Henri Mora
lundi 26 février 2024, par
Voir en ligne : Henri Mora participe à l’office de l’anti-tourisme grenoblois
Selon Atout France, l’agence de développement touristique de la France, la Coupe du monde de rugby qui s’est terminée fin octobre 2023, « a permis de booster la fréquentation internationale et d’étirer l’activité touristique de l’arrière-saison » [1]. Le tourisme serait reparti de plus belle en France avec 11,6 % de hausse des recettes du tourisme international pour les 3 premiers trimestres par rapport à l’an passé ; une hausse dont les trois quarts aurait été générés par les clientèles long-courrier.
Olivia Grégoire, ministre déléguée au tourisme, avait, dès la fin du mois d’août salué le bilan touristique de la période estivale 2023 considéré comme excellent et annonçait une arrière-saison très prometteuse. Elle soulignait aussi les prévisions pour l’ensemble de l’année qui dépassaient toutes les attentes. Elle s’appuyait sur les estimations des recettes internationales qu’elle situait alors entre 64 et 67 milliards d’euros contre 58 milliards en 2022 qui étaient déjà un record.
Durant cette conférence de presse Olivia Grégoire insistait également sur les transformations profondes auxquelles nous assistions déjà dans la consommation du tourisme. Elle faisait allusion aux changements des comportements des consommateurs liés aux mutations auxquelles on devait s’attendre avec la transition écologique, le changement climatique et l’agenda environnemental. Auparavant, le 19 juin 2023, elle nous faisait part d’un plan contre le surtourisme et la gestion des flux touristiques. Et le 18 juillet, elle revenait sur les nouvelles mesures donnant aux élus locaux les moyens de lutter contre le manque de logements permanents en zone touristiques.
Comment peut-on se réjouir d’une augmentation de la fréquentation internationale imposant une surmobilité et une surconsommation, et en même temps développer une politique de transition écologique et un agenda environnemental ? Comment peut-on vouloir réguler les flux touristiques et aussi attirer près de 16 millions de visiteurs cumulés à Paris durant les prochains Jeux olympiques et paralympiques (JOP) ? Comment peut-on se préoccuper de l’« accès à une offre de logement à prix raisonné tout au long de l’année » [2] alors que Paris est une des villes les plus chères d’Europe et que les JOP accentueront le phénomène ?
La tenue des JOP à Paris l’été prochain désavouent tout discours sur la surfréquentation et l’« équilibre entre l’impact économique du développement des meublés et le respect des équilibres économiques et sociaux locaux. On annonce déjà que la location de type Airbnb durant la période où se dérouleront les JO s’affiche en moyenne à près de 1000 euros la nuit sur Paris, pour atteindre en moyenne dans le VIIIème arrondissement les 2436 euros la nuit. Cette surfréquentation durant les JO agit non seulement sur le montant des locations mais, selon l’aveu même du préfet de la région [3], pose également des problèmes dans les transports à Paris et sa région déjà saturés alors qu’on attend entre 800 000 et 1 million de personnes supplémentaires par jour.
Lorsqu’une ville accueille le plus grand événement sportif international couvert par 20 000 journalistes accrédités pour les 206 pays représentés et qu’on espère 3,5 milliards de téléspectateurs, celle-ci doit s’attendre à un bouleversement du marché de l’immobilier et à des répercussions sur le tourisme et les transports, à plus long terme. La valorisation immobilière basée sur la notoriété olympique va probablement gentrifier les villes de Saint Denis, Aubervilliers ou Pantin comme l’ancien quartier pauvre de Stratford, métamorphosé depuis les JOP de Londres de 2012. Cette notoriété renforcera également l’attractivité touristique de la région parisienne. Les JO de Barcelone de 1992 sont révélateurs de cette croissance touristique. Le nombre de visiteurs est passé de 1,75 million en 1990 à 4 millions en 2000, puis à 13 millions en 2010 pour arriver à 19,4 millions de touristes en 2019. Cette augmentation fulgurante était d’ailleurs valorisée dans un rapport de mission parlementaire remis au Premier ministre français le 19 juillet 2018 sur les mesures à prendre pour optimiser les retombées touristiques des Grands événements sportifs internationaux organisés en France, alors même que le surtourisme à Barcelone posait d’énormes problèmes que la maire de Barcelone essayait d’endiguer.
La candidature de la France a été la seule retenue par le Comité international olympique (CIO) pour accueillir les JOP d’hiver de 2030 dans les Alpes. Les régions PACA et AURA sous les présidences respectives de Renaud Muselier et Laurent Wauquiez avaient en effet exprimé quelques mois plus tôt « le souhait de proposer au mouvement sportif et à l’État » [4] de porter une candidature commune au CIO. À ce moment-là, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) soulignait l’importance de la « prise en compte des enjeux liés à la préservation de la biodiversité et à l’accélération du réchauffement climatique dont les conséquences sont plus fortes encore dans les territoires de montagne » [5].
Aujourd’hui encore, Laurent Wauquiez qui mène sa fronde contre la loi zéro artificialisation visant à stopper la bétonisation et l’imperméabilisation des sols, insiste sur une organisation des jeux qui permette d’ « accélérer la transition énergétique dans les montagnes » [6]. Soucieux de donner une image de Jeux olympiques sobres et respectueux de l’environnement, il espère faire des Alpes françaises, « la première montagne durable au monde pour les JO 2030 » [7]. Rappelons ici que le président de la région AURA, à peine élu en 2016, finança un plan neige qui donnait sa priorité aux canons à neige et aux retenues collinaires. Il s’agissait alors de s’adapter au changement climatique afin d’éviter de subir un sinistre économique… En 2021, sûrement pour les mêmes raisons, accentuées par la crise du Covid, il annonce un plan de relance des classes de neige avec des aides allouées aux établissements scolaires. Pour Laurent Wauquiez, « ce sont les jeunes générations qui, demain, feront vivre les stations de ski. Ce plan de relance des classes de neige est une première étape pour convertir nos enfants à la montagne » [8]. Des canons par centaines, des futurs clients par milliers et des JO à organiser pour maintenir une économie basée exclusivement sur la neige ; une neige qui selon certaines prévisions continuera à se faire de plus en plus rare. Quant à Renaud Muselier, il espère probablement développer du tourisme quatre saisons à Nice avec la construction des deux nouvelles patinoires pour les JO de 2030 : face à la surfréquentation touristique de l’été, il était indispensable d’attirer de nouveaux clients en hiver !
L’étude, « Climate change exacerbates snow-water-energy challenges for European ski tourism », publiée le 28 août 2023 dans la revue Nature Climate Change, soutient qu’une augmentation des températures de 2°C mettrait 53 % des stations de ski européennes à très haut risque de manque de neige et une augmentation de 4° C en mettrait 98 %. L’utilisation de neige artificielle sur la moitié de la surface des pistes de ski réduirait le pourcentage de stations à très fort risque à 27 % pour une hausse de 2°C et 71 % pour une hausse de 4°C … Pendus aux conclusions des expertises et des contre-expertises pour prendre leurs décisions, les décideurs et organisateurs des JOP se sont-ils penchés sur cette question ou se sont-ils simplement interrogés sur l’intérêt économique de ces Jeux voire leurs propres profits et ambitions ? Rappelons ici que Michaël Aloïsio, directeur délégué du Comité d’organisation des JOP (Cojop) est visé par une enquête pour favoritisme et trafic d’influence dans l’attribution d’un marché public avec la région Paca, pour constituer son dossier de pré-candidature pour les JO d’hiver de 2030.
À un moment de l’histoire où la lutte contre les destructions environnementales mais aussi sociales exige une action commune sincère, une société consciente et libre d’agir en fonction de ses besoins aurait certainement décidé de réduire sa production, sa consommation et son hypermobilité pour en limiter les désastres.
Mais dans une société dépendante d’une économie marchande dont la devise est aussi « plus vite, plus haut, plus fort ! », la liberté et la conscience d’agir restent piégées dans le labyrinthe de la production et de la consommation industrielles de masse inféodées aux exigences du travail et de la marchandise.
Henri Mora
auteur de
Désastres touristiques
Effets politiques, sociaux et environnementaux d’une industrie dévorante aux éditions l’Echappée
[1] Atout France, « Essai transformé pour le tourisme français en cette fin d’année », 29 novembre 2023
[2] Olivia Grégoire, édito du Dossier de presse « Lutter contre l’attrition des logements permanents en zone touristique : De nouvelles mesures pour donner aux élus locaux les moyens de trouver le bon équilibre », 18 juillet 2023
[3] Cf. le contenu de la lettre du préfet de la région Île-de-France Marc Guillaume au ministre chargé des Transports dans Le Canard Enchainé du 6 décembre 2023
[4] Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, et Renaud Muselier, président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en concertation avec David Lappartient président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et Marie-Amélie LE FUR, présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF), « CP – Jeux olympiques et paralympiques d’hivers 2030 », 18 juillet 2023
[5] ibid
[6] « Un essai à valider pour les Alpes françaises », Le Dauphiné Libéré, 1er décembre 2023
[7] « Laurent Wauquiez : "Devenir la première montagne durable au monde pour les JO 2030", », Le Dauphiné Libéré, 3 décembre 2023
[8] « Station de ski : Laurent Wauquiez veut relancer les "classes de neige" », 20 minutes, 31 mars 2019