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CA 316 janvier 2022

Antilles : un air de fête.

jeudi 13 janvier 2022, par Courant Alternatif

Guadeloupe, Martinique, le vent de la colère, de la révolte populaire a fait peur à la bourgeoisie.


Guadeloupe, Martinique, le vent de la colère, de la révolte populaire a fait peur à la bourgeoisie.

Quand ça déborde, ça déborde<span class= [1]' />

Le 15 novembre, une grève générale est déclarée en Guadeloupe. Une semaine après, le 22 novembre les mêmes braises enflamment la Martinique. Si l’obligation vaccinale et l’instauration du pass sanitaire ont été les éléments catalyseurs, les revendications des manifestants sur les ronds points et barrages ont été multiples. Elles sont devenues sociales, économiques ; pas nouvelles pour certaines car déjà entonnées dans la décennie précédente. En 2009, Guadeloupe et Martinique étaient paralysées par un mouvement de grève de plus de 40 jours. des revendications portaient déjà contre la vie chère. Au souvenir des répressions colonialistes de l’État français se sont agrégées le déni sur l’empoisonnement collectif de 90 % de la population par le chlordécone, mais aussi le problème de l’eau rationnée ou encore et toujours les problèmes engendrés par la perte du pouvoir d’achat et les augmentations de produits courants : le gaz, l’essence et même les bananes alors produites sur place.

Un avis de l’autorité de la concurrence de 2019, évaluait à 38% l’écart de prix sur les produits alimentaires entre la métropole et ses Îles. Un coût de la vie exorbitant tandis que les bas salaires stagnaient. Des antillais démontraient que certains écarts de prix pouvaient aller bien au delà, alors que le salaire minimum restait le même.
Autre problème majeur : l’eau ! Depuis plusieurs années déjà certains habitants subissent les coupures d’eau au quotidien. Parfois les familles doivent attendre 15 ou 20 jours et se débrouiller sans. Faute d’entretien les réseaux sont inutilisables qu’il s’agisse de la consommation ou de la distribution. Et quand l’eau parvient dans des foyers, souvent elle se révèle impropre à la consommation. C’est un liquide trouble qui sort du robinet.

La goutte d'eau qui...

C’est dans ce cadre, d’une administration coloniale, que le gouvernement français a voulu imposer une vaccination préventive, des mesures sanitaires autoritaires et un pass obligatoire.
En solidarité avec les grévistes de la santé, dès l’appel à la gréve générale, très vite barrages et blocages sont apparus accompagnés de pillages et destructions en tout genre, de magasins, de pharmacies etc. Affrontements et émeutes. La fête et les réappropriations étaient à l’ordre du jour. Une situation que le président E. Macron qualifiera de « très explosive ». Une situation crainte par la bourgeoisie locale mais aussi redoutée par le pouvoir central à Paris. Un effet de « contagion sociale » venue des îles, ajouté au souvenir des gilets jaunes qui hante encore les esprits, serait malvenu en cette période de campagne électorale.

L'ordre républicain

Aussitôt, le ministre de l’intérieur G. Darmanin déploiera 2250 policiers et gendarmes en Guadeloupe pour restaurer l’ordre républicain cher à la bourgeoisie. De son côté, le ministre des « Outre-mer » S. Lecornu annoncera l’envoi de 70 gendarmes, de 10 militaires du GIGN accompagnés du RAID. Bref de l’anti terrorisme pour mater les émeutiers et travailleurs en grève contre la vie chère et les obligations sanitaires. Ainsi les antillais ont pu voir des blindés et des militaires surarmés, patrouiller dans les principales rues et stationner sur les ronds points. Et bien sûr des hélicos pour parfaire l’ambiance militaro-policière et impressionner la population. Le tout cadré par un couvre feu de 18 ou 19 heures au lendemain 5 ou 6 heures selon les îles. Certes manifestants et émeutiers ont cédé la place, délogés des barrages et des ronds points, mais la résistance continue et la colère reste intacte. Et l’appel de l’UGTG « à poursuivre la mobilisation et à renforcer les piquets de revendications populaires » reste entendu dans ce climat d’occupation militaire et colonial. De plus, la mémoire antillaise est chargée des répressions coloniales française.

« Il est vrai qu’il y a une situation en Guadeloupe, qui est absolument intolérable, inacceptable », déclarera G. Attal le porte parole du gouvernement. Il estime que les blocages, les incendies et pillages sont « le fait d’une minorité », espérant par ses propos réduire et stigmatiser ainsi l’ensemble du mouvement dans l’espoir de diviser, dresser la population contre les violences, contre les émeutiers.
Évidemment le retour à l’ordre républicain et la restauration de l’autorité de l’État ne peut être complet sans "sa" justice. « Il fallait apporter une réponse pénale immédiate face à une vraie menace insurrectionnelle ». Le journal Le Monde rapportera au moins 148 interpellations, 55 comparutions immédiates de manifestants chopés sur des barrages ou lors d’affrontements avec les gendarmes. Des peines allant de TIGs (travaux d’Intérêts Généraux) à de la prison ferme ou des amendes. « Tolérance zéro » assume le procureur de Pointe à Pitre. « En 11 jours l’activité judiciaire a été équivalente à ce que l’on fait en 4 mois ».
Il va de soi que la chasse ouverte se poursuivra encore et encore comme le laisse supposer le collectif d’avocats constitué pour la défense de toutes personnes appréhendées. On peut faire un parallèle avec l’acharnement et la répression contre les Gilets Jaunes encore dans tous nos esprits.

Un retour au dialogue

Ce retour au calme « républicain » est aussi souhaité, plus ou moins discrètement, par nombre d’élus locaux, de partenaires sociaux apeurés ou remis en cause par les actes des émeutiers. Cette bourgeoisie, petite bourgeoisie ou bureaucratie locale trouve des intérêts et prospère dans ce colonialisme par l’exploitation des dominés. Un terrain fertile qui a permis au ministre des outre-mer de montrer ses muscles lors de son séjour en Guadeloupe et Martinique. Après le report de l’obligation vaccinale au 31 décembre, après la reconnaissance du cancer de la prostate (lié au chlordécone) comme maladie professionnelle, après l’annonce de 1000 emplois aidés... , le ministre à peine posé en Guadeloupe, refusera de dialoguer avec « les organisations qui ne condamneraient pas sans ambiguïté les violences commises aux Antilles ». Stigmatiser, décrédibiliser le mouvement. Isoler, voir condamner les agissements de « cette minorité de voyous ». Diviser aussi sur la particularité entre les îles. En Guadeloupe, le séjour du ministre fut bref devant le refus des condamnations exigées, En Martinique : l’intersyndicale avait déjà condamné les violences et les dégradations et appelé à la levée des barrages. Ce qui fera dire au porte parole de l’intersyndicale et secrétaire de la CSTM (Confédération Syndicale des Travailleurs Martinique) : « le ministre a bien compris notre spécificité... ». En effet le ministre saluera la maturité des élus de la Martinique et n’aura de cesse de dénoncer l’irresponsabilité des élus guadeloupéens. Diviser ! Ce sera le sens de sa bombe médiatique sur « l’autonomie ». Fracturer l’échiquier politique, diviser la population des îles par un débat qui n’est nullement au centre de l’actualité, ni dans la préoccupation immédiate de survie du mouvement. Détourner la colère, lâcher la rue pour plus s’isoler les uns des autres, faire oublier les revendications sociales et économiques qui sont portées par une population solidaire. Et, pour cela, quoi de mieux que d’engager le dialogue avec des partenaires sociaux.

Côté syndical, l’attente était grande pour certaines organisations coincées par les travailleur·euse·s et une jeunesse radicalisée investie dans le mouvement. Dans leur rôle de médiatrices sociales, envers l’État et le capital, elles ont assumé leur fonctions depuis juillet 2021, de manifestions en meetings mais hélas sans être entendu par le pouvoir parisien. Le patronat local et le gouvernement jouait la montre, l’essoufflement du mouvement. Sans doute en regard à ce qui se déroulait en métropole. Suite à l’appel à une grève générale, des barrages seront érigés dès le 15 novembre. Des barrages investis par la population solidaire des soignants et des pompiers et contre les impositions de la politique sanitaire de métropole. Des barrages investis par une jeunesse désœuvrée, sans perspective : 1 jeune actif sur 3 est sans emploi. Chez les 15-29 ans, le taux est de 35 %. 34% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Aux revendications catégorielles et syndicales sont venues se greffer d’autres exigences plus sociales, économiques voir politiques et identitaires. Des revendications anciennes pour certaines déjà portées en 2009 mais qui n’ont jamais abouti. Sans doute perdues dans les dédales du dialogue social. Devant la dynamique impliquée par ces jeunes radicalisés et parti prenante du mouvement avec une présence sur les barrages de jour et actions de nuit, l’ordre syndical, était alors obligé d’accompagner, pour contenir les situations et éviter ou limiter les débordements.

En attendant la prochaine

Aujourd’hui, des ateliers de travail sont instaurés notamment en Martinique où se retrouvent élus, partenaires sociaux et patronat. Signe d’un ordre étatique rétabli et d’un dialogue sincère et responsable. Or, sans rapport de force ces responsables élus, mais souvent discrédités par la population, ces partenaires sociaux élus ou syndicalistes se contenteront des miettes que leur lâchera le patronat local et le capital. Peut-il en être autrement à partir du moment où, ce mouvement d’insurrection des barrages n’a pas pu se vivre de façon autonome, n’a pas eu le temps de forger sa conscience collective en créant des comités auto-organisés, et en façonnant ses propres programmes revendicatifs et politiques ? En élisant leurs propres délégués pour les porter... Une structuration qui dépasserait en force politique les organisations et syndicats labellisées aux ordres du capital.
Mais sous cette apparence d’ordre colonial républicain, couve encore les braises de la révolte.

En cette année 2021, on célèbre les 150 ans de la commune de Paris. Un exemple à suivre où les travailleur·euse·s, le peuple de Paris ont tenté de s’émanciper contre la bourgeoisie française soutenue par l’armée prussienne. Refusant de courber l’échine, les travailleur·euse·s, la population des Antilles nous montrent aussi la voie de l’émancipation.

Dommage que l’étincelle allumée là-bas n’ait pas réussi à mettre le feu aux plaines de France métropolitaine. Il est vrai que, hormis des Gilets Jaunes, au delà d’une solidarité incantatoire, aucun partis, syndicats ou autre, n’a appeler à la grève générale en France en soutien aux insurgés des Antilles.

MZ 10 12 2021

P.-S.

En complément à ce texte, voir CHLORDECONE Ça déconne encore

et Guadeloupe mai 1967

Notes

[1Lire aussi dans C.A . N°314 Novembre 2021. <a href='https://oclibertaire.lautre.net/spi...;; class="spip_in">"Antilles !" E non nou pa Kobay !</a>"

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