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Mayotte

Un bilan de l’opération Wuambushu

jeudi 8 février 2024, par admin x



L’opération Wuambushu (« reprise » en mahorais, « tuez-les » en vieux bantou) est une opération militaro-policière française, planifiée et annoncée après à la fin du Ramandan et réalisée à Mayotte depuis le 24 avril 2023, visant à expulser les étrangers en situation irrégulière, à détruire les bidonvilles et à lutter contre la criminalité sur l’île.

La face cachée de Wuambushu

Gérald Darmanin évoque la menace d’un "islamisme radical, notamment vers Mayotte". "Nous sommes à Mayotte, près de l’Afrique des Grands Lacs, qui est menacée par l’islamisme radical. Les notes de renseignement nous évoquent la volonté d’expansion de l’islamisme radical, notamment vers Mayotte, une terre d’islam modéré." "Clairement, nous devons éviter l’attentat islamiste de demain et couper court au développement des bandes et à leur organisation criminelle. Nous avons déjà créé l’antenne Raid et renforcé l’antenne GIGN. C’est donc une action résolue et ferme."

Les objectifs annoncés

L’État avait annoncé de grands chiffres pour cette opération : 1 000 destructions des bangas (cases insalubres, nettoyage qui vise ouvertement les originaires des autres iles de l’Archipel) et 10 000 reconduites à la frontière devaient avoir lieu.

Cette opération - qui mobilise 1 800 policiers et gendarmes, dont des centaines de renforts de métropole (quatre escadrons de gendarmes mobiles, des policiers de la CRS-8, spécialistes de la lutte contre les violences urbaines, au total 510 membres des forces de l’ordre) - vise à vider les quartiers d’immigrations clandestines et à multiplier les arrestations de jeunes responsables de caillassage, de vols ou d’agressions dans l’archipel gangréné par la violence selon ses habitants.

L'opération « Wuambushu » a très vite montré ses limites

Dès la première semaine, l’opération « Wuambushu » a essuyé plusieurs revers. Il y a d’abord eu cette première démolition, prévue dans le quartier de Talus 2 à Majicavo (au nord de Mamoudzou), mais annulée par la justice. « La destruction des habitations des requérants, conséquence de la décision de l’administration, est manifestement irrégulière », a pointé la juge des référés dans son ordonnance, relevant une « voie de fait » et expliquant que l’opération de démolition pourrait avoir un « impact certain sur la sûreté » des habitant·es.

Il y a eu ensuite le fameux bateau baptisé Maria Galanta, censé reconduire les personnes en situation irrégulière depuis les centres de rétention administrative (CRA) jusqu’aux Comores. Mais il fut contraint de rebrousser chemin avant même de dépasser les eaux territoriales françaises car les ports comoriens gardaient portes closes. Alors que l’opération Wuambushu devait permettre des expulsions massives de Comorien·nes basé·es à Mayotte parfois depuis des dizaines d’années – entre 70 et 80 personnes sont déjà éloignées chaque jour en moyenne tout au long de l’année – ces multiples rebondissements sont le signe d’un échec cuisant pour les autorités préfectorales et le ministère de l’intérieur.

Pour redonner de l’élan à l’opération Wuambushu et tenter de rassurer, tôt dans la matinée de jeudi, une démolition de maisons en dur était lancée à Longoni, au nord de Mayotte, puis annoncée en grande pompe par le préfet de Mayotte, Thierry Suquet. Oui mais voilà : cette démolition n’avait rien à voir avec Wuambushu, et les habitations concernées étaient déjà vides depuis quelque temps.
« Il n’y a pas de décasage, pas de reconduite sur fond de bordel diplomatique avec les Comores, pas d’impact particulier sur les arrestations malgré ce que dit Darmanin. »
L’opération Wuambushu était prévue pour une durée de deux mois, elle est finalement prolongée. Fin juin, l’objectif passe à 1 250 destructions d’ici la fin de l’année.

Une recrudescence des violences

Il n’existe aucune statistique officielle qui étaye les affirmations fallacieuses des élus mahorais qui attribuent cette violence exclusivement aux jeunes issus des populations venues de l’Union des Comores. Cette jeunesse responsable de la délinquance et des émeutes sur la voie publique est constituée d’une majorité de jeunes sans famille, élevés par la rue - les parents étant expulsés - mais d’autres sont issus de familles mahoraises pauvres. Le préfet Thierry Suquet a reconnu que « Mayotte vit à nouveau des périodes et des heures troubles et violentes », annonçant des renforts policiers promis par le ministère de l’Intérieur. Selon la gendarmerie, un nouvel escadron de 70 militaires doit venir renforcer les 350 gendarmes sur place. Selon le directeur territorial de la police nationale à Mayotte, « Ces éruptions de violences arrivent régulièrement », et il demande lui aussi de nouveaux renforts pour épauler ses 750 policiers.

Pas de baisse drastique de « l'immigration illégale »

Si on regarde uniquement les chiffres, Wuambushu n’a pas rempli ses objectifs en matière de lutte contre l’immigration illégale. Selon Matignon, 22 000 personnes avaient été expulsées début décembre 2023vers les Comores. C’était pourtant l’argument premier de l’opération, Mayotte attirant chaque année des milliers de migrants arrivés par la mer, essentiellement de l’île comorienne voisine d’Anjouan. Selon le sous-préfet en charge de l’immigration illégale, Frédéric Sautron, « 25 380 personnes avaient été éloignées » du territoire en 2022.
Selon un policier du centre de rétention administrative (CRA) « Le problème est diplomatique, On sait très bien que ces personnes reviennent, parfois sous une autre identité. On applique la politique du chiffre. Mais ça ne sert à rien, il faut trouver un accord avec les Comores. »

Pas de disparition des bidonvilles

C’était l’autre objectif prioritaire de l’opération Wuambushu : détruire les bangas [cases] insalubres organisés en bidonville, qui se sont multipliés à Mayotte et sont parfois menacés par des glissements de terrain. Avec les dernières cases détruites, à Mtsamoudou [sud-est] en novembre, seulement 700 bangas ont été détruits. En 2021, « 1 600 cases en tôle avaient été détruites », indique le représentant de la Ligue des droits humains (LDH) à Mayotte, qui ajoute que le département est freiné par un manque criant de solutions de relogement et que « les familles délogées, qui se retrouvent à la rue, reconstruisent fatalement ailleurs ». Au total, « 30 % de l’habitat à Mayotte est informel », indique Matignon.

La France est en train de perdre pied dans son pré-carré africain. C’est tout de même sa présence prépondérante africaine qui lui donnait jusqu’alors une place majeure dans l’échiquier politique mondial, en dehors de la dissuasion nucléaire et son droit de veto au Conseil de Sécurité. Mayotte, qui reste une épine dans les pieds de la France depuis 1975, peut lui faire mal dans le contexte d’aujourd’hui.

Camille, le 17 janvier 2024

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