jeudi 1er février 2007, par
Les Français consacrent 26,84 euros par an à l’achat sans ordonnance de médicaments en pharmacie, tandis que les Allemands dépensent 60 euros, les Italiens 47 euros et les Anglais 43 euros.
Durant les décennies précédentes, les gouvernements de gauche et de droite ont pris différentes mesures pour combler le" trou de la Sécu " dont nous étions coupables. Ils se sont succédé pour nous imposer, entre autre chose, les réductions du taux de remboursement, voire le déremboursement total d’un nombre toujours croissant de médicaments. Pour justifier ces mesures, ils ont invoqué le " service médical rendu par le médicament insuffisant ".
Début janvier a été remis au ministre de la Santé, Xavier Bertrand, un rapport dont les auteurs sont A. Coulomb (ancien directeur de la haute autorité de la santé) et A. Baumelou (membre de la commission d’autorisation de la mise sur le marché de médicaments).
L’AUTOMEDICATION...
La chasse au " gaspi " préoccupe toujours notre bienveillant ministre de la Santé, et ce nouveau rapport lui permet d’utiliser d’autres arguments pour faire passer auprès des assurés et de la population de nouveaux déremboursements de médicaments. Il s’agit, selon les auteurs du rapport sur l’automédication (acquis aux firmes pharmaceutiques), " d’un élément important de la responsabilisation du citoyen sur les problèmes de santé ", mais aussi et surtout d’un facteur " d’une politique économique responsable du médicament ". En clair : en payant plein pot, sans ordonnance donc sans remboursement, nos médicaments, nous ferions faire de substantielles économies à la Sécu. Le transfert de seulement 5 % des médicaments consommés, suite à une prescription médicale, vers une automédication représenterait une économie d’environ 2,5 milliards d’euros, selon l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour l’automédication (AFIPA), lobby des grands labos très actif depuis de nombreuses années.
Chacun l’aura compris, l’automédication ne masque que de futurs déremboursements. Cela se traduira par une charge financière supplémentaire pour les patients, et par plus de bénéfices pour les laboratoires pharmaceutiques, qui se gardent bien d’évoquer ce que cela leur rapportera. On a pu constater, lors des précédents déremboursements totaux de médicaments, que leurs prix s’envolaient. Déremboursés, les collyres à la vitamine B12 ont flambé de plus de 400 %.
… TANT DECREE DEVIENT UN BIENFAIT
L’objet de ce rapport alibi pour le ministre de la Santé est de " mieux encadrer l’automédication, qui est aujourd’hui une réalité, puisque environ 10 % des médicaments sont vendus sans ordonnance ". Les industriels pharmaceutiques s’engageraient, quant à eux, " à un meilleur encadrement de cette pratique ", et les pharmaciens prodigueraient conseils et informations. Les Français sont les plus gros consommateurs de médicaments, la prise de produits incompatibles provoque plus de 10 000 accidents par an. L’automédication désirée par les labos risque d’augmenter ces chiffres.
Le rapport déplore que " la France souffre d’une vision monolithique du médicament et du système de soins qu’il faut replacer dans la course européenne ". En France, l’immense majorité des produits à PMF (prescription médicale facultative) est remboursable, alors que, dans de nombreux pays européens, ils sont catégorisés comme non remboursables. On comprend la convoitise des firmes, qui se frottent les mains devant ce marché prometteur.
Les auteurs du rapport dénoncent l’image négative qu’a l’automédication auprès des médecins. Ils vont même jusqu’à expliquer qu’elle permet de " réduire le nombre de journées non travaillées par les patients ". Il va de soi que les mesures préconisées tendent à résoudre la difficile contradiction entre limiter la facture de l’assurance maladie et permettre aux entreprises pharmaceutiques d’engranger plus de profits. Car tel était l’objectif de ce groupe de travail dont les membres sont tout acquis aux thèses du libéralisme. Groupe de travail qui a vu le CISS (Collectif interassociatif sur la santé) claquer la porte de ce marché de dupes, et dénoncer " un deal entre les pouvoirs publics, d’un côté, et les industriels et officinaux, de l’autre, en vue de compenser les déremboursements ". L’UFC-Que chosir ? s’insurge : " On ne peut pas, d’un côté, dire que les Français consomment trop de médicaments et, d’un autre, les encourager à consommer davantage de produits d’automédication. "
L’automédication, ainsi légiférée, aura l’avantage de remplir les poches des patrons et actionnaires des trusts sans rien coûter à la Sécu, tout en ne chargeant pas trop les assurances et autres mutuelles complémentaires, qui se nourrissent elles aussi sur le dos de leurs adhérents salariés.
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INFORMATION ET TIROIR-CAISSE
Pour permettre ces déremboursements favorables aux trusts, le ministre pose ses garde-fous : " Un meilleur encadrement de cette pratique, en donnant plus d’informations et de conseils aux patients et en passant forcément par les pharmaciens. " Hormis la revue de santé médicale Prescrire, totalement indépendante des labos, l’ensemble des infos distillées aux praticiens émanent des trusts. En feuilletant les revues en question, il est bien difficile de séparer l’information objective d’une publicité concernant tel ou tel produit. Bien souvent, les contre-indications sont inexistantes. On peut aisément prévoir ce que sera l’" information " diffusée par ceux-ci vers les patients et consommateurs grand public quand le marché leur sera totalement acquis. Nous en avons un avant-goût en voyant les quelques spots télévisés qui vantent les mérites et bienfaits de tel ou tel produit contre le rhume et la grippe, ou les hémorroïdes…
L’automédication ne nécessitant plus de visite chez le médecin (des économies de plus pour la Sécu), le pharmacien y aura un rôle accru. Nous passerons sur l’officine elle-même pour ne retenir que la confidentialité qu’offrira le lieu, la pseudo-consultation/ information entre le vendeur (pharmacien), le client (patient) sur le produit (médicament).
Le prix du médicament soumis à prescription médicale est encadré car remboursé par la Sécu. Avec l’automédication, labos et officines vendront ces médicaments librement. Non soumis au contraintes du remboursement, ils augmenteront brutalement. On peut imaginer la relation labo-pharmacie pour mettre en avant tel ou tel produit, et permettre à chacun des deux d’avoir sa part de fric sur le dos du client. Observons la part de rayonnages qu’occupe la para-pharmacie en tout genre dans l’officine et souvenons-nous que les pharmaciens sont des commerçants libéraux. A ce titre, leur ordre veille jalousement à réglementer l’ouverture d’officines. Leur seule inquiétude vient des hypermarchés, intéressés par ce marché prometteur. Dans le dernier Courant alternatif, nous évoquions la place des médecins étrangers dans le réseau médical national pour pallier le déficit de médecins français, tant sur le plan professionnel (spécialités) que sur le maillage géographique. Pour avancer leur pion vers la libéralisation du marché du médicament, les rapporteurs du texte s’appuient sur ce même constat de baisse démographique de praticiens. Ils prédisent qu’en 2015 il n’y aura plus de maillage médical suffisant pour que les médecins s’occupent de tous les petits maux, et que les patients sont désormais en mesure de se responsabiliser. Comme ils s’appuient sur la compréhension de cette réalité admise aussi par certains syndicats médicaux. Un argumentaire démagogique, car incomplet, que corrige même le Syndicat des médecins libéraux, admet que " l’automédication pour les petits bobos comme les rhumes ou les maux de ventre puisse désengorger les cabinets médicaux (…) mais (…) il y a tout de même un risque si les gens commencent à composer leur propre traitement sans réellement savoir de quoi ils souffrent ". N’ayons aucune crainte : les labos dans leur quête de profits sauront convaincre ces réticents toujours coopératifs.
Les labos se chargeront-ils de ces produits dans la transparence de l’information ? On peut déjà s’informer sur leur site Internet. Mais la première information, pourtant primordiale, qu’ils ne donneront jamais réside dans l’utilité même des médicaments en question. La plupart déjà peu ou plus remboursés sont classés inutiles par les autorités. N’osant s’attaquer aux lobbies et à leurs juteux marchés, elles se refusent à les interdire. Par facilité, par complicité ou sous pression des trusts, elles préfèrent les dérembourser. Dès lors, ils accaparent le produit, change de présentation d’emballage, ou de contenance, l’accompagnent d’une campagne de communication efficace et ciblée, et son prix grimpe peu ou prou. Il n’y a alors plus qu’une source d’information distillée par les seuls labos, et surtout plus d’information comparative entre produits pour permettre de savoir lequel sera le meilleur, le plus efficace et le plus utile. Une telle pratique est loin des préoccupations d’éducation et de responsabilisation de la population envers l’usage du médicament utile pour la santé. Cette offensive des firmes correspond à une panne d’innovation en recherche de molécules nouvelles et efficaces. Elle survient aussi à un moment où les produits les plus rentables pour elles arrivent à échéance des brevets qui appartiendront au domaine public. Dans ce contexte, les firmes ont besoin d’élargir la gamme des produits déremboursés. Dans ces conditions, un médicament sans particularité ni efficacité probante deviendra source de profits pour les firmes tandis que le patient déboursera seul le prix dudit médicament.
L’AIDE A L’OBSERVANCE
La même logique de profit anime le projet de " programme d’aide à l’observance ". Projet dont les députés seront saisis courant janvier. Ce programme vise à faire suivre les malades directement par les labos pharmaceutiques jusqu’à leur lit. Il est vrai que pour les maladies chroniques il est important voire nécessaire d’accompagner les malades, de les aider à suivre, modifier ou arrêter un traitement. Il est vrai que, pour certaines pathologies, le traitement peut s’avérer lourd, long, pénible à supporter, et qu’une aide serait judicieuse. Cette aide pourrait être apportée, suivie, accompagnée par les professionnels de la santé ou les associations de malades. Mais, là encore, les lobbies guettent le marché pour leurs seuls intérêts. Ainsi, un référent de labo accompagnerait un patient durant toute la prescription. Parfois à vie, pour certaines pathologies. Ce référent appointé par un labo (juge et parti) aura donc intérêt à sa prescription, à la faire se poursuivre. Ses intérêts étant liés à ceux de sa firme, on peut imaginer l’information objective ou comparative qu’il distillera sur des produits concurrents existants et plus efficaces ! Avec une telle pratique, peut-on imaginer un patient seul dans sa maladie avoir un choix critique sur sa thérapie, sa poursuite ou son arrêt ?
La loi interdit tout contact entre les patients et les firmes, concernant la publicité pour les médicaments de prescription. Peu importe : les labos ont les moyens de la contourner ou de la faire modifier pour l’inscrire dans " "l’évolution de la société et la responsabilisation des gens ". Plutôt que d’octroyer des moyens financiers et humains dans le cadre d’une santé publique d’accès à tous et toutes, les autorités permettraient aux firmes elles-mêmes de s’y substituer et, en fonctionnement privé, de prendre en charge les malades jusqu’à leur lit. Il pourrait y avoir une éducation thérapeutique et une information indépendantes des labos pour que les patients s’assument et se responsabilisent ; mais le vent libéral souffle de plus en plus fort sur le secteur de la santé soumis aux restrictions budgétaires et financières. D’ailleurs, il n’y aura pas de débat sur le sujet à l’assemblée. Courant janvier, les députés ne seront saisis que du projet de loi autorisant le gouvernement à traiter ce sujet par ordonnance
Ainsi, sous couvert d’économies, de réduire pour la énième fois le trou de la Sécu, le gouvernement démantèle un peu plus la santé publique, suivant les injonctions libérales européennes, pour le bien-être des trusts pharmaceutiques en quête d’insatiables profits et aux dépens des populations toujours plus nombreuses à être exclues du droit aux soins.
MZ Caen,
le 15 janvier 2007