devra payer pour cela ». La fin de cet article 34 modifié établit que « quiconque commet un délit, même si c’est au stade de tentative, ainsi que ses proches, en cas de décès, n’a pas le droit de porter plainte ou de poursuivre la personne qui a repoussé l’action ou empêché sa fuite, même si les circonstances atténuantes du présent article ne s’appliquent pas en faveur de la personne qui se défend ou qui agit dans l’exercice de son devoir, de son autorité ou de sa fonction » [1]. Donc, non seulement celui qui se déclare agressé ou menacé se verra blanchi de toute poursuite en cas d’usage d’armes s’il évoque la légitime défense, mais l’« agresseur » supposé, déjà présumé coupable, perd tout droit de se défendre sur le terrain judiciaire en poursuivant son accusateur et/ou ses défenseurs !

Ce point, qui répond à certains faits divers récents au cours desquels des policiers et des particuliers ont été poursuivis dans des cas d’autodéfense supposée, devrait logiquement se retrouver dans la future loi modifiant les règles de sécurité et le code pénal. L’article sur la légitime défense est un aperçu du virage exclusivement punitif, à la britannique, que prendra le futur visage du prochain code pénal.

Un système électoral fermé au minorités

Le projet de loi « omnibus » propose la suppression des élections primaires, l’utilisation du bulletin de vote unique, la fin de la proportionnelle et la mise en place d’un système de circonscription uninominale à un tour pour l’élection des députés au parlement national (comme en Grande-Bretagne). Avec un tel système, les petits partis sont éliminés et ne s’imposent que les grands courants majoritaires localement. Sur la base de leurs résultats aux dernières présidentielles, les partisans de Milei peuvent rêver d’une majorité à la Chambre des députés.

Le projet comprend également des modifications du financement des partis politiques et la suppression des sanctions pour les candidats qui s’absentent trop et ne participent pas suffisamment aux débats.

Avec la loi « omnibus », disparition programmée des lois de protection de l’environnement

Destruction des glaciers, des forêts et des prairies
La loi « omnibus » comprend une section qui cherche à éliminer les réglementations et les contrôles sur les activités productives qui pourraient être menées dans les forêts, les aires de pâturage, les zones humides et les glaciers, des zones protégées par des lois spécifiques qui ont été adoptées au cours des 15 dernières années grâce à une vaste lutte des organisations environnementales qui alertent aujourd’hui contre les risques que cela pourrait logiquement impliquer pour l’avenir.
Le projet de loi prévoit de modifier la loi sur les glaciers, adoptée en 2010, pour permettre l’activité minière dans les zones périglaciaires ; la loi de 2007 sur la protection des forêts indigènes, pour autoriser la déforestation dans des zones où elle est actuellement interdite ou limitée ; et la loi sur la protection de l’environnement relative au contrôle des activités de brûlage, pour accorder des permis d’allumer des feux à des fins productives ou immobilières, qui étaient jusqu’à présent fortement limités ou interdits, selon les zones. Les forêts des régions septentrionales de Salta, du Chaco et de Formosa entre autres sont directement menacées. Déjà qu’avec une législation protectrice, le défrichement illégal n’a jamais été enrayé au point qu’au cours de la dernière décennie, plus d’un million d’hectares ont été perdus, selon les chiffres officiels. L’annulation de la loi sur les brûlages de forêts aura un impact sur les zones humides, détruisant cette biodiversité et permettant aux propriétaires terriens d’allumer des incendies incontrôlés à des fins productives, comme l’extension des surfaces dédiées à l’agro-industrie (soja, cultures génétiquement modifiées, élevage industriel, monoculture forestière...) ou la transformation de terrains pour le développement immobilier et touristique.

Les glaciers et les zone limitrophes représentent également un intérêt particulier pour les sociétés minières (Barrick Gold, Minera Argentina Gold…) qui, après l’adoption de la loi de 2010, ont exercé de fortes pressions pour faire avancer des dizaines de projets, en particulier dans les régions septentrionales, jusqu’à ce que, en 2019, la Cour suprême de justice confirme la constitutionnalité de la législation et ordonne l’interruption de 44 projets miniers à proximité ou sur des masses de glace.
Le Collectif d’action pour la justice éco-sociale et l’Association argentine des avocats de l’environnement proposent une première analyse des dangers contenus dans le projet de loi envoyé au Congrès [2].

S’il est approuvé, le projet de loi dite "omnibus" sera un coup porté à la législation argentine en matière de protection de l’environnement, car éliminerait les deux lois en vigueur les plus importantes en termes de prévention, deux lois qui ont coûté le plus d’efforts aux citoyens et à leurs mobilisations : la loi sur la protection des forêts et la loi sur les glaciers. « Dans le contexte de la crise climatique et environnementale actuelle, les exigences environnementales énoncées dans ces deux lois sont fondamentales, car les forêts, les glaciers et les environnements périglaciaires sont au cœur de la régulation du climat et des écosystèmes. Par exemple, la dévastation des forêts indigènes est directement liée à l’augmentation des inondations, des sécheresses et des incendies qui progressent dans les zones naturelles et urbaines et qui devraient devenir plus fréquents. »

Les changements introduits permettraient les défrichements et coupes rases dans toutes les forêts du pays et le développement des activités minières dans les environnements des zones périglaciaires. A cela, s’ajouteront l’élimination des réglementations, la suppression des fonds environnementaux, le manque d’accès à l’information pour les communautés affectées et la persécution des manifestants.
Le projet prévoit également une déréglementation et une libéralisation en profondeur du secteur énergétique, y compris la privatisation des entreprises de ce secteur et la cession de la concession sur la voie navigable du fleuve Paraná (appelé Hidrovía Paraná-Paraguay). De même, il fait ressortir le parti pris de libéralisation dans des secteurs tels que les hydrocarbures, l’exploitation minière et la pêche, qui menace la capacité souveraine de l’État à réguler le capital transnational.

En ce qui concerne la politique climatique, le projet de loi « omnibus » propose la création d’un marché des droits d’émission de gaz à effet de serre (GES) avec une large participation du secteur privé. Cette mesure, similaire au marché volontaire des obligations vertes, permettrait la privatisation des capacités de capture du dioxyde de carbone, transférant ainsi la destruction environnementale et sociale vers les territoires du Sud.

Le projet de loi propose des changements dans la réglementation des activités de brûlage, qui permettrait d’interpréter le silence de l’État comme une autorisation "tacite" et autorisant les producteurs à brûler de manière incontrôlée des zones de pâturage, qui sont des écosystèmes de grande valeur. Ce projet de loi met également en évidence l’abrogation de la loi sur la pêche qui affecte la protection des écosystèmes marins et éliminent les critères d’autorisation qui donnent la priorité à la main-d’œuvre argentine et à la construction navale locale.
La dérégulation totale et en profondeur du secteur de l’énergie risque de « conduire à une accélération de l’expansion de la zone d’exploitation des hydrocarbures et à une augmentation excessive des impacts socio-environnementaux de l’industrie des combustibles fossiles ».

Les deux associations en appellent aux législateurs pour qu’ils « rejettent fermement ce projet et protègent le peu de législation actuelle qui peut servir de point de départ à la justice éco-sociale et à la protection de l’environnement en Argentine. Nous faisons la même demande avec le DNU 70/2023 inconstitutionnel ».

Voici les implications et modifications

proposées par le projet sur la législation actuelle

sur les forêts, les glaciers et le brûlage.

Loi sur les forêts modifiée : la déforestation légalisée
Dans le cas de la loi sur les forêts, il s’agit d’autoriser le défrichement - un défrichement consiste à transformer la forêt indigène de telle sorte qu’elle perde sa qualité forestière - dans les zones de protection, ce qui est actuellement expressément interdit. La catégorie de protection forestière correspond précisément aux zones à très haute valeur de conservation qui ne doivent pas être converties. La loi actuelle tient compte non seulement de leur contribution à la préservation de la biodiversité et comme objet de recherche scientifique, mais aussi du fait qu’elles peuvent être le territoire de communautés indigènes. Dans certaines zones de protection, le défrichement est également interdit, mais le développement d’autres activités à usage durable y est autorisé.
Dans le projet de loi « omnibus », une formulation autorise les défrichements, après étude d’impact environnemental préalable et l’organisation d’une audience publique mais non contraignante.

D’autre part, le régime d’information auquel doivent actuellement se conformer ceux qui exercent des activités productives liées aux forêts est supprimé, de même que le système intégral d’enquête et de diagnostic dont l’État était chargé dans le but de contrôler les impacts environnementaux causés et de générer des outils de planification du développement durable. Le projet de loi « omnibus » élimine également le mécanisme prévu pour l’accès à l’information des peuples indigènes et des communautés paysannes, qui sont particulièrement concernés dans les cas de déforestation.

Enfin, le « Fonds pour l’enrichissement et la conservation des forêts autochtones » a été réduit à presque zéro et ne recevra pas le minimum de 0,3 % du budget national ou de 2 % des taxes à l’importation, car il dépendra arbitrairement de « l’allocation budgétaire annuelle faite par le pouvoir exécutif pour répondre aux besoins de compensation établis à l’article 30 ».

La loi sur les glaciers : des zones précieuses menacées par l’avancée de la méga-industrie minière
La loi sur les glaciers a été adoptée en 2010 « dans le but de les préserver en tant que réserves stratégiques de ressources hydriques pour la consommation humaine ; pour l’agriculture et en tant que fournisseurs d’eau pour la recharge des bassins hydrographiques ; pour la protection de la biodiversité ; en tant que source d’information scientifique et en tant qu’attraction touristique ».
Grâce à la réforme proposée par le gouvernement, l’activité minière dans l’environnement périglaciaire, qui est actuellement expressément interdite, sera autorisée.

Alors que les glaciers sont elles-mêmes des masses de glace avec leurs cours d’eau internes et de surface (où l’exploitation minière n’est pas autorisée non plus), le milieu périglaciaire comprend la zone des sols gelés qui, dans les montagnes, agit comme un régulateur des ressources en eau. Sa protection a été expressément incluse dans la loi sur les glaciers, fruit d’un processus législatif ardu, qui a pris en compte les contributions de divers spécialistes nationaux et internationaux.
En ce sens, la protection des glaciers et de l’environnement périglaciaire contre l’avancée de l’exploitation minière est fondamentale, étant donné qu’il existe dans notre pays plusieurs initiatives d’exploration et d’exploitation dans les zones glaciaires et périglaciaires, en particulier dans la cordillère des Andes et leurs contreforts.

Ce recul environnemental est la demande historique des grandes sociétés minières transnationales telles que Barrick Gold, qui ont l’intention de pénétrer dans ces écosystèmes et qui, grâce à cette modification, pourront le faire sans limites, en réduisant considérablement la zone de protection. Les assemblées de provinces telles que San Juan défendent l’environnement périglaciaire, qui est beaucoup plus petit dans les provinces arides du centre et du nord du pays, et donc plus fragile, que dans le sud de l’Argentine, qui est plus riche en glace.

Des activités de brûlage libérées, l’expansion de l’agrobusiness  
Pour ajouter aux conséquences dramatiques qui résulteraient d’une avancée dans la réforme de la loi forestière (et de l’abrogation de la loi sur les terres rurales), le projet de loi "omnibus" modifierait le régime de contrôle pour les producteurs d’activités impliquant le brûlage de végétation ou de résidus de végétation, par l’utilisation du feu, dans le but de "défricher" des terres pour l’exploitation. Actuellement, une autorisation de l’État est requise pour le brûlage, ce qui implique de contrôler que les conditions nécessaires sont en place pour prévenir les incendies, les dommages environnementaux et d’autres risques pour la santé et la sécurité publiques.

La réforme proposée dans la loi "omnibus" prévoit que, 30 jours ouvrables après une demande d’autorisation, si l’État ne délivre pas d’autorisation, son silence sera interprété comme une autorisation tacite. Avec un État démantelé, avec peu ou pas de contrôles, cela signifie l’institutionnalisation du brûlage indiscriminé, comme Bolsonaro l’a fait il y a des années au Brésil, ce qui a gravement affecté l’Amazonie, ses écosystèmes et les peuples indigènes qui l’habitent.
Il permet et libéralise également le brûlage des zones herbeuses de pâturage, écosystèmes précieux et essentiels, sous l’euphémisme de réaliser de « coupe-feux » et des « actions préventives », actions actuellement interdites ou autorisées uniquement par les autorités compétentes et de manière exceptionnelle. Nous en avons déjà fait l’expérience dans plusieurs provinces, la dernière en date étant les incendies de Corrientes (été 2023), qui ont touché non seulement les marais de Iberá, mais qui ont dévasté plus de 100 000 hectares, y compris des marais, de zones humides et de pâturages. Cette modification augmenterait les incendies de manière impensable et absolument illimitée.

Les mesures ultra-libérales du gouvernement, un accélérateur de la crise sociale

Loin des procédures institutionnelles qui vont déterminer le sort légal du DNU, il est déjà entré en application et ses effets se font sentir immédiatement. L’arrêt des subventions aux transports collectifs et à l’énergie fait exploser les prix des tarifs courants impactant des millions de personnes. Une première hausse de 45 % des billets de transports urbains est annoncée pour l’aire urbaine de Buenos Aires pour le seul mois janvier, tandis que la fréquence des bus a été divisée de moitié. Une autre hausse en février est envisagée…

Les mutuelles de santé, qui fonctionnent avec un système de cartes prépayées, désormais dérégulées, n’ont pas attendu vingt-quatre heures après la publication du décret pour annoncer une augmentation de leur mensualité d’environ 40 % et cela dès le mois de janvier 2024, alors même que la libéralisation du marché des médicaments (fin du contrôle des prix sur les produits pharmaceutiques et liberté d’acheter ces biens n’importe où) a provoqué des hausses immédiates et vertigineuses, carrément le doublement des prix de la plupart des médicaments. Dans un pays où la Sécurité sociale de base (« Obras sociales ») couvrent à peine 50 % de la population, la pilule va être immédiatement indigeste alors que nombre d’Argentins ne peuvent déjà plus se soigner. Tant pis pour le capital humain !

La fin de l’encadrement des loyers permet aux nouveaux contrats locatifs d’être libellés en dollars ou en cryptomonnaie sans limite d’augmentation des prix, dans un pays où l’inflation (160 % sur un an) va encore s’accroître encore suite à la dévaluation de 54 % du peso intervenue le 12 décembre. Avec le coup de frein appliqué aux dépenses de financement de travaux publics par l’État fédéral, les provinces et les municipalités, le secteur de la construction prévoit d’ores et déjà des pertes d’emplois par dizaines voire centaines de milliers…

Dans un pays qui comptait jusque alors 40 % de sa population en dessous du seuil de pauvreté, un récent rapport de l’Observatoire argentin de la dette sociale (ODSA) de l’Université catholique argentine (UCA) assurait que la pauvreté en Argentine atteignait 44,7% au troisième trimestre 2023, avec un niveau d’indigence qui a atteint les deux chiffres : 9,6%. La qualité de l’emploi a également atteint les niveaux les plus bas depuis que l’ODSA le mesure en 2004, 33,1% de la population active de plus de 18 ans, avec 8,8% au chômage total et 24,3 % en sous-emploi précaire. Ces chiffres, contestés par les politiciens de l’ancien gouvernement péroniste d’Alberto Fernández, indiquent une forte dégradation au cours des 12 derniers mois. La politique de Milei va les faire exploser plus encore. Entre 1998 et 2002, au plus profond de la phase récessive d’alors, le taux de pauvreté avait atteint 57 % et celui du chômage 28 %. L’Argentine de Milei se dirige tout droit et à toute vitesse dans cette direction.

La CGT appelle à une grève nationale le 24 janvier

Les différents courants qui composent la bureaucratie de la CGT se sont accordés le 28 décembre sur un appel à une « grève nationale » de 24 heures le 24 janvier prochain, date à laquelle en principe la Chambre des députés doit discuter de la loi « omnibus ». D’ici là, le Comité central confédéral demandera une réunion avec tous les groupes de députés et sénateurs pour débattre du rejet du paquet de lois et du DNU. Ensuite, il est prévu des réunions avec les autres centrales syndicales pour articuler ensemble les mesures à prendre. Une plénière des délégations régionales sera convoquée le 10 janvier. Enfin, le Conseil exécutif national a été reçu mandat de « décider des mesures qu’il juge pertinentes aux circonstances que requiert l’état actuel de la situation ». Pour le syndicat, « il n’y a aucune nécessité ni urgence qui exige de renverser l’ordre constitutionnel, de s’arroger des pouvoirs législatifs qui ne relèvent pas de sa compétence et d’utiliser toute cette force pour détruire la législation du travail ».

Parallèlement, la direction de la CGT a souligné que « tout projet gouvernemental qui nécessite une modification, une abrogation ou la création de lois doit, nécessairement, passer par un débat parlementaire ».
Voila pour la communication officielle.

Elle dit clairement que la CGT joue la carte parlementaire et juridique, avec un discours qui contient quelques éléments de classe mais noyés dans la défense de la société, de la nation et du respect de la légalité et de ses institutions.
Toutes les autres organisations syndicales, sociales, de défenses des droits humains… se sont immédiatement ralliées à l’initiative. La CGT, qui revendique 7 millions de membres, et en regroupe plus vraisemblablement la moitié (ce qui n’est pas négligeable) peut à elle seule, si elle s’en donne les moyens, mettre du monde dans la rue et bloquer presque entièrement l’économie du pays pendant 24 heures. Tout semble indiqué que la grève sera massive, les rassemblements et manifestations plus encore et que cette journée signifiera une paralysie totale de l’activité du pays.

Il est par contre à peu près certain qu’une telle journée ne sera pas suffisante, à la hauteur de l’enjeu, si rien d’envergure ne se fait avant, dans les jours et semaines qui viennent… et aussi après.
Il est assez évident que c’est seulement, et cela a minima, dans un climat de mobilisation permanente, d’agitation quotidienne et de montée de l’effervescence sociale, des conflits et des blocages de l’économie que seraient réunies les conditions pour qu’une majorité de parlementaires et le pouvoir judiciaire puissent être convaincus de bloquer et de rejeter cette loi « omnibus » et le DNU dans leur totalité. Autrement, il est à craindre une molle bataille d’amendements, de discussions sans fin en commissions entre politiciens de fractions et de sous-groupes parlementaires dans un Congrès qui globalement penche à clairement à droite et en faveur de politiques libérales. Et à côté de la tambouille parlementaire, une censure partielle du DNU au mois de mars par la Cour suprême. Une stratégie de pression et de négociation habituelle de la CGT dont les principales composantes (qui correspondent à de puissants syndicats de branche) disposent toutes des relais au parlement et dans les cercles du pouvoir de l’appareil d’État, même au-delà de la sphère péroniste et qui savent traditionnellement trouver des accords, des appuis et des compromis pas trop défavorables à leurs intérêts auprès de la fraction « nationale » du patronat argentin.

En choisissant une date aussi éloignée, la bureaucratie CGT s’est donnée le temps de négocier, en priorité ce qui lui importe le plus ; ses finances, c’est-à-dire la récolte et la gestion des fonds du syndicat pouvant être affectés par le DNU et la loi « omnibus ». Ces fonds sont drainés par deux mécanismes menacés : le contrôle que les syndicats de branche de la CGT exercent sur les régimes d’assurance maladie, et l’article 73 du DNU qui mettrait fin à la récolte automatique des « cotisations de solidarité » que doivent verser les non-membres du syndicat, mesure instaurée dans les années 1990 par le gouvernement d’alors pour compenser les pertes d’adhésion. Inscrits dans les conventions collectives, ces cotisations obligatoires de non-membres sont prélevées par l’employeur et reversées au syndicat. Ces questions du financement des syndicats sont au centre des discussions qui ont déjà commencé entre la bureaucratie de la CGT et le gouvernement  [3]. Elles font partie de la « bataille » qui s’annonce entre ces deux instances.
C’est pour cela aussi que les mouvements et mobilisations ont tout à gagner à se mettre à distance d’intérêts qui ne les concernent pas, à s’autonomiser et à définir leurs propres objectifs.

La recherche des voies d’une mobilisation...

S’il y a urgence, ce n’est donc pas seulement dans l’objectif de mieux mobiliser pour le 24 janvier et réaliser ce jour-là une « belle démonstration de force », aux lendemains incertains, mais parce que ce DNU et d’autres mesures comme le protocole répressif « anti-piquetes » sont déjà en application et ont des effets très concrets, très matériels et pas idéologiques, sur les conditions de vie du plus grand nombre. S’il y a urgence, c’est parce que les patrons de l’industrie, des services et du commerce, les propriétaires bailleurs de logements, se sont précipités pour le mettre en œuvre immédiatement (dès le 29 décembre) et que des mesures comme les hausses de prix deviennent des réalités quasiment irréversibles...

On entend et on lit ici ou là que les Argentins sont épuisés, déprimés par la succession de crises que vit le pays depuis les années 1990… Il est certain que les milieux militants, organisés, les mouvements de chômeurs, les collectifs de lutte insérés dans les conflit sociaux, de classe… ont perdu beaucoup de force et de vitalité au fil des ans, que nombre d’entre eux se sont convertis dans la gestion d’une clientèle, et ont gagné des postes dans les processus de cooptation qu’a su mettre en place le kirchnérisme au cours des douze années où il a gouverné le pays [4]. Il est tout aussi certain que les courants les moins institutionnels, les plus basistes et assembléistes de ces mouvements n’ont pas su ou pu maintenir les espaces politiques et terrains de conflits qu’ils avaient occupé au tournant du siècle, lors la grande vague ascendante de contestation et de soulèvements dont ils ont été les acteurs et les moteurs, du milieu des années 1990 jusqu’en 2003. Une date où, après les premières mesures répressives de l’exécutif d’alors contre la frange la plus combative des piqueteros, le kirchnérisme s’est présenté et est apparu comme le débouché politique naturel de ce cycle de luttes et de son épuisement… Beaucoup de ces mouvements se sont alors fractionnés, ont disparu ou sont devenus l’ombre d’eux-mêmes, et nombres de militants se sont éloignés ou mis en retrait. Comme souvent, le « débouché politique » a correspondu à un moment de reflux de l’antagonisme ; il a marqué la fin d’un cycle et l’ouverture d’une nouvelle séquence.

Quoi qu’il en soit de l’état objectif des forces organisées aujourd’hui et des expressions plus subjectives qui émergent dans le nouveau cycle de lutte initié par les mesures libertariennes de Milei et de son équipe, ce sera encore et toujours l’état de révolte et les capacités de la traduire en conflits, en mobilisations, en initiatives qui harcèlent, déstabilisent et ridiculisent l’adversaire, le placent sur la défensive, et qui fabriquent de la confiance parmi ceux et celles qui interrompent le cours « normal »de leur vie, se mettent en mouvement dans un affrontement avec un État qui leur a déclaré la guerre. Ce sont ces données-là, quantitatives et qualitatives, qui déterminent et définissent une partie du rapport de forces.

Autre point à avoir en tête, si la situation n’est plus celle des années 2000, ce n’est pas non plus le désert absolu. Les mobilisations de chômeurs ont repris en 2022 et toute la dernière décennie a été marquée par la montée de la contestation sur deux thématiques principales : les violences de genre (et en particulier les féminicides) par un vigoureux mouvement des femmes qui n’hésite pas à envahir les rues et à appeler à la grève féministe, et des dizaines de conflits sur les questions environnementales, en particulier contre les méga-projets d’extraction minière.

… et d’un rapport de force à construire

Mais il y a aussi le camp d’en face. A côté de ce qui apparaît comme le rouleau compresseur d’une politique de la « tronçonneuse », il y a aussi une part de mise en scène, beaucoup d’improvisation et d’amateurisme. Ce n’est bien sûr par là-dessus que doit porter le conflit et la bataille pour le rejet de toute cette politique, mais ces éléments en sont un facteur. Ainsi, en quelque jours, le gouvernement et Milei lui-même ont multiplié les maladresses, en traitant les parlementaires de « chercheurs de pots-de-vin », en disant que leur avis ne compte pas, en mettant dans ses textes de loi et de décret des incohérences, des répétitions, et même des erreurs. Comme si la fébrilité et la précipitation avait commandé la rédaction de ces textes. Le DNU et la loi « omnibus » apparaissent à bien des égards comme des manifestes idéologiques qui auraient compilé et additionné dans un seul gros volume la totalité des revendications et thématiques des droites argentines des 100 dernières années, du libéralisme centriste le plus modéré à l’extrême-droite dure pro-putchiste en passant par les invraisemblances libertariennes actuelles.
Sur le papier, la réussite d’une telle synthèse peut faire rêver le camp des capitalistes en quête d’une hégémonie culturelle au service d’un ordre social et d’un régime politique garantissant « à la perfection » la maximisation des profits et la marchandisation à marche forcée de la totalité de l’existant. Dans la mise en œuvre d’une politique, c’est-à-dire le passage de l’idéologie à la pratique, il en va autrement. Le problème est que tout raisonnement élémentaire en matière de lutte politique conseille aux gouvernements en général de ne pas combattre en même temps toutes leurs futures victimes, ou si l’on veut, tous leurs obstacles et tous leurs ennemis. Et c’est peut-être ce qui est en train de se passer.

Sans parler des incohérences grossières en matière diplomatique et économique : lorsque Milei déclarait quelques jours avant son élection qu’il allait rompre toute relation avec des pays « communistes » et « d’assassins » comme la Chine, alors même qu’elle est son principal partenaire économique (achat de soja, de viande de bœuf… et investissements dans l’extraction minière comme le lithium et d’autres projets d’infrastructures), et alors même que le gouvernement précédent a signé des accords commerciaux avec le géant asiatique (notamment pour un centre de recherche spatiale en Patagonie) et surtout financiers : un accord crucial pour l’Argentine d’échanges (swap) de devises (de 6,5 milliards de dollars) lui permettant de financer (à crédit en fait) le règlement des échéances de sa dette auprès du FMI et éviter ainsi le défaut de paiement. Cela ressemble à une sorte de cavalerie : emprunter à la Chine pour payer ses dettes à Washington… Alors que la Chine menaçait de geler l’accord après les déclaration de Milei et la dévaluation du peso, le gouvernement de Buenos Aires a immédiatement renoué avec Pékin en lui assurant sa totale loyauté à l’égard des accords passés.

Sur le plan intérieur, Milei n’aura bénéficié d’aucun « état de grâce » après sa prise du pouvoir et le Financial Times l’a bien compris dès la veille, le 9 décembre, en écrivant que le nouveau président « fait face à la plus brève des lunes de miel ». Ses soutiens se font discrets, la plupart contestent la « forme » du DNU et le régime d’exception que l’exécutif cherche à leur imposer, beaucoup veulent discuter des articles pour les amender, certains comme le groupe des députés de l’UCR (Union Civique Radicale, de droite) ont même choisi de rester « silencieux » ! Comme soutien, on fait mieux.

L’autre donnée encourageante a été la rapidité de réaction, la spontanéité et la relative massivité des premières mobilisations populaires, des 20 et 27 décembre qui ont défié le protocole répressif et contraint la CGT à ne pas tergiverser, à sortir de sa longue léthargie et à appeler à une journée de grève. Tout dépendra donc de ce qui se passera dans la rue, dans les initiatives qui seront prises au cours des premières semaines de janvier.

Malgré tous les efforts démobilisateurs de la CGT pour le rassemblement du 27 décembre devant les tribunaux, la massivité de la manifestation en nombre et en diversité a dépassé toutes les attentes. Pour avoir quelque chances de gagner, il faudra aller au-delà de cette situation de conflictualité très encadrée, il faudra sortir de l’enferment dans le cercle de cette dialectique qui voit une brochette de bureaucrates syndicaux, appelé là-bas « los Gordos » (« les Gros ») utiliser les travailleurs pour se légitimer et conserver leurs positions de pouvoir et, en retour, les travailleurs utiliser ces appels à manifester, lancés à contrecœur par la direction syndicale, comme les seuls espaces disponibles leur permettant d’exprimer leur révolte et leur refus de ces politiques d’État dévastatrices pour eux, pour les conditions de vie (sociales au sens large et environnementales) des catégories ouvrières et populaires, que ces dernières soient devenues excédentaires pour les besoins du capital ou encore et toujours nécessaires car destinées à davantage d’exploitation.

Appel de la Coordination pour le Changement Social
Renforcer la grève générale par la mobilisation pour renverser le DNU et le paquet de mesures contre le peuple.

28 décembre 2023

Depuis un peu plus de deux semaines, le gouvernement d’ultra-droite de Milei tente de balayer tous les acquis sociaux et dans son escalade vise tous les secteurs de manière égale. Lorsque nous disions qu’ils s’attaquaient pour tout, ce n’était pas un discours exagéré, mais un constat de la réalité. Le DNU d’une part, et le projet de loi "omnibus" envoyé au Congrès d’autre part, témoignent du fait que Milei a besoin d’activer ces outils à grande vitesse pour tenter de refonder "un nouveau pays", ostensiblement tourné vers l’ultra-droite. En réalité, il s’agit d’une dictature institutionnelle non moins nocive que celles accompagnées par les fusils des militaires.
Mais il est vrai aussi que notre peuple n’est pas endormi et a rapidement mobilisé ses anticorps. Ainsi en un peu plus de deux semaines, il y a déjà eu deux grandes mobilisations de masse, les 20 et 27 décembre, défiant tout l’appareil répressif de Bullrich, et contournant un protocole répressif digne des années de plomb. Mais ce n’est pas tout, les casseroles ont commencé à appeler à la mobilisation contre le mauvais gouvernement et se multiplient dans tous les coins du pays. Face à cette détermination populaire et au mot d’ordre qui a émergé d’en bas, appelant à la grève générale, la direction de la CGT a été contrainte d’appeler à une grève nationale avec mobilisation le 24 janvier.
D’autre part, diverses déclarations de la clique au pouvoir laissent entrevoir qu’elle n’est pas totalement unanime, qu’elle commence à se contredire et à faire marche arrière sur certains aspects. C’est clairement le résultat de la pression que notre peuple exerce dans les rues et cela nous encourage à réaffirmer notre ligne de combat dans ce domaine et dans tous ceux qui sont nécessaires pour faire plier ceux qui pensaient nous intimider.
Nous savons toutes et tous que si nous renversons le DNU le plus rapidement possible, non seulement nous aurons affaiblis considérablement le gouvernement néo-fasciste, mais que nous nous protégerons également en tant que pays.
C’est pourquoi, au nom du Comité de Coordination pour le Changement Social, nous appelons à RENFORCER LA GRÈVE NATIONALE ACTIVE du 24 janvier, et à partir de maintenant, nous travaillerons sur les modaliés de lutte dans nos quartiers et dans tous les lieux où nous développons notre activité militante. 
Le 24 janvier, nous serons des centaines de milliers dans les rues du pays pour leur dire en face que NO PASARÁN
Seul le peuple sauvera le peuple.

COORDINATION POUR LE CHANGEMENT SOCIAL
FOL (FRENTE DE ORGANIZACIONES EN LUCHA) – MOVIMIENTO DE LOS PUEBLOS (FRENTE POPULAR DARÍO SANTILLÁN CORRIENTE PLURINACIONAL ; MULCS MOVIMIENTO POR LA UNIDAD LATINOAMERICANA Y EL CAMBIO SOCIAL ; MOVIMIENTO 8 DE ABRIL) – FAR Y COPA EN MARABUNTA – FOB AUTÓNOMA (FEDERACIÓN DE ORGANIZACIONES DE BASE, AUTÓNOMA) – OLP RESISTIR Y LUCHAR – MOVIMIENTO JUANA AZURDUY – ARRIBA LXS QUE LUCHAN

En outre la dévaluation récente du peso de 54 %, faisant passer sa valeur de 380 à 800 pour un dollar, ne garantit pas une stabilisation de son cours et de nouvelles dépréciations ne sont pas à exclure.
A ce jour, une trentaine de recours ont été déposés devant les tribunaux fédéraux. La Cour Suprême quant à elle ne prendra pas de décision avant février, sans doute au mois de mars 2024.

29 décembre 2023
Ce n’est qu’un début ! D’autres lois arrivent !

Alors que le méga-décret DNU entre en application ce jour et que l’exécutif à envoyé le projet de loi « omnibus » au Parlement il y a deux jours, le conseiller présidentiel Federico Sturzenegger a fait savoir ce vendredi à l’agence Bloomberg que le gouvernement enverrait la semaine prochaine au Congrès national un troisième projet de loi envisageant l’élimination de 160 réglementations « absurdes » qui, avec les mesures déjà prises, « cherchent à transformer radicalement la nation sud-américaine ». Pour ce conseiller de Javier Milei, docteur en économie au MIT, idéologue et principal rédacteur du DNU et des volets économiques de la loi « omnibus », « le projet de réforme a une dimension plus profonde que les réformes elles-mêmes ; C’est comme une reconfiguration de la structure du pouvoir économique en Argentine », ajoutant que les mesures déjà prises ne représentent que « 40 % des changements souhaités » par Milei [5]
Par ailleurs, d’autres projets de lois sont dans les tuyaux, notamment une réforme de la loi sur la sécurité intérieure, la défense nationale et le renseignement, ainsi que la modification du système pénitentiaire, du code pénal et de procédure pénale.

30 décembre
Haro sur les plans Potenciar Trabajo

Ces plans « d’inclusion socio-productive et de développement local » d’après leur définition officielle, que l’on peut traduite par « Favoriser le Travail », fonctionnent comme un système d’allocation pour le retour à l’emploi, soit par des aides à l’éducation et à la formation professionnelle, soit en échange de prestations, de travaux (4 heures par jour maximum) effectués dans un cadre local, communautaire, dans des secteurs non-marchands ou des segments du marché peu compétitifs... Le montant de l’allocation mensuelle correspond à la moitié du salaire minimum. Ce programme, et ceux qui l’ont précédés, vise aussi à légaliser une partie du travail informel, celui généré lors de la grande crise des années 2000 par des initiatives de type économie populaire, communautaire, sociale en formalisant et enregistrant des entreprises, en officialisant leur existence.

Ces plans sont dans le viseur du pouvoir. Il y a actuellement un peu plus de 1,2 millions de bénéficiaires. Le gouvernement réclame un audit rapide pour en liquider une bonne partie. Il a déjà décrété au doigt mouillé qu’il y en avait au moins 160 000 de trop, perçus par des fraudeurs, et qu’il allait falloir mener des enquêtes approfondies pour trouver les coupables, leur supprimer les allocations et le cas échéant les poursuivre devant les tribunaux… Pour le porte-parole présidentiel, ces 160 000 titulaires ont reçu l’indemnité Potenciar Trabajo « de manière illégitime parce qu’ils avaient été détectés avec une consommation qui n’était pas compatible avec le fait d’être bénéficiaires de ces plans ».

La surveillance de l’Internet, le recueil des données concernant les achats de billets d’avion ou de trains, le croisement des quelques informations sur la famille et l’environnement relationnel avec des dénonciations anonymes largement encouragées permettrait de confondre les faux chômeurs ou d’en inventer, ces faux pauvres vivant intolérablement au-dessus de leurs moyens…
Pour l’instant, leur montant est gelé… et quasiment donc divisés par deux en moins d’un mois du fait de l’inflation (estimée ce mois à 30%), du doublement des tarifs des transports et de l’énergie et de la hausse de la taxe sur les importations (qui passe de 7,5 à 17,5 %), augmentant ainsi le prix de nombreux produits courants et qui sont loin d’être tous de luxe.

Dans un deuxième temps, qui peut venir très tôt à la vitesse actuelle, il est question de « repartir à zéro », d’enquêter sur chaque bénéficiaire, d’éliminer les irrégularités et les personnes inéligibles et de reprendre en main la totalité de la gestion de ces allocations. Car c’est aussi les gestionnaires locaux des plans qui sont visés.

Ce que les libéraux veulent abattre, c’est la gestion de ce régime qui n’est pas entre les mains de l’État, mais… privatisée. L’accès à ses prestations n’est en effet pas direct, puisque les personnes intéressées ne peuvent pas s’adresser individuellement aux services de l’État qui effectuent directement le paiement aux bénéficiaires. L’adhésion au plan Potenciar Trabajo n’est possible que si la personne se lie à une entité en charge de l’appliquer, c’est-à-dire à des groupes de piqueteros ou à des organismes sociaux, souvent dépendants des partis politiques, des municipalités. Bien que l’État paie l’allocation, il n’a pas le contrôle sur la réalité du travail effectué ni sur les critères d’éligibilité des bénéficiaires, avec cette grave question : font-ils bien leurs heures ? Ce travail est-il bien réel ? Et aussi : en ont-ils vraiment besoin ? Poser ces questions soupçonneuses, c’est déjà y répondre : corruption, escroquerie, détournement de fonds publics, fraude sociale…

Les plans Potencia Trabajo sont l’héritage des politiques sociales du kirchnérisme et le résultat lointain d’une décennie de luttes acharnées, menées par les couches les plus déshéritées du prolétariat, par ceux et celles qui ont le moins de possibilité de se défendre, par ceux qui se sont nommés piqueteros en référence et en hommage aux piquets des grèves qu’ils ne pouvaient pas mener, et qui ont combattu à coup de barrages de routes, de marches sur les capitales provinciales, d’affrontements avec les forces de répression, de campements de fortune sauvages dans le centre des villes, d’occupations de terrains et leur transformation en potagers collectifs et en lieux d’organisation, et qui ont su inventer des nouvelles formes d’entraide, d’auto-éducation populaire et de solidarité, des noyaux de contre-société en rébellion…. C’est tout cela que le nouveau régime veut abattre et effacer.

En attendant le grand coup de balai annoncé, le gouvernement a été très fier d’annoncer ce 29 décembre l’annulation de 4 588 plans, détectés dans 14 provinces (sur un total de 23 + la Ville de Buenos Aires), au motif que leurs bénéficiaires auraient déjà des emplois de fonctionnaires…

J.F. / le 31 décembre 2023
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chronique argentine n°2
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Notes

[1“Mayor protección legal a policías y ampliación del concepto de la legítima defensa : qué propone el proyecto de ley en seguridad”, La Nación, 27 décembre 2023 

[2Sin límites para el saqueo : ataque al corazón de la legislación de protección ambiental argentina” (Pas de limites au pillage : une attaque au cœur de la législation argentine sur la protection de l’environnement" 

[3“Cómo es la jugada secreta del Gobierno para debilitar el primer paro general de la CGT contra Milei”, infobae, 31 décembre 2023 Comment va se jouer la manœuvre secrète du gouvernement pour affaiblir la première grève générale de la CGT contre Milei ?

[4(Le kirchnérisme est un courant politique argentin de centre-gauche majoritairement issus du péronisme, qui est apparu véritablement en 2003, avec l’arrivée au pouvoir de Néstor Kirchner (jusqu’en 2007) puis de son épouse Cristina Fernández de Kirchner, entre 2007 et 2015.

[5“ Architect of Argentina’s Reforms Says He Isn’t Even Halfway Done”, bloomberg.com, 29-12-2023 .

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