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CA 340 mai 2024

L’économie de guerre selon Macron,
ou produire au son des canons …

mardi 7 mai 2024, par Courant Alternatif

La guerre a été un auxiliaire indispensable du développement capitaliste, avant d’en devenir une de ses maladies (1). Dans la fleur de l’âge, il s’agissait encore d’exporter sur d’autres continents les antagonismes européens. Coup sur coup, deux guerres mondiales l’ont fait reparaître au cœur du vieux centre historique et boucler le cycle. Serions-nous à la veille d’en clore un nouveau ?


Plusieurs événements récents témoignent de vives tensions entre puissances impérialistes. Cependant, la guerre froide est définitivement derrière nous et il serait hasardeux d’échafauder un scénario pour le temps présent tant les alliances se nouent et se dénouent au rythme d’une crise ponctuée de coups de théâtre à mesure qu’elle s’aggrave. Une chose est certaine, la sainte alliance des industriels, des politiciens et des militaires demeure plus que jamais d’actualité. A fortiori quand simultanément ou à tour de rôle ils flairent une opportunité à saisir. Et pour l’heure, c’est de cela dont il semble être question.

L'économie de guerre selon Macron

Qui se souvient encore de Montebourg et son « Redressement Productif » ? La « Start-up Nation » semble, elle aussi, être tombée aux oubliettes. Rien d’étonnant à cela depuis le discours performatif de Macron à Eurosatory qui, de facto, aurait fait entrer la France en « économie de guerre » (2). Martiale, s’il en est, la formule interpelle. Pour autant, quelle réalité et quels enjeux recouvre-t-elle réellement ?

La définition communément admise de « l’économie de guerre » est celle d’un Etat qui réoriente par la planification la production de ses industries dans le but de remporter une victoire militaire. Le corollaire en est l’accroissement de la pression fiscale et de la création monétaire, l’inflation et la dette publique. Autant dire la combinaison parfaite de tout ce que l’équipe gouvernementale en place affirme vouloir combattre pied à pied.

En vérité, le défi auquel sont confrontées toutes les majorités politiques quelles qu’elles soient demeure la crise de reproduction élargie qui mine depuis plusieurs décennies l’économie capitaliste mondialisée. Celle-ci se caractérise par une surcapacité de production manufacturière, la chute de l’emploi industriel, la saturation des marchés et la baisse des taux d’investissement en capital fixe (3).

Enchaînés à la logique du profit, politiciens et magnats n’ont jusqu’alors rien entrepris qui n’ai exacerbé davantage les antagonismes entre zones d’influences rivales : développement de la finance et explosion de bulles à répétition ; transfert massif de main d’œuvre vers le secteur tertiaire, faible moteur de croissance et générateur d’emplois peu qualifiés et mal payés ; montée des tensions internationales et renouveau protectionniste …

La quête du Graal industriel …

Au vu de la situation, la réindustrialisation est devenue le mantra de certains décideurs, tout particulièrement en France. C’est ainsi que la fraction du patronat qui marquait le pas au sein du Medef, celle de l’UIMM (4) dont le président n’est autre que le PDG de Dassault, accueille le climat géopolitique actuel comme une aubaine. En premier lieu, elle y voit l’occasion de redorer son blason et reprendre la main après des années de ringardisation de son image et la révélation d’affaires délicates, véritables secrets de Polichinelle (5) …

Surtout, elle peut s’afficher comme le maître d’œuvre du projet gouvernemental de moderniser non seulement l’activité militaire, mais le secteur industriel dans son ensemble. Ainsi, le tour est joué, et l’industrie militaire se trouve l’instigatrice d’une réindustrialisation fantasmée. Pour asseoir sa position, le patron de l’UIMM met dans la balance la seconde place acquise par la France devant la Russie de Poutine dans la vente d’armes sur le marché mondial. Il est vrai que depuis la guerre en Ukraine les actions en bourse des fabricants de matériel militaire, toutes catégories confondues, ont augmenté de plus de 35 %.

Si l’industrie ne représente plus que 10 % du PIB de la France, celle de l’armement vient de réaliser 30 milliards de chiffre d’affaires dont 10 milliards à l’export. En comparaison des 2096 milliards accumulés par l’industrie manufacturière allemande en 2020, cela parait assez dérisoire (6). Mais c’est aussi de l’équilibre ou plutôt du déséquilibre au sein du « couple franco-allemand » et de l’UE dont il est question. La volonté affirmée par la France de construire l’Europe de la Défense ne s’entend qu’en termes de bénéfices qui lui échappent encore sur un marché dont elle tire l’une de ses principales sources de revenus. A titre d’exemple, l’UE dépense 60 milliards pour acheter des avions à Lockheed Martin, les polonais s’équipent auprès des coréens et les allemands continuent de prendre leurs consignes à Washington… Un retour sur investissement d’autant plus attendu par l’UIMM qu’elle verse chaque année plus de 400 000 euros afin d’obtenir l’écoute bienveillante de la Commission Européenne.

Dérouler le tapis rouge au patronat

A la veille du premier conflit mondial, R.Luxemburg affirmait que pour la classe capitaliste le militarisme est devenu indispensable à un triple point de vue : « 1° défendre des intérêts nationaux, (…) 2° constituer un domaine d’investissement privilégié tant pour le capital financier que pour le capital industriel(…) 3° assurer sa domination de classe sur le peuple travailleur… »

A la lecture du numéro de la Revue Nationale Stratégique de 2022(7), on notera qu’aucun de ces trois points ne manque à l’appel d’un programme qu’incarne idéalement le nouveau Délégué Général pour l’Armement, Emmanuel Chiva, à la fois business man, haut fonctionnaire et officier de réserve.

Sur le thème de la défense des intérêts nationaux, on n’observe rien de réellement nouveau. La surveillance et le développement de la cybersécurité figurent à l’ordre du jour, mais ce sont avant tout les partenariats entre gouvernements associés au ventes d’armes qui intéressent l’Etat. Ces contrats lui permettent de garder des positions stratégiques à l’international ainsi que son statut de « puissance d’équilibre ».

Le second point de la feuille de route éveille, lui, un intérêt plus marqué. « Remettre la capacité de produire au cœur des préoccupations », en produisant plus, plus vite et surtout moins cher implique de simplifier et optimiser l’outil industriel. L’objectif poursuivi vise ainsi à « réduire de 20 % le niveau d’exigence afin de simplifier le travail ». En exigeant moins de justification, l’Etat assume de partager les risques induits avec le patronat, entendez de le couvrir en cas de problème.

On mesure déjà ce que ce programme renferme d’atteintes aux conditions de sécurité et de travail des personnes affectées aux tâches de production des secteurs concernés. Et plus avant, à l’ensemble du monde du travail car Macron et sa troupe insistent sur la nécessité d’impliquer dans le projet les milliers de PME et ETI qui travaillent déjà à cheval entre le civil et le militaire. Recourir aux « sociétés duales » est une vieille pratique dont l’industrie nucléaire demeure en France un cas d’école. Dans le cas présent, les innovations et les retombées sont attendues essentiellement sur les produits de haute technologie et à forte valeur ajoutée. D’une pierre, deux coups…

Enfin, après celui des travailleurs, viendra le tour des jeunes et en priorité ceux des milieux populaires. Ils feront l’objet d’une reprise en main par le travail, la discipline et l’idéologie. Un responsable de la DGA affirmait à la presse que l’industrie - de défense - est essentielle pour mettre « des gens derrière les machines. » Pour y parvenir il entend « communiquer auprès des jeunes » afin de recruter un certain nombre d’entre eux sur des postes de soudeur ou d’ajusteur en mécanique fortement demandés par les industriels. Bientôt, le ministère de la défense entamera des démarches dans ce sens auprès de celui de l’Education Nationale.

A son tour, l’école sera mise à contribution afin de promouvoir le SNU et œuvrer à « renforcer et enraciner au plus tôt l’esprit de défense dans la jeunesse et l’attractivité du métier des armes, afin de bâtir un socle de résilience collective ».

Où trouver l'argent ?

Comme le dit le proverbe, le papier ne refuse jamais l’encre, et de la plume à l’usine, il reste de la marge… En premier lieu, l’Etat se doit d’assurer le financement de ce scénario. Les 413 milliards annoncés n’y suffiront pas et les banques y regarderont à deux fois avant de s’engager.

Soucieuses de leur image, elles pourraient perdre l’accès aux financements à taux réduits si tout à coup elles se mettaient à investir fortement dans la production et le commerce des armes. Pour le moment encore, la taxonomie (8) pratiquée par la Banque Européenne d’Investissement les en dissuade, à moins qu’elle aussi ne change son fusil d’épaule sous la pression des états membres. On apprenait récemment que le ministère des armées travaille à la mise en place d’un réseau de référents bancaires en France mais aussi en Europe …

Il existe bien sûr le marché financier européen, en particulier Euronext où le cours des actions des fabricants d’armes a doublé sous l’effet conjugué de la guerre en Ukraine et des menaces lancées par Trump. Dans l’hypothèse de sa réélection, celui-ci annonce retirer son soutien financier à l’Europe si certains états membres ne subventionnent pas davantage l’OTAN…

Il reste évidemment le bas de laine des épargnants français d’un montant de 2 500 milliards d’euros sur lequel l’Etat lorgne avec convoitise.

Enfin et surtout, le déficit public savamment entretenu par les droits de tirage sans limite accordés au patronat occasionnera de nouvelles et juteuses coupes budgétaires au détriment de la santé, de la culture et de la protection sociale. Il ne fait aucun doute que de coquettes sommes ainsi générées trouveront acquéreurs auprès des favoris du prince …

Et maintenant ?

L’hypothèse de la guerre ne doit jamais être considérée avec légèreté. Pour le capitalisme, celle-ci a une fonction précise : détruire du capital en excès et relancer un nouveau cycle d’accumulation. Pour autant, nous nous garderons d’affirmer catégoriquement comme certains le font que nous sommes à la veille d’une nouvelle déflagration mondiale.

Nous devons nécessairement redoubler de vigilance et nous opposer à toute forme d’embrigadement. Pour cela, il nous faut combattre tous les discours patriotiques, nationalistes, militaristes et impérialistes d’où qu’ils viennent et sans exclusive. Le refus du SNU et de la propagande d’Etat à l’adresse des plus jeunes, la lutte contre les coupes budgétaires dans les secteurs vitaux de la société et surtout le combat de classe au quotidien contre le patronat et le capital sont les seules armes dont nous disposons, il ne tient qu’à nous de les employer à dessein.

Xavier, Boulogne-sur-mer, le 14/04/2024.

Notes
1. Il n’est jamais inutile de revisiter ses classiques. Les principaux textes de R. Luxemburg sur le militarisme et l’impérialisme apportent aujourd’hui encore un point de vue éclairant sur la question.
2. Eurosatory est un salon international qui réunit tous les deux ans à Paris les principaux industriels de l’armement.
3. « Karl Marx à Pékin », l’ouvrage de Mylène Gaulard, édité en 2014, offre un tour d’horizon dont les conclusions sur « Les dangers de la suraccumulation en Chine » - et au-delà - se sont confirmées depuis.
4. L’Union des Industries et Métiers de Métallurgie (UIMM). On ne présente plus le patronat français de la métallurgie, il existe une littérature fournie sur son compte…
5. L’affaire des caisses noires de 2007 n’est qu’une péripétie parmi la longue liste de celles qui jalonnent son histoire.   
6. PIB de l’Allemagne : 4500 milliards en 2020. PIB de la France : 2304 milliards en 2020.
7. Document à retrouver sur le site du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale.
8. Taxonomie : à l’origine une branche des sciences naturelles détournée afin de verdir certaines pratiques bancaires et/ou productives.

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