samedi 1er avril 2006, par
De l’agitation militante…à la grève universitaire
Les universités parisiennes ne se sont pas mobilisées tout de suite dans le mouvement social actuel, amorcé par la contestation du CPE. Depuis fin janvier, il s’est mis en place un boulot d’information face à la loi d’égalité des chances sur la plupart des facs. Les Assemblées Générales ne rassemblaient pas énormément de monde. A Jussieu, il fallut plusieurs semaines avant de réunir quelques centaines de personnes afin de voter le blocage.
Les premières manifs, début février, étaient encore essentiellement composées de militants et parsemées d’embrouilles entre orgas ou syndicats. Les débrayages ne fonctionnaient que très peu. Les AG inter-facs après les manif ne rassemblaient guère plus de cent personnes. Beaucoup d’étudiants étaient en partiels ou en vacances. Tout le monde n’était donc pas réuni sur les facs. Le mouvement parisien a donc réellement commencé fin février, alors que la manif du 7 de ce mois avait déjà réuni beaucoup de monde dans d’autres villes. Les blocages des facs de Toulouse et Rennes furent un argument majeur pour convaincre les étudiants de se bouger (prendre le relais des facs qui partaient en vacances). La venue d’un camarade de Rennes à la fac de Censier, par exemple, fut déclencheur de la mobilisation sur ce site. Les premiers blocages ont commencé à Tolbiac et Nanterre. Puis, il y a eu un effet boule de neige sur Paris, soit une généralisation du mouvement. Malgré tout, certaines annexes de facs (souvent en Droit) restent en marge du mouvement. Des cours s’y tiennent.
Peu à peu, les occupations de nuit ont débuté, ce qui ne fut pas sans poser de problèmes, vis à vis de l’administration, mais aussi entre étudiants, et même entre grévistes. Une coordination parisienne s’est montée pour faire le lien entre les facs, surtout pour les manifs. Les actions communes sont plus à l’initiative de personnes qui se connaissaient ou ont tissé des liens. Les lycées ont rejoint le mouvement après le discours de Villepin à la télévision, le 12 mars. Les manifs ont encore gonflé. Les lycées du 93 sont en général assez actifs (manifs sauvages, actions, …) mais se heurtent plus à la répression. Bien que les grévistes aient tendance à s’enfoncer dans des AG longues, ennuyantes et peu productives, occupations, actions ou manifs sauvages font vivre le mouvement.
De la bureaucratie … à l’autonomie.
Une des particularités de Paris est de rassembler tous les pouvoirs (on se fade la plupart des chefs des orgas !) Ainsi, les sections UNEF des grosses facs se sont tout de suite montrées offensives pour mener la danse dans la bataille contre ce gouvernement (qui n’est pas celui à qui elle aimerait obéir !) Nous avons pu voir à Jussieu de magnifiques batailles pour le contrôle des tribunes d’AG entre tendances de l’UNEF (trotskos et soc-dém) : batailles qui font fuir les gens, stérilisent les débats et reproduisent des schémas de domination pour les uns et de passivité pour les autres. A Tolbiac, l’UNEF n’a pas hésité à casser la gueule à ceux qui avaient fait une banderole unitaire sur la fac. L’AG est souvent utilisée comme un lieu pour faire avaliser leurs décisions (à la recherche de légitimité et de démocratie). Les cas d’oublis d’inscription sur les listes, de monopolisation de la parole, etc. sont très fréquents. Cependant, ils peinent parfois à contrôler les tribunes d’AG ; les cas sont variables suivant les facs et moments, et souvent dus à la capacité de la “résistance” à se coordonner. La majorité des étudiants du mouvement ne sont pas encartés. Il existe une certaine méfiance vis à vis des orgas, politiques ou syndicales, ce qui semble positif.
Pour autant, de nombreuses initiatives offrent des perspectives plus réjouissantes quant à l’auto-organisation du mouvement. En règle générale, les syndicats sont débordés, n’arrivent que très peu à envoyer leurs délégués aux coords nationales… A Tolbiac, l’UNEF se fait régulièrement huer lors de leurs prises de parole.
Avant les blocages, il y a eu différentes initiatives pour des interventions (dans les TD et amphis) sous forme de discussions, plutôt que de discours syndicaux unilatéraux. Dans l’optique de favoriser la réappropriation de la parole par les personnes en luttes, des étudiants et chercheurs de Jussieu se sont réunis autour d’un canard au ton critique : vis à vis du travail, de la recherche, des orgas… A Censier, heureusement que des étudiants pas dupes aidés par des acharnés troskystes et des éclairés libertaires (!) se sont investis pour tenter de déborder les bureaucraties aux visés électorales. Les AG qui abordent le fond du problème s’avèrent plus productives. Aussi, tout un tas de gens tente d’ouvrir un lieu de rassemblement, de débat, pour coordonner des actions plus offensives sur la ville. L’occupation de L’EHESS, qui a duré quatre jours, a été réalisée dans cette optique, bien que perturbée par l’individualisme de quelques “casseurs/voleurs” ! L’idée était aussi de créer un espace de croisement entre étudiants, salariés, chômeurs… “Tous précaires, tous solidaires”
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Des blocages…aux débats.
Les soc-dem souhaitaient renforcer la mobilisation avant de bloquer les facs. Or, les blocages ont justement permis à la mobilisation de s’amplifier puisqu’il ne se pose plus le problème des cours pour participer aux actions, manif, AG, … En général, sur les sites de petites tailles (souvent les annexes), cela permet de créer de l’animation. A Censier, il y a beaucoup d’affiches, de concerts. A Javelot (une annexe de Jussieu), à été voté la réappropriation des lieux plutôt que le blocage, ce qui a débouché sur l’organisation de discussions, des projections de films, … Des étudiants de Tolbiac organisent même une fête pour l’anniversaire dès un mois de grève ! Le problème est que parfois cela (le blocage) pourrit un peu les choses, surtout dans les grosses facs : il n’y a plus d’espace de rencontre en dehors des AG stériles et interminables (digne des nuits de l’assemblée nationale !). Les étudiants ne viennent plus, comme à Nanterre, quand les cours ont été banalisés par la présidence et remplacés par des débats et projections par les étudiants. Les décisions de fermeture de site, prise par les administrations, cassent les dynamiques de lutte. A la Sorbonne (avec plein de flics) ou à Nanterre, cela a débouché sur des affrontements violents avec les vigiles. En tout cas, les blocages lancent de nombreux débats, notamment avec les “anti blocages” qui s’organisent plus ou moins, en tentant parfois de s’écarter de la récupération politicienne des pro-CPE comme l’UNI. En tout cas cela fait venir en AG, encourage de nombreuses discutions sur les questions de la violence, de la démocratie, de la légitimité de ce que font les étudiants, d’être syndiqué ou non, des diplômes (sur le fait du passage des examens), … Cependant le débat autour de la question du travail est difficile à impulser. C’est pourtant un enjeu important de cette grève que de dépasser la question du CPE, pour réfléchir sur le salariat. Toute fois, des discussions ont lieu, beaucoup de textes circulent. On a aussi vu apparaître de magnifiques banderoles : “travail, précaire ou garanti, non merci !”, “CPE, CDI, c’est toujours le STO !” et des graffitis sur la question lors de diverses occupations.
De la Sorbonne… aux barricades.
Il semble nécessaire de revenir sur les événements de la Sorbonne pour contrer l’éternel discours pourrissant des médias - qui vise toujours à falsifier les événements et stigmatiser sur des casseurs - toujours au service du pouvoir.
La fac de la Sorbonne ne s’est réellement mobilisée que très tardivement, c’est une fac élitiste. Cependant, beaucoup d’étudiants extérieurs – relayés de l’intérieur par des sorbonnards - se sont rendus compte qu’il s’agissait là d’un enjeu de taille que de bouger cette fac. Plusieurs manifs sauvages qui y finissaient furent arrêter par les keufs, qui filtraient l’entrée (hé oui) et abondaient dans le quartier (alors qu’ils étaient peu présents ailleurs). Aussi lorsqu’un rendez-vous fut donné pour bloquer les cours (sur décision de l’AG), la direction n’hésitât pas à fermer les portes, coupant ainsi cour à toute possibilité de mobilisation. Pourtant la décision d’occuper fut prise, puis effectué (une première depuis 68 !), ce qui entraîna tout de suite un soutien extérieur face au dispositif policier empêchant l’ouverture de l’occupation. Dès le deuxième soir d’occupation, l’arrogance de la présence policière a tourné en affrontement. Des barricades, plutôt symboliques certes, ont concrétisé l’augmentation de la tension depuis l’après midi (avec notamment des premiers affrontements Place de l’étoile, par ailleurs très bien maîtrisés par les syndicats). Le lendemain après-midi, une autre manif sauvage finit dans le quartier. Après avoir fait sauter un barrage de flics, les manifestants ont pu pénétrer par une fenêtre, à la surprise générale ! L’occupation s’est relativement bien passée malgré les excès de quelques citoyennistes qui voulaient imposer leur SO et qui ont tenté de s’opposer à l’expulsion de Melanchon (sénateur PS venu tenter de récupérer le mouvement), … Des occupants ont tout de même tenté de faire fuir la police, qui empêchait l’ouverture de la Sorbonne, en leur balançant des chaises sur la gueule. Dans cette même soirée, vers 4h, la fac fut évacuée, sans trop de débordements (3 flics par personne !). De la, ont débuté les affrontements au mot d’ordre de “libérons la Sorbonne”. Au-delà du CPE, on entendait beaucoup de manifestants (et pas que les anars) chanter “à bas l’état, les flics et les patrons”.
La Sorbonne a largement focalisé l’attention des médias et du pouvoir. Pourtant, il faut bien voir que la majeure partie de la mobilisation se déroule sur les facs.
Des “casseurs” … à l’action directe.
Les affrontements de la Sorbonne, mais aussi les fins de manifs ont regroupé ceux qu’on appelle les “casseurs”. Ils réunissent largement au-delà des franges autonomes ou anarchistes. On peut être étudiant ou lycéen et jeter des pavés ! Les gens qui s’affrontaient aux forces de l’ordre ne sont pas des professionnels de la casse mais des gens qui en ont ras-le-bol : chômeurs, étudiants, lycéens, précaires… La casse est souvent ciblée : grosses bagnoles, banques, grands magasins, mac-do. La peur de la bavure – qui pourrait coûter chère à Sarko – a au départ permis aux manifestants d’en mettre plein la gueule aux flics. Toutefois, la machine répressive s’est quand même bien lancée au bout d’une semaine. Plusieurs centaines d’arrestations ont eu lieu, les procès risquent de se multiplier les prochains mois.
Toutefois, on a vu apparaître de plus en plus des groupes de jeunes qui s’en prenaient, certes aux CRS, mais aussi aux manifestants : vol de portable, lynchage… Ces bandes de potes pourraient contribuer malheureusement à écœurer les manifestants de se rendre aux mobilisations.
En ce qui concerne l’action directe, elle reste limitée dans la multiplication, malgré un potentiel énorme. Certains opposent la mobilisation de masse à l’action directe, qui ferait fuir les étudiants ! Souvent les actions se limitent au blocage de carrefours, alors que les objectifs et les personnes intéressées pourraient se multiplier.
De l’arrogance de Villepin… à la grève générale ?
Du point de vue des orientations politiques de la mobilisation, celles-ci restent largement corporatistes. Il y a peu de relation inter pro. Le mouvement étudiant n’arrivera pas à aller plus loin que le seul retrait du CPE s’il n’est pas relayé par les travailleurs. C’était d’ailleurs l’un des enjeux du début du mouvement que de faire le lien avec le CNE, ce qui ne fut pas facile sur Paris. On a vu au fur et à mesure apparaître une multiplicité de revendications sur les facs : augmentation des postes aux concours, amnistie des émeutiers de Novembre, non à la fermeture de la fac de Censier, …
On a du mal à dépasser la seule question du retrait du CPE pour poser des enjeux plus larges - le travail, la précarité – ou carrément imaginer une autre société. Les actions gratuité au restaurant universitaire de Jussieu visaient à montrer que le retrait du CPE n’était pas une fin en soi. Il y a eu aussi des diffs de tracts à l’ANPE à Tolbiac, une action à la FNAC pour mobiliser les travailleurs du site. A Nanterre, les étudiants se sont rendus à La Poste. Bref, des actions sporadiques ont lieu mais manquent d’ampleur. A noter, que dans le 13e arrondissement, des réunions interpro se sont tenues, prolongement des réseaux tissés lors des grèves de 2003. Le prolongement de la mobilisation contribue à ouvrir le mouvement vers d’autres horizons, à renforcer l’engagement politique des étudiants et lycéens. Espérons que les étudiants parisiens arriveront à traverser le périphérique pour se joindre aux travailleurs de la banlieue…
Jean-Eude, Nadia, Seba, Louise, Grizelda, Gildas, Caro et compagnie