jeudi 29 décembre 2022, par
Voir en ligne : Réunion sur le mouvement ouvrier en Iran sur dndf
Nous reprenons ci dessous le compte rendu d’une réunion tenue à Berlin en décembre avec un militant ouvrier iranien en exil, paru sur le site "Des nouvelles du front" [1], et qui apporte un point de vue militant pour aider à comprendre la dynamique du soulèvement en cours et son potentiel révolutionnaire.
La semaine dernière, le 17/12/2022, nous avons eu la chance de recevoir un des leaders du mouvement ouvrier iranien, Meysam Alé-Mahdi, ex-ouvrier de L’Aciérie d’AHVAZ (ou Khouzestan National Steel Company). Cette réunion s’est tenue à Berlin.
Compte tenu du fait qu’il peut nous fournir des informations utiles sur l’état du mouvement ouvrier en Iran ainsi que sur les rapports de celui-ci avec le soulèvement actuel, nous avons pensé qu’une traduction en français de cette réunion pourrait être utile pour la compréhension de la situation.
Tout d’abord, en guise d’introduction, une camarade a présenté Meysam et le sujet de la discussion. Elle a fait notamment référence à un rassemblement des ouvriers de l’aciérie d’Ahvaz au mois de juillet dernier, devant le siège du gouvernement provincial de Khouzistan, lors duquel Karim SIAHI, un des leaders ouvriers a clairement affirmé que ”ça faisait longtemps que les ouvriers de l’aciérie d’Ahvaz connaissaient l’auto-organisation et la gestion conseilliste de l’usine.” [2]
“Les ouvriers de l’Aciérie d’Ahvaz regardent avec un grand intérêt l’expérience de luttes des autres ouvriers iraniens, mais ils sont aussi au courant des luttes ouvrières en Argentine ; ils savent très bien que, comme partout dans le monde, c’est le capitalisme qui est leur ennemi commun. Les ouvriers de l’Aciérie d’Ahvaz, comme les ouvriers de Haft Tapeh ont une longue histoire de luttes glorieuses ; [Il s’agit de l’usine agroalimentaire de Haft-Tappeh (ou Haft-Tepe, en persan : هفت تپه, « les sept collines ») qui est située également dans la province du Khouzistan, dans le sud-ouest de l’Iran. L’usine produit essentiellement de la canne à sucre et ses dérivés. En 2015, l’usine a été transmise “au secteur privé” contre une somme ridicule. Ce “secteur privé” n’est autre que deux personnes (dont l’une de la famille de l’adjoint du Président de l’époque Rohani) qui avaient des activités comme agents de change dans les opérations de devises. À un moment, ils ont été interpellés pour diverses fraudes et tandis que le neveu de l’adjoint est en fuite, l’autre se trouve sous les verrous. Un syndicat ouvrier y a été créé en 1974 ; Mais c’est surtout à partir de 2005-2006 que des mouvements de protestation ont été constatés.
Depuis cette date, les mouvements de protestation et de grève n’ont cessé de se produire au sein de cette société. Ils ont été constamment à la pointe du mouvement ouvrier et ont prononcé à travers les discours de leur porte-parole, M.Esmaïl Bakhshi, maintes fois emprisonné et aujourd’hui licencié [3]. Ces ouvriers ont été maintes fois arrêtés et torturés ; leur représentant a été mis devant des caméras de télévision pour faire des confessions contraintes contre lui-même et contre ses collègues ; les porte-paroles ont été licenciés pour intimider les autres ouvriers, mais les ouvriers de l’aciérie d’Ahvaz sont restés solidaires les uns des autres, ils ont été forgés dans le feu de la lutte et des fourneaux de l’usine pour devenir eux-mêmes de l’acier ; ils ont démontré qu’ils sont prêts à lutter pour garder intacte la flamme de la lutte de classes.”
“Nous sommes très contents d’avoir l’occasion d’entendre directement de la part d’un ouvrier l’appréciation qu’il a du soulèvement actuel. Nous pensons que les ouvriers ont démontré que sans l’intervention des partis politiques de toutes tendances, qui croient que les ouvriers attendent leurs directives et instructions, sont tout à fait capables de répondre aux exigences de leur lutte ; les ouvriers de l’aciérie d’Ahvaz n’ont pas attendu un sauveur et ils ont eux-mêmes pris leur destinée en main”.
Après cette brève introduction, notre camarade a présenté le groupe industriel de l’aciérie d’Ahvaz :
“Cet ensemble a été inauguré en 1963 et au cours des privatisations en Iran, est cédé à M.Amir-Mansour Aria. [Il faut savoir qu’à la fin de la guerre irano- irakienne en 1988, des pans entiers de l’économie, qui avec la “révolution” de 79 étaient devenus publics, ont été transférés au privé sous prétexte de la nécessité des privatisations. Il s’agissait essentiellement de faire passer une partie des biens publics au secteur privé à travers leur passage, dans un premier temps, aux sociétés liées au gouvernement islamique ou aux organisations appartenant aux forces de l’ordre ou à des fondations religieuses ; en réalité, il s’agissait d’une privatisation “bidon” qui a profité essentiellement aux personnalités de premier plan et à leurs familles ; d’ailleurs, c’est en partie à cause de ce mouvement que nous assistons aujourd’hui à une sorte de formation de la classe capitaliste privée en Iran qui regarde favorablement l’ouverture vers l’occident. Elle veut retrouver les liens rompus avec les infrastructures du capitalisme mondial. Cette privatisation était tellement “en carton pâte” que les iraniens ont trouvé un nouveau terme pour les désigner : on les appelle khossoulati qui est en fait, une contraction de deux termes Khossoussi (privé) et Dolati (étatique) [4] ;
M. Aria, lui-même a été exécuté [en 2011] après que le scandale de ses fraudes et détournement de fonds (3 milles milliards de tomans) [5] a éclaté car il n’a pas voulu donner le nom de ses complices [6].
C’est dans ce même processus de privatisation que nous avons vu le nombre d’ouvriers passer de 7000 à 4000 ; Autant dire que le taux d’exploitation a presque doublé. A partir de 2013, les ouvriers de cette usine étaient régulièrement en lutte pour obtenir leurs droits.
Meysam Alé-Mahdi est un des ouvriers connus de l’Aciérie nationale d’Ahvaz car il était, au plus fort du mouvement, leur porte-parole.
Il a commencé son travail dans cet ensemble en 2007 comme employé journalier de service (dans la cantine) et puis il a été embauché comme ouvrier cdd dans la production où il a travaillé jusqu’en 2018. Après une période de prison, il a dû passer dans la clandestinité et a été obligé de quitter le pays.
Nous sommes très contents d’avoir l’occasion d’entendre directement la voix d’un ouvrier au lieu de, ce qui est très courant, nous contenter de lire et d’entendre les déclarations des partis et organisations qui se substituent à la classe ouvrière. Il ne me reste qu’à souhaiter la bienvenue à Meysam et lui laisser la parole.”
Après les remerciements de rigueur, Meysam commence ainsi sa prise de parole :
”Avant tout, je dois préciser que le soulèvement actuel en Iran est un soulèvement de femmes. Ce sont bien les femmes qui portent le drapeau de ce mouvement et je profite de l’occasion, ici, pour adresser mes salutations à toutes mes camarades femmes, toutes celles qui sont aujourd’hui en captivité et souffrent dans les prisons de la république islamique. Elles sont en prison et je ne me permets pas de parler en leur nom. Je pourrais éventuellement parler de leur exclusion mais seulement en tant qu’ouvrier, arabe moi-même et exclu à ce titre, qui pourrait ressentir une douleur commune.
Pour pouvoir appréhender ce qui se passe actuellement en Iran, nous avons besoin de revenir sur les manifestations qui se sont déroulées ces dernières années, dans la rue et dans l’espace public. Il faut revenir à ce qui se passe dans la rue, qui est très différent de ce qui transparaît à travers les médias.
Les médias traitent toujours les ouvriers comme une armée de figurants pour la révolution, mais nous sommes les vrais révolutionnaires.
Nous allons revenir sur un passé récent pour examiner les manifestations ; le point de départ de notre analyse, ce sont les événements de 2009.
On se souvient que ces manifestations avaient pour objet les élections présidentielles en Iran et la candidature du réformiste Mir-Hossein Moussavi. Comme vous le savez, ces manifestations ont été réprimées et après la mise à l’écart et en résidence surveillée de Mir-Hossein Moussavi, le courant réformiste s’est mis en retrait et le mouvement s’est arrêté. C’est après ces événements qu’on a vu apparaître des manifestations qu’on pourrait, cette fois-ci, qualifier “de classes” ; entre-temps, on avait toujours le mouvement ouvrier qui était actif, dans la rue et qui continuait à protester contre toutes les injustices qu’il subissait. Le bénéfice le plus important de ces mouvements était certainement la confiance en soi que les gens ont acquise au cours de ces manifestations ; les exclus de la structure socio-économique du pays ont ainsi compris qu’ils pouvaient avoir un poids dans l’équation du pouvoir à travers leur mobilisation.
Les médias, de leur côté, parlaient toujours des ouvriers en termes misérabilistes, Ils parlaient des “pauvres ouvriers”, des “pauvres gens” qui ceci ou cela … ; c’était un vocabulaire humiliant à l’égard de l’activité des ouvriers et si je suis là, c’est aussi pour vous expliquer que nous n’étions pas de “pauvres ouvriers”, nous étions des personnes militantes avec des revendications ; les mouvements de pauvres et de malheureux ce sont les mouvements qui courbent l’échine devant les gouvernants et qui quémandent leur bienveillance et de la charité. Nous essayions de fabriquer le vocabulaire de notre propre classe dans la rue et aussi d’inventer la structure de notre organisation ; c’est-à-dire la création d’une organisation horizontale, sans aucune tentative d’ériger une personne ou un groupe à la position de dirigeant et à qui les autres devraient obéir. Bien entendu, tous ses efforts ont été réprimés mais nous avons appris de ces répressions et nous nous sommes corrigés et renforcés.
De notre point de vue, les manifestations ont pris depuis 5 ans une couleur franchement “de classes”. Les manifestations que nous vivions dans les rues étaient de plus en plus “de classes” ; de surcroît, nous étions en présence d’un mouvement ouvrier continuellement en progression ; on voyait de plus en plus, les mobilisations et manifestations sur 3 jours et partout dans le pays devenir des mobilisations de 5 jours et on sentait que cette conscience, cette confiance en soi se produisait dans les mouvements de rue jusqu’à ce que nous puissions dire qu’aujourd’hui la rue est protestataire et nous avons pu produire un discours et une organisation de classes.
Si nous regardons les données relatives aux arrestations dans les trois derniers mois, on voit qu’il y a beaucoup de personnes arrêtées au sein du mouvement étudiant, au sein du mouvement des femmes ainsi que chez les ouvriers. C’est un mouvement qui est en progression sans qu’il y ait un guide ou de direction ; c’est très exactement le vocabulaire et le discours que nous avions essayé de mettre en place. Quand on observe l’attitude des gens qui sont dans le mouvement, au niveau de la rue, on sent qu’on n’est plus dilué dans le mouvement général comme par le passé et tel que rapporté par les médias.
Il y avait un temps où on parlait des comités ouvriers ou des conseils ouvriers et on essayait de constituer un IRAN 2022 mouvement qui n’ait pas besoin de leader ou de dirigeant, de façon horizontale ; mais nous avons été réprimés et arrêtés. Nous étions avec les compagnons, 41 personnes. L’intérêt de cette façon de faire était que l’arrestation d’une ou plusieurs personnes n’arrête pas le mouvement en entier. Pendant notre incarcération il y a eu une inondation très importante à Ahvaz. Des comités populaires ont été créés pour venir en aide aux habitants et on a réalisé à cette occasion que nous étions en prison mais que notre pensée était dans la rue.
Une fois libérés, nous nous sommes joints aux comités populaires et c’est à ce moment-là que les ouvriers de l’aciérie d’Ahvaz ont entamé une grève de la faim pour pouvoir envoyer tous les repas préparés à l’usine et qui leur étaient destinés, aux habitants qui étaient dans le besoin. Même aujourd’hui on peut voir dans les comités de quartier ce genre d’organisation horizontale à l’œuvre ; c’est bien la preuve que notre discours a atteint la rue. Quand on parle de nous, on parle d’une classe et non pas d’une personne ou d’une position. Quand on parle des manifestations et de la continuité de ces manifestations, je n’ai pas de doute qu’il s’agit de manifestations de classes ; c’est cette logique que nous employons quand nous regardons les mouvements qui se déroulent dans la rue. Au début d’un mouvement de protestation, dans les premiers jours, on peut voir des gens qui sont entrés dans le mouvement sous l’effet de leurs émotions ; ils y entrent dans un état d’agitation, avec des sentiments de colère ou de vengeance ; mais la continuité de ces manifestations ne peut être que du fait des gens qui n’ont plus rien à perdre… et aucun capitaliste ne peut rester 3 mois dans la rue pour protester car il aurait toujours peur de tout perdre ; c’est de là aussi qu’on peut déduire que les manifestations actuelles sont bien des manifestations de classes.
Je me permets de soulever un autre point très important. Il s’agit de l’effort de l’Occident pour fabriquer des leaders pour le mouvement iranien ; il font tout à travers leurs médias pour nous fabriquer des dirigeants. Nous connaissons très bien ces dirigeants autoproclamés ou ceux que les parlements occidentaux essaient de nous procurer. Nous connaissons très bien l’histoire de l’OTAN dans la région. Leur préoccupation n’est en aucun cas la libération des femmes ou les droits de l’homme dans nos pays, mais les ressources et les capitaux qui s’y trouvent.
Jetons un coup d’œil sur les dernières semaines et voyons la pratique de ces dirigeants autoproclamés.
Courant les deux dernières semaines, la famille Pahlavi [ex-roi du pays], ainsi que Mme Alinéjade [7] ont été reçues en France la première fois par le Président Macron et la seconde par des parlementaires français. C’est après ces visites que le Président Macron s’est rendu aux États-Unis et avec Biden, ils ont fait une déclaration pour rendre hommage au courage des femmes iraniennes. Nous, de notre coté, sommes toujours prêts pour négocier mais il est évident que les Occidentaux essaient d’utiliser le sang coulé en Iran comme monnaie d’échange dans leur négociation avec les dirigeants iraniens ; nous ne permettons pas qu’on traite le mouvement ouvrier comme une carte à jouer car nous sommes dans la lutte sur la base de notre propre volonté et non en fonction de ce que les États Occidentaux désirent.
Nous voyons aujourd’hui à quel point ces gens-là et ses courants appartiennent à la contre-révolution. Le peuple iranien qui a vécu depuis plus de 40 ans sous le joug de la République islamique a progressivement construit sa lutte : il est progressivement entré dans la protestation, c’était un processus qui a rassemblé le mouvement des femmes, le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier ; nous entendons maintenant des slogans “de classes” dans nos manifestations, dans la rue. Ces slogans prennent pour cible l’oppression quelque soit sa forme. On entend “À mort l’oppresseur, que ça soit le Shah, que ça soit le Guide !”
Mais les médias, à l’intérieur du pays publient des entretiens avec le guide et à l’étranger font des entretiens avec Pahlavi ; c’est ainsi que la farce des médias continue, ils font tout pour ne pas voir que c’est une question de classes et veulent nous utiliser comme un moyen, comme une armée de figurants ou de chair à canon ; ils font tout pour nous écarter, nous et notre discours du cours des événements ; pour faire de nous des victimes et négliger notre lutte, tandis que chaque personne qui se trouve aujourd’hui dans la rue pour protester contre le régime à une croyance indéfectible à sa cause, il est là pour réellement changer quelque chose. Les médias essaient de transformer le sens de ce combat en utilisant un autre vocabulaire ; ils transforment nos concepts de classes en leur ôtant toute signification, en les banalisant, en les dégradant comme une vulgaire marchandise. Ils répètent sans arrêt le mot grève comme un moyen sans importance ; même quand il n’y a pas de grèves dans certaines villes, ils essaient d’en fabriquer.
Les ouvriers quand ils organisent une grève, ils savent très bien ce qu’ils sont en train de faire ; mais les médias font comme s’ils ne reconnaissaient pas notre conscience de classe, ni notre intelligence. Ils pensent qu’en répétant tout le temps “grève grève grève” ils vont entraîner les ouvriers dans les grèves ; en fait, ils négligent notre subjectivité, ils pensent que nous allons vers la grève par manque de connaissance et de conscience ; ils nous prennent pour des inconscients sous emprises de nos émotions, que l’ambiance de l’agitation nous a poussé vers la rue.
Les médias essaient de façon permanente de s’accaparer nos concepts et les banaliser en répétant par exemple “révolution révolution”… comme si on ignorait que la révolution est un processus, qu’elle n’est pas dictée du haut vers le bas mais qu’au contraire c’est un mouvement qui va vers le haut ; la révolution c’est la dictée du bas vers le haut.
Cette inversion de sens qu’ils essaient de nous faire avaler, veut négliger notre conscience et de nous victimiser pour persuader les forces occidentales de la nécessité du déclenchement d’une attaque contre l’Iran. Ces guerres seraient la contre-révolution même.
Nous nous souvenons très bien quand ils demandaient aux femmes iraniennes d’enlever leur hijab et de les convaincre de limiter le mouvement à cette question, mais aujourd’hui les femmes iraniennes sont dans les rues, en train de brûler leur hijab mais aussi de mettre en cause la totalité du régime. Les médias n’aiment pas parler du fait que les femmes dans le système iranien sont complètement écartées de la structure politique, économique et sociale du pays ; les médias, en limitant la révolte des femmes à la question du hijab, créent une sorte d’islamophobie, tandis que nous croyons à la liberté de l’homme et non pas au diktat des puissants pour nous imposer ce en quoi nous devons croire.
Aujourd’hui, la lutte des femmes en Iran est l’école de la lutte des femmes du Sud. Ceci n’est pas juste une illusion ou un souhait ; tout le monde a pu voir les photos des femmes iraniennes montées sur le toit des voitures en train de brûler leur hijab. On avait déjà vu des scènes similaires au Soudan quand Alaa Salah a grimpé sur une voiture pour chanter des chansons révolutionnaires ; on a vu cette scène des milliers de fois ; nous étions témoins des luttes des femmes africaines avec leurs propres slogans, des slogans qui ont été répétés dans les rues de l’Iran ; on a vu le slogan des femmes kurdes “Femme, Vie, Liberté !” qui a été repris en Iran ; c’est pour cette raison que je pense que la lutte des femmes en Iran est une école et une collection de la lutte de toutes les femmes dans le Sud. Quand les femmes iraniennes reprennent les slogans des femmes afghanes, elles savent très bien ce qui s’est passé en Afghanistan après le retrait des forces américaines et la prise du pouvoir des talibans. Elles voient très bien ce qui se passe avec les femmes en Irak et en Syrie … donc ceux qui sont assis aujourd’hui au congrès américain et veulent persuader les iraniennes qu’ils veulent les libérer, ils n’ont qu’à libérer d’abord les américaines.
Je pense que nous, nous sommes en train de surpasser notre douleur et arriver au point de la liberté ; on va faire la révolution.
D’ailleurs, je ne suis absolument pas quelqu’un qui a des illusions à propos de la Révolution ; on a fait du chemin ces 15 dernières années ; quand nous étions dans la rue, mais avec très peu de monde, quand nous nous efforcions de nous organiser, mais dépassions à peine quelques personnes… et aujourd’hui on voit comment notre vocabulaire a été repris par la rue et se généralise dans l’espace public ; je suis persuadé que c’est bien de notre révolution qu’il s’agit.
C’est notre révolution et nous ne le confions à personne ! La révolution qui se déroule aujourd’hui dans les rues de l’Iran, c’est la douleur des gens écartés, exclus et marginalisés ; c’est la douleur des Baloutchs , c’est la douleur des Kurdes , c’est la douleur des arabes, c’est la douleur de tous ces gens qui sont exclus de cette structure à cause de leur langue, leur origine. On n’est plus victime d’aucun système car nous avons décidé d’avancer et si aujourd’hui je suis ici, c’est pour expliquer le vocabulaire de notre classe, le vocabulaire d’une classe qu’on essaie d’exclure, d’écarter et de faire de nos femmes en lutte, des victimes. Ils pensent que nous sommes dans la rue à cause de notre inconscience, notre absence de jugement mais nous sommes certainement des personnes en lutte car nous la vivons et les femmes iraniennes ont expérimenté cette résistance dans leur vie. Nous connaissons la vie, nous connaissons la résistance, par la douleur de nos camarades ; par la douleur de Leila [Hosseinzadeh] qui est aujourd’hui emprisonnée. Quand nous étions dans la rue et que nous essayions de nous organiser, on a entendu, en solidarité avec nous, une seule voix qui venait d’une seule université ; c’était l’université où Leila faisait ses études et aujourd’hui, c’est elle qui se trouve sous les verrous. Mais les temps ont changé ; aujourd’hui il y a des milliers d’étudiants au sein des centaines d’universités qui utilisent le langage et le vocabulaire de la révolution. Ils nous mettent en prison, montent des dossiers contre nous, fabriquent des documentaires mensongers contre nous, mais notre vocabulaire et notre lutte se trouvent dans la rue, nous n’avons pas de guide, notre guide est la rue.
Merci
[Applaudissement du public]
Après ce petit discours, la camarade chargée des discussions a donné la parole à la salle pour que les participants puissent poser leurs questions en précisant que dans la mesure du possible, leur intervention ne dépasse pas 2 minutes pour que tout le monde puisse s’exprimer.
Question (en allemand) : qu’attendez-vous des groupes et organisations à l’étranger pour soutenir le soulèvement en Iran ?
À l’étranger, nous nous trouvons – je dis “nous” car moi aussi je me retrouve à l’étranger – dans une situation qui permet davantage de liberté de parole. La question la plus sérieuse est la suivante :
Ici, nous n’avons plus affaire directement à la République islamique et sa répression ; ici, nous devons parler de façon claire et sans tergiversation. Il n’est plus possible de se tenir au milieu du guet, de jouer au centre, ce serait un crime.
Quand nous voyons qu’un enfant participe aux manifestations et est prêt à recevoir une balle dans la poitrine, la moindre des choses c’est que nous ayons autant de sincérité et de courage que lui. Nous devons être présents pour qu’en solidarité avec le mouvement, nous puissions reprendre le vocabulaire de la rue. Il faut qu’on puisse reproduire par nous mêmes, ici et maintenant, toutes les capacités et les possibilités qui nous ont été enlevées dans un autre lieu. Qu’on agisse en solidarité et qu’on soit capable de répéter le vocabulaire et le langage de notre classe.
Il faut qu’on puisse produire une pensée critique et actuelle face aux principaux courants qui nous sont proposés.
Et si notre appréciation est qu’on a affaire à une révolution féminine, il faut bien agir en conséquence et la nommer clairement car une fois qu’on a reconnu, nommé et identifié un mouvement, on peut alors utiliser toutes ses capacités.
Il faut dénoncer le mode de pensée qui voit dans un ouvrier juste un homme et écarte les femmes en tant que personnes faibles. Il faut clairement dire qu’aujourd’hui ce sont les femmes qui ont des potentialités d’organisation et c’est ce qu’elles font. Il faut qu’on accepte le vocabulaire de la rue même si elle ne nous correspond pas. On est dans l’obligation de le répéter même si on n’est pas d’accord avec lui. C’est dans notre solidarité, dans nos épaules qui se touchent que les idées circulent et produisent le vocabulaire de la révolution. Il ne faut pas qu’ils arrivent à nous faire désespérer et nous persuader qu’on n’a aucun rôle à jouer dans la révolution de notre pays. Il ne faut pas qu’on laisse ce vocabulaire d’humiliation en exil nous gagner.
Je suis sûr qu’au cours de discussions futures on pourra mettre nos idées en commun et avancer. Je suis sûr qu’une troisième idée sera produite si nous avançons côte à côte.
Question (en persan) : vous pouvez nous dire quelques mots sur les organisations syndicales ; j’ai travaillé, il y a des années, avec un syndicat ouvrier en Iran qui était dans les travaux de fer et de mécanique ; quelle est la situation des syndicats et des unions ouvrières qui se trouvent aujourd’hui en Iran ?
Il faut d’abord savoir quelles sont les structures des organisations ouvrières en Iran. Ici, j’ai remarqué que les structures ouvrières reconnues sont essentiellement des syndicats et pas autre chose. En Iran, il faut bien dire que nous avons des organisations ouvrières mais on ne peut jamais proclamer l’existence de ces organisations ; il suffit que nous proclamions la création d’une telle chose pour qu’elle soit tout de suite interdite et qu’on se trouve sous une vague de répression. Il existe bien entendu trois ou quatre syndicats qui, dans une période spécifique, pendant la période où les réformistes étaient plus ou moins au pouvoir ont été créés ; le gouvernement suivait bien sûr des intentions populistes. Les ouvriers, même au sein de ces syndicats, ont essayé d’utiliser leurs capacités pour changer les choses et modifier l’équation entre l’État et le mouvement ouvrier. Nous connaissons une autre approche aux organisations ouvrières que sont les conseils qui représentent une force plus radicale et ont une compréhension plus profonde de la société. Ce genre d’organisation est en général clandestin ou semi-clandestin ; c’était pour cette raison qu’au début de la discussion, j’ai insisté sur le fait que nous devons porter notre attention sur la rue et la répétition de nos concepts de classes au sein de la rue. Il faut comprendre qu’il est extrêmement difficile pour les ouvriers d’avant-garde de construire quelque chose, dans cette atmosphère de répression, tout en protégeant leur propre vie et la vie de leur famille.
Mais encore une fois, je ne regarde pas ce sujet de façon illusoire qui me ferait conclure et prétendre que la totalité des ouvriers iraniens sont organisés ; là-bas, ils font des choses importantes, des efforts importants pour que ce discours d’organisation, le discours des conseils puisse acquérir plus d’influence et arriver dans l’avenir à organiser des grèves ; pour que le mouvements ouvrier puisse être organisateur des grèves futures.
On peut également se référer aux grèves qu’on a vues dans les manifestations actuelles ; il faut mentionner la première et la plus importante grève qui a eu lieu depuis le commencement du soulèvement.
C’était la grève des ouvriers contractuels “sous projet” de la pétrochimie à Assaluyeh qui ont entamé leur grève avec le mot d’ordre de “À mort dictateur !” Aussi il y a eu la grève des ouvriers de la sidérurgie d’Ispahan, ainsi que les grèves du Complexe industriel de Ghazvin.
Dans tous ces cas, nous avons vu aussi le regard humiliant des médias sur ces grèves et sur ses revendications. On leur reprochait d’agir uniquement pour faire valoir des revendications corporatives ou économiques.
Ils ne comprennent pas que certaines capacités existent au sein des usines et il faut les utiliser avec intelligence. Quand ces grèves suivent les manifestations, ça leur donne une autre signification ; quand nous voyons que ces grèves se font au même moment que les mobilisations, il faut bien comprendre qu’il y a une conscience derrière ses actions et ce ne sont pas des choses qui se produisent par hasard.
Je répète que je n’ai pas un regard illusoire sur la révolution, nous ne faisons que produire tous nos efforts dans cette voie.
Question (en allemand) : quel est le rôle des comités de quartier dans le soulèvement ?
Il n’existait pas de comités de quartier avant le soulèvement actuel ; bien entendu, on avait dans notre histoire la présence de ces comités mais il n’y avait rien qui existe de façon permanente sous cette appellation.
Il existe en général deux types différents de comités de quartier ; les comités qui s’occupent des difficultés matérielles qui pourraient y exister et puis ceux qu’on peut qualifier de révolutionnaires.
Je n’ai pas actuellement des informations précises sur le fonctionnement de ces comités, mais d’après ce qu’on peut constater de leur attitude et leur pratique dans la rue, on peut avoir un certain jugement à leur égard. Pour ce faire, il faut comparer les déclarations et les appels qu’ils lancent à leur pratique réelle dans les quartiers ou dans les villes où ils sont présents. On peut constater que dans les quartiers ou les villes couverts par les comités le cours des manifestations et la façon dont les manifestants réagissent face aux forces de l’ordre sont beaucoup plus réguliers et organisés.
Cette discipline que nous pouvons constater dans ces quartiers ou dans ces villes en particulier, démontre l’efficacité de ces comités et la réalité de leur prétention.
Il ne m’est pas permis d’en dire plus, car ça peut soulever des questions de sécurité sur lesquelles il vaut mieux garder le silence.
Question (en allemand) : On a vu dans les manifestations de solidarité qui se tiennent à l’étranger, notamment en Allemagne, qu’il y a des forces de gauche qui acceptent de participer aux manifestations organisées par les royalistes iraniens . C’est le fameux slogan de “on est tous ensemble !” qui crée cette confusion et qui permet aux États occidentaux, par exemple l’État allemand, de diluer et de faire disparaître le courant révolutionnaire qui pourrait exister dans ce mouvement. Qu’est-ce que tu penses à ce propos ?
À la base, est-ce qu’il existe quelque chose par rapport à laquelle on peut parler de “on est tous ensemble” ? Par exemple aujourd’hui, regardez cette camarade femme qui est devant moi ; si jusqu’à demain matin je crie et je répète “on est tous ensemble”, “on est tous ensemble”, est-ce qu’elle va jamais sentir réellement qu’on est tous ensemble ?
Il existe une présupposition que le système contient en son sein, quelque chose qu’il me procure juste parce que je suis un homme. Je profite ainsi d’un certain nombre de capacités et d’avantages, de privilèges. Je pourrais me tenir debout ici et crier que “nous sommes tous ensemble”. C’est évident que ça n’a rien de réel.
Maintenant réfléchissons à ce qui se passe dans la société iranienne. Je commence par moi-même, je suis un ouvrier arabe. Ce qualificatif suffit pour qu’on ne me considère même pas comme capable de réflexion et de pensée. [rires de l’audience]. C’est-à-dire le fait même que tu sois arabe t’exclut en tant que quelqu’un qui peut penser. On ne reconnaît pas cette capacité en toi. Une personne baloutch n’a même pas une carte d’identité. Ceci ne concerne pas seulement le régime actuel mais c’est quelque chose qui existe depuis l’ancien régime, c’est une approche systématique qui existait même sous le régime du Shah. Moi en tant qu’arabe, ou un kurde en tant que kurde, on était depuis toujours considéré comme dangereux.
Je vous explique maintenant pourquoi les royalistes aujourd’hui se sont souvenus que “nous sommes tous ensemble” ; car c’est nous qui sommes les protestataires, c’est nous qui vivons dans des conditions de classes et dans la douleur, c’est nous qui avons des vécus emplis de souffrance. C’est quand nous sommes descendus dans la rue qu’ils se sont souvenus que “nous sommes tous ensemble”.
Les gens étaient expropriés de leur terrain agricole sous le régime du Shah, ils le sont toujours sous le régime de la République islamique ; rien n’a changé ; je doute qu’on soit tous ensemble.
Je ne comprends pas pourquoi ils pensent que nous sommes des idiots et qu’on a tout oublié. Si une force de gauche aujourd’hui se tenait à côté d’une force politique qui porte un drapeau tâché de sang de ses camarades, cette force serait, en fait, une force de droite qui n’ose pas le dire. [applaudissements de l’audience]
Ce sont en effet, les mêmes forces “de gauche” qui considèrent la République islamique comme anti-impérialiste. Elles n’ont pas encore compris que les forces de gauche s’appuient sur les gens de classes inférieures et non pas sur les parlements ; je veux en deux mots leur signaler qu’à quel point ce régime est anti-impérialiste ; il est rentré sur les tanks américains en Irak ; aujourd’hui, on le trouve au Liban et en Syrie ; il soutient les talibans et c’est partout la classe ouvrière qui se trouve être leur victime. Ces gens-là ont vraiment honte de dire clairement qu’ils sont de droite. [Applaudissements]
J’espère avoir répondu à votre question car c’est vraiment une grande douleur pour nous.
Question (en allemand) : Premièrement, est-ce que dans les luttes qu’on voit aujourd’hui en Iran existe-t-il des références historiques de luttes qui soient de nouveau pertinentes ?
Et la deuxième question : quels seraient, dans une perspective d’avenir, le meilleur scénario que vous pouvez imaginer survenir en Iran et aussi le pire ?
Nous sommes en train de parler de l’Iran qui a déjà eu une révolution dans son histoire récente. Dans la révolution de 79, il y a eu une très grande et efficace organisation qui a abouti à la révolution. Les comités de quartier, les comités des usines et les conseils d’usine avaient beaucoup de pouvoir à l’époque même si les classes dominantes et leurs alliés ont pu, encore une fois, fabriquer des leaders et nous dérober notre révolution. Et ils ont confié le pouvoir aux islamistes car à l’époque la situation de la région exigeait l’essor de l’islam radical.
Aujourd’hui en Iran, nous sommes face à trois générations. La première génération ce sont les gens qui ont participé à la révolution de 79 ; La deuxième se sont leurs enfants, notre propre génération qui n’a pas vécu la révolution mais en a entendu les récits de leurs parents et la troisième ce sont les enfants [des deux dernières décennies] qui en tant qu’une force radicale est en train d’accumuler ses expériences de luttes ; qui sont traités aujourd’hui par les médias comme des révolutionnaires de téléphones mobiles et de réseaux. Ce discours veut leur faire oublier justement que nous avons fait une révolution. Il veut humilier cette nouvelle génération mais aussi les générations antérieures pour pouvoir les victimiser.
Sur la question de meilleur et de pire scénario que vous avez évoquée, je dois dire qu’en tant que peuple, pour nous il n’existe pas de pire scénario car nous essayons d’apprendre de nos douleurs et de construire tout le temps une lutte plus consciente, nous ne subirons aucun échec car nous apprenons et c’est de l’expérience qui s’accumule. Ce sont les systèmes qui vont subir un échec. Il existe pourtant une autre perspective qui serait éventuellement le meilleur scénario c’est-à-dire si la situation évoluait dans le bon sens, le meilleur des cas comme vous dites.
Si nous réussissons et qu’on aille réellement vers une révolution populaire, si la réflexion populaire qui est aujourd’hui à l’œuvre arrive à réaliser sa révolution, compte tenu de la position géographique de l’Iran, sa position vers le Moyen Orient et la situation du Proche-Orient, on pourrait assister à un événement important. Nous avons déjà vu à l’occasion du Printemps arabe comment ils ont réprimé les révolutions ou essayé de se les approprier ; nous assistons aussi à la normalisation de l’exploitation des ouvriers pas cher et sous payés dans l’est de l’Orient, je veux dire en Inde, en Indonésie et en Malaisie… Avec une révolution populaire en Iran, je pense que l’équation dans la région pourrait changer.
Mais pour le pire des cas, je pense qu’on serait des partisans dans les montagnes !
[Rires et applaudissements]
Question (en persan) : Merci beaucoup pour votre intervention. Je pense sincèrement que le monde serait beaucoup plus vivable s’il y en avait beaucoup plus de gens comme vous.
Mais, j’ai une question à poser : est-ce que vous connaissez des expériences de la direction d’un mouvement horizontal dans le monde comme vous décrivez. Est-ce qu’il existe des exemples de ce type de direction ?
Ma deuxième question est la suivante :
J’avais vu, j’avais lu quelque part que la révolution se déroule dans la rue et la force qui serait victorieuse est celle qui arrive à le prendre en main ; nous avons vécu l’expérience de 79 où le clergé religieux avait l’organisation pour se l’approprier. Qu’est-ce qui va faire, à votre avis, que la révolution présente aussi, malgré tout le sang que les gens ont donné, malgré tous les sacrifices consentis [voix émue] ne soit pas de nouveau accaparée par d’autres forces ?
Quand nous nous trouvons devant une organisation populaire, une organisation horizontale, sans dirigeant, c’est comme si nous nous tenions devant les vagues déferlantes et déchaînées de l’océan.
A notre connaissance, il n’existe pas un pouvoir aujourd’hui en place dans le monde qui règne de cette façon là, en s’appuyant sur une telle force. Si c’était le cas, la situation générale du monde n’était pas telle qu’on la voit. Mais, ceci ne veut bien entendu pas dire que si nous pensons à une organisation populaire et horizontale, nous sommes dans l’erreur ; nous devons faire de toutes nos forces les efforts nécessaires pour réaliser ce en quoi nous croyons et qui représente l’égalité des gens.
C’est seulement grâce à une telle organisation populaire que nous pouvons prétendre que nous sommes tous égaux, surtout quand on parle de la société iranienne et de toutes les ethnies qui s’y trouvent. N’importe quelle force du type de l’État iranien qui prendrait le pouvoir, va écraser une ethnie sous ses pieds. C’est l’équation du pouvoir ; autrement dit, même si aujourd’hui le peuple arabe prenait le pouvoir, probablement il n’agirait pas autrement. C’est uniquement dans une structure horizontale que nous pourrons arriver à un pouvoir qui respecte le droit de tout le monde ; c’est cette structure qui est une garantie pour notre égalité future. Certainement tout le monde ne pense pas comme nous, mais rien ne nous empêche de faire un effort commun pour réaliser ce en quoi nous croyons tous. Il ne s’agit pas d’une abstraction, nous sommes en train de voir les luttes dans la rue, les unités qui s’y créaient jusqu’ici étaient ternes, mais aujourd’hui on les voit tous les jours se renforcer ; c’est cette potentialité, cette solidarité qui tous les jours se renforce sans tenir compte de la couleur de peau, de l’ethnie, de l’origine …
Je répète que je n’ai pas un regard illusoire sur la situation, mais c’est ce qu’on peut voir dans les processus de luttes dans la réalité de la rue, il faut les regarder attentivement et avec rigueur.
Il y avait un moment où les manifestations étaient l’œuvre de quelques personnes ; elles ne trouvaient pas d’écho parmi les autres catégories de la population. Avant le soulèvement actuel, il y a eu beaucoup d’autres Mahsa Amini tuées. Mais c’est Gina qui a mis le feu aux poudres. C’était une lumière qui a permis au peuple et au mouvement de prendre un nouvel élan de protestation. N’oublions pas aussi que c’était une femme kurde, c’est un point important. Nous allons vers une orientation qui me semble pleine d’espoir.
J’espère avoir pu répondre à votre question, même si je vois [sur votre visage] que vous ne semblez pas tout à fait satisfaite.
Je comprends, les douleurs sont immenses.
Question (en persan) : Je suis trans et homosexuelle. Sous la RI, c’est évident que je ne pouvais jamais être dans une organisation, ou s’il existait un regroupement, c’était toujours de façon clandestine. Nous ne sommes pas dans une usine ou au sein de l’université pour avoir des organisations communes. Au cas où j’aurais l’occasion d’être présente dans la rue, avant que la République islamique se mette à nous tuer, c’est notre propre famille qui s’en serait chargé. Dans vos propos, vous insistez beaucoup sur la rue et les luttes qui y sont menées. Je suis d’accord avec ça mais je voudrais savoir si vous limitez la révolution uniquement à la rue ou il peut y avoir d’autres espaces où la révolution pourrait exister ?
J’ai une autre question qui relève plutôt de ma propre curiosité car moi, je trouve la solidarité d’une autre façon. Vous avez dit que l’organisation parmi les ouvriers se faisait de façon horizontale ; pouvez-vous nous donner un exemple précis de ce type d’organisation ?
J’espérais ne pas avoir à rencontrer de camarades homosexuels ou LGBT car j’éprouve de la honte envers eux. Non, vous avez raison, la rue n’appartient pas à tout le monde. Ce que vous dites est vrai, tout à fait vrai.
Nous savons de quelle douleur vous parlez car nous avons un ressenti similaire. La douleur d’une personne exclue ne peut être comprise que de la part d’une personne lui-même exclue. C’est chacun de vous, un par un, qui nous a fait comprendre cette réalité et vous vous êtes imposés à nous. Vous nous avez enseigné ce que vous êtes, ce que vous dites, et c’est votre lutte qui nous a permis de saisir votre situation ; même si aujourd’hui, on est loin de prétendre la comprendre. La République islamique nous a éduqué de cette façon ; elle nous a tous humilié, chaque personne entre nous s’est trouvée humiliée, même si cela n’a certainement pas atteint le degré d’humiliation que vous avez dû subir et ressentir.
Nous devons répéter et répéter le vocabulaire et les mots des personnes exclues au point que ça puisse pénétrer dans nos crânes ; que nous puissions comprendre qui sont ces personnes exclues. Nous devons continuer à parler de la question d’organisation jusqu’à ce qu’on arrive à imposer le discours de ces personnes à ces structures de façon qu’il y soit intégré. Et très certainement les modes d’organisation que vous avez trouvés, ou vous allez trouvés en Iran, sont et seront des choses uniques et exceptionnelles, car dans une situation de dictature, ce n’est pas une mince affaire de retrouver une personne qui ressent les mêmes douleurs et mène les mêmes combats que toi.
Je suis très content d’avoir fait votre connaissance et je suis preneur d’une discussion dans laquelle nous puissions mettre en commun nos idées.
Je vous remercie d’être venue.
[Applaudissements]
Remerciements de rigueur…
Slogan des participants : Femme, Vie, Liberté !
Traduction et présentation : Habib du collectif dndf & Andisheh va Peykar (Pensée et Combat)
Traduction en français de la réunion publique de Meysam Alé-Mahdi à Berlin
Le 17 décembre 2022
Vous trouverez sur le site de l’OCL un certain nombre de textes sur le soulèvement de 2009, la lutte des femmes Iraniennes, et le communisme ouvrier d’Iran dans le dossier Iran qui reste intéressant même si la plupart des liens de l’époque ne sont plus actifs.
[1] DNF est un site qui "parle de la communisation au présent" proche de la revue Théorie communiste
[2] Il existe en Iran un courant "Le communisme-ouvrier" qui développe une conception “conseilliste” du communisme, fondamentalement internationaliste et mène un combat laïc intransigeant. Comme son nom l’indique il insiste sur le caractère strictement prolétarien du combat pour le communisme, un communisme qui doit se défier de l’étatisme et s’appuyer sur le pouvoir des conseils ouvriers et le respect radical de la personne humaine. Par son positionnement, le communisme-ouvrier s’est opposé à pratiquement tous les autres courants de la gauche iranienne notamment à cause de son opportunisme à l’égard de l’islamisme politique et de son caractère supposément anti-impérialiste.
Le communisme-ouvrier (qui existe aussi en Irak) est un courant divisé en plusieurs mouvements : Parti communiste-ouvrier d’Iran, Parti communiste-ouvrier d’Iran - Hekmatiste, Union Socialiste des Travailleurs, Parti de l’Unité Communiste-Ouvrière. cf Iran mythes et réalités
[3] des discours mémorables sur la nécessité des conseils ouvriers et de la gestion ouvrière. Ndlr
[4] mais comme l’État iranien n’a aucune rigueur dans l’application de ses propres décisions, on a su – d’après les données officielles – que ces privatisations n’avaient concerné (jusqu’en 2013) que 13 % de l’ensemble des capitaux. N.d.l.r
[5] environ 250 millions de dollars de l’époque
[6] qui l’auraient de toute façon éliminé ! N.d.l.r
[7] ancienne journaliste du parlement de le RI, un moment proche des réformistes qui a quitté le pays pour les USA et milite contre le hijab. Politiquement proche des républicains américains