Extrait de Courant Alternatif 260 de mai 2016
Immigration : Calais
mercredi 25 mai 2016, par
Avec environ 8 000 personnes réparties dans la « jungle » calaisienne mais aussi dans les camps annexes le long du littoral et des aires d’autoroutes (1), la situation à Calais fait, sans cesse l’actualité et mobilise des aides multiples. Mais aucune issue politique à cette « crise humanitaire » n’est envisagée sauf celle de la politique répressive menée par l’État depuis des années et dont le dernier acte a été la destruction impitoyable de la zone sud du bidonville en mars dernier. Aujourd’hui Calais reste une impasse, naturellement pour les migrants qui se butent aux grillages du port et aux matraques des CRS, mais aussi pour les calaisiens dont la colère et la précarité croissent et qui sont instrumentalisées par une droite réactionnaire aux aguets. Et enfin pour les militants, défenseurs des migrants, qui sont très nombreux à passer à Calais sans pouvoir/vouloir construire une lutte politique, seule à même de changer réellement les choses.
Le phénomène des migrants à Calais commence avec la fermeture progressive de la frontière anglaise, dès la fin des années 80 et notamment depuis la non-participation à l’espace Schengen du Royaume-Uni (2). L’obtention d’un visa commence à devenir difficile et peu à peu ce que les calaisiens appelaient les « kosovars » (en référence aux guerres en ex-Yougoslavie) se retrouvent coincés dans la rue. En 1999, un centre d’accueil des réfugiés est construit à Sangatte et il est géré par la Croix-Rouge. Mais ce camp est instrumentalisé pour l’ascension politique de Sarkozy alors ministre de l’intérieur qui le ferme en 2002 et qui signe l’année d’après, les accords du Touquet qui externalisent la frontière anglaise aux portes du port de Calais et qui, de facto, renforcent les contrôles policiers. Dès lors, les migrants dont l’origine s’est diversifiée avec la multiplication des conflits internationaux (Afghanistan, Irak, Soudan, Erythrée, etc) augmentent et s’éparpillent dans les alentours, en particulier dans la ville de Calais où des campements voient le jour. Appelées « jungles » qui est une déformation d’un mot persan « jangal » désignant un bois, elles sont impitoyablement expulsées comme en 2009 sous les ordres d’ Eric Besson (alors ministre de l’intérieur et de l’identité nationale…).
De nouveau chassés, les migrants avec l’aide des No-Border qui commencent leur intervention sur Calais, vont habiter des squats dans les nombreuses friches industrielles du centre-ville. Natacha Bouchart, la maire de droite, fait la guerre à ces squats et décrète la « tolérance zéro » tandis que des campements de fortune continuent de se construire dans la ville ou près des usines Seveso de la zone industrielle. Les expulsions se poursuivent et en 2014, alors que le nombre de migrants augmente sensiblement, l’État décide de changer de stratégie. En septembre 2014, Bernard Cazeneuve délocalise le lieu de distribution de nourriture, situé non loin du centre-ville, vers un ancien centre de loisirs dans les dunes périphériques : c’est le centre Jules Ferry qui devient un accueil de jour et un hébergement pour les femmes et les enfants. Très vite, sous la menace de la police et l’aide de certaines associations humanitaires, les migrants sont « installés » dans une nouvelle jungle autour de ce centre. Les migrants vivent dorénavant à plus de 7 kms du centre de Calais mais pour l’État et sa préfecture, il ne s’agit pas de laisser faire car la rocade portuaire passe à proximité et celle-ci est régulièrement bloquée par des migrants déterminés à passer de l’autre côté de la Manche via les camions. Ainsi, ont lieu les destructions récentes : la bande de 100 mètres le long de cette rocade en janvier et la destruction de la partie sud de la jungle en février-mars 2016. Le but étant de réduire la pression migratoire autour du port et de dispatcher les migrants dans des centres d’accueil et d’orientation (CAO) partout en France. Mais ce n’est qu’un coup politique et médiatique car depuis mars dernier, de nombreux sans-papiers sont revenus à Calais pour passer en Angleterre tant le traitement des demandes d’asile en France est calamiteux et repoussant.
Aujourd’hui, il ne reste plus que la partie Nord du bidonville où s’entassent des milliers de personnes dans des habitations bricolées ou des tentes (dont quelques unes de la sécurité civile). Un centre d’accueil provisoire est organisé par l’état dans des conteneurs avec grillages autour et reconnaissance palmaire pour y entrer … ce qui logiquement rebute de nombreux migrants qui ne veulent pas laisser leurs empreintes digitales de crainte d’être renvoyés au nom des accords de Dublin (3). Il reste aussi le centre Jules Ferry où l’association la Vie Active gère les repas, les sanitaires, l’hébergement des femmes et des enfants, etc. In fine, la situation humanitaire et la gestion qu’en fait l’État restent quasiment les mêmes depuis plus de 15 ans. Il s’agit de précariser volontairement les réfugiés pour vouloir réduire leur nombre et casser l’image de l’Eldorado pour éviter le fantasque « appel d’air ». Mais force est de constater que la volonté de passer est plus forte que tout. Néanmoins, une chose a été réussie, creuser le fossé entre les exilés et les calaisiens.
La ville la plus peuplée du Pas-de-Calais (73 000 habitants) est profondément touchée par la désindustrialisation. Jadis grand centre textile avec la dentelle de Calais et grand port trans-manche, ces deux activités ont fortement diminué. Il ne reste quasiment plus d’usines textiles et la compagnie SeaFrance qui est devenue, entre temps, la SCOP My Ferry Link a définitivement coulé l’été dernier. Même si le port de Calais reste très actif pour le transport de voyageurs avec des compagnies anglaises (P&O) et danoise (DFDS) sans oublier le tunnel sous la Manche, les anglais ne s’arrêtent plus beaucoup en ville pour faire du tourisme ou des emplettes. Enfin, la zone industrielle des Dunes accueille encore quelques usines mais là aussi, il y a des fermetures comme récemment celle de l’usine Tioxyde (4).
Conséquence logique mais tragique : plus d’un quart de la population active est au chômage et 30% vit sous le seuil de pauvreté (chiffres Insee de 2012). Dans le centre-ville, de nombreux bars et restaurants ont fermé tandis que la misère est de plus en plus visible (il suffit de se pencher sur les indicateurs de santé de la ville qui sont calamiteux). Cette situation sociale exacerbe le ressentiment envers les exilés et les discours xénophobes se généralisent, discours de plus en plus présents aussi par le fait que calaisiens et migrants ne se côtoient plus dans le centre-ville et que le seul « lien » se fait par les médias et les faits-divers. Ce ras-le-bol nourrit une colère instrumentalisée par les partis politiques. Natacha Bouchart, maire LR et sénatrice, multiplie les déclarations sensationnalistes pour réclamer des moyens supplémentaires. Moyens répressifs avec l’appel répété à l’État de faire intervenir l’armée (qui n’est pas encore là) mais elle a obtenu le renforcement des effectifs de CRS qui quadrillent littéralement la ville ! et moyens financiers, aussi, en demandant des aides et des ristournes fiscales. Ainsi, le 24 janvier dernier, une manifestation en vue d’une rencontre avec l’Elysée et le ministère des Finances est organisée, avec coude à coude des représentants politiques du PS, des républicains, du FN accompagnés des commerçants, des policiers et des chasseurs du coin qui dénoncent la mauvaise image de la ville et la baisse des débouchés économiques (ce qui est en partie faux, voir encart 1). D’ailleurs, commerçants et patrons se sont regroupés dans le collectif « Agir ensemble pour sauver le port de Calais » et réclament une solution pour éloigner les migrants du port. Récemment, le patron du port réclame dans la presse locale le démantèlement complet de la jungle pour en finir avec les blocages de la rocade … à quand un mur ?
Dans le cortège de la manifestation enfin, on trouvera aussi des syndiqués de la CGT Dockers alors que la veille, la CGT était aux abonnés absents dans la manifestation pro-migrants. Patrons et salariés main dans la main pour montrer du doigt les migrants et défendre l’économie du port et de la ville est devenue une triste réalité.
Jadis dernière grande ville communiste du nord de la France, Calais a basculé à droite lors des élections municipales de 2008 même si le PCF reste la deuxième force politique de la ville avec près de 40% de voix pour Jacky Hénin au second tour des municipales de 2014. Sur le terrain, il reste une centaine de militants communistes, bien ancrés dans les quartiers mais vieillissants et ne faisant pas forcément partie des plus précaires. Un décalage se crée alors avec une partie de la population et les discours tant au sujet de l’économie que des migrants ne sont pas clairs ou audibles. Déjà à l’époque de Sangatte, la gauche appelait à l’aide le gouvernement et a applaudi la fermeture du centre par Sarkozy … Depuis, la ville est tenue par Natacha Bouchart et le FN représente la 3eme force politique de la ville.
Indéniablement, l’extrême droite se développe et aux dernières élections régionales, la moitié des non-abstentionnistes ont voté pour le FN au premier tour. Mais ce n’est pas tant le FN qui se construit localement, car les résultats aux municipales restent modestes (12%), que la colère qui monte. En automne 2013 est apparu sur Facebook, le groupe « Sauvons Calais » qui libère la parole et les actes haineux. Un squat est même caillassé par ses militants mais son leader Kevin Reche s’isole en rejoignant les nazillons du parti de la France présidé par Carl Lang qui tente une manifestation anti-immigration en septembre 2014, la greffe bien heureusement ne prend pas avec la population.
Depuis, une deuxième génération xénophobe s’est développée avec le groupe facebook « les calaisiens en colère » qui est un groupe plus hétéroclite et très proche de la police et ses syndicats (UNSA notamment). Quelques membres ont organisé des sortes de milices avec des intimidations envers les migrants et des piquets nocturnes pour « protéger » les forces de l’ordre (sic). Des groupes identitaires se rallient alors à la « cause » et viennent organiser à Calais des ratonnades, plusieurs migrants sont blessés et dépouillés de leur pécule. Le mouvement Pegida (mouvement islamophobe né en Allemagne) tente même une manifestation début février mais le rassemblement est interdit et son meneur, le général Piquemal ancien chef de la légion étrangère est arrêté. Sont arrêtés aussi quelques jours plus tard, 7 fachos calaisiens près de Dunkerque avec des barres de fer dans les coffres de voitures. Depuis les milices ont cessé mais pas les violences policières qui continuent le soir dans le port mais aussi lors des invasions de la rocade par les migrants et qui finalement sont les principales violences contre les migrants. Les associations humanitaires s’accordent à dire que la répression est très forte et que la Jungle continue à être gazée régulièrement (6).
La jungle de Calais n’en finit pas de recevoir une aide humanitaire tout azimut et la visite de journalistes et de célébrités internationales qui ne cessent de s’indigner. Cette aide s’est accentuée surtout depuis l’été dernier et la médiatisation de la « crise migratoire ». De nombreuses bonnes volontés, surtout britanniques, sont alors venues aider à distribuer des repas et construire des habitats. Il ne s’agit surtout pas ici de critiquer cette démarche qui offre même une certaine autonomie à la « jungle » ni même de donner des leçons alors que nous n’intervenons pas directement sur Calais, mais, essayons tout de même de mettre en perspective la situation en soulignant l’absence de lutte et d’espoir politique immédiat. Récemment, on ne peut que regretter le manque de critique politique des associations humanitaires face à la destruction impitoyable de la zone sud de la jungle et le manque de soutien à la grève de la faim de 9 iraniens qui s’étaient cousus les lèvres pour justement dénoncer cette situation.
L’aide humanitaire est apparue dès les années 1980 avec l’arrivée des premiers refoulés de la frontière. Depuis plus de 15 ans, elle s’est organisée et structurée autour de plusieurs associations dont les principales sont aujourd’hui : La Vie Active, Médecins sans Frontière, France Terre d’Asile, l’Auberge des Migrants, Care4Calais, Calais Refugees et dont certaines sont missionnées par l’État. En 1997, pour coordonner leurs actions, des associations fondent le collectif C’sur (collectif de soutien d’urgence aux réfugiés). Ils réussissent à obtenir l’ouverture du centre de Sangatte puis, après sa destruction, vont lutter de manière assez active pour la défense des réfugiés. Des manifestations, des occupations de lieux sont organisées et deux membres du collectif passent en procès pour « délit de solidarité ». Mais tiraillé entre l’humanitaire et le politique, le collectif se dissout en 2010. L’État entre-temps reprend la main et discipline tout ça. En 2008, la mairie met en place le conseil des migrants mais celui-ci est boycotté par les associatifs en 2014 et depuis il ne se réunit plus tandis que la préfecture invite encore de temps en temps les associations les plus « fréquentables » pour faire le point sur la gestion de la situation. C’est bien entendu un marché de dupe car les humanitaires se retrouvent pieds et poings liés face aux décisions d’expulsions qu’ils ne peuvent empêcher et sont aussi dépendants des subventions versées ou non par l’État qui tient les cordons de la bourse.
Aujourd’hui, l’humanitaire « officiel » s’est institutionnalisé. Les bonnes volontés car il y a encore beaucoup de bénévolat sont orientées et managées par des permanents associatifs. Et pourtant quelques résistances ont existé et existent encore. Ainsi l’association « la Belle étoile » jette l’éponge en 2013 et déclare dans un communiqué de presse « Ce n’est pas à des bénévoles d’assurer une telle charge qui incombe aux autorités de l’État et aux élus. Continuer serait également donner quitus et bonne conscience à ces mêmes autorités (…) les bénévoles ne sont pas là pour occuper les migrants et en quelque sorte continuer à maintenir une certaine paix sociale ». Encore plus radical est la déclaration de guerre d’Emmaus au gouvernement (lire le communiqué dans l’encart 2) qu’il accuse d’aggraver sciemment la situation. Dernièrement, c’est le maire EELV de Grande-Synthe (près de Dunkerque) avec Médecins sans Frontières qui a fait le bras de fer avec le gouvernement en décidant de construire un camp humanitaire « digne » mais sans l’autorisation préfectorale. Après quelques menaces, l’État a fini par mettre la main à la poche.
Mais force est de constater qu’aucune revendication et lutte politique d’ampleur se catalysent autour de la sous-traitance de l’humanitaire par l’État. En jouant le rôle de tampon social, les associations humanitaires participent à cette dépolitisation et les exilés se retrouvent bien souvent seuls dans des actions contre cette politique d’exclusion organisée.
Le 23 janvier 2016 a eu lieu une grande manifestation de soutien aux migrants à Calais. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant de monde. Dans le cortège de nombreuses organisations politiques et associatives et une présence active aussi des migrants. A l’issue de ce rassemblement, le port est visé par des centaines de manifestants qui parviennent à passer les barrières et occuper un ferry. La police arrive rapidement et arrête des migrants mais aussi des militants qui les accompagnaient. Au delà du spectacle et de la symbolique, cette action n’a finalement abouti à pas grand chose à part la répression puisque 8 personnes ont été jugées (6 exilés et 2 militants). On ne peut que regretter le manque de soutien local. Sans se désolidariser de cette opération, on peut quand même souligner qu’elle était en grande partie extérieure au contexte calaisien en cela qu’elle fut mise en place par des militants sans véritable relais locaux.
Plus quotidiennement, les No Border essayent d’intervenir de manière plus radicale. Arrivés en 2009 à l’occasion d’un camp No Border, des militants français, anglais et internationaux viennent en aide aux migrants et réclament l’abolition de la frontière. Ces No Borders ont pris en charge l’ouverture de squats à partir de 2010 et ont beaucoup travaillé sur les violences policières en sortant notamment un rapport en 2011 et en saisissant le défenseur des droits sur cette question. Depuis que la jungle s’est stabilisée, ils vivent avec les migrants et participent à des actions communes. Pour le pouvoir, ils représentent un bouc émissaire idéal et il s’en sert pour dire que les migrants sont manipulés dans leur colère. Ce qui est faux. Mais pour une grande partie de la population, le concept de No Border reste flou car les ponts ne sont pas faits avec les calaisiens et les autres organisations politiques qui pourraient se retrouver les mêmes questions. De plus, la plupart des militants ne restent pas à Calais, ils bougent, ce qui empêche un ancrage véritable.
De son côté, la jungle est un objet politique en soi. Véritable creuset social, il existe une grande vivacité d’initiatives à l’intérieur du camp. Des bars, des restaurants, une école, un théâtre et une discothèque ont été construits. Cela permet de développer une sociabilité, vitale pour les exilés mais aussi une solidarité entre habitants. Un « calais migrant solidarity office » géré en partie par les No Border met à disposition des informations traduites dans de nombreuses langues sur les droits des réfugiés. Avant la destruction de la zone sud, il existait aussi une permanence juridique avec des avocats bénévoles qui instruisaient tous les cas de violences policières, étrangement cette cabane a été incendiée accidentellement. D’autres initiatives existent encore et font du bidonville, un forum d’idées et d’initiatives où les migrants prennent conscience de leur statut et défendent leur intérêt lors de manifestations spontanées.
Ancrer une lutte pro-migrants à Calais reste un enjeu majeur si l’on veut re-politiser la question et mettre en place un rapport de force efficace. Quelques initiatives avaient été prises avec le collectif C’Sur et aussi l’association « Calais Ouverture et Humanité » qui s’est crée en 2013, en réaction au groupe de fachos de « Sauvons Calais » et qui réunit des calaisiens mobilisés. Mais depuis quelques temps, l’association a cessé ses activités d’agitation politique et des membres ont pris leur distance à cause des menaces de l’extrême droite. De leur côté, les partis d’extrême gauche et les syndicats locaux ont déserté la question des migrants, sans doute de peur d’être impopulaire aux yeux des calaisiens dont certains n’hésitent plus à montrer leur hostilité comme cela s’est vu lors de la manifestation du 23 janvier.
Plus beaucoup de choses ne bougent … sauf du côté des réfugiés qui régulièrement organisent spontanément des rassemblements avec pancartes et slogans. En cela, la grève de la faim de 9 iraniens en mars, fut la dernière expression politique forte avec des revendications précises et un appel à la convergence (voir encart 3). L’été dernier aussi, des exilés, en particulier syriens, ont occupé deux lieux en plein centre-ville pour réclamer des droits et dénoncer la fermeture de la frontière. Dans un communiqué, ils soulignent leur autonomie par rapport aux politiques et aux associations et déclarent au sujet de « Pourquoi l’Angleterre » : « d’abord, parce que nous parlons anglais , et ce n’est pas à banaliser lorsqu’on souhaite débuter une nouvelle vie ailleurs…
Puis, parce qu’on a pour beaucoup des proches là bas ! Enfin, parce que les conditions d’accueil là bas sont beaucoup mieux gérées qu’ici ! En effet, la France propose l’asile mais nous laisse dehors encore quelques mois alors qu’en Angleterre nous sommes hébergés sur le champs et dignement. » Ils seront finalement expulsés sans ménagement par les gardes mobiles.
Il est nécessaire qu’un mouvement social émerge pour relayer les luttes des migrants, déjà existantes. Partir de ce qui se fait déjà et ne plus intervenir occasionnellement ou spectaculairement à grands coups de « il faut que », interventions qui bien souvent sont contre productives et creusent encore plus le fossé avec les calaisiens. Il s’agit aussi de ne pas uniquement axer les revendications sur la situation humanitaire ou les exactions de la police et/ou de l’extrême droite mais d’englober les questions qui concernent migrants et calaisiens comme la précarité et le travail. Car de chaque côté, la misère est palpable et ces deux camps sont exploités de la même manière. La question du travail reste centrale, quelle différence entre un calaisien qui a perdu son emploi et qui se bat contre la précarité et entre un migrant dans la jungle qui essaye de passer en Angleterre pour se retrouver exploité souvent illégalement dans des petits boulots très mal rémunérés. A chaque fois, c’est le capitalisme qui broie et atomise les individus.
Fabien, OCL Lille
1- Selon les estimations des associations, on peut compter à Calais 4 946 personnes, environ 1 500 migrants dans un camp humanitaire à Grande Synthe et plus d’un millier de migrants répartis dans des camps plus petits le long du littoral et des autoroutes.
2- L’espace Schengen est un espace défini en 1985 par l’UE de libre circulation des personnes. Il réunit 26 états européens mais le Royaume-Uni a refusé d’en faire partie ce qui explique en grande partie le blocage à Calais.
3- Les accords de Dublin obligent les migrants à faire leur demande d’asile dans le 1er pays où a été pris leur empreinte digitale faute de papiers d’identité officiels. Ces accords ont été quelques peu malmenés avec la crise en Grèce et aussi en Italie. Depuis d’autres accords sont mis en place notamment avec la Turquie, voir la suite
4- Pour des infos sur Sea-France et Tioxyde, lire avec intérêt le blog de la Mouette Enragée.
5- Interclassiste est ce qui nie la division en classe de la société, c’est une situation où exploiteurs et exploités se retrouvent ensemble niant au passage la lutte des classes.
6- Un sondage récent de Refugee Rights montre que 76% des habitants de la jungle ont été victimes de violences policières et que « l’utilisation de gaz lacrymogènes, de
flash balls, de passages à tabac, et dans une moindre mesure, l’utilisation de chiens, la violence verbale ou sexuelle sont monnaie courante pour les habitants du camp ».
L’argument municipal et patronal voulant que Calais meurre économiquement à cause des migrants et qui nourrit la xénophobie des habitants est faux (1). En effet, cyniquement, les migrants apportent plus d’argent qu’ils n’en « coûtent », si tant est que l’État débourse un kopeck pour les aider.
Tout d’abord, les CRS sont devenus les premiers clients de l’hôtellerie calaisienne. Avec 1 125 gendarmes et CRS mobiles sur un total de 1 760 agents, les forces du désordre occupent entre 1 500 et 2 500 chambres d’hôtel dans le Calaisis mais aussi le Boulonnais et le Dunkerquois (chiffres de la presse). Ils remplacent en grande partie le flot de touristes anglais qui ne vient plus à Calais non par peur des migrants mais parce que la ville n’a plus le charme que d’une caserne militaire. Autre secteur en pleine croissance, les sociétés de sécurité privée, de plus en plus nombreuses autour du port et des magasins alentours, ce qui emploient plusieurs centaines de calaisiens.
Côté humanitaire, là aussi il y a un « débouché » pour l’économie locale. Quand l’association l’Auberge des migrants dépense 100 000 euros par mois pour des vivres ou des vêtements, elle fait tourner de nombreux fournisseurs. Tout comme les bénévoles venus de loin, qui s’installent pour quelques semaines dans la région et qui font marcher les bars, les restaurants et les locations Airbnb ou Booking. Il y aussi les 160 postes créés par La Vie active pour gérer le centre Jules-Ferry.
Enfin, l’Insee a décidé de comptabiliser les migrants dans son recensement de la population calaisienne, ce qui va entraîner 440 000 euros de dotation en plus de l’État, dans les caisses de la ville. Faut-il alors manifester main dans la main avec les patrons et les politiques pour "soutenir notre ville, notre port, nos commerces et nos emplois" comme l’indiquait la banderole de la manifestation du 24 janvier ? Il ne faut pas se tromper de colère.
(1) de l’aveu même d’un responsable de l’UMIH (union des métiers et des industries de l’hotellerie) dans une interview à la presse qui déclare : « Quelles sont les perspectives pour les hôteliers avec le démantèlement de la « jungle » ? - « Mauvaises. On n’aura plus les bénévoles ou les CRS, et pas plus de touristes pour autant. »
Révolté par l’inertie malsaine du gouvernement et par l’incapacité de son ministre de l’intérieur à apporter enfin des réponses adaptées à l’ampleur de la catastrophe humaine à Calais, j’ai décidé, à l’issue de la réunion présidée par Bernard Cazeneuve de rompre tout dialogue avec le ouvernement, au nom de l’ensemble du mouvement Emmaüs.
Sciemment, délibérément, par aveuglement ou perfidie, le gouvernement se refuse à prendre des décisions qui seules seront de nature à apporter dignité et respect des droits fondamentaux aux 3 000 personnes actuellement bloquées à Calais dans des conditions insupportables et honteuses pour notre République. Les acteurs du mouvement Emmaüs, en particulier les communautés du Nord-Pas-de-Calais sont tous les jours aux côtés des migrants pour leur apporter aide et soutien. Dans le même temps, avec nos partenaires associatifs, nous n’avons eu de cesse d’alerter et d’interpeller les autorités sur le décalage abyssal entre l’indécence des moyens mis sur la table et ceux qu’appellent la réalité de la situation.
Le plus choquant est d’entendre les représentants du gouvernement se féliciter de la création du centre Jules Ferry quand on sait qu’il n’abrite qu’un nombre infime de femmes et d’enfants, laissant des milliers de personnes dormir dehors, sauvagement « encampés ».
Une catastrophe à grande échelle s’annonce à Calais dans les jours qui viennent à l’approche de l’hiver.
Notre priorité reste le combat politique pour l’ouverture des frontières avec l’Angleterre et la renégociation des accords du Touquet. Nous condamnons la position, encore fermement exprimée par le Ministre lors de cette réunion, qui persiste à écarter cette solution sous couvert de la théorie infondée de l’appel d’air.
Nous déplorons qu’un accueil digne – qui apporte au minimum toit, vivre, soins et accompagnement social – se négocie petitement, avec « des bouts de chandelle ».
Nous refuserons toujours de « trier » parmi ceux qui souffrent, périssent et meurent de faim.
Emmaüs entre définitivement en guerre contre cette politique punitive, criminelle et destructrice.
Nous ne voulons pas servir d’alibi à une catastrophe cyniquement organisée au plus haut sommet de l’Etat et dénonçons une tentative d’instrumentalisation des associations.
La montée des extrêmes dans notre pays impose plus que jamais du courage politique pour gagner le combat des valeurs. Le mouvement entre en résistance active. Le gouvernement devra assumer seul les conséquences humaines de sa politique irresponsable.
« Une loi avant toutes les lois, nous criait l’Abbé Pierre, pour venir en aide à un humain sans toit, sans soin, sans pain : bravons toutes les lois »
Nous voudrions renouveler nos profondes condoléances aux habitants de Bruxelles et à toutes les victimes des attentats de mardi.
C’est la même violence et la même terreur que fuient tant d’habitants de La Jungle. Nous devons rester ensemble, unis comme humanité, contre la violence sous toutes ses formes.
Au cours des nombreux mois que nous avons passés dans La Jungle, nous avons enduré de vivre dans des conditions sordides et crasseuses. Nous avons tous été soumis à une violence racist habituelle et systématique dans les mains de nationalistes, de fascistes, et de la police française. Cette expérience de violence est commune à tous les habitants de La Jungle et se produit de manière quasi quotidienne. Pour beaucoup, y compris de très jeunes réfugiés non accompagnés, cette violence est simplement devenue la norme.
Malgré les conditions terribles dans lesquelles nous nous sommes trouvés vivre, aucune alternative concrète et humaine ne nous a été offerte. La dispersion des réfugiés à travers la France dans des centres souvent inhabitables, et la procédure longue et complexe de demande d’asile, laissent beaucoup effrayés, désespérés, et les fait revenir dans La Jungle.
Le 29 février, l’État français a commencé leur expulsion de la partie sud de La Jungle. Le niveau de violence était indescriptible. Nous Iraniens étions dans la première section à démolir. En violation de leurs promesses et des décisions de justice, les autorités ont détruit nos abris, nous ont battus, nous ont étouffés avec des gaz lacrymogènes et ont tiré sur nous avec des balles de caoutchouc. Nous n’avions reçu aucun avertissement et aucun interprète pour nous aider à comprendre ce qui se passait. Nous n’avons pas eu le temps d’emballer nos quelques effets personnels, nous avons tout perdu, sauf les vêtements que nous avions sur le dos. Il est devenu clair pour nous que les problèmes des réfugiés en France, particulièrement dans la Jungle de Calais, avaient été censurés et que nous avions tous été présentés comme des terroristes et des fauteurs de troubles.
Notre décision de commencer une grève de la faim et de coudre nos lèvres pour protester contre le traitement inhumain des réfugiés et demandeurs d’asile a été bien réfléchie. Notre décision n’était pas basée sur la colère, mais prise pour des raisons claires.
Dès le premier jour nous avons demandé :