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CA 309 avril 2021

TCHERNOBYL, 35 ans après …

mercredi 7 avril 2021, par Saint-Nazaire

Le 26 avril 1986, l’explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl en Ukraine (qui fait alors partie de l’URSS) provoque le plus important accident nucléaire civil jamais constaté.
Cet accident libère dans l’air un nuage radioactif qui se propage principalement sur toute l’Europe, avec de lourdes conséquences à court et très long terme sur les populations et le milieu naturel de plusieurs pays.


L'explosion du réacteur n°4

Au début 1986, 100 000 personnes habitent à Tchernobyl, à une centaine de kilomètres de la capitale Kiev (Ukraine). La ville profite de l’essor économique de sa centrale nucléaire, mise en service entre 1977 et 1983 et située à près de 15 km. A 3 km de la centrale, la ville de Prypiat construite en 1970, pour accueillir les employés de la centrale, a 50 000 habitants d’une moyenne d’âge de 25 ans. La centrale est composée de 4 réacteurs. L’explosion du réacteur n°4 se produit le 26 avril à 1h23 suite à toute une série d’erreurs et de mauvais choix des équipes devant gérer une opération de maintenance. L’explosion libère des débris du bâtiment et du réacteur jusqu’à 7 à 9 km d’altitude. La partie supérieure du cœur du réacteur se retrouve à l’air libre et le graphite prend feu. L’incendie est entretenu par l’intense chaleur dégagée dans le cœur, qui est principalement due aux désintégrations radioactives des produits de fission et qui n’est plus évacuée. Il ne sera définitivement arrêté que le 9 mai. Près de 30% du combustible du réacteur s’échappe dans les environs immédiats de la centrale. Environ 50 tonnes de gaz radioactif sont éjectés dans l’atmosphère, l’équivalent de 200 fois les retombées de Hiroshima et Nagasaki.

Pour circonscrire les différents incendies de la centrale, plusieurs équipes de pompiers interviennent sans protection efficace contre les radiations.
Le 27 avril, les habitants de la ville de Pripyat sont évacués de la zone en l’espace de 3 heures à l’aide de bus.
Le 28 avril 1986, la Suède découvre l’accident qui avait été passé sous silence par le gouvernement de Gorbatchev, du fait de niveaux de radioactivité anormalement élevés mesurés dans l’air. L’URSS rend alors l’accident public.
Le nuage radioactif se déplace sur l’Europe, touchant d’abord la Biélorussie voisine et la Scandinavie. Il traverse la France puis remonte vers le Luxembourg et la Belgique. Une partie du nuage se déplace ensuite vers les Pays-Bas et l’Écosse tandis qu’une autre partie s’étend vers la Corse, la Tunisie, la Grèce et la Turquie. En quelques semaines, le nuage radioactif recouvre une superficie évaluée à 3,9 millions de km2, soit environ 40% de la superficie de l’Europe.

La désinformation et l'inaction en France

Le 29 avril 1986, trois jours après l’explosion alors que la nouvelle vient tout juste d’arriver en France, Pierre Pellerin, haut fonctionnaire nucléocrate, directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants [1] intervient au journal télévisé du soir et déclare : « ça ne menace personne actuellement, sauf, peut-être, dans le voisinage immédiat de l’usine, et encore c’est surtout dans l’usine que je pense que les Russes ont admis qu’il y avait des personnes lésées »

Ce même 29 avril, Antenne 2 pose l’image d’un STOP sur la carte de France de la météo pour illustrer le fait qu’aucune contamination ne menace car l’anticyclone des Açores détournerait le nuage. Le lendemain l’anticyclone n’a pas détourné le nuage et le réseau du SCPRI commence à détecter la contamination qui gagnera le lendemain l’ensemble du territoire. Après vérification, Pierre Pellerin rédige dans la nuit un communiqué de presse qui annonce qu’on observe une augmentation du niveau de radioactivité sur le sud-est, puis le lendemain un second communiqué pour l’ensemble du territoire français. Ces 2 communiqués indiquent que ce niveau ne justifie pas de prendre des mesures de santé publique particulières. Rappelons que le SCPRI créé en 1957 et dépendant du ministère de la santé et du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) a pour mission de protéger les populations et les travailleurs de l’industrie nucléaire des dangers des rayonnements ionisants. Des associations porteront plainte dans les années 90 contre Pellerin et le SCPRI [2]

Ce n’est pas un hasard si le seul pays occidental qui n’ait pas communiqué ses relevés de radioactivité à l’OMS, celui où la désinformation a été la plus flagrante, est le plus nucléarisé du monde : plus de 64,8% de l’électricité produite est d’origine nucléaire en France, contre 10% en URSS et 15% aux USA (chiffres de 1985). Tous les nucléocrates en France affirmeront que cet accident n’aurait pas pu se dérouler car nous avons des enceintes de confinement ! Ce qui est faux car nous avions à cette époque 4 réacteurs (St Laurent, Chinon et Bugey) qui fonctionnaient comme Tchernobyl, selon le principe graphique-gaz et sans enceintes de confinement. De plus des enceintes de confinement à Tchernobyl n’auraient pas pu éviter la formation de ce nuage radioactif puisqu’il aurait fallu évacuer dans l’atmosphère des gaz afin d’éviter l’explosion (phénomène de la cocotte-minute).

Quant à la consommation de denrées alimentaires, chaque Etat européen invoque des impératifs de santé publique pour interdire telle ou telle consommation suivant ses intérêts économiques. C’est ainsi que le gouvernement allemand est draconien sur les épinards et les laitues dont il est importateur, il l’est beaucoup moins pour le lait qu’il exporte. Quant à l’Italie, elle exige des normes élevées sur le lait qu’elle importe et faibles sur les légumes et les fruits qu’elle exporte. Quant à la France, le ministre de l’agriculture est un certain François Guillaume, ex-président du syndicat agricole, la FNSEA. Pour lui, le nuage a frôlé « tout juste la frontière du pays », « le territoire en raison de son éloignement, a totalement été épargné par les retombées radioactives », « les productions françaises sont donc sans danger » ! Au moins, en France il y a eu une grande cohérence entre les lobbies nucléaires et agricoles.

les liquidateurs...

La gestion soviétique de l'accident

Pendant plusieurs semaines, le gouvernement soviétique sous-estime les conséquences de l’explosion et opère une campagne de désinformation. La première conférence de presse a lieu 15 jours après l’accident.
Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), près de 600 000 travailleurs participent aux opérations d’assainissement de Tchernobyl entre 1986 et 1991. Ces personnels militaire et civil intervenant sur le site sont appelés les « liquidateurs » et sont cités au titre de héros de la nation… Dans un premier temps, une sorte de pâte collante est déversée par hélicoptère sur la centrale pour coller au sol toutes les poussières radioactives puis les travailleurs détruisent et enterrent les objets radioactifs. Près de 300 000 m3 de terre contaminés sont ainsi ensevelis sous du béton.

Deux mois après l’accident, les liquidateurs participent à la fabrication d’un immense sarcophage d’acier et de béton pour protéger la centrale. Par précaution, des robots sont envoyés en première ligne. Mais ils ne résistent pas aux radiations et tombent en panne, les émissions de radioactivité détruisant leurs composants électroniques. Des hommes sont donc envoyés sur le site sur lequel ils ne peuvent rester que 2 ou 3 minutes au risque d’être irradiés à mort. En novembre 1986, la mise en place du sarcophage est terminée.
Toutes les localités installées dans un rayon de 30 kilomètres ont été rayées de la carte suite à la catastrophe. C’est le cas de Tchernobyl mais aussi de Prypiat.
Peu de temps après la catastrophe de 1986, l’armée soviétique va mettre en place une zone d’exclusion autour de Tchernobyl de 2600 km² (superficie du Luxembourg) qui est aujourd’hui l’une des zones les plus contaminées par la radioactivité dans le monde et attire de plus en plus de gens, aussi bien des scientifiques que … des touristes en recherche de sensations fortes sans oublier des chasseurs de métaux !

Malgré cet accident, après un nettoyage à l’intérieur de la centrale et aux alentours, les réacteurs 1, 2 et 3 furent redémarrés à la fin de l’année 1986. Les autorités attendront 1991 pour arrêter le réacteur 2, le réacteur 1 fut définitivement arrêté en novembre 1996 et en 2000, soit plus de 14 ans après l’accident, le réacteur 3 cessera toute activité de production d’électricité !
Après l’accident une échelle de gravité a été créée, semblable à l’échelle de Richter qui informe sur la puissance des tremblements de terre. Utilisée au plan international depuis 1991, l’échelle INES (International Nuclear Event Scale) comporte 8 niveaux, de 0 à 7. Les niveaux 1 à 3 correspondent à des « incidents », les niveaux 4 à 7 à des « accidents ».

A ce jour, deux événements ont été classés au niveau 7 : l’accident de la centrale de Tchernobyl en Ukraine et l’accident de la centrale de Fukushima au Japon en mars 2011.

Le deuxième sarcophage pour Tchernobyl

Depuis sa construction fin 1986, l’eau s’est infiltrée dans le premier « sarcophage » : le béton a souffert de la radioactivité. En 1997, la communauté internationale juge qu’une intervention sur le site de Tchernobyl est impérative. Il s’agit de stabiliser le premier sarcophage, préparer le site à l’édification du nouveau sarcophage et procéder à sa construction.

Il a donc été décidé de construire une nouvelle enceinte de confinement pour remplacer le sarcophage construit en 1986. Le maître d’ouvrage Chernobyl Nuclear Power Plant et un consortium (Novarka) mené par Bouygues et Vinci ont été chargés de ce projet : une structure en forme d’arche a été construite entre 2007 et fin 2018 (mise en place sur site en 2016) et recouvre désormais le réacteur n°4 pour lequel les conditions de démantèlement ne sont toujours pas précisées.

Pesant plus de 30 000 tonnes, cette arche mesure près de 110 m de haut et 256 m de long. Elle est censée avoir une durée de vie d’au moins 100 ans…. Mais…. Nous serons encore loin de la demi-vie des éléments les plus radioactifs (900 ans pour la plupart et 24 000 ans pour le plutonium 239 présent à l’intérieur du réacteur) !
Le coût total de cette arche a atteint les 1,426 milliard d’euros, payés en majeure partie par les pays du G7 et l’Ukraine. Son financement a été géré par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

Des bilans très provisoires

Il est impossible de dénombrer les morts suite à cette catastrophe. Beaucoup de nucléocrates avancent aujourd’hui le nombre 4 000, c’est mieux qu’un certain Marcel Boiteux, ex-PDG d’EDF qui osait parler en 1989 d’une catastrophe qui « n’a jamais fait que 30 morts « (Nouvel Obs du 30 septembre 89). Chacun sait que le nucléaire tue sur la durée et en plus on ne peut pas faire la différence entre un cancer radio-induit et un autre. Le seul moyen serait de suivre un très grand nombre de gens contaminés et de les comparer à un groupe de non contaminés. Cela n’a jamais été fait à ma connaissance et ce n’est pas près de l’être ! Nous savons que parmi les 600 000 liquidateurs plusieurs dizaines de milliers sont rapidement décédés d’un cancer. En Ukraine, en Biélorussie, … des personnes sont encore et toujours en train de mourir de Tchernobyl.

Voici 10 ans un rapport du russe Alexei Yablokov estimait les décès à près d’un million.
Les doses maximales dites admissibles est un véritable feuilleton. Pour clore ce faux débat, il n’y a pas de seuil en dessous duquel le nucléaire n’est pas dangereux ! Le nucléaire est bien une industrie rêvée pour un Etat et le capitalisme. Les principales conséquences sont à long terme et disséminées dans la population. Il y a moins de victimes sur le moment qu’une catastrophe industrielle genre Seveso ou Bhopal.

Quant aux déplacements de population, il y en a eu de 1986 à …1995 ! Dans les jours et les mois qui ont suivi l’explosion, des dizaines et des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées (116 000 en 1986). Ces déplacements sont un drame social, un déracinement mais pour la population d’Ukraine et de Biélorussie touchées, il en allait de leur survie pour eux et pour leur descendance. En Biélorussie les scientifiques demandaient 500 000 évacuations, en fait il n’y en aura que 100 000. A noter que l’évacuation était une revendication des manifs antinucléaires à Minsk au même titre que le rejet des normes officielles.
L’accident nucléaire a eu un énorme impact économique en Ukraine, Biélorussie et Russie. La plus grande conséquence économique est due aux pertes de terrains agricoles et de forêts (784 000 ha de terrains agricoles et 694 000 ha de forêts ont dû être abandonnés) et d’établissements ruraux. La situation économique problématique consécutive à la chute de l’URSS a également été aggravée par la perte des sources de revenus secondaires qu’étaient la chasse, la pêche…

Des réactions importantes

Sous la pression de l’opinion, un projet de centrale en Ukraine a été abandonnée, les autorités de Biélorussie ont annulé un projet à 37 km de Minsk. En avril 1989, un meeting de protestation à Kiev contre la rétention d’information sur la catastrophe a réuni 20 000 personnes. En septembre 89, 80 000 personnes ont défilé à Minsk pour protester contre l’insuffisance des mesures officielles. Autour de Tchernobyl il y a eu des tentatives d’organisations plus ou moins indépendantes des autorités concernant la santé des enfants, le recueil d’informations et de données. Au-delà, il y a eu des mouvements d’opposition à travers toute l’URSS à tel point qu’un directeur de l’Institut de l’Energie Atomique Kourchatov de Moscou a affirmé « il n’existe pas un seul nouveau site nucléaire qui ne fasse l’objet de l’opposition de la population environnante. »

Si l’accident de Three Mile Island en 1979 (niveau 5 sur l’échelle INES) a eu des effets limités sur le développement de l’énergie nucléaire, sauf aux États-Unis et en Suède, l’accident de Tchernobyl l’affecta au contraire plus nettement et durablement. A la suite de la réunification allemande en 1989, tous les réacteurs conçus par les soviétiques furent rapidement arrêtés dans l’ex-Allemagne de l’Est, et les projets d’achèvement de réacteurs en cours de construction ont été abandonnés.

De nombreux pays d’Europe de l’Ouest abandonnèrent les projets de construction de réacteurs et sortirent du nucléaire : L’Autriche (confirmation d’une décision antérieure), la Grèce, et surtout l’Italie qui vota par référendum la sortie. La Belgique abandonnera le projet d’une 8ème centrale et décida en 2003 de sortir du nucléaire à l’horizon 2025. Les Pays-Bas annulèrent la construction d’une deuxième centrale et la Suisse, par référendum en 1988, celle de six réacteurs nucléaires. L’Espagne prolongea un moratoire de 1983. En Allemagne des projets très pointus furent annulés et Berlin finit par décider, en 2000, de sortir du nucléaire. Une décision remise plus tard en question mais confirmée après Fukushima. Au Royaume-Uni, un seul réacteur fut encore construit.

En France même si la construction de nouveaux réacteurs baissa significativement (sans nouvelle commande entre 1987-le réacteur de Civaux et 2006-l’EPR de Flamanville qui devrait fonctionner en… 2023), l’accident de Tchernobyl ne fit pas fermer des centrales et sortir du nucléaire. Comme nous l’écrivions en juin 86 « Les populations en France se sont habituées à cohabiter avec le nucléaire, présenté mythiquement comme le nœud de l’indépendance militaire et énergétique. La bénédiction des socialistes au nucléaire n’a fait que rendre encore plus puissant le consensus. Dans ces conditions, il est fort peu probable qu’un mouvement anti-nucléaire renaisse en France sur la seule base d’un mouvement d’opinion et sur la peur née de Tchernobyl. »  
Nous aurions aimé nous tromper !

Denis, Reims le 10 mars 21

Sources  : Multiples dont le site connaissance des energies et surtout Courant Alternatif n°57 et 58 (ancienne série juin et été 1986) et n°2 (nouvelle série octobre 90).

CA- HS n° 4 - Antinucléaire

P.-S.

Courant Alternatif N°57 – Juin 1986 téléchargement ici
Tchernobyl : Chut... un nuage passe (57) et Après Tchernobyl (58)

Cf également le Hors série de CA sur le nucléaire

Notes

[1SCPRI Le 19 juillet 1994, le SCPRI est remplacé par l’OPRI (office de protection contre les rayonnements ionisants). Celui-ci est intégré le 13 février 2002 à l’IPSN (institut de protection et de sûreté nucléaire) pour former l’IRSN (Institut de radioprotection et de Sûreté nucléaire)

[2La cour d’appel de Paris a prononcé un non-lieu définitif dans l’enquête sur l’impact du nuage de Tchernobyl en France. Cette enquête avait été ouverte en 2001 suite à la plainte de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad) et l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT)

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