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CA 311 juin 2021

Occupations encore ! Où en est-on ?

mardi 8 juin 2021, par Saint-Nazaire

Le mouvement d’occupation des théâtres contre la précarité et la réforme du chômage qui a commencé début mars est en train d’évoluer. Nous en avons décrit certains aspects, tout d’abord dans deux articles au démarrage de ce mouvement à Limoges et Lille (CA N°309, avril), puis début mai dans un article plus complet paru sur notre site Internet . Nous allons faire le point sur l’évolution de ce mouvement avec un petit dossier comprenant plusieurs articles.


Nous commencerons par un tour d’horizon de la situation avec les exemples de différents lieux ; cet article sera suivi de deux interviews de personnes engagées dans cette lutte à Lille et Poitiers et enfin d’un texte explicatif plus détaillé sur la réforme de l’assurance chômage.

Lors de la première réunion de coordination en présentiel à Villeurbanne, les 25 et 26 avril, il avait été décidé de maintenir les occupations le plus possible tant que les revendications ne seraient pas satisfaites et en particulier tant que la réforme de l’assurance chômage ne serait pas retirée. Ce qui est venu perturber cette décision, c’est le déconfinement partiel et le fait qu’à partir du 19 mai certains théâtres ont pu recommencer à accueillir du public. Les situations sont variables suivant les lieux : évacuation par les forces de l’ordre, départ sous la pression, départ pour occuper un nouveau lieu, maintien dans les lieux avec des modalités de fonctionnement ne perturbant pas trop la réouverture.

Théâtre Au Peuple

D’ailleurs le pouvoir (avec ses supplétifs locaux de différents bords) n’a pas attendu le 19 mai pour commencer les évacuations. Symbole de la collusion entre le pouvoir macronien et les élus locaux, après le Grand Théâtre de Bordeaux, l’un des premiers théâtres évacués (sans violence mais sous la pression des forces de l’ordre) a été le théâtre Liberté de Toulon, scène nationale mais propriété de la ville dirigée par le (encore à cette date) LR Falco.

En parallèle aux occupations, les confédérations et unions syndicales ont déposé cinq recours (individuels ou groupés) devant le Conseil d’Etat. Seule la CFTC a trouvé qu’il n’y avait pas matière à recours juridique (c’est-à-dire que leurs juristes sont incapables de relever dans le projet de loi les inégalités de traitement manifestes). Pour la plupart des personnes mobilisées par ce mouvement, ces recours ne doivent être qu’un complément aux autres actions.
Tant que la réforme de l’assurance chômage n’est pas annulée, la principale cause des mobilisations demeure inchangée mais de nombreux autres points ne sont pas acquis.
Sur le problème de la seconde année blanche pour les intermittent·es du spectacle, le gouvernement a cédé un peu en prolongeant jusqu’à fin décembre ; c’est insuffisant, car avec des jauges limitées et beaucoup de festivals qui restent annulés, beaucoup n’auront pas travaillé assez pour recharger leurs droits.
Sur le problème des droits aux indemnités sécu (pour les congés maternité ou longue maladie, le gouvernement a lâché partiellement, mais il reste de nombreuses personnes dont la situation n’est pas prise en compte.
Sur le problème de l’année blanche pour tou·tes les intermittent·es de l’emploi, le gouvernement reste campé sur son refus catégorique. Il en va de même pour les revendications des artistes auteurs·rices et plasticien·nes
Face à cela, les mobilisations continuent, en suivant plus ou moins le rythme décidé en coordination nationale et en adaptant les actions aux capacités de mobilisation locale ; en voici quelques exemples.

Limoges
Depuis la manifestation spectaculaire du 1er mai (voir l’enregistrement complet), le rythme des actions s’est ralenti. Nous avons participé à la vélorution pour le climat, à « Libérez la culture » (scène ouverte dans un parc un dimanche sur deux).
L’action principale s’est déroulée le 22 mai qui était une journée nationale. Au préalable nous avions effectué une réquisition de produits alimentaires et de première nécessité dans un supermarché. Ici nous avons choisi de faire, au milieu de la plus grande place de Limoges, un repas avec scène ouverte et en parallèle une distribution à prix libre (donc à partir de 0€) des produits réquisitionnés. Les résidentes du squat de l’avenue de la Révolution avaient préparé avec les produits fournis un couscous végétarien pour 100 personnes. Le repas devait être suivi d’un débat. Malheureusement, la pluie diluvienne n’a pas permis le succès et on a dû se confiner à 50 sous des barnums pour manger et échanger.
L’occupation se poursuit de façon intermittente (AG et autres réunions) en coordination avec le théâtre qui a repris ses activités. Le 19 nous avons pris le temps de refaire, avec les artistes plasticien·nes, une décoration de la façade et du hall de l’Union, qui restera au moins jusqu’à la fin de la saison (prolongée jusqu’à fin juillet).

ANGERS

Angers :
L’occupation du Quai (Centre dramatique national) continue selon des modalités semblables à celles de l’Union de Limoges. Les occupant·es sont partie prenante du Collectif angevin de convergence des luttes. Voici des extraits du communiqué du collectif d’occupant·es le 21 mai :
« Nous condamnons unanimement les pressions et les expulsions que subissent certains lieux et saluons les directeur.ice.s qui se sont positionné.e.s du côté de la lutte et du progrès social tel que c’est le cas ici au Centre dramatique national d’Angers. Occupant.e.s et salarié.e.s du Quai, envisagent collectivement une réouverture au public, sans empêcher que perdure notre lutte jusqu’à l’obtention de nos revendications. Cette durée, éprouvante pour chacun.e, dépend du gouvernement. En attendant, à Angers, nous restons là, sommes prêt.e.s à rencontrer le public qui sera de retour au Quai… »

Orléans :
Là aussi, l’occupation se poursuit en accord avec le théâtre, ce qui a permis l’accueil de la deuxième coordination nationale en présentiel les 23 et 24 mai. Par contre, les occupant·es ont été victimes d’une violente agression dans la nuit du 8 au 9 mai de la part de fascistes qui se sont introduits dans le théâtre. Il y a eu quatre blessé·es dont le vigile. Cela a entraîné une manifestation antifasciste de 400 personnes environ le mardi 11 et une mobilisation renforcée le samedi 15.

Toulouse :
Les occupant·es du théâtre de la Cité ont été expulsés le 12 mai après deux mois d’occupation. Ca ne les empêche pas de continuer les mobilisations, en particulier le 22 mai, en rappelant : « Il n’est pas question de spectacle, ni de Culture. Il est question de plus de 4 millions de travailleurs et travailleuses, qui sont emprisonné·es dans un marché de l’emploi fait de petits boulots, de saisons et autres CDD comme les caissières, agents de ménage, aides-soignantes, assistantes maternelles, serveurs, livreurs et autres « utiles » au confort commun de nos quotidiens. Ils et elles quasiment rendus invisibles, de par leur fonction technique dans ce monde hyperactif, nous sont apparus pourtant indispensables quand le confinement national a régné dès mars 2020. Nous les avons tous et toutes vus. Malgré les masques, malgré la distance, ils ont été et sont encore une cheville essentielle à notre subsistance. Ce sont elles et eux, les 4 millions de personnes que la réforme de l’assurance chômage s’engage à appauvrir encore plus à partir du 1er juillet 2021. Parce qu’une politique sociale obscène, inique et scandaleuse souhaite économiser 1 milliard d’euros par an sur leur dos. Oui, sur leur dos ! »

Reims :
L’évacuation de la Comédie de Reims a eu lieu le 12 mai après deux mois d’occupation, de nombreuses réunions et manifestations. Ce qui est intéressant, c’est le bilan positif qu’en ont tiré les occupant·es quelques jours après cette évacuation :
« Ces 2 mois d’occupation auront permis de créer un collectif de lutte, à l’intérieur duquel plusieurs collectifs ont pu voir le jour. Et même si l’occupation de la Comédie n’existe plus, nous resterons soudé-e-s et solidaires dans des projets qui ont vu le jour ici même. Nous n’occuperons plus la Comédie mais nous existerons ailleurs sous d’autres formes.
Une coordination intermittent-e-s et précaires pour la Champagne-Ardennes a été créé, rejoignant les 40 CIP qui, sur tout le territoire luttent depuis 2003 pour une réforme juste et solidaire de l’assurance chômage.
Les coordinations d’intermittents et précaires défendent l’intermittence au titre qu’elle est adaptée à la discontinuité de l’emploi, il ne s’agit ici en rien d’une lutte sectorielle pour la culture, mais bien de la défense de droits sociaux pour toutes et tous. Nous ne nous contenterons jamais que seuls 120 000 intermittents du spectacle aient des droits adaptés à leur pratique d’emploi discontinue lorsque plus de 2 millions de travailleurs précaires n’ont pas les mêmes droits. Nous défendons un modèle d’assurance chômage inconditionnel dans lequel les droits sont attachés à la personne, peu importe son âge et son parcours professionnel.
Un collectif d’artistes qui vise à promouvoir l’art partout dans Reims a vu le jour suite aux deux exposition artistiques et militantes qui ont eu lieu au sein de la Comédie.
Un groupe de parole féministe en non-mixité choisie a également été créé. Il a pour vocation de libérer la parole et de mettre en lumière les oppressions sexistes systémiques. Des conférences avec des penseuses continueront d’être organisées, afin de nourrir la réflexion sur les modes d’actions pour une émancipation et une auto-défense féministe. »

Marseille :
Le théâtre de la Criée est occupé depuis le 15 mars, mais à Marseille la mobilisation ne faiblit pas et est même beaucoup plus forte que dans d’autres villes. Alors que seul le hall était occupé, depuis le 1er mai c’est l’ensemble du théâtre qui l’est. En effet, ce n’est pas un simple cadenas qui pouvait empêcher plus de 500 personnes de tenir une assemblée des luttes. « En se réappropriant la grande salle de spectacle nous souhaitons que toutes les luttes et celleux qui les font trouvent à la Criée occupée un endroit pour partager leurs combats, que chacun.e puisse être acteur.ice d’une convergence des luttes populaires, contre toutes les formes d’oppression systémique, au sein d’un État aux lois de plus en plus liberticides. »
La directrice Macha Makeïeff, sur la même longueur d’onde que Braunschweig, directeur de l’Odéon, se moquant des problèmes sociaux, réclame la fin de l’occupation et la réouverture du théâtre. Les occupants ont rencontré le 3 mai l’adjoint à la culture de la ville de Marseille et au bout de plus trois heures de négociations ont obtenu :
• l’installation pérenne des occupant.e.s dans la grande salle du théâtre, en plus du hall.
• l’engagement que la police n’entrerait pas dans le bâtiment pour les déloger.
• un accès permanent aux douches, ce qui représente la dignité minimum.
• un engagement à repenser ensemble le fonctionnement des théâtres publics et les politiques culturelles
Depuis lors l’occupation et les manifestations continuent.

Départ de l’Odéon

Paris Odéon :
Point de départ de cette lutte, l’Odéon et ses occupants faisaient l’objet d’une attention spéciale des média. Pour cesser d’être accusés d’empêcher les théâtres de travailler, les occupant·es de l’Odéon ont quitté les lieux le dimanche 23 mai au petit matin en produisant le communiqué ci-contre. Iels ont le même jour occupé un autre lieu, le CentQuatre, vaste centre culturel du 19e arrondissement qui permettra d’organiser les prochaines manifestations.

AD Limoges
Le 26 mai 2021

Ce n'est qu'un au-revoir.

Si un jour M. Braunschweig (directeur de l’Odéon) reçoit un Molière, ce ne sera sûrement pas celui du courage politique.
Mais après tout, M. Braunschweig n’est pas notre véritable ennemi. Tant mieux. Aux échecs comme à la guerre, le pleutre est le pire adversaire.
Nous l’avons dit maintes fois, notre intention n’a jamais été d’empêcher la réouverture. Mais nous avons affirmé aussi que nous ne sortirions pas de l’occupation tant que nos revendications ne seraient pas satisfaites.
Nous refusons de porter la responsabilité de la fermeture de l’établissement et de l’annulation du spectacle.
Que la Macronie assume, elle, de rester sourde aux voix des précaires qui se battent pour pouvoir vivre de leur métier et de leurs droits sociaux ! La réouverture n’est pas la reprise du travail pour des millions de personnes, dont les intermittent·e·s du spectacle et de l’emploi.
Au milieu de ces irresponsables, il nous revient de faire tonner la raison.
C’est pourquoi nous décidons aujourd’hui de quitter l’Odéon.
Cette occupation aura permis de lancer un mouvement sans précédent à travers le pays. À ce jour, plus d’une centaine de lieux sont coordonnés. Notre socle commun de revendications est un cap à tenir pour continuer la lutte. Il nous appartient maintenant de la mener ailleurs qu’à l’Odéon.
Occupons nos lieux de travail pour s’organiser. Occupons les lieux de culture pour converger. Occupons tous les lieux où nos vies se décident pour se réapproprier notre avenir.
Occupons partout. Surtout là où on ne nous attend pas. Soyons surprenantes et créatifs !
Une chose est sûre, nous ne nous résignerons pas au silence. Nous continuerons à crier jusqu’à leur en faire péter les tympans !
Mesdames les Ministres Bachelot et Borne, tant que nous étions à l’Odéon, vous saviez où nous trouver. Maintenant que nous sommes sorti·e·s, attendez-vous à des surprises.
À bientôt !
Communiqué du 23 mai 2021.
Occupants du théâtre de l’Odéon

P.-S.

Ce texte est l’introduction du dossier de CA 311, qui comprend des bilans locaux à Lille, Poitiers, Limoges et un article complet sur les raisons du refus de la réforme de l’assurance chômage.
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1 Message

  • Occupations encore ! Où en est-on ?

    12 juin 2021 00:04, par g.

    Malheureusement la situation à Marseille est moins réjouissante que ce qui est décrit. Certes il y a eu 400 à 500 personnes pour une chouette AG post 1er Mai à La Criée mais la dynamique ne s’est en fait pas véritablement élargie. Les vendredis de la colère sont quasi rester lettre morte. Il n’y avait que 150 personnes à la manif du 22 mai (journée nationale contre la réforme de l’assurance chômage).
    Les occupant·e·s ont quitté la Criée il y a quelques jours après avoir réussi à bloquer la production pendant 1 mois (cas unique dans les occupations ?) et ouvert un squat pour les personnes sans logement qu’ils·elles hébergeaient. L’occupation du Merlan s’est elle aussi arrêtée mais les occupant·e·s continuent d’assurer des permanences sur place.
    Des actions sont envisagées dans les semaines à venir.

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