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CA 312 été 2021

CONTRE LES SABLIERS ET LES MARAICHERS INDUSTRIELS

SOULÈVEMENTS DE LA TERRE

samedi 25 septembre 2021, par Courant Alternatif

Du 19 au 21 juin dernier, l’acte 5 des Soulèvements de la terre (cf CA n°310) s’est déroulé à Saint-Colomban, 20 kms au sud de Nantes. Malgré une météo capricieuse, cette initiative a réuni avec succès dans la fête, les discussions et l’action, agriculteurs locaux, zadistes et activistes XR du climat. Cet acte 5 en appelle d’autres pour espérer l’emporter face à des géants du BTP et des maraîchers industriels.


UN FILON DE SABLE DE 400 ha

Si un matériau semble bien anodin pour l’avenir de l’économie capitaliste, c’est le sable, base du béton dont se goinfre toute métropole digne de ce nom pour croître et grossir sans fin (comme Nantes). Or, le Capitalocène est tellement glouton qu’il a raréfié les stocks de sable disponibles. Comme les puits de pétrole, il faut toujours plus de carrières de sable, qui éventrent le paysage, stérilisent les sols, repoussent les terres agricoles cultivables. À St-Colomban, deux carrières de sable sont exploitées depuis dix ans par deux multinationales : Lafarge et GSM. Le SCOT (schéma de cohérence territoriale) prévoyait ces deux concessions d’exploitation jusqu’en 2032 - ce qui laissait du temps pour mobiliser - mais la ressource est déjà épuisée et ces sabliers lorgnent les terres agricoles qui séparent leurs carrières (voir la carte), au sous-sol sablonneux jusqu’à 15 mètres, et dont l’exploitant agricole partant à la retraite s’est vu proposé plus du double du prix initial de ses bâtiments [1].

Dans la région nantaise au climat adapté pour les productions légumières et primeurs, le sable est également convoité par l’agro-industrie locale (1/3 du sable extrait à Saint-Colomban est acheté par les maraichers locaux ; le sable n’est pas cher, mais lourd donc cher à transporter !) qui couvre progressivement le sud Loire d’une mer de bâches plastiques, digne des serres aux alentours d’Alméria en Andalousie. L’implantation des maraîchers nantais coure de façon discontinue (vignobles du Muscadet) du sud du Pays de Retz près de l’océan (Machecoul) jusqu’aux bords de la Loire au sud-est de Nantes et à la « vallée maraichère » (St-Julien de Concelles). Le sable ajouté à la terre d’origine crée un support léger, drainant et optimal aux plantes, facilitant une pousse régulière et standardisée. La carotte produite est droite et conforme au cahier des charges de la grande distribution, la croissance programmée et « propre » de la mâche facilitée, le muguet est en fleur pile au 1er mai, etc. Un petit problème à ce tableau idyllique : le sable est tellement drainant qu’il faut arroser beaucoup, donc apporter également à la plante les compléments de nutriments - de l’engrais - et autres produits phytosanitaires lessivés et emportés (!) du fait même de ce sol sableux... D’où une surconsommation d’eau (et vue la raréfaction des ressources, il faut des pompages dans la nappe phréatique, nappe qui s’effondre également à proximité des carrières qui assèchent les puits alentours : -2,75 m) et une utilisation « généreuse » de produits phytosanitaires qu’on retrouve dans les ruisseaux et autres mares du coin, donc dans cette même nappe à terme, nécessitant alors un filtrage renforcé et couteux pour le service public.
Ce modèle économique « sabliers-maraichers-métropole » obéit aux lois féroces du marché mondial. En rivalité commerciale avec les producteurs du sud de l’Allemagne (moins favorisés climatiquement) sur les marchés européens, les maraîchers nantais doivent fournir les centrales d’achats de la distribution en quantité suffisante pour honorer les commandes, sous peine de perdre la compétition. Se pose donc la question de la taille des exploitations et coopératives, favorisant la concentration. Parmi les producteurs nantais, on trouve des acteurs de premier plan, comme par exemple le n° 1 mondial du muguet et de la mâche, Vinet, récemment condamné en avril pour avoir détruit 500 mètres de haies sans autorisation [2] après d’autres procès passés ou à venir, et chez qui le ministre de l’agriculture De Normandie s’est rendu début juin. De tels prédateurs s’entendent même très bien entre eux pour se répartir les terres disponibles sans se concurrencer.

« LA TÊTE DANS LE SABLE »

Créée depuis un an sur Saint-Colomban, l’association LTDLS des habitant-e-s regroupe notamment des agriculteurs dont certains se déplaçaient déjà depuis plusieurs années à Notre-Dame-des-Landes à l’appel du COPAIN 44 [3]. Quand les carriers GSM et Lafarge essaient d’obtenir une dérogation pour remettre en cause la pérennisation de l’exploitation agricole des terres (cf cartes et site de l’association), normalement garantie jusqu’en 2032, la mobilisation se construit (une première manifestation de 200 personnes en 2020) notamment à partir de janvier 21 avec les Soulèvements de la Terre. Il faut aussi souligner deux autres grands projets d’aménagement dans des communes limitrophes. Au nord-est de St-Colomban sur la commune de Montbert, Amazon veut construire un dépôt XXL (300x200x24m) pour distribuer ses produits sur tout l’ouest hexagonal. Au sud à Corcoué sur Logne, le plus grand méthaniseur de France est prévu par la coopérative agricole locale... Il y a donc un enjeu supplémentaire au succès de la lutte de Saint-Colomban : poser la question du modèle agricole pour une production à taille humaine, respectueuse des travailleurs et travailleuses, pour la défense des terres et des habitant-e-s et plus largement de la population, contre les profits de grands groupes apparemment inaccessibles aux résistances populaires et contre leurs actionnaires, indifférents aux conséquences de leurs projets.
Le maire de St-Colomban, d’accord avec l’extension des carrières au nom de l’économie et de l’emploi, a publiquement rompu tout dialogue avec l’asso LTDLS parce que des zadistes de Notre Dame des Landes auraient déclaré dans une curieuse lettre ouverte, leur arrivée prochaine sur la commune avec leurs chiens ( La ZAD pire que le COVID 19 ?!). En fait il s’agissait juste de prêter main forte pour l’organisation du week-end des 19, 20 et 21 juin. Au-delà du maire, ce week-end d’élections régionales et départementales en rendait plus d’un nerveux. Notamment la Confédération Paysanne 44 - dont le secrétaire se présentait sur une liste PS - a envoyé un courrier à ses membres appelant à la manifestation du samedi, aux débats du dimanche, mais dénonçant à l’encre rouge toute participation aux actions du lundi (annonce du blocage des carrières notamment). Comme modèle de dissociation et d’encouragement au préfet à la répression, difficile de faire mieux.

ACTIONS D'ÉCHAUFFEMENT...

En fait d’actions la manifestation du samedi 19, commencée sous une pluie diluvienne, a néanmoins réuni près de 500 personnes pour un meeting finalement ensoleillé sur un carrefour à Geneston, dans un respect strict des consignes locales. Un bref exposé des prochaines actions des Soulèvements de la Terre prévoit fin juin une initiative importante en région parisienne en lien avec XR France, contre le Grand Paris Express, projet ferroviaire sarkozyste de plusieurs milliards entourant la capitale, avec à la clé une bétonisation accélérée de terres agricoles et leur urbanisation.
Sinon le lundi matin 21 juin, une centaine d’opposant-es au projet a tenté sans succès -même si les carrières avaient stoppé leur fonctionnement-, mais sans arrestation, de rentrer dans les carrières dés l’aurore malgré gendarmes mobiles, vigiles et drônes mobilisés par Lafarge pour l’occasion. En même temps... une colonne de 40 tracteurs venus de tout le département - dont la ZAD - bloquait toutes entrée et sortie de la coopérative maraichère Océane, pour marquer leur opposition au modèle intensif et destructeur du maraichage industriel, décrit plus haut.
Ce week-end n’est qu’un premier pas dans la construction d’un rapport de forces face à des géants du BTP habitués à des résistances populaires, face à des « gros » producteurs qui vont bien au-delà de Saint-Colomban - toute la ceinture maraichère du sud Loire -, et face à des lobbys professionnels -transporteurs - qui ont tiré un bilan de la victoire de Notre Dame des Landes. Si l’on peut rêver d’un retour en force du COPAIN 44 qui serait inespéré, un vrai travail d’explication et d’implantation de la lutte, dans un milieu social à convaincre, sera nécessaire pour faire lâcher prise aux industriels.
Comme pour la lutte contre l’aéroport, l’opinion nantaise ne sera pas à négliger, d’autant que le vote nantais du 20 juin a donné pour la première fois un net avantage aux écologistes devant le Parti socialiste. L’époque « Jean-Marc Ayrault » semble avoir vécu, mais il n’est pas dit que le vote « bobo parisien » soit plus favorable aux résistances.

Nantes, le 25 juin.

Notes

[1Un hectare de terres agricoles coûte ici entre 1000 et 2000 euros. Les maraichers en proposent en moyenne 5 à 6000 euros. Quant aux sabliers, ça monte jusqu’à 50 à 60 000 euros l’hectare. Difficile pour un jeune agriculteur de s’aligner... Mais après le passage des sabliers, à part pour installer des zones de baignade dans les carrières pour le tourisme, il n’est plus question de revenir au bocage initial...

[2https://actu.fr/pays-de-la-loire/ma...
La main-d’œuvre, sous payée et exploitée, est fournie par des charters de saisonniers marocains négociés directement avec le pays.

[3COPAIN 44 : collectif d’organisations paysannes indignées par le projet d’aéroport

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