Courant Alternatif 310 mai 2021
jeudi 6 mai 2021, par
À l’approche de la fête des travailleurs, dans un climat de commémoration de la Commune de Paris, l’idée d’un renouveau du mouvement social en cette seconde année de crise sanitaire du capitalisme semble poindre à l’horizon. Toutefois le constat sur la situation des luttes reste amer et les nombreux appels incantatoires à la solidarité venus de tous les coins de la gauche n’attirent pas le chaland. Certains y voient les conséquences de la pandémie sur nos vies, mais aussi des mesures coercitives du gouvernement qui limitent les possibilités de s’organiser. Ces explications sont-elles valables ? Rien n’est moins sûr, d’autant que le reflux de la conflictualité dans l’Hexagone est antérieur au virus. Le mouvement des GJ n’était-il pas déjà la traduction d’un désespoir latent d’une partie des plus précaires, face aux conséquences des décisions prises par les deux derniers gouvernements. Mais depuis la fin de ce mouvement, hors l’habituelle ritournelle de quelques-uns qui aiment se mirer dans leur propre agitation et se prendre pour une avant-garde, la rue reste désespérément sourde à tous les appels. Pourtant l’actuel gestionnaire du capital embusqué au n°55 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré y aura mis du sien avec ses amis depuis plusieurs mois, entre multiples provocations islamophobes, loi sécuritaire ou sur le séparatisme, fake news, casse sociale (future réforme de l’assurance chômage), rien n’y manque. La colère devrait être là, mais c’est la sidération qui domine. Il y a peut-être des explications très matérialistes derrière ce mutisme des « premiers de corvée » qui se moquent bien des journées de mobilisation sans perspectives et du dandinement des bureaucraties syndicales. Quant aux petits patrons pleurnichards et à la réouverture des terrasses, il n’y a que la social-démocratie et les classes moyennes pour s’en émouvoir. Face à la situation actuelle, pour les prolétaires les préoccupations sont ailleurs, surtout quand le chômage menace d’en jeter plus d’un dans la galère. Ajoutons que c’est les femmes précaires des quartiers populaires qui paient déjà l’addition la plus lourde. Ils et elles n’ont que faire de la sauvegarde de la vie d’avant et des loisirs des nantis.
Il est bon de rappeler aussi que la pandémie ainsi que la poursuite des attaques du gouvernement contre le monde du travail n’ont fait qu’assombrir toutes perspectives d’avenir. Surtout que le capital peut dormir en paix, s’il y a bien une chose que sait faire son gestionnaire passé par les bureaux du parti socialiste, c’est la « guerre sociale » pour sa propre classe d’exploiteurs. Il n’y a qu’à voir comment son gouvernement fait couler l’argent à flot depuis des mois et des mois pour le patronat, alors qu’on nous disait qu’il n’y avait pas « d’argent magique ». Il tente même de nous enfumer en essayant de naturaliser la pandémie pour mieux justifier les restrictions incohérentes et faire taire toute critique du productivisme venant des exploités. Le but final étant de faire accepter aux travailleurs-euses que c’est elles et eux qui doivent payer la crise sanitaire mondiale du capitalisme. On comprend mieux ainsi pourquoi celui qui vantait les « premiers de cordée » se met soudainement à nous parler d’unité et de « patriotisme républicain ». Le démagogue en chef souffle sur les braises du nationalisme pour mieux dissimuler la politique de classe de son gouvernement. On reconnaît bien là la matrice rance du « chevènementisme » dans les discours et les décisions prises au sein du conseil restreint du monarque. Finalement, les arguments des rabatteurs de la social-démocratie sur le péril de la montée des idées d’extrême droite apparaissent comme ridicules, puisque celles-ci sont déjà au pouvoir. Il suffit de voir avec quelle énergie l’administration (f)rançaise traque les sans-papiers ou s’attaque aux foyers immigrés pour s’en convaincre.
De cette situation, la bourgeoisie ensauvagée se frotte les mains, d’autant que le pouvoir actuel semble déterminé à imposer « quoi qu’il en coûte » le projet d’une « société de vigilance » basée sur le sécuritaire, la surveillance tous azimuts notamment numérique, l’infantilisation des travailleurs, la culpabilisation des privés d’emplois et la traque des « séparatistes ». Ce que l’on retient surtout de ce délire est qu’il s’agit de faire en sorte que rien n’entrave la croissance des profits, qu’importe les conséquences sur nos vies (pollution des eaux, destruction de la forêt, pandémies…). Pour faire taire les grincheux et les récalcitrants, le jupitérien opportuniste n’hésite pas à jouer de la surenchère médiatique du bon père de famille et à faire donner de la seringue à tour de bras dans les « vaccinodromes ». Il n’en oublie pas non plus sa future réélection en multipliant les effets d’annonces, afin d’escamoter ses errements en matière de lutte contre la Covid-19 et la concrétisation des promesses pour le secteur de la santé qui se fait attendre.
Ce tableau moisi pourrait nous faire désespérer, d’autant qu’un renouveau des luttes à l’international n’est pas à l’ordre du jour, à l’exemple de ce qui se passe au Maroc. Pourtant, si on regarde de plus près et que l’on fait un pas de côté, il ne sert à rien de s’arc-bouter sur une posture pessimiste. En effet, loin d’avoir sombré dans la paralysie totale, les travailleurs (avec ou sans syndicat) n’ont pas déserté les combats qui les concernent directement. Ainsi, on voit l’augmentation des grèves de livreurs et leur tentative de s’auto-organiser, comme en témoigne l’article sur Uber Eats à Boulogne-sur-Mer publié dans ce CA. Il ne faut pas non plus oublier les occupations des théâtres qui ont éclos un peu partout, ainsi que la multiplication des initiatives qui sont prises contre le capitalisme et ses nuisances. De même, proche de l’hexagone, en Algérie, on voit la reprise du hirak qui fait trembler l’ordre social d’un régime allié à la France.
Au final, si on est sûr d’une chose, c’est que le virus n’a pas congelé la lutte des classes ; c’est cela qui nous réchauffe le cœur. D’autant que la pandémie aura bien mis en lumière que la socialisation de l’ensemble des hommes et notamment des prolétaires par le capitalisme est achevée, sous-entendant par là qu’une révolution sociale pour son abolition devient à nouveau pensable et que celle-ci sera forcement sans-frontières. Gare à la revanche !
OCL Strasbourg 30/04/2021