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Guinée-Conakry

vendredi 15 janvier 2010, par Courant Alternatif

La vision que l’on a de la Guinée en 2009 est celle d’un pays en crise, où l’on ne comprend pas trop ce qui se joue derrière le jeu des factions qui se disputent le pouvoir. La junte militaire au gouvernement semble désormais discréditée, après les massacres du 28 septembre, tant sur le plan national qu’au niveau international. Mais comment la Guinée se trouve aujourd’hui plongée dans une telle situation  ?


Un (bref) retour en arrière sur le rôle symbolique de la Guinée au niveau panafricain et sur son évolution intérieure

Au sein des territoires coloniaux français, la Guinée s’est singularisée par son accès à l’indépendance immédiate en 1958, après le refus d’adhérer à la Communauté française exprimé lors du vote du 28 septembre de la même année. Face à ce qu’ils considéraient comme un camouflet, les tenants de la politique néocoloniale de la France ont alors fait payer au prix fort ce refus d’allégeance  : la France a retiré ses fonctionnaires et a stoppé tout financement. En sous-main, elle a favorisé l’action de barbouzes en vue de renverser le régime de Sékou Touré. De son côté, dès 1961, le régime — dirigé par un ancien syndicaliste — a commencé à montrer son visage dictatorial, en s’en prenant aux syndicalistes de l’enseignement qui s’étaient mis en grève Puis, à partir de 1970, suite à la tentative de débarquement de mercenaires portugais en relation avec certains exilés guinéens, le régime s’est encore durci en multipliant les purges au sein même des cadres du régime – le plus connu d’entre eux étant Diallo Telli, l’ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine décédé en mars 1977 au camp Boiro. Cependant même en instaurant la terreur comme mode de gouvernement, le régime n’était pas à l’abri de révoltes spontanées, comme ce qui s’est passé la même année avec la marche des femmes du marché vers le palais présidentiel en réaction aux abus de la «  police économique  ».

A la mort de Sékou Touré, son régime fondé sur le parti unique, le Parti démocratique de Guinée, a été renversé par des militaires. Mais très vite, les nouveaux «  libérateurs  » ont montré qu’ils n’étaient qu’une nouvelle caste au pouvoir prête à tout pour le conserver. Ainsi quelques mois plus tard, en 1985, une purge sanglante éliminait le colonel Diarra Traoré, le n° 2 du régime pour laisser le champ libre à Lansana Conté.
A peine ébranlé par la vague démocratique des années 1990, ce général a réussi à garder le pouvoir en déjouant un coup d’Etat militaire en 1996, en truquant les élections à plusieurs reprises et en emprisonnant ses opposants, notamment Alpha Conde, le plus en vue durant ces années-là. La fin de son règne, est marqué par le relais de la contestation politique des années 1990 par celle de la «  société civile  » notamment les syndicats réunis dans l’Intercentrale en 2006-2007.

 Vers le chaos actuel après la mort de Lansana Conté.

Après la disparition de Lansana Conté en décembre 2008, comme après la mort de Sékou Touré, on a pu observer la défaite de ses partisans, balayés par un putsch. Comme c’est souvent le cas, la coalition militaire parvenue au pouvoir n’est guère homogène  : on y trouve aussi bien des gradés mis à l’écart sous l’ancien régime que des hommes sortis du rang qui s’étaient signalés durant la fin de règne de Lansana Conté par des mouvements de «  revendications  » pour augmenter leur solde et leurs avantages matériels. On aurait tort de voir dans ce groupe – au nom d’une analyse de classe un peu rapide – des forces plus «  progressistes  » que les autres. En réalité, ces militaires traînent souvent une triste réputation en matière d’exactions au sein de la population civile (comme Claude Pivi, récemment promu ministre de la Sécurité présidentielle). Ce sont eux qui constituent les principaux soutiens de l’actuel chef de l’Etat Moussa Dadis Camara.
A son arrivée au pouvoir, ce dernier a été relativement bien accueilli par l’opposition et la «  société civile  ». Mais lorsqu’il est revenu sur sa promesse d’assurer la transition politique vers de nouvelles élections où il ne serait pas candidat (!) il a alors vu se lever contre lui, les «  Forces vives  » qui l’avaient au départ accepté. La réponse a été celle de la terreur avec les massacres du 28 septembre destinés à démoraliser toute contestation. Tout indique que l’on a laissé les manifestants entrer dans le stade où devaient avoir lieu un meeting de l’opposition pour mieux les enfermer et les livrer à des tueries et des viols commis notamment par les «  bérets verts  » de la Garde présidentielle. Le bilan serait de 150 à 200 morts .
Ce qui n’avait pas été prévu c’est le retentissement à l’intérieur et à l’extérieur du pays de cette répression sauvage. Les militaires ont fait disparaître immédiatement les corps mais des scènes ont été filmées sur des téléphones portables et diffusées sur internet.

 Des condamnations internationales unanimes mais sujettes à caution.

Après le 28 septembre, le Conseil de Sécurité a condamné les massacres commis par les militaires. Une enquête internationale a été ensuite ordonnée par l’ONU. Avec la France, les relations ont été aussi particulièrement tendues. En réplique à une condamnation de Kouchner, Dadis a déclaré que «  la Guinée n’est pas une sous-préfecture de la France  ». Mais c’est encore davantage après la tentative d’assassinat de Dadis Camara, le 3 décembre, par son aide de camp Diakite dit «  Toumba  » que l’on a franchi une étape supplémentaire. Les Français sont accusés d’avoir favorisé cette tentative de renversement de Dadis. Certains disent que ce dernier s’est réfugié auprès des Français. De son côté, il a déclaré à RFI (16 décembre) qu’il ne voulait pas qu’on lui attribue la responsabilité des massacres du 28 septembre organisés, selon sa version, par les hommes de Dadis.
Malgré cette unanimité internationale apparente sur la question du respect des droits de l’Homme en Guinée, on peut se demander si c’est cela qui est bien en cause. Après tout Moussa Dadis Camara n’est pas le premier dictateur qui arrive au pouvoir par un putsch et qui se maintient par la force sans craindre de faire tirer sur sa population. Du côté de la France en particulier, on n’a pas hésité à soutenir sans le moindre état d’âme la succession sanglante de Faure Eyadema qui s’est soldée par des centaines de morts au Togo en 2005. Et que dire aussi du médiateur du «  groupe de contact  », le président du Burkina Faso Blaise Compaoré, parvenu au pouvoir en éliminant son «  frère  » Thomas Sankara, à la tête du pays depuis plus de vingt ans et notoirement connu pour son implication dans différents assassinats politiques dans son pays et pour son soutien à des mouvements armés dans les pays voisins (Liberia, Sierra Leone, Côte d’Ivoire…) Enfin, il faudrait aussi rappeler que les exactions des militaires guinéens ne datent pas du 28 septembre 2009, date à laquelle la France a suspendu sa coopération militaire. C’est une habitude déjà prise depuis longtemps  : des centaines de civils ont déjà été tués durant les années du règne de Lansana Conté alors qu’on se réjouissait en France de cette coopération militaire. On ne peut ignorer aussi que c’est durant cette époque que la Guinée est devenue une plaque tournante du trafic de drogue international, dans lequel certains militaires guinéens ont été impliqués (notamment Ousmane, le fils de Lansana Conté).
Ce qui pose davantage problème pour le système international, avec les bidasses qui ont pris le pouvoir, c’est qu’il s’agit de gens imprévisibles voire «  ingérables  ». Là où cela commence à compter, c’est lorsqu’ils sont en position de remettre en cause les intérêts économiques internationaux qui existent dans ce pays. Sur le plan minier notamment, la Guinée détient près de 30% des réserves mondiales de bauxite. C’est avec les compagnies nord-américaines Alcoa et Alcan, actionnaires au sein de la Compagnie des Bauxites de Guinée, que le torchon brûle avec le régime actuel qui les accuse d’avoir détourné des sommes au cours des années passées dont le total dépasserait le milliard de dollars. En dehors de ces intérêts économiques, il y a sans doute aussi la crainte de voir se développer une situation de guerre civile et de partage territorial entre des factions armées comme au Liberia et en Sierra Leone. Ces craintes sont en ce moment confirmées par l’annonce de la présence de mercenaires étrangers, notamment sud-africains, et de l’envoi d’armes vers la Guinée en violation de l’embargo qui y a été décrété. C’est sans doute cette perspective de «  déstabilisation  » sur fonds d’intérêts miniers à préserver qui explique la préoccupation des puissances internationales bien plus que les droits de l’Homme qui ne pèsent évidemment guère dans la balance des relations internationales, notamment en Afrique.

Pascal (Bordeaux)

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