vendredi 8 juin 2007, par
De la Troisième République (le carnet anthropométrique date de 1912) à la loi Sarkozy en passant par les lois vichystes, un traitement spécifique est réservé à ceux désignés par les législations successives comme “nomades” puis comme “gens du voyage” une étude chronologique des législations successives permet de saisir les fondements idéologiques de ces politiques et les mécanismes d’exclusion d’un Etat qui finalement n’admet jamais la différence.
LOI DE 1912 : LE CARNET ANTHROPOMÉTRIQUE OBLIGATOIRE POUR LES NOMADES
On a déjà parlé de cette loi de 1912 établie par le gouvernement Poincaré (CA n°170). Pour comprendre son fondement, intéressons-nous à l’idéologie qui sous-tend de telles mesures et à la mise en place de ce carnet anthropométrique. Pour cela il est nécessaire de se replonger dans le contexte politique et idéologique de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Les théories racialistes, inspirées entre autres par Joseph Gobineau et son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), connaissent à ce moment leur apogée, l’affaire Dreyfus a pendant 12 ans (1899-1906) déchiré la société et a été l’occasion de l’expression d’un antisémitisme hystérique, de plus la République coloniale est en train de se mettre en place. Émergence et diffusion des théories racistes, lutte contre “l’errance ouvrière”, volonté assimilatrice et mission “civilisatrice ” de la République, émergence d’un nationalisme xénophobe, renforcement du contrôle social, voilà, pour résumer, l’esprit qui a conduit à l’adoption de la loi de 1912. Cela aboutit à une représentation de la société comme un organisme dont les ennuis sont perçus comme des maladies une manière d’envisager les problèmes sociaux qu’on retrouve aujourd’hui dans l’idéologie sécuritaire développée depuis une dizaine d’années. Notons que le Front populaire n’apporta aucune modification à cette législation.
LOI DE 1969 : LA VOLONTÉ ADMINISTRATIVE DE SÉDENTARISATION
Sans aucune considération des préjudices subis durant la guerre et sans qu’aucun dédommagement ou aucune compensation ne soient entrepris, les pouvoirs publics français reprirent dès les années 1950, puis dans les années1960, leurs pratiques discriminatoires envers les populations romanies. Une nouvelle législation est adoptée en 1969 (loi du 3 janvier 1969). Le carnet anthropométrique est supprimé, mais un livret de circulation est mis en place pour les commerçants ambulants et les caravaniers pouvant justifier de revenus réguliers, un carnet de circulation est créé spécifiquement pour les “nomades” tels que définis par la loi de 1912, c’est à dire ne pouvant justifier de revenus réguliers. Chacun de ces documents devant être présentés chaque trimestre, la non possession de ces documents pouvant être punie jusqu’à un an d’emprisonnement. La volonté de sédentariser administrativement les personnes itinérantes est l’élément déterminant de ce dispositif : L’instauration de la notion de “commune de rattachement”, qui ne sera pas annulée par les différentes lois Besson de 1990 et de 2000, est la marque de cette volonté. Symboliquement d’abord, par cette mesure, les pouvoirs publics affirment leur volonté de faire rentrer les “nomades” dans la norme et ceux-ci doivent donc,“ comme tout le monde ”, être dépendants d’une commune. Cette disposition n’est pas seulement symbolique. Ce rattachement est obligatoire et d’une durée de deux ans. La liberté de choix de la commune n’est pas totale car le préfet ou le maire de la commune peuvent s’y opposer. Comme d’habitude dans le baratin législatif les droits justifiant les devoirs. la loi de 1969 reprend l’essentiel des fondements de celle de 1912. Les Roms itinérants restent considérés comme de dangereux marginaux qu’il convient de faire rentrer dans le rang, non plus par une criminalisation systématique, mais par des moyens apparemment moins révoltants mais tout aussi arbitraires.
LOIS BESSON : LE GRAND MALENTENDU
La loi Besson, initialement proposée pour s’attaquer aux problèmes de logement des plus défavorisés, fut adoptée le 31 mai 1990. Sa disposition unique concernant les “ gens du voyage ” est contenue dans l’article 28. Celui-ci n’était pas prévu initialement et ne doit son existence qu’à une initiative parlementaire. La nouvelle loi n’annulait pas l’obligation du titre de circulation ni celle de la commune de rattachement, elle n’était accompagnée d’aucune sanction pour les communes récalcitrantes ou pour les départements n’ayant pas mis sur pied le “ schéma départemental d’accueil ” prévu par la loi. Le principal reproche que l’on peut faire à ce texte est de n’envisager les populations romanies qu’à travers une vision comptable des personnes...
LES AMENAGEMENTS DE LA LOI DU 5 JUILLET 2000
Les ambiguïtés, les défaillances, l’inapplication ou la mauvaise application des dispositions de la loi Besson, mais aussi et surtout les protestations des élus locaux rendirent nécessaire l’adoption d’une nouvelle loi “relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage” en juillet 2000. On peut surtout en retenir l’obligation, pour les communes de plus de 5000 habitants, de construire des aires d’accueil dans un délai de deux ans.
En contrepartie à ces exigences, et c’était là le deuxième souhait de la commission Delevoye, le pouvoir des maires en matière d’interdiction du stationnement illicite et d’expulsion s’est trouvé nettement renforcé. Le nouveau dispositif permet aux municipalités d’accélérer les procédures d’expulsion lors d’un stationnement “sauvage” sur un terrain communal mais également sur un terrain privé.
Si les élus locaux n’ ont pas obtenu, et il s’en est fallu de peu, le pouvoir de décider eux-mêmes de l’expulsion des contrevenants, ils pourront en tout cas saisir un juge afin d’obtenir une décision rapide.
La moitié seulement des aires répondent aux normes d’hygiène et de salubrité selon un rapport (début 2002), les autres “ sont situées dans un contexte de nuisance et de risque : voie à grande circulation, voie SNCF, décharge, station d’épuration”
Quels autres choix, dans ces conditions, que le stationnement “sauvage” ? Quelles autres alternatives aux tensions entre autorités locales et populations itinérantes ? Parmi tant d’autres, l’expulsion en février 2002, d’un camp installé dans une zone industrielle d’Argenteuil, est à ce titre significatif. Les militants associatifs et les syndicalistes présents sur place pour témoigner leur solidarité à cette communauté dénoncèrent les conditions dans lesquelles cette expulsion fut ordonnée. Expulsion réalisée, en dehors de toute légalité puisque aucun référé n’avait été signifié.
2002 : VERS UNE NOUVELLE LÉGISLATION D’EXCEPTION
Avec la loi sur la sécurité intérieure (fév 2003) et la loi sur la sécurité intérieure (LSI été 2002), completées par le décret accompagnant la loi de prévention de la délinquance adoptée début 2007, la criminalisation collective et la suspicion généralisée sont clairement affirmées. Dans le même temps du vote de la LSI deux parlementaires, Richard Dell’Agnola et Christine Boutin, demandèrent la constitution d’une commission d’enquête sur “ le train de vie des gens du voyage”. Cette dernière a également présenté un amendement permettant d’utiliser les Groupements d’intervention régionaux (GIR), tout juste créés pour lutter contre “l’économie souterraine dans les quartiers”, afin de soumettre les Roms itinérants aux contrôles croisés des services de douanes, des services fiscaux et des forces de l’ordre. Une fois encore, la législation applicable aux “gens du voyage” n’est compréhensible qu’à travers le contexte politique propre à l’époque. Deux facteurs au moins ont concouru à la mise en place d’un tel arsenal répressif :d’une part, un climat politique omnibulé par les questions de sécurité depuis plusieurs années et, d’autre part, l’augmentation et la médiatisation de l’immigration en provenance de Roumanie, comprenant de nombreux Roms. Le gouvernement Jospin (1995-2002) avec la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ, 2001), n’a pas failli à la tradition.
Depuis janvier 2002, la Roumanie fait partie de l’espace Schengen, c’est-à-dire un espace de libre circulation pour les ressortissants des pays signataires. Les accord signés entre M. Sarkozy et son homologue roumain Loan Rus visent sans la nommer la minorité rom roumaine. Ils prévoient, entre autre, de faciliter les proc édures d’expulsions et impose à tout candidat à l’immigration de justifier d’une activité professionnelle (!), ce qu’évidemment très peu de Roms peuvent faire, vu le niveau de discrimination en Roumanie. On pourrait aussi citer les accords franco-espagnols conclus entre Sarkozy et son homologue espagnol Acebes en novembre 2002 : ils prévoient “l ’organisation de vols spécialement affrétés pour rapatrier ces collectifs d’immigrés illégaux avec une plus grande efficacité pour chacun des deux pays”. Sitôt dit sitôt fait, 63 roumains en situation irrégulière en Espagne ont été embarqués dans un vol charter à Madrid début décembre 2002. Après une escale à Paris où les autorités françaises ont embarqué vingt-trois autres “clandestins”,
Par ces accords, les dirigeants européens dressent des murs internes à l’intérieur d’une Europe forteresse bâtie pour lutter contre l’immigration. La lutte contre les déplacements des pauvres “d’ailleurs ” se double de celle contre les pauvres “d’ici ”.
La libre circulation est donc réservée aux touristes, aux hommes d’affaires, aux marchandises et aux capitaux.