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CA 325 Décembre 2022

Une fois de plus, ça déborde à l’hôpital

vendredi 16 décembre 2022, par Courant Alternatif

La bronchiolite est une infection respiratoire des bronches, contagieuse et courante. Elle provoque une toux et une respiration difficile et sifflante. Elle concerne chaque année 30% des nourrissons et enfants de moins de 2 ans.


*** Ce que révèle cette épidémie saisonnière

Mi-octobre 2022, 2959 enfants de moins de 2 ans ont été vu aux urgences pour bronchiolite. 953 auraient été hospitalisés. Cet afflux soudain aurait nécessité des transferts de nourrissons d’Ile de France vers d’autres hôpitaux régionaux. Selon Santé publique France, les passages aux urgences pédiatriques auraient augmenté de 46% en une semaine et les hospitalisations de 50% soit une hausse continue depuis fin août. D’ordinaire, cette épidémie annuelle, survient vers la fin octobre avec un pic en décembre puis prend fin vers janvier. Si elle s’avère bénigne elle reste très angoissante pour les parents par les sifflements et difficultés respiratoires du nourrisson.
Le 21 octobre, plus de 4000 soignants de pédiatrie alertaient, via une tribune, le président Macron sur la situation « saturée » de leurs services confrontés à l’épidémie de bronchiolite. Une énième alerte de soignants pointant, dans leur secteur, une fois encore l’asphyxie de l’hôpital public. Si l’épidémie de COVID avait pris de court le président Macron, les gouvernants précédents et leurs ministres de la Santé : A. Buzyn et O.Véran, elle illustrait déjà dramatiquement l’état de délabrement des services de soins d’urgence. L’épidémie de bronchiolite n’est pas ce tsunami imprévisible et redouté.
Cette épidémie, annoncée car annuelle, heurte simplement les services concernés et leurs personnels exsangues par le manque de soignants, de lits, par les dysfonctionnements occasionnés allant d’hospitalisations d’enfants dans des lieux non adaptés, à des transferts obligés d’Ile de France vers d’autres régions, des reports d’interventions chirurgicales programmées, des sorties prématurées pour libérer des lits, etc. Autant de dégradations qui ont conduit les soignants à faire des tris, à des retards de soins et à la mise en danger des enfants. Côté soignant, c’est la course, le flux tendu, les repos incertains. « Une infirmière avant s’occupait de 6 enfants puis de 8 enfants puis enfin de 10 enfants. Plus elle doit s’occuper d’enfants, moins elle fait bien son travail et moins elle a envie de rester. Il faut aussi faire des efforts au niveau des salaires. Au niveau des salaires européens, nos infirmier·es sont avant derniers. Les gens qui partent ne le font pas de gaieté de cœur » déclare M. Aubart, neuropédiatre. (1)

*** De Macron I à Macron II

S’adressant aux personnels des Urgences en lutte en Novembre 2019, E. Macron déclarait : « ma considération va aux personnels soignants... On a fait peser sur l’hôpital public la maîtrise des dépenses de Santé... les personnels sont épuisés... notre plan qui est le bon ne va pas assez vite... il faudra grouper certains services... accélérer les réorganisations qui ont commencé... J’ai conscience de l’urgence de la situation de l’hôpital public... ». Et le président des riches d’être réélu en 2022.
En 15 ans ce sont près de 9 milliards d’euros qui manquent, saignant l’hôpital par la suppression de postes de soignants et de milliers de lits comme le note la DREES (2), 10 000 lits fermés sous F. Hollande. 37 000 lits fermé sous N. Sarkozy. Avec E. Macron, on peut estimer son bilan à 21000 lits fermés entre 2016 et fin 2021 dont plus de 9000 en pleine épidémie de Covid.
Dans le déni des réalités, le nouveau ministre de la Santé F. Braun, voix de son maître à l’Élysée, persiste « cette crise n’est due, n’est provoquée, que par l’intensité soudaine de l’épidémie. » Propos largement repris dans les média.
Pourtant sur le terrain des praticiens et hospitaliers, les explications sont autres. La bronchiolite n’arrive ni plus tôt, ni plus sévèrement cette année. « Le problème n’est pas tant l’épidémie que le manque de soignants pour y faire face. Notre difficulté est là, le reste nous savons faire ». (3)

*** L’effet “millions” !

Une lettre ouverte signée par plus des 4000 soignants de pédiatrie est adressée le 21 octobre au Président Macron, alertant sur la situation des hôpitaux alors que l’épidémie avait gagné la quasi totalité du territoire alors que, des services hospitaliers étaient en grève à Nantes, Marseille, Rouen etc. En réaction, le 23 octobre, le ministre de la Santé promettait 150 millions d’euros pour « soutenir » les services en tension à l’hôpital. Comme le ridicule ne tue plus, et l’exaspération des soignants persistante, le 2 novembre le ministre rallongeait la promesse à 400 millions pour répondre à la situation des services de pédiatrie. Tout cela dans le flou le plus total sur la somme réellement allouée aux dits services car leur répartition est laissée à l’appréciation des ARS (Agences Régionales de Santé). Le ministre annonçait aussi un doublement de la rémunération des heures de nuits jusqu’au 31 mars pour l’ensemble des personnels. Sans doute la reconnaissance pour « l’engagement des professionnels et la pénibilité du travail de nuit ».

Tous les soignant·es travaillant dans les services de soins critiques bénéficieront de la prime COVID mise en place pendant l’épidémie. Cependant, là où les soignants dénoncent les conséquences d’une gouvernance bureaucratique et la tarification à l’activité, là où ils demandent des mesures urgentes, fortes et pérennes, l’État après l’effet d’annonce des millions d’euros renvoie vers le CNR (Conseil National de la Rénovation) ou les Assises nationales de la pédiatrie prévues au printemps 2023 pour de réelles mesures politiques. Dans le même temps, le porte parole de l’Élysée annonçait l’activation locale des « plans blancs » dans le cadre de l’ORSAN (4). « On explique qu’on veut des réformes structurelles, urgentes et on nous répond par un Plan blanc utilisé une fois par an depuis 2019(5). Le Plan blanc, ça veut dire déplacer des infirmières, annuler les congés, ça ne fait que tendre la façon dont on pratique le soin. On ne peut continuer à mettre en permanence des pansements sur une jambe de bois » explique la professeure M. Aubart.

*** Madrid un espoir, un exemple

Mettre des pansements sur des jambes de bois est la réponse des gouvernements plein de morgue contre les travailleurs, les pauvres, les sans dents... Les tribunes, les pétitions comme les concertations entre partenaires avec les directions syndicales, sont insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées de rapports de force dressés en contre pouvoir. La vague néo-libérale sévit en Europe sous le diktat de Bruxelles et des financiers, dont E. Macron reste le représentant, exigent en cette période de crise les coupes auxquelles sont soumises les fonction publiques.
La découpe des services publics de soins et des hôpitaux se fait au profit du privé : les groupements de cliniques, les cabinets privés spécialisés, les laboratoires de prélèvement etc... Terminés les soins pour tous. Chacun devra débourser de sa poche, faire des choix, pour se soigner ou se pour se garantir d’un avenir incertain. Autant de profits pour les assurances, les mutuelles et autres complémentaires qui se gavent au détriment des salariés, des cotisants. Et tant pis pour ceux qui en souffriront.
Pourtant, cette politique de casse contre les services sociaux et de soins publics, n’est pas inéluctable et peut-être enrayée par les salarié·es de la Santé et autres secteurs.
Travailleur·ses de la Santé, population, nous devons dépasser l’isolement, les divisions, lutter ensemble, comme à Madrid. En effet, le 13 novembre une manifestation monstre a défilé dans les rues de la capitale espagnole. Plus de 200 000 personnes selon la presse, 600 000 selon les organisateurs, sont descendues dans les rues et ont convergé vers la mairie du PP –Parti populaire, de droite– pour protester contre la casse du service public et des hôpitaux. Leur mot d’ordre, « un système de soins pour tous, votre santé ne devrait jamais dépendre de votre porte-monnaie. »   
La manifestation était appelée par les soignants bien sûr mais aussi par les associations et les municipalités locales. Une mobilisation populaire derrière une banderole « Madrid se rassemble pour soutenir le système de Santé public ». Les manifestants dénonçaient les nouveaux centres de soins urgents non hospitaliers dont certains n’offrent que des consultations vidéo... Les médecins manifestaient contre leur précarisation, plus de la moitié sont sous contrat depuis de nombreuses années. Cette manifestation du 21 novembre précédait la grève générale des 5000 médecins notamment des pédiatres qui protestent contre les « surcharges de travail, les rendez-vous sans fin... ». Comme en France, le système de santé (régionalisé) en Espagne est aussi dépecé, livré à l’insatiable appétit des financiers et de groupes privés. Depuis des mois la situation empirait et la colère montait. Le mouvement de grève s’est étendu à la « généralidad », la Région.

Manifestation à Madrid le 13 novembre 2022

Ce mouvement d’ensemble et cette grève générale sont l’exemple à suivre contre les journées d’inaction syndicales, sans perspectives et démobilisatrices. Les luttes existent, les salariés isolés résistent, mais dans l’urgence du moment ou du secteur le plus en souffrance. Mais elles sont éparses, et souvent minoritaires par manque de confiance des autres collègues ou isolées parfois même par les directions syndicales qui préfèrent les concertations, les tables rondes entre partenaires sociaux. Il faut donc dépasser les carcans syndicaux par les luttes et renouer avec la création de collectifs, de comités de base autonomes et leur coordination indépendante de tout chapeautage syndical prétendument indépassable.
La bourgeoisie et ses serviteurs ont intérêt à nous faire croire que tout changement révolutionnaire est impossible. Et, tant que nous, salarié·es, retraité·es, précaires et autres.., ne prendront pas conscience de notre force collective et sociale, aucun gouvernement ne répondra aux revendications, sinon que par des pansements, des miettes aux uns ou aux autres.
Le mouvement des Gilets Jaunes a ouvert des espaces, redonné de la vie, et de l’espoir et montré la voie, malgré les coups de matraques et la répression d’un gouvernement aux abois.

MZ
18 novembre 2022


NOTES

(1)    M. Aubart neuro-pédiatre à l’hôpital Necker- Paris.
(2) DREES. Direction de la recherche d’études d’évaluations et des statistiques (expertise publique en Santé et Social).
(3) S. Dauger, chef de réanimation pédiatrique à l’Hôpital R. Debré- Paris. qui souligne une fois encore l’inquiétante pénurie de soignants, l’excès de fermeture de lits dans les hôpitaux et l’inconséquence et l’irresponsabilité des politiques d’austérité menées par les gouvernements précédents.
(4) ORSAN. Dispositif national d’organisation des soins. Instauré en 2014 par les ARS. Il chapeaute les Plans blancs que loi 2004-806 du 9 août 2004 impose aux établissements de santé : cet “outil” doit permettre de mobiliser immédiatement les moyens de toute nature dont il dispose en cas d’afflux massif de patients ou de victimes.
(5) Appliqué partiellement en 2014 : Ebola, en 2015 lors de la grippe (20 000morts ?), en 2020 COVID19, ou lors d’attaques terroristes à Paris, Nice,.

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