Grande Bretagne
mercredi 17 août 2022, par
Voir en ligne : le site de la campagne
Ce texte est une suite de l’article : « Don’t Pay UK » : le mouvement qui inquiète le gouvernement britannique publié sur le site
Le nombre de personnes s’engageant à rejoindre le mouvement de grève des factures s’allonge d’heure en heure ( 11/08/2022 )
Dans la journée de ce 11 août, le compteur passait la barre des 100 000 (l’article du Guardian du 7 août en évoquait 75 000) dont près de 32 000 s’engageant plus activement à construire cette grève, comme organisers, en commandant des flyers, affichettes, autocollants, etc. et se déclarant prêts à rejoindre un groupe local…
Rappel : l’objectif est d’atteindre au moins 1 million de signatures pour lancer véritablement l’opération le 1er octobre prochain, à la condition également que le gouvernement procède effectivement à une hausse massive du prix de l’électricité à cette date.
A noter que 2 catégories d’usagers sont exclus de la campagne de « grève de masse du paiement » : environ 4,5 millions de foyers qui sont raccordés via un compteur à prépaiement et qui risqueraient d’être déconnectés si leur crédit est épuisé et ceux dont la facture d’énergie est incluse dans le loyer (et qui risqueraient l’expulsion si les factures ne sont pas payées). Ces personnes sont invitées à s’impliquer dans la mobilisation, dans des groupes locaux de soutien et les réseaux en ligne.
Il est trop tôt pour évaluer la dynamique que prendra cette campagne. Sur le fond, le gouvernement, qui sera formé courant septembre, peut très bien décider de tergiverser, de retarder les hausses prévues, de les lisser dans le temps. Le ministre de l’énergie actuel a déjà proposé une aide de 400 £ [1] en 6 mensualités pour tous les ménages l’hiver prochain. Il est aussi question d’une aide ciblée de 1 200 £ [2] pour les ménages les plus pauvres. D’autres propositions pourront être émises afin de couper l’herbe sous les pieds de cette campagne.
Par ailleurs, en choisissant l’objectif d’atteindre 1 million de signatures, les initiateurs de la campagne ont placé la barre assez haut. Sur 28 millions d’abonnés dans le pays, ce n’est pas une mauvaise idée pour peser véritablement. Cependant, au rythme actuel des inscriptions (un peu moins de 3 000 signatures par jour), il ressort que dans 50 jours (le 1er octobre), cela ferait moins de 150 000 engagements supplémentaires. On est très loin du compte.
Mais les choses peuvent s’accélérer. Déjà des milliers de personnes auraient suspendu les prélèvements automatiques sur leurs comptes bancaires. En outre, le début du mois d’août n’est pas connu comme étant le moment le plus combatif de l’année. Les autorités, que ce soit le gouvernement ou l’Ofgem [3], ont néanmoins perçu le danger, ils s’inquiètent et se font menaçant. Inquiétude en avouant que de trop nombreux grévistes du paiement ne feraient qu’aggraver les choses et rendraient les coûts à supporter plus élevés.
Plus élevés pour qui ? Au Royaume Uni, depuis la privatisation du secteur, les fournisseurs d’électricité et de gaz sont très nombreux, certaines boîtes sont notoirement « sous-capitalisées », fragiles économiquement, à la trésorerie régulièrement dans le rouge. Certaines ont déjà mis la clé sous la porte ces derniers mois. Bref, quelques accidents de paiement un peu sérieux, et c’est la faillite assurée. Mais l’efficacité d’une grève ne se mesure-t-elle pas précisément à cette capacité de nuisance sur la profitabilité des entreprises, et donc sur la solidité et la pérennité de leur cycle d’accumulation/valorisation ? Inquiétude également lorsque Boris Johnson, premier ministre en sursis, déclare aujourd’hui (11/08) en s’adressant aux entreprises du secteur de l’énergie que de trop fortes hausses des factures pourraient nuire à leur business…
L’autre réaction se veut plus menaçante : « Refuser de payer pourrait amener les ménages à s’endetter et affecter les cotes de crédit (rating credit) personnelles ». Argument qui peut éventuellement toucher des classes moyennes, mais pas ceux et celles qui sont déjà endettés, ceux qui, sans l’être encore, n’ont plus le choix et tous ceux et celles qui ne se pensent pas comme du capital ou des porteurs de capital, des agents économiques sur le marché du crédit et qui se foutent éperdument de leurs « cotation », ou notation, et « capacité d’emprunt ».
Les initiateurs de la campagne Don’t Pay UK font explicitement référence à la campagne contre la Poll Tax (taxe forfaitaire imposée sur tous les ménages calculée pour toutes les personnes adultes) [4], sous le gouvernement Thatcher en 1989 : « plus de 17 millions de personnes ont refusé de payer et il était devenu impossible pour le gouvernement de forcer les gens à payer. Même à cette époque, de nombreuses personnes avaient peur d’agir et de ne pas payer la taxe. Mais au fur et à mesure que la confiance grandissait et que des groupes locaux contre la Poll Tax se formaient pour se soutenir mutuellement, il est devenu socialement acceptable de ne pas payer.
Des dizaines de milliers de liability orders [ordonnances d’injonction de paiement] ont été émises pour forcer les gens à payer - mais les gens ont refusé et la Poll Tax a finalement été supprimée » (en 1991). Victoire qui, faut-il le rappeler, avait accéléré la crise politique du régime et précipité le départ de Margaret Thatcher (1990).
Aujourd’hui, la question du cost of living (c’est quand même mieux que notre « pouvoir d’achat ») redevient centrale au Royaume Uni. Elle est de plus en plus présente dans les médias et la formule « crise du coût de la vie » est devenue usuelle, banale et systématique.
Cette crise se traduit notamment par un regain des luttes ouvrières sur les salaires cet été, notamment des débrayages sauvages, dans une entreprise de produits alimentaires à Bury, près de Manchester, dans plusieurs sites d’Amazon fin juillet-début-août ; le 10 août par les travailleurs (souvent de boîtes de sous-traitance) dans le secteur de l’énergie : la principale raffinerie de pétrole d’Ecosse (Grangemouth), dans d’autres raffineries, au Pays de Galles (Pembroke), à Fawley (Hampshire, près de Southampton, sud de l’Angleterre), dans une centrale électrique thermique (Drax, North Yorkshire) ; mais aussi plusieurs boîtes du secteur de la chimie de la Tees Valley (Nord-Est de l’Angleterre) début août ; grève d’avertissement de 2 jours des salariés des centres d’appels et de BT, l’ex-British Telecom (29 juillet et 1er août) ; plusieurs jours de grève dans l’entreprise de transport maritime (ferries) Red Funnel à Southampton et l’Île de Wight ; ou encore toute une série de préavis de grève votés et déposés pour le mois d’août chez les postiers (4 jours prévus), les conducteurs de trains et métros, les dockers de Felixstowe (principal port à conteneurs du pays)…
Cette centralité du coût de la vie apparaît aussi dans la multiplication des appels sur la question du logement (+11 % d’augmentation des loyers en moyenne sur un an selon une entreprise de l’immobilier), du chauffage des maisons (initiative « Warm this Winter »), de l’alimentation, des factures du gaz et de l’électricité, mobilisant un éventail de mouvements et associations à caractère social, caritatif, communautaire…
Sans rien présager du devenir immédiat de cette conjoncture et loin de tout slogan incantatoire et de toute projection, la cost of living crisis, de donnée objective, faisant maintenant consensus, est en passe de devenir un facteur tangible et subjectif de rébellion sociale, d’extension des mobilisations et de potentielle recomposition dans une diversité d’expressions et modes d’organisation de l’antagonisme.
In the UK, la rentrée sociale ne s’attend plus, elle vit déjà ses prolégomènes…
A suivre…
J.F.
Le 08/08/2022 – Actualisation le 11/08/2022
En écho direct à la campagne Don’t Pay UK, le 9 août, plusieurs dizaines d’activistes du mouvement Scottish Resistance (groupe indépendantiste pour la justice sociale) ont envahi les locaux du siège de la compagnie (gaz et électricité) Scottish Power à Glasgow. Sur les pancartes : « Hausse choquante des factures d’énergie, taxons-les à 50% maintenant, il faut les arrêter » et « Les Tories sont pires que la vermine ». Après avoir exigé de rencontrer le directeur général de l’entreprise, l’un des membres du groupe a déclaré : « Il faut arrêter les prix élevés de l’énergie. Il faut taxer l’élite à 50 % ».
Paroles d’un des occupants : « Des gens vont mourir cet hiver. Les prix de l’électricité et du gaz augmentent jusqu’à 150 %. 4200 £ en janvier. C’est un vol en plein jour absolu ».
« Ce que nous disons au gouvernement, c’est de baisser les prix. Des tarifs sociaux pour les pauvres et un tarif standard pour tous les autres. »
Un clip vidéo de l’occupation a été tourné par les activistes écossais, qui a ensuite été relayé sur les réseaux en ligne par les militants de Don’t Pay UK.
SUR LA POLL TAX
En 1990, les futurs initiateurs du journal "la Mouette Enragée" de Boulogne sur Mer firent paraître une brochure à propos d’une lutte populaire et de masse qui marqua le début de la décennie en Angleterre, la lutte contre “la Poll Tax”.
un dossier Poll tax est consultable sur leur site : https://lamouetteenragee.noblogs.or...
[1] 480 euros
[2] 1 440 euros
[3] organisme de régulation de l’énergie
[4] sur la Poll Tax voir sur ce site Thatcher est morte, jour de liesse pour la classe ouvrière