samedi 8 décembre 2018, par
Cette semaine, les mobilisations lycéennes en banlieue parisienne ont été de très grande ampleur, et ont touché l’ensemble des types d’établissements, lycées professionnels, lycées technologiques, lycées généraux et lycées polyvalents. C’est à ma connaissance inédit, du moins dans le 93. Il faut dire que les gilets jaunes arrivent à un moment particulier dans l’éducation nationale. Il y a en effet une lutte importante contre la réforme du lycée professionnel, des enseignant.es mais aussi à laquelle se sont parfois joint.es les élèves. Il y a eu l’année dernière et les années précédentes des mobilisations enseignant.es et élèves dans beaucoup de lycées généraux et technologiques du 93 contre les conditions matérielles d’étude : problèmes de chauffage, problèmes de cantine, manque de personnel en vie scolaire, manque de personnel de service... Surtout, la région n’ayant pas construit les lycées qu’il fallait, beaucoup de lycées débordent, avec des problèmes de dimensionnement des locaux et des équipements, des préfabriqués construits à la dernière minute, des emplois du temps délirants, des dysfonctionnements qui s’accumulent... Les élèves ont vécu parcoursup et commencent à s’inquiéter des conséquences de la réforme.
Face à ça, la réaction du pouvoir est très inquiétante. Il y a bien sûr la répression, vous avez tous vu les images de ce qui s’est passé à Mantes la Jolie, vous savez qu’il y a eu des interpellations et des violences policières dans beaucoup d’endroits. La réponse répressive est un classique du pouvoir face aux mouvements sociaux, tout particulièrement en banlieue et contre les jeunes. Mais il y a eu d’autres éléments inquiétants dont on parle peu. Tout le monde sait que dans nos quartiers, les choses peuvent très vite dégénérer. Ce qui s’est passé dans beaucoup d’endroits. Il y avait un moyen simple de couper l’herbe sous le pied au mouvement lycéen : fermer les établissements en danger. Or, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé, au contraire. La préfecture et le rectorat ont donné des consignes fermes pour que les établissements restent ouverts, notamment ceux qui tournaient comme lieux de rendez-vous sur les réseaux sociaux des jeunes. Les personnels et les élèves ont clairement été mis en danger : en effet, aucune consigne claire n’était donnée aux élèves à qui les directions disaient que l’établissement restait ouvert et qu’ils devaient revenir tout en leur disant à mi-voix de ne pas traîner là. Ceci a maintenu de gros attroupements d’élèves à la merci de toutes les violences devant les grilles fermées de leur établissement (car tous les établissements ici sont protégés par des grilles de sécurité). Là où il existe des collectifs enseignants, les profs qui étaient avec les élèves sur le parvis pour jouer un rôle modérateur étaient menacé.es d’être pointé.es comme grèvistes. Politique du chiffre pour minimiser le nombre de blocages annoncés ? Autre point très inquétant : dans ces lycées, des mesures de confinement (celles là mêmes qui sont prévues en cas d’attaque), ont été prises, situation surréaliste où élèves et enseignants non grèvistes étaient enfermé.es. Ceci s’est passé dans beaucoup de lycées et vous explique l’incident décrit dans le témoignage suivant. Le lycée Mozart dont nous publions le témoignage pour permettre de saisir cette réalité par exemple n’a pas été compté comme bloqué. Volonté de créer des violences pour maintenir la terreur contre de possibles révoltes ? Le témoignage qui suit n’a de particulier que l’existence d’une réaction collective qui n’existe pas sur tous les lycées, mais il est représentatif de nombreuses informations que nous avons sur les lycées de la région (en banlieue). Ce qui est sûr, c’est que beaucoup d’établissements scolaires sont dégradés (caillassés et partiellement incendiés), et que le rectorat et la préfecture en ont clairement pris la responsabilité.
Voici le récit d’une journée au lycée général et technologique du Blanc Mesnil qui j’espère vous fera comprendre ce qui se passe en ce moment. Précisons que la journée qui a précédé ce récit, le lycée professionnel à côté (à 100m environ) a subi un début d’incendie et le lycée Mozart a vu les poubelles brûlées. Il avait déjà été aussi l’objet d’une mesure de confinement dont le personnel n’a pu se sortir qu’en exerçant son droit de retrait.
Précision : un AED est un surveillant, un CPE un surveillant général.
Récit de la journée du vendredi 7 décembre 2018 au Lycée Mozart du Blanc Mesnil
Nous sommes arrivés ce matin au lycée vers 7h45. Vers 8h00, nous avons constaté que les élèves étaient massés sur le parvis du lycée, et qu’ils refusaient d’entrer : ils faisaient blocus sans utiliser de poubelles. Tout était très calme et apaisé. Nous avons appris que plusieurs élèves avaient été interpellés le matin plus tôt, apparemment car ils cherchaient des poubelles pour organiser le blocus. Nous avons appris ensuite que ces élèves, une dizaine et non un seul comme il nous a été dit par la direction, avaient été emmenés au commissariat pour une vérification d’identité. Ils ont ensuite été relâchés.
Nous avons été plusieurs à souligner dès le début de la journée et depuis la veille que le lycée devait être fermé : des appels au rassemblement de tous les lycéens des environs tournaient sur les réseaux sociaux. Pour éviter toute violence contre les élèves ou contre l’établissement, fermer le lycée aurait été la bonne chose à faire : cela aurait évité qu’il ne devienne une cible. Nous n’avons pas été écoutés.
Lors d’une AG qui s’est déroulée sur le parvis, les professeurs présents ont voté la grève à l’unanimité. La grève a été votée en soutien aux élèves, et également pour protester contre la réforme du bac et Parcoursup.
Plusieurs élèves ont exprimé leur volonté de rejoindre la manifestation parisienne à Stalingrad. Plusieurs professeurs ont décidé de les accompagner, pour éviter tout débordement éventuel. Il faut dire que les images de 150 lycéens agenouillés, mains sur la tête, filmés par des policiers goguenards qui ont été diffusées hier ont été particulièrement choquantes : comment envisager de laisser les élèves livrés à eux-mêmes ?
Un cortège d’une cinquantaine de personnes s’est rendu à la gare de Drancy criant les slogans du lycée et recueillant de nombreuses marques de soutien. Une trentaine de personnes a rejoint la manifestation parisienne qui était d’un très grand dynamisme et a rassemblé plusieurs milliers de lycéens très déterminés et aucune casse ni débordement n’a été constaté, la police étant invisible jusqu’à République.
Pendant ce temps, une altercation très violente a eu lieu entre le hall et la grille du lycée. Une élève demandait depuis une demi-heure à sortir, or sa mère ne pouvait pas venir la chercher, et le père est absent. Cette élève était en larmes et hurlait pour qu’on la laisse sortir. Elle a été physiquement empoignée et retenue, tandis qu’un membre de la direction faisait barrage devant la grille du lycée pour l’empêcher de sortir. Elle se débattait et était contrainte physiquement. Cela a évidemment attiré d’autres élèves, qui ne comprenaient pas pourquoi elle était retenue ainsi. Il est inacceptable qu’on assiste à des scènes d’affrontement ou d’altercation physique entre des adultes du lycée et un élève.
La situation s’est tendue du fait de l’arrivée d’un groupe de jeunes masqués qui se sont saisi de poubelles, en ont incendié une sur la chaussée, malgré l’opposition des élèves et du personnel éducatif. Nous avons à nouveau demandé à ce que le lycée soit fermé. L’inspectrice du rectorat présente a dit que le lycée devait rester ouvert, que les élèves étaient en sécurité à l’intérieur. Elle a sous-entendu que nous, enseignants, avions une responsabilité dans cette situation.
Ensuite les AED qui avaient pourtant réussi à établir un dialogue et à contenir les violences, ont reçu l’ordre de rentrer dans le lycée. Et là, la situation a dégénéré : départs de feu, renversement d’un conteneur à verre. Des jeunes non identifiés ont commencé à jeter des bouteilles et des projectiles sur le lycée passant au-dessus de la tête des élèves. Des vitres ont été cassées. Des personnels et des élèves ont été soumis à un stress et à une angoisse importante. Les fenêtres de la loge et du logement attenant ont été brisées. Tout ceci sous l’œil placide des forces de police.
Les personnes masquées s’en sont alors prises à la grille du lycée, qu’ils ont arrosée d’essence et enflammée.
A ce moment-là, l’inspectrice académique qui avait soutenu envers et contre tout que le lycée devait rester ouvert et que les élèves et personnels à l’intérieur étaient en sécurité, s’enfuit en voiture.
Un agent parvient alors à éteindre le feu devant le lycée, permettant aux AED de reprendre le dialogue pour apaiser les choses.
Un ordre d’évacuation avait été donné. Mais les personnels et les élèves se sont ensuite retrouvés confinés au lycée Jean Moulin, et n’ont pu partir qu’aux alentours de 11h.
Comme nous le faisons observer depuis le début de l’année scolaire, il n’y a eu encore une fois, aucune communication officielle à l’adresse de l’ensemble des enseignants de la part de la direction. De nombreux professeurs, qui commençaient leurs cours après 10h sont arrivés sans connaissance aucune de la situation. Vendredi après-midi à 15h30, alors que nous rédigeons ce communiqué, la direction ne s’est toujours pas adressée à nous.
Plusieurs questions méritent d’être posées :
Pourquoi, alors que depuis plusieurs jours des appels aux rassemblements, blocus et violences contre les établissements scolaires sont légions sur les réseaux sociaux, la décision n’a-t-elle pas été prise de fermer le lycée ? Nous avons réitéré la demande de fermeture à de nombreuses reprises, notamment lorsque nous avons exercé notre droit de retrait le jeudi 6 décembre, nous avons souligné les risques auxquels les élèves, les personnels et l’établissement étaient confrontés, et nous n’avons jamais été entendus. Pourquoi avoir attendu qu’il y ait des dégâts pour prendre cette décision ?
Les personnels de l’établissement sont-ils autorisés à faire usage de la force physique contre une élève souhaitant sortir de l’établissement ?
Depuis des années, nous demandons plus de moyens humains pour le lycée ; plus de postes de CPE, d’AED. Et nous nous sommes mobilisés contre les suppressions de postes annoncées par le ministre Blanquer. Nous avons constaté aujourd’hui qu’à la minute où les AED sont rentrés dans le lycée, les violences ont commencé. Et que, hier, c’est grâce à l’intervention d’un professeur et d’un CPE qu’une voiture n’a pas été brulée. Nous affirmons à nouveau que seule la présence d’adultes en nombre permet de contenir les éventuelles violences et surtout de les prévenir. Alors pourquoi avoir contraints les membres de la vie scolaire à rentrer ? Pourquoi culpabiliser, diffamer, et menacer les professeurs présents sur le parvis d’une retenue de salaire ? Pourquoi intimider les élèves qui se mobilisent pour leur avenir ?
Pourquoi une gestion aussi catastrophique alors que tous les évènements qui se sont produits étaient largement prévisibles ? Les professeurs qui ont participé à la manifestation ont rencontré des collègues d’autres établissements, ce qui leur a permis de constater que seuls les établissements dont le rectorat a décidé qu’ils resteraient ouverts ont été la cible de violences.
La responsabilité des directions d’établissement et du rectorat est donc patente dans l’apparition de violence dans et autour des blocus d’élèves. Nous ne pouvons que craindre qu’il s’agisse d’une volonté politique de faire taire les lycéens et d’écraser leur mouvement en le marginalisant par la violence.
Des enseignants présents au lycée Mozart ce vendredi 7 décembre 2018