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Editorial CA 210

Commedianti / tragedia

mai 2011

jeudi 19 mai 2011, par Courant Alternatif


Les deux acteurs vedettes de la politique qui illustrent notre première page sont vraiment des comédiens dans le sens le plus péjoratif du terme. C’est bien dans ce sens que le pape Pie VII avait murmuré après avoir sous la contrainte sacré Napoléon 1er : « Commediante, tragediante ». (Si on se met à citer les papes dans Courant Alternatif, où va-t-on ?) Les duettistes d’aujourd’hui sont aussi sinistres que le petit caporal qui s’est voulu maître du monde.
Ils viennent de nous jouer une triste comédie au sujet de l’Europe de Schengen et des réfugiés. L’italien, feignant de s’apitoyer sur le sort des pauvres réfugiés d’Afrique du Nord, leur a accordé des visas « Schengen » en leur recommandant d’aller bien vite s’installer chez ses voisins et en leur fournissant même un billet de train. L’autre roquet, ne voulant pas faire de peine à l’extrême droite ni contredire son fidèle Guéant qui venait d’annoncer qu’il fallait réduire l’immigration légale a voulu bloquer à la frontière ces immigrants « légaux ».
Ils se sont fait taper sur les doigts par la mère Europe, l’un pour avoir distribué à la légère des visas à des gens qui ne font que passer et les avoir laissé entrer, l’autre pour ne pas avoir respecté la lettre de la convention de Schengen. En effet l’article 2.2 de la dite convention autorise bien un État à suspendre la convention de Schengen pour rétablir de façon temporaire un contrôle des personnes à ses frontières ou dans certaines régions du pays, mais pour des raisons d’ordre public ou de sécurité, voire de santé publique.
Comme toujours, la notion d’ordre public est d’un flou bien commode. Cela a été utilisé à de multiples reprises, lors de sommets du G8 ou lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg en 2009, mais aussi par l’Allemagne lors de la Coupe du monde de football de 2006, afin d’interdire l’entrée sur le territoire de présumés hooligans suivant des listes préétablies par les services de police.
Cependant les accords prévoient que toute mesure de restriction de déplacement prise pour ces raisons d’ordre, de sécurité ou de santé publique doit être conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, obéir au principe de proportionnalité, et être motivée par une menace réelle et suffisamment grave touchant un intérêt fondamental du pays. Ces restrictions ne peuvent concerner que des individus, et non des groupes d’individus. La nationalité ou l’origine du voyageur, travailleur ou migrant, ou son lieu d’entrée dans l’espace de Schengen ne peuvent pas constituer une raison suffisante pour lui interdire un déplacement.
Bref, en bloquant les trains de migrants, Sarkozy a bien dépassé les bornes fixées par le droit européen. Mais au delà du droit formel, ce que nous avons à défendre c’est plus généralement le principe de la liberté de circulation et d’installation de toute personne, quelques soient ses motivations. Les réfugiés et migrants venus d’Afrique du Nord ou de plus loin sont d’abord les victimes des déséquilibres du monde, de la misère ou des guerres. Ils ont comme nous le droit d’espérer une vie meilleure sur le plan de la sécurité physique, de la santé, de la nourriture et de la liberté de s’exprimer.
Lorsqu’ils arrivent en Europe qu’est-ce qu’ils trouvent comme accueil ? Ils sont les enjeux de négociations nauséabondes de politiciens réacs qui cherchent à récupérer l’électorat d’extrême droite, et ce faisant ne contribuent qu’à renforcer les sentiments xénophobes et conforter les nostalgiques des pires dictatures du 20 siècle. Après leur feinte dispute, Sarkozy et Berlusconi se sont réconciliés le week-end de pâques pour convenir qu’il fallait réformer les accord de Schengen, évidemment dans un sens plus restrictif au niveau de la libre circulation des personnes. Aujourd’hui on assiste à une vague de rafles contre ces réfugiés démunis.
Au moment où de nombreuses populations se révoltent, non seulement dans les pays « arabes », mais aussi en Afrique noire (Burkina Faso) ou en Amérique (Amazonie), nous ne pouvons nous contenter de leur dire de continuer à améliorer leur sort dans leur pays (même si c’est ce qu’ils souhaitent pour la plupart). Il faut reconnaître que si nous avons, malgré « la crise » des conditions de vie encore assez confortables, c’est bien parce que le sort nous a fait naître dans les pays pillards des richesses du monde. Si certains veulent vivre ici, comme nous, au nom de quoi pourrait-on leur refuser ?
Nous savons depuis longtemps que le capitalisme exploite les travailleurs ici comme dans les pays les plus « pauvres ». Reconnaître l’autre comme un exploité au même titre que nous, même si cela prend des formes diverses devrait être une évidence pour tout révolutionnaire. Aujourd’hui cette conscience de classe est bien affaiblie dans nos pays où toutes les misères du monde sont vécues comme des tragédies, des fatalités auxquelles on ne peut qu’apporter compassion et aide financière. Même si les difficultés économiques ralentissent un peu les dons aux associations, ce business humanitaire marche bien.
La fatalité comme cause des tragédies, ça marche très bien dans les média pour mettre la larme à l’œil des téléspectateurs ou vendre du papier. Le Japon en est un bel exemple : ce malheureux pays est situé dans une zone sismique et en plus il n’a ni pétrole ni gaz, et a donc fatalement besoin de l’énergie nucléaire. La catastrophe est rarement envisagée comme la conséquence d’un choix économique dangereux et de la volonté de maximiser les profits en limitant les coûts. Et par conséquent chez nous avec les meilleurs techniciens du nucléaire du monde et pas de risque sismique important, il n’y aura jamais de tragédie. Évidemment cela est faux : EDF comme TEPCO fait appel à des sous-traitants mal formés ; les risques naturels existent pour nos centrales, les problèmes des déchets et du démantèlement des centrales vieillissantes ne sont pas réglés et surtout nous n’aurions pas besoin du nucléaire si cela ne nous avait pas été imposé comme modèle de développement.
Par contre, se limiter à demander « le droit de choisir » comme le font certains prétendus antinucléaires, proposer le droit de prendre dans quelque temps une décision pour un arrêt à une date indéterminée, c’est bien laisser toutes ses chances au système nucléocrate de continuer. Il est nécessaire aujourd’hui d’élargir la mobilisation mais sur des bases claires : pour l’arrêt immédiat du nucléaire. Est-ce que les révoltés des pays arabes ont demandé à leurs dictateurs la possibilité d’organiser un référendum afin qu’ils sachent si leur peuple avait envie, pour plus tard, de réformes démocratiques ?
Certains nous diront bien que la situation n’est pas pareille, que nous sommes en démocratie... D’abord les élections n’ont pas souvent à voir avec la démocratie pour des raisons de pressions et de fraude (Ben Ali était très bien élu...), mais s’il s’agit de glisser un papier dans une urne pour tous les cinq ans choisir son maître, pour nous cela n’a rien à voir non plus. Pour nous, c’est dans les mouvements sociaux, dans les révoltes, dans les luttes et dans les discussions collectives que peuvent se former des moments de réflexion démocratique.
Les personnes qui agissent collectivement pour changer leur vie, quels que soient les tâtonnement et les erreurs, ne subissent plus les tragédies ; ils essayent de changer véritablement le monde et d’être acteurs de leur propre vie. Rien à voir avec les histrions qui nous gouvernent, rouages du système capitaliste, reproducteurs d’un ordre inhumain. Alors, même englués par des années de résignation, essayons, nous aussi, de retrouver des réflexes d’échanges, de solidarités et de révoltes...
Limoges, le 28 avril 2011

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2 Messages

  • Le duo Berlusconi/Sarkozy est loin d’être seul en lice dans l’inhospitalité. À Paris, Delanoë à fait intervenir la police contre des migrants Tunisiens qui occupaient depuis le 1er mai un immeuble municipal avenue Simon Bolivar, ce qui a entraîné une centaine d’arrestations...

    Cette rafle socialiste n’a pourtant pas réussi à détruire le processus d’auto-organisation en cours. Le samedi 7 mai, c’est un gymnase qui était occcupé et une banderole "ni police, ni charité, un lieu pour s’organiser et des papiers pour tous" déployée. Pour l’heure une négociation est en cours avec la Ville (vous trouverez les textes des Tunisiens, etc. à l’url ci-dessus) .

    Que les lecteurs de ce site qui le peuvent n’hésitent pas à passer au 100 rue de la fontaine au roi. Ces jeunes gars sont courageux et c’est un bel antidote contre la résignation qui mine ici les anciens français et les autres (c’est au métro Couronnes, à côté de Belleville) que de les fréquenter.

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  • Commedianti / tragedia

    26 mai 2011 15:12

    est ce que la nouvelle forme de CA fait qu’on aura plus que des couvertures photo noir et blanc avec de l’écriture rouge et noire ?
    Il y avait eu de belles couvertures avec de la couleur dans l’ancienne forme

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