CA 316 janvier 2022
Reparler de révolution pour affronter les temps qui viennent
lundi 3 janvier 2022, par
Il faut rompre l’isolement. L’isolement est une extrapolation de la société de classe et aboutit à la désagrégation de la conscience de classe. Il fragilise et pousse au renoncement. La distanciation sociale, elle est là, dans la perte de vue de nos intérêts communs.
En ce début poussif de campagne pour une élection présidentielle, les tenants du pouvoir comme de ses aspirants rivalisent entre-eux dans les écuries partidaires. C’est dans un contexte de confusion et d’atonie politique que la bourgeoisie des appareils politiciens lance son appel quinquennal.
On sait que la droite a finalement tenu sa primaire d’où est sortie Pécresse. Bon. Au programme, droite dure : fin des 35 heures ; retraite à 65 ans avec pension ad hoc ; dégressivité des allocations chômage après six mois ; lutte offensive contre l’immigration ; mesures sécuritaires et répressives lancement de 6 EPR Bref : la mise au pas traditionnelle...
À gauche, il est probable que cette fois le ridicule tue. Anne Hidalgo, appuyée par 1500 élus demande une « primaire ouverte, citoyenne et populaire, pour redonner l’envie, recréer de l’espoir et désigner la candidate ou le candidat qui fera gagner la République sociale et écologique en 2022. » Jadot et Mélenchon, respectivement crédités de 8 et 7% d’intention de vote se disputent le titre. Roussel aussi fait cavalier (très) seul. Montebourg, résigné accepte de se ranger derrière un·e quelconque malheureux élu·e. Et puis, l’effacé Lacroix (PRG) qui désespère… quand, coup de théâtre : Taubira entre en scène. On ne sait encore rien d’autre sinon qu’elle incarne elle aussi un recours sans candidature. On est en plein vaudeville.
La question est de savoir quels sont les achoppements politiques de fond...
Tous aspirent à une union de la gauche qui serait un but en soi plutôt qu’un outil pour l’exercice partagé du pouvoir. Il est vrai que la victoire de Mitterrand, candidat puis vainqueur unique, il y a quarante ans a refroidi les camarades. La destruction presque totale des partis qui pouvaient encore faire sens auprès du « peuple de gauche » est le résultat de l’abandon des aspirations de la classe ouvrière, laquelle se réfugiera dans l’alternative historique de l’extrême droite ou l’abstention ; on attendait Jospin... Enfin, la droitisation de survie et le raccord éperdu à l’écologie, sur des bases de solutions technologiques et de civisme plaqué, ne font guère de doutes de l’alignement de la gauche sur la doxa capitaliste.
Macron, lui, attend le moment où il pourra faire officiellement campagne avec les fonds de son parti et se présenter, selon ce qui devient une tradition, comme le rempart à l’extrême droite incarnée médiatiquement par Zemmour. En attendant, il fait la tournée des lucratives dictatures amies.
De toute façon la désaffection pour les urnes est manifestement consommée. Ce mois de janvier 2022, la troisième des années Covid, c’est à nouveau le décompte des victimes de la pandémie qui rythme le quotidien. Et l’hôpital de campagne de l’État de nous décliner les mesures « socio-sanitaires » à fleuret moucheté en termes d’interdiction et d’obligation, de menaces sérieuses et d’espoirs ténus, de contrôles et de coercitions patentes.
Cette pesanteur atteint toutes les sphères de nos vies. Le premier espace de l’offensive de la classe dominante est celui du travail, là où devraient d’abord se jouer les rapports de force. Précisons bien : travail. Car c’est en terme d’emploi, ou de son absence, ou de l’absence de « recherche sérieuse » que cette question est toujours abordée, définie, chiffrée par l’État qui gère les stocks de main d’œuvre pour le patronat. La machine à soumettre est donc remise en marche avec le durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation et l’augmentation des contrôles des chômeurs de 25 % dans les six prochains mois. Il s’agit de compenser partiellement le généreux sans-compter… qui a surtout bénéficié aux entreprises.
Le prolétariat est soumis à un devoir d’employabilité correspondant aux choix du capital. Ni plus, ni moins, du début à la fin.
On le sait, à l’échelon national comme à l’échelon mondial le capital est loin de s’effondrer et ses bases conceptuelles et idéologiques capital/travail sont intactes. En France, le CAC 40 aura versé au moins 37 milliards de dividendes pendant la crise et un quart du CAC 40 a versé plus de dividendes qu’il n’a fait de bénéfices depuis 10 ans ; à l’international, 32 multinationales engrangeront cette année une hausse 110 milliards de dollars de bénéfices.
Le capital a fait relayer par les États l’idée que crise sociale découlait de la crise sanitaire. Les conséquences en ont été un renforcement des conditions de travail pour des un-e-s, la privation d’emploi pour les autres.
Parmi les salarié·e·s au taf, le surcoût en « investissement » dans l’entreprise, publique ou privée, a été particulièrement élevé. Et après avoir été loué·e·s, honoré·e·s, quasi-décoré·e·s, les premières lignes se mettent en grève. C’est ainsi le cas des personnels de la grande distribution comme Auchan ou Carrefour ; des pompiers ; des personnels hospitaliers ; les AESH et les aides à domicile ; des employé·e·s des magasins Leroy Merlin. Et puis la grève des cheminots…
Paradoxalement, plusieurs secteurs en France seraient confrontés à la menace d’une pénurie de main-d’œuvre en ce moment : l’hôtellerie et la restauration, les transports routiers, le bâtiment, l’industrie, l’aide à domicile… Mais où sont les gens qui marnaient dans ces secteurs avant la pandémie et qu’on ne retrouve pas ? D’aucuns cherchent l’explication dans la reconversion, l’auto-entrepreneuriat ; la crise aurait décidé les plus bravaches à sauter le pas. Ou, fatigués et sans espoir de rebosser, pris leur retraite, fût-elle maigre.
Les prolétaires ne comptent plus sur le système capitaliste sur fond de démocratie parlementaire pour vivre dans l’idéal caduc d’une ascension sociale ; le sentiment que les professions de foi des « professionnels » à prendre nos vies en main sont vaines est enraciné. En revanche deux siècles de domestication par le capital, puis l’érosion de la conscience de classe, pèsent sur la capacité à entrevoir une autre définition sociale et politique des modes de production, de distribution, de consommation. La standardisation des rapports sociaux accolée à l’éloignement des individus a renforcé la sensation d’isolement social et les mesures politiques et sanitaires liées à la pandémie l’ont concrétisée. Il faut rompre l’isolement. L’isolement est une extrapolation de la société de classe et aboutit à la désagrégation de la conscience de classe. Il fragilise et pousse au renoncement. La distanciation sociale, elle est là, dans la perte de vue de nos intérêts communs.
Il ne s’agit pas de changer de gouvernement ou de réinstaurer quelque régime qui dégagerait une élite garante du bonheur de toutes et tous. On ne peut se contenter non plus d’un vague citoyennisme, qui nous inscrit sous une forme présentable et vertueuse dans le processus capitaliste.
Le contexte pousse la classe dominée à réagir et des luttes offensives ont payé. Il est temps de faire une pause, de redéfinir les enjeux sociaux, de penser en soi et ensemble, de parler et d’agir, de casser les moules qui nous enserrent. Penser et construire le communisme. Maintenant.
Boulogne sur Mer Le 20 décembre 2020