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Courant Alternatif 295 décembre 19

UN TOURNANT DANS LES LUTTES ECOLOGIQUES ?

mercredi 18 décembre 2019, par OCL Reims


Le contexte – la période
La question écologique avait jailli dans les années 1970, s’incarnant dans le pic de mobilisation constitué par le mouvement antinucléaire. En même temps, en France et en Allemagne, naissait le concept d’écologie politique, censé concevoir l’écologie comme un élément à part entière de la critique de l’organisation sociale. Mais, très vite, le « politique » se transforma en « politicard » : au nom du réalisme, il s’agissait d’asseoir les écologistes à la table des grands pour les préparer à gouverner. Ces « réalos » de gouvernement, représentés par les Verts dans les deux pays, ont surfé puis se sont construits sur le déclin et la disparition des luttes antinucléaires réelles. Un déclin qui ne fut pas essentiellement de leur fait, mais auquel ils ont aidé comme ils le pouvaient en pactisant avec la social-démocratie pronucléaire du début des années 1980… jusqu’à subir le même sort qu’elle : s’effacer puis disparaître totalement comme force autonome, en n’étant plus que des pantins utilisés au gré des besoins par des forces plus dodues à la recherche d’alliés pour gouverner, et capables d’offrir quelques prébendes à des Rastignac de province.
Longtemps après Tchernobyl, Fukushima a laissé pantois tous ceux qui pleuraient sur les restes d’un mouvement antinucléaire impuissant : les manifs avaient disparu avec l’érection finale des dernières tranches, et la gauche n’avait pas été capable de fermer une seule centrale, même obsolète. Preuve était faite que, contrairement à ce que disait le général de Gaulle, c’est plus à la corbeille qu’au Parlement que se joue l’avenir d’un pays !
Pour autant, l’inquiétude écologiste n’avait pas disparu de l’inconscient collectif de la société.

Critique de la malbouffe, actions contre McDo, lutte contre des petits et des grands aménagements (aéroports par-ci, autoroutes par-là), dénonciation de l’impérialisme qui transforme les pays du Sud en décharges à ciel ouvert, défense de peuples massacrés parce qu’ils ont le malheur d’avoir du cobalt ou d’autres choses commercialisables sous leurs pieds, réactions à des accidents industriels ou à des « scandales » sanitaires, alimentaires ou médicaux, les occasions n’ont pas manqué, ces dernières années, pour que ce qui ne faisait que sommeiller se réveille sous forme de luttes ponctuelles mais souvent vigoureuses et autonomes.
Alors que, jusqu’au tournant du siècle, la seule évocation du mot capitalisme apparaissait comme une obscénité, la multiplication de ces réactions ont amené à ce que, de nouveau, on ose nommer le mode de production qui nous régit, et que même on le critique. Evidemment, la réémergence des luttes sociales en général a été un élément déterminant dans cette évolution. Dans ce contexte, il n’est pas absurde de penser que ce qui est pour nous une évidence le devienne pour un nombre plus important d’acteurs de ces luttes : la cause principale des pollutions en tout genre, c’est l’exploitation du travail humain (lequel est déjà en lui-même une pollution insupportable).

Bien entendu, des « vrais révolutionnaires » nous répondront que tous ces mouvements étaient (et sont) réformistes et défensifs, et ils n’auront pas tort. Bien sûr, les vautours de la politique traditionnelle les guettent pour s’en nourrir. Mais ils présentent quand même un avantage réel et quasi nouveau : ils sont le fait de gens, à la base, souvent pas encore gâchés par les sirènes du pouvoir et de l’ascension bureaucratique, qui se regroupent en dehors des appareils politiques et syndicaux traditionnels. Et, d’une certaine manière, ils représentent une réelle tendance à la réappropriation de sa vie et de ses luttes. Ces constats positifs en regard de la décomposition de l’écologie officielle, de ses échecs patents sur le terrain des luttes et de son incapacité structurelle à comprendre ce qu’est la lutte des classes, ont ouvert la possibilité de débats et d’initiatives en tous genres. Pas un mois sans qu’apparaissent un nouveau sigle, une nouvelle organisation, de nouveaux textes. Le bouillonnement est réel. Pourtant, la réémergence de la question écologique sous l’angle dominant du réchauffement climatique, qui fait exploser tous les Audimat possibles et imaginables, favorise plutôt les tentatives de la bourgeoisie de s’emparer de la question pour la réduire à une affaire de bonne volonté de tous et toutes.

L’écologie des gilets jaunes
On ne peut s’empêcher, à ce moment de la réflexion, de penser au mouvement des gilets jaunes (GJ), qui a démarré à peu près au même moment que le mouvement climat. Les premiers réclamaient, entre autres, le retrait de la taxe carbone ; Le second était plutôt favorable à son extension (1) ! La plupart des écologistes voyaient donc d’un très mauvais œil ces GJ, soupçonnés de n’être que des suppôts du lobby automobile et donc plus ou moins « beaufs ». Nous avons tous en tête la vision des cortèges climatiques évitant à tout prix que des GJ les polluent. Les organisations qui luttent contre le réchauffement climatique n’ont jamais appelé à défiler avec eux, alors que l’inverse s’est souvent produit.
Mais, soyons clairs, il ne s’agissait pas principalement d’une divergence sur le prix de l’essence, et bien plutôt d’un clivage de classe. Un milieu plutôt classe moyenne supérieure, urbain et diplômé, se donnant une mission d’avant-garde pour sauver la planète, regardant d’un œil assez méprisant ces gueux sous-cultivés, plutôt ruraux et provinciaux, prêts à basculer dans le fascisme.
Pourtant, à bien y regarder, un GJ qui économise pour se payer une TV correcte, oublie d’éteindre la lumière chez lui en partant au boulot, n’a pas de double vitrage, achète sa bidoche au prix le plus bas possible et ne part jamais en vacances est, dans la réalité, certainement plus « écolo », en termes d’empreinte carbone, que le militant qui fait beaucoup d’efforts pour « sauver la planète », et surtout le clame, qui se paye des ampoules à basse tension, se nourrit bio à La Vie claire ou à Biocoop… et est suréquipé en nouvelles technologies. Mais, soyons encore plus clairs, ce profil a correspondu à une partie de la militance d’extrême gauche, anarchistes compris : la méfiance, voire le mépris/rejet à l’égard des GJ portait moins sur la pureté écologique de leur mode de vie que sur une pureté idéologique qu’ils n’affichaient pas : on leur prêtait des propos sexistes et racistes, et un poujadisme latent. Bien sûr, cela existait sur les ronds-points, mais, à force de traquer les mots et les comportements incorrects à l’intérieur de leur propre milieu, beaucoup de militants ont oublié que dans les explosions populaires il y a forcément des gens « incorrects ». Et, surtout, que ce sont les moments de rupture, les temps suspendus qui changent les mentalités, et non les injonctions d’ordre moral.
L’éclatement des organisations écolos traditionnelles et l’émergence du mouvement populaire des GJ ont accéléré l’émergence de nouvelles initiatives en dehors du champ partidaire et institutionnel de l’écologie. La question est de savoir si elles permettront de dépasser les limites du classique et indéfini « changement de société » (ou de cap) pour aborder plus clairement un éventuel « changement de mode de production ». Ce n’est pas gagné, mais ça vaut le coup d’espérer.
De nombreux obstacles se dressent cependant sur cette route, parmi lesquels le citoyennisme et le retour du religieux.

Tous dans le même bateau ? Question de classes et citoyennisme
Que nous disent certains de ces nouveaux écolos qui ont fait de Greta Thunberg leur modèle ? Que NOUS sommes tous dans la même galère et que, cette fois, nous avons tous un intérêt commun. Sauver la planète serait censé nous rassembler, riches et pauvres, salariés et rentiers, actionnaires du CAC 40 et paysans du Sahel… Nous sommes tous concernés, il y va de notre vie et de l’avenir de nos enfants.
Du simple point de vue du réchauffement, c’est un peu vrai... mais pas tout à fait quand même : les pauvres morfleront plus que les riches, bien sûr ! Mieux vaut être banquier à Genève que paysan dans le delta du Gange.
Au XIXe siècle, tant que les « mauvais côtés » du capitalisme ne touchaient que le prolétariat, il n’y avait pas le feu au lac pour la bourgeoisie. Puis, lorsqu’elle a découvert que les microbes et les miasmes des centres-villes franchissaient allègrement les frontières des alentours bourgeois, comme plus tard un certain nuage radioactif aux portes de la France, elle a pris des mesures draconiennes pour rendre moins insalubres les quartiers des prolétaires... Pas pour les beaux yeux de ces derniers, mais pour sa propre sécurité. Tout allait bien quand même alors, « on » maîtrisait comme on dit !
Ensuite, petit à petit, les bourgeoisies du XXIe siècle se rendent compte qu’avec le réchauffement climatique ça pourrait bien être une autre paire de manches. Que des mesures sanitaires comme celles qui ont été mises en route auparavant ne pourront être efficaces contre les conséquences dont on nous menace, et qu’elles-mêmes seront touchées. Cependant, cela ne signifie pas seulement que les bourgeois seront atteints dans leur propre corps, comme les prolos : cela veut dire aussi et surtout que l’exploitation d’autres êtres humains dont ils se nourrissent deviendra sans doute beaucoup plus compliquée.
Comme l’écrivait l’économiste britannique Stern en 2006 : « Si nous continuons à émettre en aussi grandes quantités qu’actuellement des gaz à effet de serre, la croissance mondiale pourrait baisser de 20 % ou plus. Il est temps de se réveiller ! » Et la croissance, c’est la certitude de pouvoir continuer à accumuler du capital en exploitant le travail.
Le « tous ensemble » que nous voulons, pour notre part, ce n’est pas une association avec la bourgeoisie dans un front commun pour « sauver la planète », mais l’union entre tous les prolétaires exploités et spoliés actuellement... avant la montée des eaux !
La véritable guerre écologique doit être menée contre les riches, les rentiers et les actionnaires du CAC 40. Ce n’est pas la planète que nous voulons sauver, mais nous-mêmes : nous ne voulons plus mener cette vie de merde, et pour en mener une autre nous avons besoin d’une planète vivable et utilisable sur la durée.
Sauver le capitalisme est l’unique souci des capitalistes. Détruire le capitalisme et envisager le communisme est l’un de nos objectifs, sinon l’unique.

Le capitalisme
Le capitalisme, c’est d’abord un rapport social : une domination de classe fondée sur l’exploitation en vue d’extraire de la plus-value, et qui ne peut que vouloir se maintenir pour elle-même, quelles qu’en soient les conséquences (même les plus terribles).
C’est le mode de production capitaliste qui est responsable de la crise écologique actuelle (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a jamais eu de crise par le passé). L’impérative nécessité de reproduction du capital fait passer au second plan non seulement la préservation ou l’entretien de la nature, mais aussi toutes les activités humaines (sauf l’exploitation du travail, bien entendu). L’économie capitaliste, dans le prolongement de l’économie marchande, transforme tous les plus petits recoins de la vie en marchandises, et elle ne peut pas faire autrement, c’est sa « nature ». L’eau, l’air, le soleil doivent se transformer en marchandises, rien ne doit être gratuit, tout doit rapporter et permettre d’extraire de la plus-value afin d’accumuler le capital pour le reproduire de manière toujours plus grande. La satisfaction de besoins clairement exprimés ne compte pas. C’est la production pour la production qui compte, afin d’abaisser autant que faire se peut le coût de la reproduction de la force de travail, ce qui a pour effet de détruire à petit feu les travailleurs, comme leur environnement.
Ainsi, le travail nécessaire pour produire telle ou telle chose ne peut être mesuré en fonction de l’effort qu’il demande par rapport à la satisfaction du besoin qu’il procure, puisqu’il ne sert qu’à produire davantage pour augmenter le capital. Et comme le travailleur n’est pas concerné par l’augmentation du capital et qu’il doit travailler pour survivre, il se trouve totalement déconnecté de l’acte de production qu’il effectue et qu’il ne peut contrôler : robot et/ou esclave, c’est l’aliénation.
De ce fait, il est vain de demander aux capitalistes et à la bourgeoisie de changer de cap, de devenir « responsables », d’agir avec moralité. Leur activité en tant que ce qu’ils sont ne peut être que de favoriser l’accumulation. Cesser cette activité signifierait cesser d’être ce qu’ils sont.
Il est bon de rappeler cette phrase de Marx qui nous indique clairement que la destruction des ressources n’aurait pas dû être considérée comme quantité négligeable par une bonne part du mouvement ouvrier jusqu’à aujourd’hui : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur » (Le Capital, livre I, 4e section, chapitre XV).

C’est le système qui est prédateur, pas l’abstraction « Homme »
Il est fréquent d’entendre plus ou moins explicitement que l’Homme a brutalisé ou même détruit la nature. Sans doute est-ce vrai, mais pour de nombreux écolos cela revient, implicitement ou explicitement, à se référer à un état de nature parfait et stable. L’homme aurait été un prédateur dans ce monde merveilleux naturel.
Il existe une sorte de fascination pour la « nature » conçue comme un tout sauvage, dangereux mais harmonieux en même temps, qui a émergé au moment où les hommes s’en sont justement retrouvés coupés (par l’exode rural massif et la concentration dans les villes industrielles). C’est à partir du moment où le quotidien prive de la possibilité de fréquenter/utiliser les espaces « naturels » qu’on peut poser la « nature » comme quelque chose d’autre, une altérité. On assiste à l’émergence d’une pensée romantique (de la version progressiste à la version réactionnaire) qui incarne cette nostalgie d’un passé harmonieux opposé à l’industrialisme.
Or il n’existe pas plus d’âge d’or de la nature et d’équilibre naturel que de prédestination féminine à faire la vaisselle.
En 1964, le directeur du Muséum d’histoire naturelle eut cette phrase délicieuse : « L’Homme est apparu comme un ver dans le fruit, comme une mite dans une balle de laine, et a rongé son habitat, en sécrétant des théories pour justifier son action. » J’ajouterai que ce salopard d’homme a même mangé la pomme et qu’il le paye maintenant !
Dans le même esprit mais en termes plus mystiques, selon James Lovelock, théoricien de Gaïa (nous y reviendrons), les êtres humains, simples composants du domaine planétaire, sont des « pucerons intelligents » qui parasitent le corps sacré de Gaïa.
Or l’Homme est un élément de la nature comme l’huître et la mitochondrie, qui elles aussi modifient l’environnement. C’est la nature qui se modifie, et il n’y a pas de nature « naturelle » qui serait calme et stable sans l’action de ces prédateurs !
L’impact de l’activité humaine sur l’environnement ne date pas d’hier : avant même l’agriculture et la domestication, avant même l’utilisation et la fabrication d’outils, l’Homme a façonné la « nature » par le feu (il y a plusieurs centaines de milliers d’années), qui, en rendant accessibles des clairières, permettait de distinguer les végétaux comestibles et de canaliser le gibier potentiel vers des espaces plus faciles à atteindre pour les chasser. Pensons à la quasi-désertification, au cours de l’Antiquité, de certaines régions de la Sicile, de la Grèce et du Moyen-Orient sous l’effet de la transhumance des troupeaux d’ovins et de caprins. Et encore aux effets désastreux pour les sols de la culture sur brûlis pratiquée dans certaines régions d’Afrique. Il suffit de se replonger, même succinctement, dans l’histoire de l’humanité de ces cent derniers siècles pour être confronté à un nombre impressionnant d’effondrements civilisationnels liés à l’intervention des hominidés. Par exemple celui de certaines villes-Etats en Mésopotamie à la suite de la déforestation totale du périmètre sous leur domination. Les exemples ne manquent pas
Les modifications climatiques liées à l’activité humaine ne sont pas non plus choses nouvelles. Ainsi, en Amérique du Nord, l’éradication par la colonisation – et donc, clairement, par le développement capitaliste – de la plus grande partie de la population indigène a entraîné l’abandon de la culture sur brûlis. La réduction de la production de CO2 qui en est résultée aurait ainsi joué un rôle non négligeable dans l’arrivée de la petite ère glacière, à partir de 1500, dans le nord de la planète. Aujourd’hui on craint d’obtenir le trop chaud, hier on a obtenu le trop froid… toujours grâce au CO2 et à l’activité humaine. Vivement un thermostat planétaire !
Chaque partie de la nature, si petite et peu développée soit-elle, a joué un rôle, déterminant ou pas on ne le saura jamais, dans les modifications du cosmos dans son ensemble. Mais nous sommes incapables de lire le fil de ces modifications, nous ne le serons jamais, et n’avons nulle intention de laisser les scientifiques nous indiquer la voie à suivre en fonction de ce qu’ils interprètent à un moment donné.

Le retour du religieux : l’anthropomorphisation de la planète
De quoi s’agit-il lorsqu’on parle de sauver la planète ? De sauver notre humanité, la vie elle-même ? Ou une force supérieure bien vivante qui pense et agit, comme une autre nous-mêmes… dont nous faisons partie ? La question mérite d’être posée, car il est une tendance dans l’écologie qui accompagne ainsi un retour plus global au religieux dans nos sociétés.
Les thèses du climatologue « écologiste » Lovelock selon lequel la Terre est un être vivant (Gaïa, la Terre mère) inclus dans la biosphère, qui pense et agit pour que la vie se perpétue en harmonie, imprègnent, sans qu’ils y adhèrent ouvertement ou totalement, une partie des courants actuels de l’écologie.
Sans tomber dans le patchwork mystique du New Age, nombreux sont ceux qui raisonnent en fonction d’une transcendance qui donne un sens rationnel au monde, au-delà de l’humain et de son histoire. Le cosmos et tous les êtres vivants qui le composent auraient en eux-mêmes une valeur indépendamment du regard que les humains portent sur eux. La planète, même de manière implicite, serait une cause supérieure à celle de l’humain et nous devrions nous y soumettre.
Il s’agit là, d’une manière ou d’une autre, d’un point de vue métaphysique spiritualiste, classiquement religieux, et qui, comme tel, marque une dépendance à un ordre dépassant et englobant l’être humain. Or nous sommes matérialistes, c’est-à-dire que, contre toute conception transcendantale de la vie et de la connaissance, nous défendons la volonté de comprendre l’humain à partir de l’immanence du rapport social. Nous sommes évidemment plus prométhéens que soumis aux dieux !
Même si bon nombre de ces écologistes contournent la question en énonçant l’évidence selon laquelle tout ce que « subit » la planète rejaillit sur l’homme comme sur les autres animaux et sur les plantes, ils vont plus loin dans la religiosité. En sous-entendant que ce qui est BON pour la planète est BON pour nous, on introduit une notion morale, on produit une anthropomorphisation de cette planète (du cosmos ou de Gaïa, selon les cas) qui, comme un humain, souffre, pense et agit pour un bien supérieur que nous ne pouvons comprendre et auquel il faut se soumettre…
C’est une vision angélique qui considère que le « bien » est « un » et « pour tout le monde ». Ce « bien » transcendantal nous conduit fort loin de l’immanence matérialiste qui est le fondement de nos projets politiques ! Cela va de pair avec une peur de la « fin du monde » dont nous serions coupables, collectivement et individuellement, pour nous être écartés de nos origines fusionnelles avec le cosmos, avec la Vie.
Ceux qui refusent l’hypothèse religieuse Gaïa sont souvent accusés d’anthropocentrisme. Certes, l’Homme n’est objectivement pas le centre de l’Univers puisque l’Univers n’a pas de centre ; mais le seul point de vue possible à envisager ne peut être que celui de l’Homme qui en est le centre subjectif.

Extinction Rebellion (XR) : l’inaction indirecte
Alors que beaucoup de ces réactions à des agressions se revendiquent de l’action directe (voir encart) XR est l’exemple type d’un mouvement qui va à l’encontre
Le but explicite du mouvement XR est que les Etats reconnaissent l’urgence climatique, disent la vérité sur la destruction en cours des écosystèmes, légifèrent pour atteindre la neutralité carbone.
Ce faisant, il demande aux responsables de la catastrophe écologique de lutter contre elle, ce qui est déjà une aberration. Mais, pire encore, ils masque ouvertement le lien qu’il y a entre ces Etats et le système politico-économique qui fait fonctionner le monde : le capitalisme.
Donc, faire croire que les Etats peuvent changer réellement de cap, c’est faire croire que le cap pris a juste été, de leur part, un choix malheureux qui pourrait être rectifié pour peu qu’on s’en donne les moyens. Or nous pensons que les Etats ne font, dans les grandes lignes, que ce dont le système capitaliste a besoin pour continuer à exister.
XR, comme d’autres courants écolos, parle bien parfois du capitalisme. Mais le capitalisme qui est critiqué là ressemble fort à un capitalisme « pour les nuls » : on l’affuble de qualificatifs laissant à penser qu’il pourrait devenir moins méchant – et peut-être même aussi gentil que Greta Thunberg. « Outrancier », « sauvage », « prédateur » aujourd’hui, ne pourrait-il pas être modéré, civilisé, empathique demain ?
Greta Thunberg a lancé « la grève scolaire pour le climat », en décrétant que nous vivons la plus grave crise que l’humanité ait jamais subie. Cette jeune Suédoise, proche de XR, vient à point pour propager une écologie acceptable par les puissants, et surtout pour contrer les tentatives plus radicales qui pointent le nez et occuper un espace politique promis aux révoltes sociales. Adoubé par le pape, la famille royale britannique, le gouvernement canadien et WWF, même si elle fait ricaner tout le monde, nul ne se risquerait à la critiquer ouvertement ! C’est qu’elle incarne la pureté et l’innocence des enfants alliée à la raison des savants. Dès qu’une situation apparaît aux yeux du monde comme insupportable, plutôt que d’en désigner les véritables causes on se projette vers des personnages hors du commun, véritables images de rédempteurs christiques. Ces derniers n’ont que la fonction de nous faire croire que le bien existe malgré tout dans ce monde de brutes.

La non-violence et les autres principes de XR
« Nous sommes un réseau non-violent. En utilisant une stratégie et des tactiques non-violentes comme le moyen le plus efficace de provoquer le changement », tel est l’un des dix principes auquel doivent adhérer les adhérents de XR. Répété à l’envi sur les écrans et la presse depuis quelques mois ce credo résonne d’un son très particulier dans le contexte français de cette dernière année riche d’une répression policière violente inégalée depuis très longtemps. Gilets jaunes et Black block ont été les deux épouvantails utilisés par le pouvoir pour contrer toute résistance sociale et il y a fort à parier que les grèves à venir ne seront pas sans débordements, ce qui ajoutera un troisième épouvantail, les grévistes, à la disposition de l’Etat et des medias pour tenter de marginaliser toute insubordination. XR, dans ce contexte, veut se dissocier et surfer sur une supposée condamnation populaires des violences mise en scène par l’Etat, souvent affirmée du bout des lèvres face à une caméra ou à un micro, mais ne correspondant pas au fond de la pensée du plus grand nombre des manifestants. Désigner les mauvais à la vindicte pour se ranger du côté des bons adoubés par les pouvoirs montre clairement que ce ne sont pas les Gilets qui sont jaunes mais ces écologistes de pacotille. Mais ils sont pas les seuls à participer à cette course à la respectabilité : la preuve ce tweet de Greenpeace France : « Nous dénonçons toutes les violences, celle des ‪black blocks, celle des forces de l’ordre qui ont réagi de manière totalement disproportionnée à l’encontre de manifestants, familles et personnes de tous âges, totalement pacifiques ».
On se rappelle que lors de l’occupation du centre commercial Italie 2 à Paris dont le but était d’« alerter sur l’urgence climatique et le système de domination économique et politique », les Tags « Nique la bac », « l’insurrection est proche » ou encore « Harpon revient, il en manque plein » avaient été nettoyés et recouverts par des affiches politiquement correctes. Comme l’a déclaré un organisateur au micro de BFM , « il faut voir la police comme une amie dans le nouveau système qu’on veut créer ». Pourvu qu’ils ne viennent pas au pouvoir !
Outre la non-violence, on retrouve dans les principes XR le cocktail idéologique classe moyenne / postmodernisme, qui reflète en grande partie la composition de classe du mouvement : des jeunes très diplômés promis à des postes d’encadrement, de recherche et de formation dans le public ou le privé. Par exemple : XR s’inspire des thèses très gestionnaires qui agitent les milieux écolos radicaux petits-bourgeois en défendant le fait qu’« En mobilisant 3,5% de la population, seuil à atteindre pour déclencher un changement de système - en utilisant des idées comme celle de « Momentum-driven organizing » (2), on aboutit à des changements (réformistes bien sûr) significatifs. Comme si la lutte obéissait aux lois de l’arithmétique… Enfin, sur ses dix principes, six sont explicitement des principes postmodernes de réflexions sur soi et ses oppressions multiples, qui contribuent plus à transformer les espaces de luttes en « safe space » apolitiques qu’en lieux de conflictualité sociale : « Nous avons besoin d’une culture régénératrice, Nous nous remettons nous-mêmes en question, autant que ce système toxique, Nous accueillons chaque personne, et chacune de ses facettes, Nous limitons délibérément les rapports de pouvoir, Nous ne tenons pas de discours moralisateurs ni culpabilisants, Nous sommes un réseau non-violent ». La culture régénératrice occupe une place importante dans le discours médiatique de XR, c’est un condensé de mièvrerie : « Un monde beau et sain, où l’individualité et la créativité sont encouragées, où nous travaillons et résolvons des problèmes ensemble, où chacun.e trouve du sens, avec courage, force et amour. Cela reposera sur des cultures enracinées dans le respect de la nature, de véritables libertés et la justice sociale. »

JPD, avec l’aide et les remarques de Zygaena

1) On se rappelle qu’avant les élections européennes qui avaient souri aux Verts en 2009, Cohn-Bendit s’était fait remarqué en affirmant que le meilleurs moyen de lutter contre les pollutions était d’augmenter le prix de l’essence. Cette ignorance du fait que la majorité des kilomètres parcourus sont liés au travail et non aux loisirs, montre qu’il s’agit bien là d’une coupure de classe entre deux mondes.

2) « Momentum-driven organizing » se veut un modèle d’organisation hybride qui combine la puissance explosive et à court terme des mobilisations de masse qu’il cherche à produire (type Occupy ou Nuit debout), avec la capacité à prendre des décisions collectives et à soutenir la lutte dans le temps qu’ont les structures classiques (types ONG). Ce type de mouvement est la clé de la stratégie globale d’Extinction Rebellion.


encadré
Qu’est-ce que l’action directe ?

L’action directe est un concept apparu dans le syndicalisme révolutionnaire et qui signifie qu’une l’action syndicale et politique réellement émancipatrice doit opposer directement l’exploité à son exploiteur, sans passer par des médiations ou des filtres (parlement, délégués non contrôlables, institutions spécialisées, lobbyes, etc.). A l’évidence XR est à l’inverse de ce projet même si parfois il s’affuble du terme libertaire.

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