samedi 10 novembre 2007, par
Classé dernier sur l’échelle du développement humain établie par les Nations unies, le Niger est un pays pauvre… ou presque. Selon les indices de mesure, il est le troisième ou le cinquième producteur mondial d’uranium. Sur le marché mondial, la livre d’uranium est passée de 10 $ en 2002 à 135 $ aujourd’hui dans certaines transactions. Le nord du Niger, d’où est extrait le yellow cake, est peuplé de populations nomades, principalement les Touaregs. Population minoritaire dans le pays, ceux-ci sont les “ oubliés ” et les “ sacrifiés ” des politiques postcoloniales menées par les régimes de la capitale, Niamey, historiquement aux ordres de la France. Depuis février 2007, une rébellion armée touareg (Mouvement nigérien pour la justice (MNJ) a pris forme contre le gouvernement du Président Mamadou Tanja, un des régimes les plus corrompus que le Niger ait connus. Et comme peu de choses sont douces en ce moment dans ce pays, il connaît une famine sans précédent, avec près de 6 millions de personnes dans les centres de renutrition intensive mis en place par des ONG. Le prix du kilo de riz a même grimpé à 3 500 FCFA (5 euros).
Le Niger
Né du temps des indépendances, en 1960, l’Etat nigérien, autrefois colonie française, a été découpé territorialement par ses anciens maîtres, qui ont gardé la mainmise sur les mines d’uranium d’Arlit via la Cogema, devenue depuis quelques années Areva. Les frontières, notamment celles du Nord, ont été tracées en ligne droite. Les populations nomades (Touaregs, Peuls, Toubous) qui vivent historiquement de l’élevage pastorale et du commerce des caravanes, se sont alors trouvées déchirées entre plusieurs Etats. Les Touaregs ont ainsi été divisés entre le Mali, le Burkina, la Libye et le Niger. Au Niger, ils représentent environ 10 % de la population, ils et elles ont leur langue et leur écriture issues des cultures berbère et tamazight. Pour les populations noires du sud du pays (Haoussa, Djerma…), les Touaregs sont des “ Blancs ” dont les pratiques précoloniales, faites de razzias et d’esclavage, ont laissé des traces, même si aujourd’hui les enjeux sont bien plus contemporains que culturels. En 1990, un massacre d’environ 600 personnes perpétré par l’armée nigérienne à Tchintabaradene entraîne une rébellion armée touareg et toubou. Le putsch et la prise du pouvoir d’Ibrahim Baré Mainassara (IBM) en 1995 y mettent fin par la signature des accords d’Ouagadougou, qui garantissent entre autres aux populations de la région Nord une meilleure répartition des richesses, ainsi qu’une intégration des rebelles dans l’armée. IBM tente même de renégocier avec le “ grand frère français ” la part des bénéfices issue des mines d’uranium dans une période où les cours s’effondraient. Mauvaise idée : quelques jours plus tard (en avril 1999), après une entrevue houleuse avec Michel Roussin (1) à Paris, IBM est transformé en passoire sur le tarmac de l’aéroport par la mitrailleuse de l’un de ses gardes du corps (2). C’est qu’on ne renégocie pas comme cela les intérêts des “ idées de la France qui n’a pas de pétrole ”…
Les élections qui font suite à la grâce des putschistes (jurée la main sur le Coran par les principaux chefs de parti) amènent Mahamadou Tandja au pouvoir. Depuis, il ne l’a plus quitté.
L’année 2004 est une année de faible pluie. Mais ce n’est pas cela qui va apporter la famine : c’est la spéculation des importants négociants proches (très proches) du pouvoir, qui fait grimper les cours du mil et du riz ; ils remplissent les hangars et attendent que les prix montent. Dans le pays le plus pauvre du monde, les conséquences sont rapides et dramatiques. Pour subvenir aux besoins de base, de nombreux Nigériens et Nigériennes vendent leur bétail (moutons, chameaux, ânes…), ce qui a pour conséquence de faire chuter le prix de ce bétail ; autant dire que ce qui était un petit capital familial ne vaut dès lors presque plus rien. Des populations s’entassent dans les villes, puis dans les “ camps de la famine ”. Pendant ce temps-là, l’oligarchie au pouvoir ainsi que les siens mènent la grande vie, à peine cachée à la vue de la population nigérienne.
En juin dernier, les députés nigériens renversent le Premier ministre Hama Amadou, qui est mis en cause dans l’affaire MEBA : le détournement de plus de 1 milliard de FCFA (150 000 euros) du ministère de l’Education. Seini Oumarou dirige dès lors un gouvernement avec des ministres inchangés… y compris celui de l’Education nationale !
La rébellion
La situation au nord du Niger est dramatique et complètement bloquée. La ville principale, Agadez, est passée de 40 000 habitantes et habitants il y a dix ans à presque 70 000 aujourd’hui. Agadez est devenue une entrée pour les Africain-e-s vers l’Europe. En effet, elle ouvre sur le désert saharien qui, une fois traversé, permet de se trouver en Algérie ou en Libye, aux portes de la forteresse. Ainsi, à Agadez, de nombreux migrant-e-s s’entassent, cherchent quelques petits boulots afin de payer une ultime traversée.
Comme la ville et la région n’ont jamais connu d’investissements structurels (il n’y a aucune école supérieure, par exemple, dans le nord du Niger), les conditions sociales se sont vite dégradées.
Le 8 février dernier, la caserne d’Iférouane (au nord d’Agadez) est attaquée.
Le 13 mars, par un communiqué porté à la connaissance de l’opinion nigérienne et internationale, le Mouvement des Nigériens pour la justice revendique cette attaque et publie un programme (3) qui reprend les revendications historiques de la rébellion des années 90 (répartition des richesses avec le nord du Niger, intégration des Touaregs dans l’appareil d’Etat, Etat fédéraliste, multiplication des écoles nomades avec comme langue initiale le tamashek…).
Mais il réclame aussi la fin du régime de Tandja, fait de corruption, et formule une critique aussi bien sociale qu’environnementale de l’exploitation des mines d’uranium, en réclamant la transparence sur la pollution radioactive des puits et l’intégration des populations autochtones dans ce qui est le plus grand secteur privé du Niger (16 000 salariés). Le 20 avril, le MNJ attaque le détachement militaire qui était sur le site d’Imoraren où Areva était en train de construire sa troisième mine d’extraction. Le 22 avril, un détachement militaire est détruit et il ne reste aucun survivant. Le 23, Tandja recrute plusieurs centaines de mercenaires au Nigeria. Il achète aussi à Obassanjo, dirigeant militaire de ce pays, deux hélicop-tères et plusieurs tonnes d’armes.
L’argent provient de 23 permis de prospection qui viennent d’être délivrés par la présidence nigérienne, notamment à des entreprises chinoises, ce qui a le don d’irriter la France et Areva, qui avait le monopole de cette prospection depuis quarante ans. Le 5 juin, une partie du dispositif militaire français “ Epervier ” basé au Tchad (4) intervient sur le sol nigérien à la demande à la fois de Tandja et d’Areva. En effet, Areva avait créé pendant la rébellion des années 90 sa propre milice afin de garantir la “ sécurité ” des mines. Mais depuis le lancement de la rébellion en février, la FNIS (Force nationale d’intervention et de sécurité) est en proie à de nombreuses vagues de désertion, avec des transfuges participant à la rébellion. Le 16 juin, trois corps de civils âgés sont découverts, à peine enterrés. Le 22, le MNJ lance une grande offensive armée aux alentours de Teziragt pour répondre aux crimes dont elle accuse les FAN (Forces armés nigériennes) d’être responsables : 15 militaires sont tués et 72 faits prisonniers (30 seront laissés à la Croix-Rouge car grièvement blessés). Le 3 juillet, le gouvernement nigérien vide encore plus les caisses de l’Etat en achetant à l’Ukraine plusieurs hélicoptères MI-24 de fabrication russe afin de pilonner les bases de la rébellion.
L’uranium
La France était donc la seule à exploiter les mines d’Arlit. Ces mines ont représenté jusqu’à 75 % de l’approvisionnement civil et militaire de la “ consommation ” française. Mais au début des années 2000, les choses changent. L’Amérique de Bush accuse le Niger d’avoir livré de l’uranium à l’Irak de Saddam Hussein. Bien que complètement mensonger (5), cet épisode marque le battage de cartes et le début d’une nouvelle partie : les “ dégâts collatéraux ” de la non-participation française à l’Axe américain, en quelque sorte…
De nombreuses filiales canadiennes, australiennes, indiennes et surtout chinoises entrent alors dans le pré carré français. En 2006, la China Nuclear Engineering and Construction Corporation dé-croche le site de Teguindan Tessoumt. Avec des réserves estimées à plus de 12 000 tonnes, l’exploitation doit débuter en 2010. Le fils de Tandja devient le conseiller commercial de l’ambassade du Niger à Pékin.
En août 2007, la Chine avance 30 milliards de FCFA à Tandja afin d’exploiter rapidement les gisements uranifères de Tiguidan Tessimt. Autant dire que ce qui se cache aussi derrière la “ crise nigérienne ” est la bataille géopolitique que se livrent les grands consommateurs mondiaux d’énergie, et où la France, attaquée, se doit de réagir. C’est sous cet angle que nous devons également analyser les derniers événements franco-libyens (libération des infirmières bulgares et vente de centrale nucléaire à la Libye). C’est ainsi que Sarkozy déclarera le 31 juillet dernier que “ le Niger est un pays important pour nous, puisque c’est le principal producteur d’uranium militaire, d’où la présence d’Areva sur place ”. Alors que le gouvernement nigérien met fin officiellement au monopole français dans l’extraction d’uranium, Jean-Marie Bockel, fraîchement promu au secrétariat d’Etat à la Colonisation (oups, à la Coopération !), arrive à Niamey le 4 août, non pour abolir les privilèges mais pour enregistrer les modifications. Quelques jours plus tôt, la ministre des Affaires étrangères nigériennes, Aichatou Mindaoudou, et la présidente d’Areva, Anne Lauvergeon, ont signé à Paris la reconduction des accords d’exploitation des mines d’Arlit (Somaïr et Cominak), avec toutefois une hausse du prix de vente de l’uranium — qui passe de 273 300 FCFA (41 euros) le kilo à 40 000 FCFA (60 euros). Bockel a aussi négocié la levée de l’arrêté d’expulsion visant son vieil ami Dominique Pin (6), directeur d’Areva au Niger, qui était accusé par le pouvoir nigérien de collusions avec la rébellion…
Le Niger semble donc, malheureusement pour elle, être le terrain d’affrontements mondiaux pour la mainmise de ressources énergétiques. La diplomatie chinoise, consciente de sa force, de ses besoins et de ses marchés, est pressée d’acquérir au plus vite les ressources énergétiques soutenant sa colossale croissance industrielle – ici l’uranium et quelques puits de pétrole.
Mais c’est aussi le cas dans d’autres parties de l’Afrique, notamment au Darfour, où la crise humanitaire cache mal les enjeux énergétiques – ici la construction d’agrocarburants (nous le verrons dans un article de CA le mois prochain). Comme l’écrira le MNJ dans un de ses communiqués, “ la Chine n’a pas d’amis, juste des intérêts ”. Mais nous ne devons pas nous illusionner sur une bataille rangée “ nationale ” des enjeux capitalistes. Areva et la China Nuclear Engineering sont de solides associés, puisque c’est Areva qui construit une grande partie du parc nucléaire chinois en association avec… la China Nuclear Engineering.
Vendredi dernier, 26 octobre 2007, le MNJ a attaqué et détruit une garnison des FAN, tuant au moins 12 militaires – à la suite de la découverte du massacre de 7 personnes et 62 chameaux aux alentours du puits d’In’nazaoua. Pour se protéger des raids rebelles, l’armée sème ici et là de nombreuses mines antipersonnelles. Beaucoup de civils ont déjà été blessés ou tués de cette façon, ou par les nombreux hommes en armes. Dans cette région pastorale, les cicatrices saignent déjà.
OCL-Strasbourg, le 27 octobre 2007
(1) Michel Roussin a été l’ancien Monsieur Afrique du CNPF (ex-MEDEF), du RPR (ex-UMP) et de la Ville de Paris (ex-Chiraquie). Mis en examen et condamné après l’affaire des marchés truqués des lycées d’Ile-de-France, l’ancien “ gendarme de Chirac ” et ancien ministre de la Coopération du gouvernement Balladur est aujourd’hui vice-président du groupe Bolloré en Afrique.
(2) Cf. “ le putschiste IBM assassiné par le putschiste Wanké : la France compte ”, CA n° 90.
(3) m-n-j.blogspot.com
(4) C’est le même dispositif, présent au Tchad depuis 1986, qui bombarda en mars 2006 les rebelles du SCUD alors que ces derniers entraient dans la capitale tchadienne, N’Djamena, certainement pour renverser Idriss Deby, le Président tchadien grand ami de Paris.
(5) En octobre 2002, Colin Powel, pour justifier l’intervention américaine en Irak, parlera de plusieurs milliers de tonnes parties du Niger vers l’Irak (difficilement camouflable, vu la présence militaire française) par décision d’un ministre nigérien qui ne l’est plus depuis… 1987.
(6) Dominique Pin est un ancien de la “ cellule Afrique ” de Tonton Mitterrand.