samedi 10 novembre 2007, par
C’est le 18 septembre que le Président Sarkozy a annoncé les mesures contenues dans son “ nouveau contrat social ”. On y a découvert sans grande surprise les demandes de la bourgeoisie libérale et les exigences du patronat. Fort de sa légitimité électorale, il s’y déclare inflexible “ sur les objectifs [comme] sur les principes ” tout en appelant les partenaires sociaux au dialogue.
Le nouveau
contrat social
de la bourgeoisie
Dans les transports et l’énergie, le gouvernement attaque les acquis des salariés par le démantèlement et la remise en cause des régimes spéciaux de retraite en proposant 40 ans de cotisations pour la fin de l’année, puis 41 pour 2008.. Une politique qui vise à tirer vers le bas plus longtemps, et surtout à moindre coût pour le patronat, l’âge légal du départ en retraite – repoussé à 60, 65 voire 67 ans en attendant pire.
Dans la santé, l’attaque gouvernementale se traduit par l’instauration d’une franchise médicale et d’une TVA sociale antidélocalisation (qui est pour le moment reportée). Cette mesure conduit à faire payer les coûts de la santé aux seuls salariés, assurés sociaux et malades : les riches n’ont pas à payer pour les pauvres, telle en est la philosophie. Et elle vient s’ajouter à la longue liste de prélèvements déjà faits sur le dos des assurés salariés et des malades (1).
Dans la fonction publique et l’enseignement, Sarkozy annonce aussi des suppressions de postes de fonctionnaires – ces nantis à la sécurité de l’emploi à vie. Plus de 25 000 annoncées d’ici à 2012, avec pour mode d’emploi : le non-remplacement d’un salarié sur deux partant à la retraite ou autrement...
Attaque aussi contre les chômeurs et demandeurs d’emploi. Loin de rénover et de proposer un service meilleur et plus efficace, la fusion ANPE-UNEDIC n’a pour objectif que d’accentuer le contrôle social de cette catégorie de prolétaires. D’accroître une répression plus efficace contre ceux ou celles qui refuseraient l’emploi proposé. On verra apparaître fin 2007 le RSA (revenu de solidarité active) qui liera le RMI à l’acceptation d’un “ travail social ”. Au programme, encore et toujours, le détricotage du code du travail et la déréglementation des 35 heures par l’augmentation des fameuses heures supplémentaires et le retour des négociations “ par accords ” entreprise par entreprise.
Contrairement à ce que prétend Sarkozy, en assénant dans les médias qui lui sont acquis qu’il n’y a pas de plan de rigueur à l’ordre du jour, ces différentes attaques contre les travailleurs (avec ou sans emploi) démontrent qu’ils devront se serrer la ceinture de plusieurs crans dans les années à venir. La croissance qu’il annonçait de façon incantatoire et volontariste à près de 3 % ne décolle pas des 1,5 %. Réalité qui conduit le patronat et la bourgeoisie à exiger de sa part des tours de vis supplémentaires dont les travailleurs font les frais. Quand Fillon déclare que “ l’Etat est en situation de faillite ”, il accompagne les propos du Président affirmant qu’il a été élu pour mettre en place des réformes profondes et que ces réformes auront lieu. Le pouvoir veut faire payer aux travailleurs la dette publique et la faillite qu’il a lui-même contribué à alourdir au fil des derniers gouvernements.
La revanche de décembre 1995
C’est au nom de l’équité et de la justice sociale que Sarkozy mène ces attaques. Populiste, démago et autoritaire, il corrigerait les injustices sociales ? Que les Français désireux de s’enrichir puissent travailler plus ! Pour ce faire, attaquons le code du travail et les 35 heures. Alors que chacun sait que les travailleurs ne décident jamais de leurs heures supplémentaires – voir le sort des nombreuses intérimaires et caissières d’hypermarché. Comme si le capitalisme était fondé sur l’enrichissement des travailleurs, et non sur leur exploitation collective et sans vergogne.
Au nom de l’injustice sociale, il casse le système de retraite spécial de quelques “ privilégiés ” : SNCF, RATP… que dénoncent avec zèle ses porte-voix médiatiques. Ces travailleurs bénéficiant d’acquis chèrement conquis sont montrés du doigt aux autres salariés, alors que ces derniers ne gagneront rien à la suppression des régimes spéciaux. Bien au contraire : une fois alignés sur le régime des fonctionnaires, c’est l’ensemble qui sera tiré vers le moindre coût, à savoir le régime général du privé.
Notre grand communicateur de Président, représentant avant tout du patronat, prétend ainsi être à l’écoute de l’ensemble des Français, et agir au nom de la solidarité, de l’intérêt collectif et pour la France. Derrière cette pseudo-justice sociale, cette prétendue solidarité nationale, ses mesures impliquent toujours plus de sacrifices pour les travailleurs. Précarité et misère pour la France d’en bas, mais cadeaux fiscaux de 15 milliards d’argent public et autres petits arrangements pour ses copains et coquins du patronat, à l’exemple d’EADS. N’oublions pas que Sarkozy veut “ une nation tout entière rassemblée derrière ses entreprises ”, comme il l’a déclaré à l’université d’été du MEDEF.
La droite libérale menée par lui prendra-t-elle sa revanche contre les travailleurs qui en décembre 1995, très nombreux dans la rue, avaient conduit Juppé, “ sûr de lui et droit dans ses bottes ”, à reculer puis prendre la porte de sortie gouvernementale ?
Ce n’est pas un hasard si l’offensive gouvernementale a d’abord porté en juillet sur la limitation du droit de grève dans les transports, ce secteur sensible de l’économie nationale où la combativité ouvrière reste forte. Attaque contre le droit de grève qui déjà montrait le peu d’empressement des dirigeants syndicaux à conduire la résistance malgré les mobilisations dans les secteurs concernés. Les confédérations tergiversaient et optaient pour le dialogue social, alors qu’une part importante des salariés et militants syndicaux étaient décidés à la mobilisation. Attentisme des confédérations qui accompagnent l’acquiescement du PS à toutes les réformes voulues par le patronat. Si Sarkozy se permet de proclamer : “ La majorité des Français est favorable à cette réforme ”, les leaders politiques et syndicaux l’approuvent dans leur ensemble. N’oublions pas que S. Royal portait sensiblement les mêmes projets dans son programme électoral. Voilà déjà plus de cent jours que Sarkozy dialogue avec le PS. Cette concertation découle de l’accord européen de Barcelone signé en mars 2002 pour la France par le Président Chirac et son Premier ministre Jospin – accord qui implique la disparition des régimes spéciaux de retraite afin de retarder de cinq ans l’âge moyen de la cessation d’activité pour 2010. Aujourd’hui, c’est E.Walls, aspirant au poste de premier secrétaire du PS, qui appelle “ au nom de l’équité ” à aligner les régimes spéciaux non sur celui des fonctionnaires mais directement sur le moins favorable : le régime général.
Du 18 septembre
Au 18 octobre
“ On ne bouge pas ”, disent en chœur les dirigeants confédérés. “ A condition de ne pas être mis devant le fait accompli ”, déclare B. Thibault de la CGT ; “ Que le gouvernement ne passe pas en force ”, ajoute F. Chérèque de la CFDT… car comment donner un coup de main à la bourgeoisie, freiner voire casser les luttes, si son représentant élu ne respecte même plus les règles d’un semblant de négociation entre partenaires sociaux et la mise en scène habituelle ? D’autant que les contacts médiatisés, comme au pavillon de “ La Lanterne ” à Versailles, ou plus discrets n’ont jamais cessé entre eux. Et quand Fillon assure : “ La réforme sur les régimes est prête. Elle n’attend plus que le signal du président de la République ”, les cris poussés par les dirigeants confédérés contre le gaffeur ne servent qu’à atténuer la vérité qu’il vient de mettre au grand jour. “ Il voulait déminer le terrain sans humilier personne. ” Leur colère ne traduit que l’embarras dans lequel il les a mis.
Les dirigeants syndicaux ne courent pas après le dialogue social. Ils le pratiquent au quotidien et en vivent bien. Ils savent que les dossiers qu’ils ont plus ou moins approuvés en coulisse sont prêts. La réforme sera sans doute appliquée progressivement en fonction de l’ancienneté des agents et n’entrera en vigueur que dans quelques années pour la totalité des mesures dites “ à négocier ”. Mais comment faire accepter ces mesures sans affronter l’hostilité des salariés et de la base syndicale, qui ne manquera pas de réagir plus ou moins violemment selon les centrales ? Leur vive réaction aux propos du ministre n’a servi qu’à masquer leur compromission avec la bourgeoisie et à tenter d’illusionner les salariés.
Après la confirmation de ses attaques et le maintien de ses mesures anti- sociales le 18 septembre, les 7 syndicats de la fonction publique se rencontraient le 1er octobre à Paris pour… se revoir le 26 afin… d’envisager une journée d’action vers la mi-novembre. Du fait de leurs divergences, ils restaient une fois encore l’“ arme au pied ” en tergiversant et sur la date d’une action commune et sur la définition des priorités de la riposte et des mots d’ordre. Il était question d’action sans grève et de grève sans action, alors que le mécontentement et la colère accumulés dans le monde du travail sont profonds.
Chez les premiers concernés, les cheminots, après les déclarations de Sarkozy le 18 septembre contre leur régime de retraite, l’unité pour une riposte semblait admise par l’ensemble des fédérations syndicales, à l’exception de l’UNSA et des conducteurs de la FGAAC. Mais cette unité volera très rapidement en éclat sur la question de la reconduction de cette journée (voir l’article suivant) ; le syndicat des conducteurs, après avoir profité de la mobilisation générale, se vendra au ministère, laissant Sud-rail et FO seuls face aux autres organisations représentatives (CGT, CFDT, CFTC, UNSA et CGC). Ces fédérations ne voulant pas de riposte immédiate, elles ne préconisent qu’une vague journée d’action vers la mi-novembre pour l’ensemble des fonctions publiques. La grève “ reconductible ” du 18 octobre a été pour elles l’occasion d’isoler Sud-rail et d’enrayer sa dynamique – même si elles ont applaudi le lendemain le succès de la grève pour faire oublier leurs sales manœuvres contre les salariés, qui souhaitaient une riposte à la hauteur des attaques subies.
Dans la CGT, la réaction contre l’attentisme des dirigeants est forte, mais les appels à la grève qui émanent des structures départementales ou de sections diverses restent au niveau des fédérations. Bon nombre d’unions étant prêtes à se mobiliser, la confédération se limitera à l’annonce d’“ une semaine d’explication et de mobilisation de tous les salariés du privé comme du public ” du 15 au 18 octobre. Et malgré les fortes pressions exercées par l’appareil contre sa base dans les unions locales voire départementales pour freiner les mobilisations, syndiqués et non syndiqués se refusaient à n’envisager qu’une vague mobilisation en novembre.
Il en sera de même dans l’éducation où, malgré les 11 000 suppressions de postes annoncées, l’UNSA et la CFDT reportaient la riposte à novembre. C’était sans compter avec le mécontentement des personnels enseignants. Le 3 octobre, les bureaucrates de la FSU se décident enfin à appeler à la grève du 18 octobre, “ dans l’attente d’une autre mobilisation en novembre ”. Aschieri et sa clique se joignent à la journée d’action non pour en préparer d’autres mais pour mieux attendre cette hypothétique journée.
Ces cliques syndicales portent avec elles l’attentisme et la démobilisation. Leur crainte de ne pouvoir empêcher les travailleurs, syndiqués ou non, de s’auto-organiser est grande, car l’impatience de ceux-ci est forte en ces temps incertains. Elles veulent éviter que d’autres secteurs du public rejoignent les cheminots. C’est ainsi que l’on a vu la fédération santé CGT appeler à aller à Paris le 10 soutenir le Dr Pelloux, le 13 contre les franchises médicales et pour le soutien aux victimes de l’amiante qui manifestaient ; sans doute espérait-elle semer ainsi la confusion chez les salariés en les détournant de la mobilisation du 18 octobre.
Nous savons bien que les dirigeants syndicaux ne prépareront pas la riposte à la hauteur des coups portés. Que leur attentisme comme leurs “ journées d’action ” ne servent qu’à distiller le poison de l’acceptation et de la résignation dans le monde du travail. N’oublions pas que ces mêmes dirigeants syndicaux avaient adopté le très libéral TCE (traité constitutionnel européen) sans état d’âme au sein de la CES (confédération européenne des syndicats), avant que Thibault ne soit désavoué par son conseil national et que tous ne se prennent une claque avec le “ Non ” majoritaire sorti des urnes.
Face à toutes ces attaques, la seule façon de riposter à la dégradation de nos conditions de travail est de se rassembler sur notre lieu de travail pour débattre, dans les sections syndicales ou plus largement dans des assemblées générales, et définir tous ensemble les moyens d’agir contre les mesures de Sarkozy et contre l’attitude des bonzes syndicaux. Cela permettra de convaincre le plus grand nombre de la nécessité de la lutte et des méfaits des bureaucraties ; d’imposer collectivement le rapport de forces permettant de repousser les attaques de la bourgeoisie… et aussi de gagner !
MZ,. OCL-Caen,
le 20/10/2007
(1) Voir CA n° 173, “ Franchise médicale ou cynisme sarkozyen ”.