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Liban

Un soulèvement inédit

lundi 23 décembre 2019, par admi2

Le Liban est depuis le 17 octobre le théâtre de mobilisations que les manifestants eux-mêmes définissent comme une « thawra » c’est à dire une révolution. Cette mobilisation est de loin supérieure à celle ayant eu lieu en 2005 (1) et rappelle les épisodes régionaux du printemps arabe. Pourtant le Liban n’est pas comme les pays mobilisés en 2011 une autocratie militaire ou une dictature régie par un despote non élu. C’est plutôt sur fond de faillite économique du pays que cette révolte contre le statut quo politique, datant de la guerre civile, a germé. Georges Corm, économiste libanais, résume : « Le mouvement de contestation est spontané et transcommunautaire, il est dirigé contre la classe politique corrompue, constituée d’une alliance entre les fortunes des pétrodollars et les anciens chefs de milices de la guerre civile ».


Le confessionnalisme structurel au Liban
Avec ses 18 religions officielles, le Liban est régi par un système confessionnel. Les postes clefs du pouvoir sont partagés entre les trois religions majoritaires du pays : le président doit être chrétien maronite, le premier ministre sunnite et le président de la chambre des députés chiite. Ce partage du pouvoir entre les clans confessionnels empêche depuis des années toute réforme.
Mais ce système confessionnel ne s’arrête pas aux partis et milices politiques, il a un caractère structurel et touche l’ensemble des pans de la vie quotidienne des libanais : les écoles, les universités, les hôpitaux, les médias, tout est confessionnel au Liban. Cela a créé un système clientéliste et proto-maffieux. Il y a par exemple le « wasta », traduisible en substance par « recommandation » : pour trouver du travail, il faut se mettre en contact avec un élu du parti chrétien, sunnite, chiite, druze etc (selon l’appartenance communautaire du demandeur). En échange, le demandeur garantit son vote aux prochaines élections au représentant politique, renforçant ainsi la légitimité du système et les privilèges de ce « za’im » (2) contemporain.
Les mêmes hommes politiques (ou leurs descendants et familles) tournent au parlement, au gouvernement et aux postes clefs des secteurs civiles et militaires.
Le droit des familles des Libanais dépend directement de l’obédience religieuse, ainsi deux libanais de religion différente n’ont pas accès au même régime matrimonial ou aux mêmes lois d’héritage. Les mariages mixtes sont pratiquement impossibles.

Une économie en faillite
La situation économique du Liban est dramatique, selon le FMI, la dette publique libanaise qui n’a cessé de croître depuis les années 90, atteint 86 milliards d’euros, soit 151% du PIB, c’est l’une des plus importantes du monde. Le taux de chômage global dépasse les 25% et celui des jeunes atteint les 37%. Mais ce qui frappe le plus ce sont les inégalités. Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement, les revenus des 2 % les plus riches au Liban équivalent à ceux des 60 % les plus pauvres. Avec 1 milliardaire pour 500.000 libanais, le pays possède l’un des rapport milliardaires/population le plus haut du monde. La plupart de ses milliardaires appartiennent aux familles Hariri ou Mikati, qui ont depuis des décennies des postes au gouvernement et s’approprient des fonds publics. Alors que presque la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, les banques commerciales enregistrent des profits records, détenant une grande partie de la dette nationale. Ainsi, les profits des 14 premières banques libanaises constituent environ 4,5% du PIB, un pourcentage qui en grande Bretagne est de 1% et en Allemagne de 0,2%. La plupart des banques sont la propriété des politiciens en place ou de leurs familles ce qui ne fait qu’alimenter le sentiment d’injustice et de défiance envers les élus.
Le système fiscal se base en grande partie sur des taxes indirectes (celles sur la consommation), qui de par leur nature sont iniques, touchant pauvres et riches de la même manière : 60% des rentrées fiscales sont constituées par la TVA. Aujourd’hui, le Liban vit principalement des envois d’argent de la diaspora libanaise et de l’aide internationale.

Les besoins élémentaires non garantis
L’état global des infrastructures périclites de jours en jours : pas de routes correctes, le Liban ne possède pas de réseaux ferroviaire ou de transports collectifs. Si pour les rares libanais au revenu élevé Beyrouth leur garantit un niveau de vie comparable aux villes européennes, pour une grande partie de la population, à l’inverse, les problèmes quotidiens sont assimilables à ceux du tiers monde. La couverture électrique n’est que de 60 à 70% des besoins nationaux, ainsi, à Beyrouth il y a 3 à 6 heures de coupures électriques programmées par jour et hors Beyrouth elles atteignent les 12 heures par jour. Ceux qui peuvent se le permettre couvrent les heures « découvertes » en acquérant un générateur, dont le business est géré par des politiciens qui ont donc tout intérêt au maintien de la situation. A cela s’ajoutent les problèmes en approvisionnement hydrologique, les Libanais n’ont pas forcément l’eau courante.

Les débuts de la mobilisation
C’est dans ce climat que le 17 octobre, le ministre des télécommunications annonce l’introduction d’une nouvelle taxe indirecte à appliquer sur l’utilisation de Whatsapp (3). Le soir même, des jeunes du centre de la capitale sortent protester et commettent quelques dégradations. De manière très surprenante, cette petite protestation s’est transformée en moins d’une semaine en une mobilisation de masse : jusqu’à 2 millions et demi de personnes sont descendues dans la rue et ceci dans toutes les villes principales du pays, saturant quotidiennement les places de Beyrouth, Tripoli, Tyr, etc. Cette décentralisation du mouvement montre son ampleur. Cette énième taxe sur le service de messagerie instantanée aura été la classique « goutte d’eau qui a fait déborder le vase » dans ce pays en crise économique et sociale. Quelques jours auparavant l’état libanais s’était montré incapable de faire face aux incendies ravageant les forêts libanaises sous prétexte que les hélicoptères bombardiers d’eau Sikorsky étaient hors service par manque de maintenance. Ceci intervient également après la fermeture en août de la Banque Jamal Trust Bank et ses filiales par les États-Unis qui les accusaient de gérer les opérations financières du Hezbollah. Concrètement, cela a surtout empêché la population de récupérer son argent et ses pensions.
Rappelons tout de même les mobilisations de 2015 déclenchées par la mauvaise gestion du ramassage et traitement des ordures par le gouvernement. Ces mobilisations qui n’avaient pas réussi à élargir les revendications ni à s’étendre en dehors de Beyrouth, ont tout de même été l’un des premier cas de manifestations multiconfessionnelles et ont probablement semé les graines des révoltes actuelles.

Des manifestations festives et pacifiques
Cette invasion massive des rues du pays s’est accompagnée du blocage des routes mais également de la fermeture des banques, écoles et universités. Ce qui a marqué dès le départ dans les revendications des Libanais, c’est qu’ils ne demandent pas plus de libertés individuelles ou le respect des droits humains mais qu’ils se focalisent sur la lutte contre la corruption (4) et souhaitent abattre le système en place. L’accumulation indécente de richesses par les politiques, qui sont fiers de violer la loi car cela favorise leur clientélisme en montrant leur impunité, aura eu raison de la patience des libanais. Ceux-ci ont bien conscience que l’alliance entre les familles politiques et les banques est à l’origine du déclin social et économique.
Les slogans scandés dans la mobilisation au Liban sont anti-systèmes (« Al shaab yurid isqaat al nizam » soit « le peuple veut la chute du système » (5) ), contre la corruption de l’ensemble des hommes politiques et des dirigeants ( « Kollun yani kollun » soit « tous cela signifie tous », dans le sens tous doivent dégager) et la vie chère.
Les manifestations ont lieu dans une ambiance très festive avec musique, il n’y avait au départ pas de tensions. Tout le monde a voulu participer famille avec enfants, personnes âgées, car tous se savent concernés. Et ceci quelle que soit leur religion.
C’est là le fait le plus inédit de cette révolte, c’est du jamais vu depuis la guerre civile et c’est quelque chose qui semblait impensable il y a 1 ou 2 ans où la plupart des libanais se revendiquaient de leur appartenance communautaire avant tout.
On n’a ainsi pas vu un seul drapeau de partis religieux mais seulement des drapeaux libanais, portés par des personnes de tout âge, genre, origine sociale et confession : un reflet important et visible de l’absence de sectarisme. Il semble qu’avec ce mouvement, les libanais dépassent leur communautarisme, leur méfiance envers les autres religions et commencent enfin à oublier la guerre civile. Cela augure la construction d’une conscience politique qui va au delà des confessions. Espérons que cela se transforme en lutte commune du peuple (des peuples ?) contre les puissants qu’ils soient responsables politico-religieux, puissances étrangères ou empires économiques.
La présence de drapeaux libanais dans toutes les manifestations est peut-être également un moyen pour les libanais d’affirmer leur indépendance par rapport aux institutions impérialistes. En effet, si le Liban est dans une telle situation économique, c’est bien à cause du FMI et de la banque mondiale. En 2018, le gouvernement libanais, guidé par le premier ministre Saad Hariri a rencontré à Paris, les investisseurs internationaux des USA, de l’Europe, le FMI et la banque mondiale lui ont promis des prêts de plus de 11 milliards de dollars à condition que des « réformes structurelles » soient menées. Les coupes dans les services publiques et l’augmentation des taxes, la fameuse austérité, n’ont pas tardé à suivre.

Les espaces et les édifices publics sont investis pour y tenir des débats, faire des projections, etc. Le centre ville de Beyrouth est ainsi devenu une grande agora où tous les problèmes sont critiqués sans tabou, même ceux qui ne sont pas politiques ou économiques mais qui touchent aux « valeurs morales » comme les mariages mixtes, les LGBT, etc. Dans les universités les étudiants ont organisés des clubs. De l’art révolutionnaire avec de nombreux graffiti fleurit. Dans des villes comme Beyrouth où de vieux édifices abandonnés côtoient des constructions sauvages, voir le peuple se réapproprier ces espaces est une très bonne chose.

Les manifestations du départ ont donc été marquées par la joie, les danses et les chants, les slogans n’étaient pas tous militants mais parfois humoristiques. Entre deux barricades, les manifestants organisent des parties de cartes. Le 27 octobre, des milliers de libanais ont formé une chaîne humaine de 170 km à travers tout le pays afin de démontrer leur solidarité avec les manifestations anti-gouvernementales et le pacifisme de ce mouvement. Dans ce contexte, peu d’affrontements ont eu lieu et la police a été peu visible. Les militaires étaient très présents mais sans ordres d’interventions, de nombreuses vidéos les montrent sympathisants avec la foule.

La création du CCR … les gilets jaunes locaux
Rapidement un « comité de coordination de la révolution » a été mis en place par les manifestants. Très hétéroclites, il rassemble différents groupes de la société civile, le mouvement Mouwatinoun wa Mouwatinat (littéralement « citoyens et citoyennes »), l’association pour le mariage civil au Liban, des enseignants, des représentants de différentes régions, des militaires à la retraite etc. L’un des représentants les plus charismatiques prenant régulièrement la parole devant les foules étant le général à la retraite Sami Rammah. Celui-ci indique que « Le comité va entamer des contacts avec les militants et les groupes et laisse ses portes ouvertes à tous sans exception pour constituer un front uni ». Il est aujourd’hui composé de plus de 100 mouvements et groupes Facebook différents. Le comité a produit un programme constitué de 6 grandes revendications permettant d’agglomérer la majorité :
– démission immédiate du gouvernement
– formation d’un gouvernement de salut national constitué de personnes n’étant pas issues de la classe dirigeante.
– Récupération de l’argent volé de la part de tous ceux qui ont été au pouvoir depuis 1990 jusqu’à aujourd’hui.
– Organisation d’élection législatives anticipées sur la base d’une nouvelle loi électorale dans un délai de 6 mois.
– appel à la poursuite des manifestations dans la capitale et le reste du pays jusqu’à ce que les demandes soient exaucées.
– Appel à l’armée de protéger les manifestants dans toutes les régions du pays.

Certaines composantes du CCR se battent également pour satisfaire les revendications économiques des libanais en souhaitant réorienter l’économie de rente financière vers l’industrialisation du pays et des activités comme l’exploitation des hydrocarbures, la modernisation des services publics (eau et électricité) et des infrastructures routières et portuaires. C’est pour atteindre cet objectif que les protestataires demandent la formation d’un cabinet de technocrates, s’imaginant que des experts indépendants pourront sortir le pays de la crise économique et surtout garantir les services de base.
Derrière l’unité affichée et les attaques contre la corruption des élites et les quotas religieux, ce CCR reste très citoyenniste proposant par exemple de multiplier les chambres de représentants politiques (création d’un Sénat). Pour le moment, il regroupe toutes les classes sociales contre le gouvernement, mais les intérêts des travailleurs n’étant pas les mêmes que ceux de la petite bourgeoisie, comment ce CCR va-t-il évoluer ? C’est à ce moment là que sa grande proximité avec l’armée risque de faire prendre une tournure inquiétante au mouvement. De plus cette volonté de proposer des leaders et des représentants politiques n’est pas forcément représentative des franges les plus radicales du mouvement.

La « révolution » avec les féministes, les migrants et les anarchistes
De manière très positive on voit émerger de nouveaux profils de participants dans ces mobilisations.
Il y a d’abord une féminisation massive des manifestations. Ceci a permis l’émergence de revendications féministes et d’une rébellion contre le patriarcat consolidé par les institutions religieuses. Il y a également eu des manifestations de femmes avec chandelles et casseroles (pas pour la cuisine mais pour se faire entendre !). Ces femmes en quête de libération exprime également une solidarité avec les femmes de ménage étrangères (éthiopiennes, sri-lankaises etc) contre qui les discriminations sont encore plus fortes.
Des liens sont aussi fait avec la situation des réfugiés. En effet, le Liban compte 1 million 100 milles syriens pour 4 millions et demi de libanais, auxquels s’ajoutent plus de 250 milles réfugiés palestiniens et 30 à 40 milles soudanais et irakiens. Ces populations subissent de fortes discriminations. Si les réfugiés participent peu aux mobilisations, ils sont solidaires des protestations. La présence de nombreux jeunes dans les manifestations plus sensibles au respect des droits humains et au refus du racisme tend à inclure les droits des réfugiés dans les débats.
Et voici ce qui frappe dans ses manifestations : la présence d’énormément de jeunes (entre 15 et 30 ans) appartenant à une génération libérée de l’héritage de la guerre civile. Pour l’anecdote, certains d’entre eux portent le maquillage du Joker le méchant de Batman, symbole d’une jeunesse à qui on a volé ses rêves, ou encore des masques de V pour Vendetta déjà repris par des hackers. Ce sont ces jeunes qui ne souhaitent pas de leaders et qui sont les plus radicaux dans leur revendications contre le système, le pouvoir des banques, les institutions religieuses. Ils n’ont de toute façon aucun autre avenir que l’expatriation (il y aurait aujourd’hui 14 millions d’expatriés libanais de part le monde).
Ils utilisent énormément les réseaux sociaux pour l’organisation et surtout l’expression populaire.

Les premières violences et la démission de Hariri
Au bout de quelques jours, certains ministres des Forces Libanaises de Samir Geagea (qui avait essayé de se présenter comme un opposant au système alors qu’il y est impliqué jusqu’au cou) ont démissionné. Quant au premier ministre Hariri, il a proposé quelques mesures pour calmer la situation : la réduction de 50% du salaire des parlementaires et ministres (en place ou à la retraite), un énième plan pour l’électricité, des privatisations et la demande de contributions des banques à hauteur de 3,3 milliards de dollars afin d’arriver à un déficit nul en 2020. Ces mesures n’ont pas séduit la population qui sait pertinemment que leur demande de plus d’égalité est incompatible avec les promesses d’austérité de Hariri au FMI et à la Banque mondiale. De plus la population se doute des conséquences négatives des projets de nouvelles privatisations (télécommunications et secteur énergétique notamment).

Le 23 octobre pour la première fois depuis le début des manifestations des violences envers les manifestants ont été observées. Il s’agit non pas de policiers ou militaires mais de milices chiites du Hezbollah et quelques éléments du mouvement Amal (6) qui ont voulu rouvrir les rues et remettre les choses au point scandant « Nasrallah est plus honnête que les autres » en tabassant principalement leurs propres partisans discordants. 
Ces tabassages de manifestants, ont inquiété car le Hezbollah possède des armes, se sont poursuivis jusqu’au 29 octobre où des campements de manifestants ont été détruits et brûlés. L’armée et la police ont du intervenir. C’est ainsi que le 29 octobre, le premier ministre Saad Hariri a démissionné. Pompeusement il a cité une phrase de son père, l’ancien premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005 : « personne n’est plus grand que le pays ». Il justifie sa décision par une volonté de créer « un grand choc pour faire face à la crise ». Cette démission semble une bonne tactique pour Hariri qui est convaincu que le Hezbollah n’aggravera pas la crise et qu’un gouvernement de technocrates se prépare. Gouvernement qu’il compte bien diriger, non seulement à cause de ses capacités d’homme d’affaires mais également son « humilité » qu’il a prouvé en démissionnant.
Immédiatement après la démission de Hariri et la promesse d’élections parlementaires anticipées, le CCR a produit un communiqué exprimant la volonté de continuer la révolte jusqu’à la satisfaction des points du programme mais invitant tout de même les insurgés à rouvrir les routes en « signe de bonne volonté, célébration de ce qui a été réalisé jusqu’à aujourd’hui et pour faciliter les besoins vitaux et fondamentaux de la société » ! Mais, la grande majorité des manifestants n’a pas été dupe et cette démission lui a plutôt apporté un regain d’énergie en y voyant une première victoire.

Le chef du gouvernement s’accroche
Concernant le vieux (84 ans) président Michel Aoun, il multiplie les interventions, jetant inlassablement de l’huile sur le feu.
Le 24 octobre par exemple, après 8 jours de manifestation, il a donné une conférence de presse indiquant être prêt à ouvrir le dialogue avec les représentants (!) des manifestants et insistant sur le fait que le changement ne pourra advenir « que par les institutions constitutionnelles et non par la rue ». Le mardi 12 novembre il a déclaré en parlant des insurgés, que « s’ils ne sont pas contents des gens au pouvoir et qu’ils ne se trouvent pas de représentants, ils n’ont qu’à émigrer ! ».
Après chacune de ses interventions, les mobilisations ont repris de plus belle notamment près du palais présidentiel. Le 13 novembre, des blocages de routes avec poubelles et pneus en flamme ont été accompagnés de heurts qui ont fait un mort et plusieurs blessés par balles.
On se demande si le président a bien conscience de la situation. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne veut pas démissionner et que bien que chrétien, il peut compter sur le soutien du Hezbollah qui souhaite le maintien du système. La proposition d’un nouveau gouvernement se fait par ailleurs attendre. Régulièrement quelques milliers de manifestants continuent à soutenir le président dans les rues de Beyrouth, mais ces rassemblements sont toujours suivis de manifestations encore plus importantes et déterminées contre l’ensemble de la classe politique.

Réveil du parti communiste libanais
Avec un tiers de la population dans les rues, le secrétaire général du parti communiste libanais Hanna Gharib voit enfin des perspectives pour son parti moribond n’ayant pas de représentation au gouvernement. Le PCL fait circuler de nombreux appels à la grève générale, il soutien la mobilisation et prône la mise en place de comités de lutte dans les usines, universités et quartiers. Il appelle aussi les « simples soldats » à rejoindre le mouvement. Dans l’ensemble la teneur de ses communiqués est intéressante mais les masses n’ont pas l’air de s’y reconnaître, la grande majorité se revendiquant apolitique.

Les liens avec les puissances étrangères
La répression des manifestants est aujourd’hui principalement le fait du Hezbollah lequel a des liens notoires avec l’Iran. De plus, l’influence de l’Iran s’étend aux politiciens de tous bords, même Hariri sunnite, s’est rapproché de l’Iran depuis sa séquestration à Riyad par les autorités saoudiennes pour le pousser à la démission et surtout les pertes financières qu’elles lui ont infligées. Les feuilles de route présentées par les gouvernements Libanais et Irakien pour sortir leurs pays de la révolte sont mot pour mot les mêmes et très certainement dictées par le voisin iranien qui profite de la situation chaotique pour étendre son influence dans la zone géographique.
En réponse à cela, l’Arabie Saoudite, appliquant le dicton « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », injecte un peu d’argent pour favoriser l’agitation populaire. Ainsi, trois chaînes de télévisions libanaises (New Tv, MTV et LBC) qui étaient au bord de la faillite avant le début du mouvement ont « trouvé » des millions pour pouvoir retransmettre en direct et en continu les images de la mobilisation.
En plus de la compétition entre Arabie Saoudite et Iran, il y a également des tensions avec Israël qui fin août et début septembre a attaqué avec ses drones des positions en plein Beyrouth et a lancé des roquettes sur le sud du pays. Si on ajoute à cela l’ingérence des puissances impérialistes comme les USA et la France, on voit que les libanais ont à se préoccuper.

Conclusion
On peut difficilement prévoir les suites d’un tel mouvement, si disparate, si inédit et dans une région en pleine tension (Israël, Iran...). Ce qui est certain c’est que la situation économique est loin de s’améliorer. Les banques libanaises sont fermées et ne vont pas rouvrir alors que le mois s’achève et que les salaires et les retraites doivent être payés. Le gouverneur de la Banque centrale libanaise, Riad Salamé, a déclaré sur CNN que le Liban est à quelques jours d’un effondrement économique, avant de revenir sur ses propos pour éviter la panique. Il sait en effet, qu’à la fin du mois de novembre, le Liban doit payer les intérêts de sa dette, environ 1,5 milliard de dollars et que pour le moment, il n’y a même plus de gouvernement pour renégocier cette dette.
On peut difficilement imaginer que de nouvelles élections aient lieux en voyant l’obstination du président. Mais, si c’était le cas, ce ne serait probablement pas positif. Une grande partie des Libanais risque de ne pas être prête pour une démocratie parlementaire laïque, même si les mentalités évoluent, cela prend du temps et les vielles générations sont encore très liées au religieux. De plus pour gérer des élections, de nouvelles forces politiques ne pourront pas faire le poids face à des machines électorales et clientélistes comme celles des partis sectaires au pouvoir depuis des décennies. Au dernières élections par exemple, le mouvement civique Kilna Watani, n’a obtenu qu’un seul siège.
Pour le moment, l’horizontalité de la protestation est un point positif avec l’absence de leaders et l’unité des libanais pour se débarrasser du système communautaire. Ceci est déjà une vraie révolution pour un pays où le système politique est une version moderne du féodalisme et cette nouvelle mobilisation laisse espérer un autre dénouement que celui des printemps arabes (regain des islamistes, guerres,...).
Et même si le combat politique n’est encore une fois pas gagné, cette mobilisation aura au moins permis au Libanais de faire un travail d’analyse politique pour dépasser la simple dénonciation des problèmes (taxes, absence d’électricité) pour faire une vraie critique du système politique et économique du pays. Ils auront aussi compris que ce sont les partis politiques qui créent les divisions religieuses et qu’il ne s’agit pas de problèmes de majorité et minorité religieuses mais bien de classes sociales, la minorité des oligarques au pouvoir contre la majorité dans la rue.

Elsa

Notes
1) La révolution des cèdres, contre l’occupation militaire syrienne du pays. Les revendications ne demandaient pas le changement du système politique, les protestations étaient d’ailleurs guidées par les partis politiques.
2) chef féodal
3) Une application internet qui contrairement au téléphone permet une communication gratuite.
4) Selon le Transparency Index le Liban fait parti des 50 pays les plus corrompus au monde.
5) slogan diffusé durant tout le printemps arabe de 2011. Le mot « nizam » fait référence au système institutionnel qui permet les privilèges et l’enrichissement frauduleux de l’oligarchie élue au pouvoir.
6) parti chiite du président du parlement Nabih Berry

Les illustrations sont issues du site https://www.thenational.ae/arts-cul...
1) de Zarifi Haidar : maronite, sunnite, druze et chiite manifestant côte à côte.
2) de Zarifi Haidar : jeune manifestante maquillée en Joker
3) de Thierry Chehab : groupe de manifestants libanais

https://www.esquire.com/it/news/att...
Un article de LORENZO FORLANI du 23/10/2019 sur https://www.esquire.com/it/news/att... a servi l’écriture de cet article et certains passages traduits sont insérés dans cet article

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