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ca 219, avril 2012

Notre-Dame-des-Landes : Ils sont vincibles !

Bilan de la manifestation du 24 mars

mardi 10 avril 2012, par Courant Alternatif


Ils sont vincibles !!

La manifestation nantaise du 24 mars contre le projet d’aéroport VINCI de Notre-Dame-des-Landes a été une réussite. Un premier bilan à chaud avant les prochaines résistances aux expulsions sur le terrain..!

NANTES EN ÉTAT DE SIÈGE

Le samedi 24 mars, les Nantais-es ont pu constater dans leurs murs, l’occupation policière que le pouvoir UMPS exerce en permanence depuis des mois sur le bocage et les habitant-e-s de Notre-Dame (NDDL). Un dispositif policier écrasant, sans précédent pour Nantes, avec rues barrées de grilles anti-émeute, hélicoptère, canons à eau et 1500 flics.
Le but de la manifestation était d’amener le bocage, ses habitants, ses bêtes, (et les flics qui ont suivi) dans Nantes... Ce fut réussi ! Côté manifestation, idem : 220 tracteurs de tout le département, plus du double prévus, ont bloqué le centre ville, obligeant l’arrêt de 13 lignes de bus et des tramways. En pleine campagne présidentielle, la lutte contre l’aéroport s’est donc imposée dans la ville, au grand dam des politiciens, pros ou antis, qui n’en attendaient pas tant. Les manifestant-e-s étaient près de 10 000, une affluence record pour cette lutte, qui répond ainsi à l’incessante propagande pro-aéroport et aux avis d’expulsions d’huissiers qui arrivent chez les habitants, les paysans et squatteurs de la ZAD (Zone d’Aménagement Différé).

UNE AMBIANCE FESTIVE
ET RÉACTIVE

De très nombreuses initiatives ont eu lieu tout le long du parcours. Bien sûr, la colonne des tracteurs et les remorques étaient largement habillés de panneaux contre le projet, la spéculation foncière ou la répression, contre Vinci et les autres porteurs du projet. Des véhicules insolites se déplaçaient sur la chaussée, comme un isoloir géant mobile ou un « poisson-vélo », un dragon qui crachait de la peinture ou encore une chenille géante, faite avec une tondeuse autotractée tirant des tentes igloos sur roulettes. Les tags les plus divers, inventifs et variés ont fleuri sur les façades des banques et les institutions, EDF, commissariats, sucettes publicitaires, au long des trois cortèges qui ont fusionné au centre ville.
Cette ambiance bon enfant, face aux robocops armés jusqu’aux dents postés aux carrefours, valait plus qu’un discours éloquent sur la violence des institutions contre le mouvement, pour la population nantaise ébahie et souriante. Bien sûr un certain nombre de manifestant-e-s étaient masqué-e-s – de diverses façons, certains un peu tristes et sinistres, d’autres avec masques de carnaval, en clown, en peau de chèvre ou même en buissons (!?)- pour pouvoir redécorer la ville à l’abri des curiosités policières, mais cela ne remettait pas en cause cette sorte de pied de nez que le mouvement adressait au pouvoir et aux médias, pris à contre-pied . Les journaux Ouest-France et Presse-Océan titraient trois jours avant « une manifestation redoutée », « Nantes en état de siège », en détaillant les forces policières, comme pour effrayer les plus timides ou diviser les forces organisatrices...
A noter que les manifestant-e-s ont réagi efficacement et rapidement, quand des flics en civil ont tenté des arrestations dans la manifestation, en les bloquant de diverses façons, rompant avec une certaine indifférence qui prévaut parfois dans les cortèges. Cette réactivité « toute en contrôle » a permis le bon déroulement du programme jusqu’à l’installation des milliers de personnes sur le cours central nantais, où règnent habituellement le Commerce et l’Ordre.

UNE FÊTE DE COURTE DURÉE...

Un bus arrivé de la ZAD distribuait des repas, musiciens, tables de presse et buvettes, planteurs d’arbres et peintres s’affairaient. Deux levées de terre, amenées par remorques et plantées de légumes et d’arbres, coupaient l’avenue en recréant le bocage, délimitant l’espace des « festivités ». Bref, les prises de paroles prévues eurent lieu (1) ( mais on ne manquera pas de regretter qu’un appel à la dissolution fut ensuite lancé dés 17 h 30 au micro, alors que la fin du cortège venait à peine de s’installer, et qu’il était prévu de siéger jusqu’à 22 h. La colonne des tracteurs avait déjà entamé son long retour programmé... Dès lors le scénario fut un peu moins maîtrisé. Les flics s’équipant et se positionnant, toute l’activité ralentit rapidement ; le Cours des 50 Otages, où, jusque là, une foule nantaise curieuse et intéressée se mêlait au cortège dans les bruits de discussions, se vida ; vers 18h il ne restait malheureusement plus qu’à lancer un feu de palettes, et un feu final d’artifice, prévus beaucoup plus tard. Peut-être le dépavage laborieux de quelques dalles, pour y planter des arbres, a servi de prétexte à cette fin hâtive en queue de poisson (2). Les derniers manifestant-e-s furent alors chassés par les CRS, loin du centre ville. Cinq arrestations et un blessé furent déplorés ; trois furent relâchées ; lundi, deux personnes en comparution immédiate pour « violences sur agents » écopèrent de deux mois avec sursis et amendes.

UN CORTÈGE ANTI CAPITALISTE

Il a rassemblé plus de 1500 personnes dans le convoi arrivant du nord. Cette initiative faisait écho au cortège pour un arrêt immédiat du nucléaire, structuré par les orgas libertaires le 15 octobre dernier à Rennes. A Nantes ce 24 mars, nous voulions d’abord constituer un pôle où pouvaient se regrouper tou-te-s les opposant-e-s à l’aéroport, partisans d’une critique plus globale et radicale de ce projet (d’où l’idée de produire un tract assez développé pour expliquer les raisons de l’initiative ; 4 pages disponible sur notre site). De nombreux camarades de la ZAD et des « Habitants qui résistent » nous ont ainsi rejoints ; des camarades d’autres villes et régions avaient également fait le déplacement.
La manifestation du 24 mars était organisée par une coordination regroupant des individus (habitants et occupant-e-s de la ZAD, paysan-ne-s des environs, nantais-es,...) et un cartel d’une quarantaine d’organisations, dont des partis politiques. Il nous paraissait impossible de laisser Europe Ecologie-Les Verts, le Modem ou le Front de Gauche incarner la seule expression politique au projet, au moment où ces mêmes partis minoritaires ne rêvent en fait que d’une chose : arriver à décrocher des ministères dans un gouvernement PS, ou UMP, et accéder à la gestion des affaires gouvernementales, en reniant si besoin par diverses pirouettes, leur opposition au projet. Nous ne savons que trop bien comment les promesses électorales s’oublient, une fois le pouvoir conquis.
Le député nantais Vert, François Goullet de Rugy, fidèle du maire de Nantes et prétendu opposant à l’aéroport, a ainsi vu sa permanence électorale copieusement repeinte au passage du cortège. Il en a déduit logiquement, pour répondre aux accusations de son adversaire de droite qui lui reprochait sa proximité avec les manifestants, que les « anarchistes étaient ses adversaires » ! Depuis la lutte contre le projet de centrale nucléaire au Carnet près de Nantes en 1997, pendant la quelle nous avions viré sa collègue M-F Gonin, il aurait pu s’en douter (3).
Enfin l’appel à ce cortège anticapitaliste exprimait également une analyse de la métropolisation de Nantes-Saint-Nazaire, plus précisément adressée aux populations urbaines qui voient malheureusement trop souvent l’opposition à l’aéroport comme un combat de ruraux et de défenseurs de la Nature, éloigné de leurs préocccupations, et même de leurs intérêts de consommateurs nantais  !

CHAPELLE,
QUAND TU NOUS TIENS  !

L’organisation de ce cortège anticapitaliste, annoncé depuis la fin janvier aux réunions plénières, n’était pas fermée, puisque des groupes et individus non organisés s’y sont ralliés au fur et à mesure. Les jours et heures de réunion étaient facilement disponibles. Aussi quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre, une semaine avant le 24, qu’un regroupement de participant-e-s à la ZAD, aux luttes anti THT du Cotentin, contre la centrale au gaz du Finistère, contre le tunnel du val de Suse, s’était constitué pour le cortège venant de l’Est, sous prétexte que celui du nord aurait été celui des organisations libertaires, et qu’il ne s’y passerait rien (on a vu la suite...). Dans notre appel à un cortège anticapitaliste, il était clairement exprimé que nous soutenions, à défaut d’y participer à la hauteur de nos moyens, toutes les luttes contre les grands projets inutiles. Face aux partis politiciens, il nous paraissait nécessaire de faire le pôle le plus massif possible pour que la composante anticapitaliste de la lutte ne soit plus balayée d’un revers de manche par les médias. Donc nous concluons logiquement que cette décision de constituer un pôle des luttes séparé, sans discussion contradictoire et désaccords exprimés avec la première initiative, relève, non pas du refus des structures institutionnelles – les orgas et partis-, ni d’une différence de contenu, mais simplement de la lutte de chapelles, ou de « chefferies »... en s’appuyant sur des personnes d’autres luttes, extérieures et moins au courant. Mais alors, la lutte serait-elle un simple prétexte à la promotion d’un courant ? D’une avant-garde..?

QUAND INTERNET
DONNE DES HALLUS...

Comme nous étions des milliers dans la rue, nous pouvions espérer tomber quand même d’accord sur une interprétation commune de ce qui s’est passé réellement, ce 24 mars, à Nantes. Ce que la réunion bilan sur la ZAD fit dès le 26.
Pourtant, par la magie d’Internet, les textes les plus farfelus et hallucinés trouvent preneurs. Un peu comme dans les vieux westerns, les marchands ambulants qui vendent des élixirs qui soignent le mal de dents, la rougeole et les morpions. Sur le site du Jura Libertaire, on a pu apprendre ainsi que « des centaines d’anarchistes révolutionnaires étaient venus soutenir la lutte rurale et locale...les révolutionnaires ont pu prendre et occuper la rue, et la libérer temporairement de l’ennemi capitaliste... ». « Que le cortège anticapitaliste ne comprenait pas moins de 500 combattants ». Ce texte se terminant par « mort à l’Etat et au Capital » et édité le 26 mars présente une vision complètement militariste et avant-gardiste, coupée de toute réalité de la lutte et de la connaissance des vrais acteurs. Un pur fantasme sur ce qui s’est passé réellement, mais qui par le biais d’Internet, à des milliers de kilomètres prendra une réalité et servira à cautionner des positionnements délirants. Pourquoi Jura Libertaire véhicule-t-il un tel amas de sornettes ?
De même sur Indymédia Nantes, dans une veine un peu moins allumée, quelle mouche a piqué ces opposants à l’aéroport, qui annoncent le 20 mars des dizaines de milliers de manifestants le 24 mars à Nantes ? Cela ressemble à du story telling, cette façon de réécrire l’histoire pour obtenir du public ce que l’on veut en fait, opinions favorables, positionnements, adhésions. Bien sûr, d’une façon plus prévisible, nous étions en fait près de dix mille, mais alors, à quoi cela rime de dépeindre la réalité sous des couleurs plus flatteuses ? Pour enfumer les lecteurs et lectrices ? Si la vérité et la réalité doivent baser une démarche cohérente, responsable et radicale - qui va à la racine des choses - alors ce texte s’en éloigne radicalement.
Quoi qu’il en soit, selon nous, la présence de plus en plus nombreuses de gens localement ancrés, comme les paysans ou le collectif des habitants est un élément beaucoup plus déterminant pour l’avenir et le succès de la lutte que ces « anarchistes venus par centaines de toute l’Europe » comme le prétend à tort l’un des textes précités !

Nantes, le 27/03/12

1. On peut lire sur le site OCL à l’adresse suivante le bon discours collectif des « habitants qui résistent », personnes habitant sur la ZAD dans les maisons cédées par le Conseil Général à AGO, Aéroport Grand Ouest)
2.contrairement aux affirmations du journal télévisé de France 3 évoquant des « dégâts considérables », il n’y eut aucun bris de vitrine, et hormis les tags, le soir-même l’avenue avait repris son visage habituel.
3. Aussi ignare que prétentieux, il a « tweeté » : « Anars, rien à voir avec le juste combat des agriculteurs ». S’il y a bien un courant révolutionnaire qui s’est trouvé historiquement en osmose avec les paysans en lutte, ce sont les libertaires, de l’Ukraine de 17 à l’Espagne de 36, en passant par l’Argentine de la FORA...

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