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Edito 161 été 2006

samedi 1er juillet 2006, par Courant Alternatif


L’état du monde continue de s’aggraver, les pauvres font les frais des politiques des puissants et les luttes se multiplient …. Comment éclairer un sujet plus qu’un autre sans opérer ce qu’à longueur de journée les médias officiels font, c’est-à-dire un tri hiérarchisé selon la proximité de l’événement, la nationalité des victimes et l’air du temps qu’il fait.

Commencer par les infos franco-françaises ou coloniales puis les préoccupations du peuple français et en rapide flash les calamités du monde extérieur… Au plus près, ce sont les mouvements de soutien aux familles en danger d’expulsion qui invoquent la désobéissance civile pour s’opposer à la logique d’Etat ; un sursis est accordé juste pour l’été pour permettre au gouvernement de partir en vacances sans risquer une confrontation sociale et la contagion des revendications à tous les sans-papiers, stopper la colère avant qu’elle ne s’organise trop.

Puis la chaleur de l’été, les risques de pollution et le recensement des vieux avant qu’ils ne s’échappent pour de bon et la rage de devoir supporter une telle gestion sociale et médicale dans un pays hyper développé ! Malgré tout, la France va bien : le chômage baisse (en fait, c’est le nombre de chômeurs recensés par l’Etat qui diminue), l’équipe de foot se qualifie et le président fait un bilan très positif de l’action de son premier ministre (sans toutefois faire référence à l’augmentation de 27% des profits).

Mais alors pourquoi les gens sont-ils encore dans la rue ? Certes la question n’a que peu d’importance, l’essentiel c’est l’économie, établir et commenter un bilan qu’il soit positif ou négatif d’ailleurs, l’attention portée aux chiffres détourne ainsi le regard des vraies questions. On peut ajouter à cet excellent bilan, les centaines de sans-papiers expulsés chaque jour, les arrestations tout azimut de tout ce qui bouge, se voit ou dérange car le gouvernement revendique cette politique de nettoyage administratif qui touche cependant concrètement des familles, des enfants, des plus pauvres et démunis ; ce sont des atteintes à la vie de personnes réelles qui subissent le diktat d’un bilan chiffré.

Et puis, il ne se passe rien hors de l’hexagone qui vaille d’être commenté, même si depuis près de deux mois des milliers d’étudiants en Grèce occupent plus de 350 sites académiques, subissent une répression digne des heures noires de la dictature des colonels, dans l’indifférence des médias européens pour leur lutte contre le libéralisme capitaliste et les critères de gestion imposés par l’OMC et l’Union Européenne qui visent à privatiser l’enseignement universitaire. Donc si tout va bien en France, tout va mieux dans le reste du monde : les américains continuent de consolider la démocratie en Irak qui "avance à grands pas" ; les européens progressent dans tous les domaines et le "Mondial" prouve bien cette supériorité de l’Europe du football sur le reste du monde !

Les américains, eux, font des progrès sémantiques à Guantanamo où 38 prisonniers ont été innocentés de l’accusation "d’ennemis combattants" ; ils sont devenus des N.E.C –not enemy combatants – mais lorsque des avocats ont réclamé leur libération, l’administration a rectifié cette "erreur" : les 38 ne sont pas des N.E.C mais des N.L.E.C – no longer enemy combatants- c’est-à-dire qu’ils ne le sont plus, ils deviennent des "anciens" combattants ennemis qu’il faut garder autant que nécessaire. Quant aux tentatives de suicides en nombre ce sont des "conduites auto destructives manipulatrices", un suicidé de Guantanamo est un kamikaze qui s’en prend à l’image de l’armée américaine.

En fait, le bonheur démocrate n’est jamais bien loin ... mais malheureusement il y a eu une fausse note dans ce bonheur généralisé, c’est ce soldat israélien kidnappé par de barbares palestiniens (il y a près de 10 000 prisonniers palestiniens –hommes, femmes et enfants- dans les geôles de l’Etat d’Israël, sans procès, ni avocats pour la plupart) car un soldat israélien n’est jamais simplement un militaire d’une des armées la plus puissante du monde et "la plus morale" ; il y a ce trait d’union atavique avec les autres pays occidentaux. Ce soldat est le symbole de toute une idéologie et d’un système de valeurs qui pèsent évidemment plus que les 10 000 "terroristes" emprisonnés. Alors c’est une pluie de 350 obus en une opération, nommée cyniquement "pluie d’été",qui s’abat sur une bande de terre de 45 km de long pour 6 à 10 km de large, dans laquelle sont enfermés 1,3 million de palestiniens, c’est l’usage de la force armée maximum pour -nous le répètent sans cesse les journalistes autorisés- délivrer un jeune caporal franco-israélien … un seul être manque et c’est la destruction totale programmée car Israël est fragile ! Ne suffit-il pas d’un spectacle de théâtre joué par des enfants palestiniens pour menacer son existence et obtenir ainsi de la mairie de Cenon(33) l’interdiction de la représentation ! Ou d’un journaliste au nom à consonance maghrébine que molesteront les services de sécurité israélien à Paris (devant le mur des justes !) demandant que FR3 envoie une autre personne, moins suspecte !

Mais on parle peu de guerres en ces temps dans les journaux de l’été : juste d’une force européenne de pacification en République Démocratique du Congo (RDC) et aussi de représailles armées en Palestine contre ces terroristes de palestiniens. Mais il s’agit de forces armées, de technologie militaire sophistiquée, de moyens disproportionnés utilisés contre des populations démunies qui meurent sous les bombes, qui meurent des destructions de leurs ressources minimum : famine, manque d’eau … des milliers de victimes mortes, blessées ou emprisonnées. Qu’il s’agisse de l’Afrique ou des offensives armées d’Israël, rien ne se fait dans la nuance et pour retrouver un soldat à Gaza on peut tuer des centaines d’autres personnes et surtout en profiter pour continuer à détruire ce qui reste d’un pays qui s’appelle toujours Palestine !…. En RDC, énième intervention armée occidentale, déploiement de force du Nord au Sud et mise en place d’un contrôle néocolonial avec les barrages et les soldats qui arrêtent les autochtones. L’Eurofor-RDC s’installe avec 2000 hommes qui s’ajouteront aux 17000 casques bleus déjà sur place pour surveiller les élections prévues le 30 juillet avec mission d’y rester pour les 4 mois qui suivent. La RDC, pays dont le sous-sol est un des plus riches du monde, qui a eu plus de 4 millions de morts soit plus que la seconde guerre mondiale occidentale, victimes de la faim et de la maladie, ce pays va bénéficier de la protection des armées les plus riches et les plus modernes du monde …. Qui pourtant n’ont rien vu ce 30 juin quand la dispersion policière d’une manifestation fait 10 morts dont 9 civils à Matadi, un responsable de la Monuc (mission de l’ONU en RDC) reconnaît ne rien savoir de ce qui s’est passé !

Non, le monde ne marche pas à l’envers, c’est nous qui avons la tête en bas et pour faire la révolution, selon les conseils de la gauche et de l’extrême gauche en France, il faut d’abord remettre nos pieds sur terre, bref se changer soi-même puisque le monde est tel qu’il est, il faut s’adapter avant de le changer sans trop de dégâts pour les privilèges occidentaux !

Consensus général, mondial et planétaire, le monde ne peut pas changer, il peut s’améliorer, se réformer mais il faudra lutter avec énergie et croyance contre tous ces rebelles qui veulent foutre en l’air "nos démocraties" !

Est-ce cette logique qui explique que si cette année on a vu en France de vraies révoltes, l’une a récolté la répression et un certain mépris politique, l’autre, menée par des millions de manifestant-es qui ont fait reculer le gouvernement d’un tout petit pas, a été encensée par l’opposition politique de tous bords ? Des banlieues aux universités la marge est encore grande et le débat mérite d’être posé, ce que propose le dossier dans ce numéro.

De toutes les façons il faudra détruire ce vieux monde avec sa modernité citoyenne, le changer est un impératif qui ne s’accorde pas avec les réformes, ni les consensus de toute sorte, la torpeur de l’été ne peut endormir notre volonté d’en finir avec cette société de classes.

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