vendredi 11 mai 2007, par
La situation des Roms est un excellent vecteur pour envisager le traitement politique et institutionnel des minorités, mais aussi les législations concernant les personnes non sédentaires. Elle montre comment la société et l’Etat considèrent ceux et celles qui ne rentrent définitivement pas dans ses cases... Entretien1 avec Vincent membre du groupe libertaire Spartacus (OCL) et militant associatif à Argenteuil.
Egregore : On voulait faire cette émission depuis longtemps, mais une malheureuse opportunité nous donne l’occasion de traiter ce sujet. En effet lors de la publication de la loi sur la prévention de la délinquance un décret concernant les gens du voyage a été ajouté. Désormais les préfets vont pouvoir, sur demande du maire, virer les gens du voyage sans décision de justice. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Vincent : En fait il s’agit d’une loi qui a pour base le texte rédigé par une commission en 2002 et présidée par le président du groupe Accord Arcade, c’est à dire une énorme chaîne d’hôtels.
Egregore : On les connaît surtout (en dehors de l’exploitation des gens qui y bossent) pour le rôle qu’ils jouent dans les expulsions de sans papiers
Vincent : A la lecture des motifs de la loi on s’aperçoit que les motivations principales résident dans le fait que je cite “ la loi du 5 juillet 2000 bien que juridiquement efficace ne permet pas aux maires d’agir suffisamment rapidement [en effet] la lourdeur de la procédure résulte notamment de la nécessité d’intermédiaire pour obtenir l’ordonnance de référé qui permettra l’expulsion des gens entrés illégalement sur le territoire de la commune ” mais dans les faits les flics appliquent déjà ce décret. La loi nous est présentée comme une avancée car elle est supposée comporter deux aspects un positif (la construction d’aire de stationnement) un négatif (l’expulsion). Mais, généralement, les zones d’accueil n’existent et quand on interroge les flics sur la présence de ces aires ils répondent qu’elles sont en cours de construction. Résultat on se retrouve avec des groupes de familles qui zonent de terrains en terrains et donc d’expulsion en expulsion ce qui, outre les condition de vie épouvantables qu’on peut imaginer, empêche la scolarisation des enfants.
Egregore : Concrètement c’est quoi le quotidien des “ gens du voyage ” en France ?
Vincent : Bah le quotidien c’est d’être chassé de terrains en terrains, de chercher des terrains pour s’installer ou d’accepter les terrains proposés par les mairies, mais la plupart du temps ces zones se trouvent dans les endroits les plus pourris de la ville, par exemple à Argenteuil c’est à côté de la déchetterie. Le quotidien c’est aussi pour les enfants l’impossibilité d’être scolarisés, il existe normalement une “ école du voyage ” qui fait de la sensibilisation à la scolarisation et qui prend la forme de visites d’un camion deux fois par semaine, mais c’est complètement inefficace. De plus ce rôle est assuré par des associations catho, comme souvent ce qui a trait à la condition des gens du voyage, et plus particulièrement par des associations en relation avec l’Opus Dei. La structure officielle qui est issue des religieux, c’est l’ADVOG, en réalité il s’agit d’une usine à gaz qui vit de subventions et qui ne fait rien de concret, la très faible présence de Roms a l’intérieur le démontre bien. Il existe d’autres choses : il y a une commission CNT gens du voyage ou l’Association Esmeralda, mais les plus intéressantes ce sont des petites assos qui fonctionnent avec de petits groupes et qui essaient de se retrouver autour de luttes concrètes ou en cas de coup dur...
Egregore : Il y a des luttes à Montreuil je crois avec la constitution d’une coordination...
Vincent : oui c’était très intéressant mais le problème à été l’arrivée de RomEurope . Outre le fait qu’ils ont voulu négocier avec Sarkozy et qu’il n’y ait pas de tsiganes à l’intérieur, ils affichent la volonté de séparer les problèmes et notamment de traiter à part Roms manouches et Roms roumains.
Egregore : Justement est-ce que tu peux nous parler plus de ce qu’on nomme un peu faussement “ gens du voyages ”, quels sont les peuples qui font partie de cet ensemble ?
Vincent : Eh bien gens du voyage pour moi, cela ne signifie rien, si tu prends le train, tu voyages, t’es un gens du voyage... Bon, à l’origine il y a un ou deux peuples qui sont partis d’Inde il y a 1000 ans, et qui se sont déplacés dans toute l’Europe. Ainsi ils ont traversé tout l’espace européen mais aussi son histoire, ils n’ont pas vécu en dehors des sociétés et des cultures qu’ils ont rencontrées mais ils les ont intégrées. Par exemple il y le cas des Yénishes, les tsiganes allemands, que je connais puisque moi je suis manouche allemand ; le peuple yénishe c’est un peuple qui s’est constitué avec des rescapés des révoltes luthériennes, des tsiganes et des juifs qui fuyaient les pogroms et qui se sont réfugiés dans les forêts ; on a donc à la fois un peuple qui est juif et tsigane... Tu vois donc que l’histoire du peuple tsigane est particulièrement riche et... complexe, alors pour moi cette notion gens du voyage c’est un terme fourre tout qui permet de pas s’occuper d’eux et de les laisser dans le non droit, comme celui de la scolarisation normalement obligatoire des mômes. En fait les Roms n’ont le droit qu’à la répression. Cette répression est alliée a un anti tsiganisme primaire mais très bien installé. De même qu’ il est impossible de raisonner un antisémite il est impossible de faire tomber les clichés sur les tsiganes telle l’équation tsiganes=voleurs. Ce racisme est institutionnalisé ; il a été à l’œuvre de Vichy dans le traitement des Roms enfermés dans des camps et déportés. Ces camps ont continué de fonctionner jusqu’en 1947. il n’y a d’ailleurs très peu de travail de mémoire là-dessus. Le racisme se manifeste aujourd’hui dans les pays de l’Est où par exemple en Roumanie ont lieu des pogroms très violents. Mais il y a plein de préjugés ici aussi et même dans les réseaux militants. Le résultat c’est que les violences policières sont fréquentes et pas souvent dénoncées, en somme ça paraît normal de taper sur les Roms. Il y a aussi les manouches et les Yéniches qui sont allemands, des gitans espagnols, des tsiganes des mondes ibériques et d’Afrique du nord qui se sont retrouvés en Camargue, mais tu as des groupes qui ne sont pas forcement tsiganes mais qui voyageaient et vice et versa, comme les forains par exemple. Bref tu vois gens du voyage c’est un peu tout ce monde là.
Egregore : Est ce que tu peux nous parler un petit peu du carnet de circulation ?
Vincent : Le carnet de circulation c’est un truc qui s’est mis en place avant la guerre de 14/18, comme le carnet anthropométrique, tous les mois il fallait aller pointer à la gendarmerie, c’est ce j’appelle moi le fichier gitan, ce livret a été décrété illégal par la justice européenne.
Egregore : Il va certainement y avoir une continuité de cet état d’esprit avec les Roms de Bulgarie et de Roumanie qui vont entrer dans l’Europe, on va certainement utiliser la biométrie, normalement ils devraient pouvoir circuler librement dans l’espace Shengen comme n’importe quel citoyen européen, mais dans les expulsions de Sarkozy, ont s’aperçoit qu’il représentent plus de 20% des reconduites à la frontière.
Vincent : On a affaire à ce genre de cas ici à Argenteuil, ces expulsions créent des situations effroyables puisque les sans papiers conservant une grande partie de leur famille en France font tout ce qu’il peuvent pour revenir. Alors quand ils reviennent ils n’ont plus rien du tout et ils sont obligés de travailler au noir ; en fait on se rend compte que c’est tout l’arsenal juridique qui crée la situation de non droit. Il existe ainsi toute une espèce de sous classe ouvrière qui se tape les métiers les plus durs comme par hasard (trimardeurs du nucléaires, bâtiment, saisonniers).
Egregore : Mais normalement selon la loi les étrangers de nationalités bulgare et roumaine peuvent avoir leur autorisation de travail vu qu’ils sont européens, non ? Mais il doit falloir à ce moment-là un sacré rapport de force ?
Vincent : Non ce qu’il faut c’est des gens qui puissent leur filer un coup de main et alors à ce moment là on peut obtenir des trucs. Ce qu’il faut c’est créer des principes de solidarité réelle avec eux. Mais malheureusement il y a peu de gens qui ont une action concrète. Il suffirait juste de redécouvrir la solidarité par ce que la solidarité ça fait tout, et puis avec la solidarité on pourrait peut être faire même la révolution. (à suivre...)