CA 314 novembre 2021
lundi 15 novembre 2021, par
Depuis six ans sont apparues dans une bonne partie du monde des coordinations féministes qui mobilisent nombre de jeunes et qui cherchent à développer l’auto-organisation des femmes ainsi qu’une solidarité internationale entre elles. La dynamique, partie d’Amérique latine, est désignée par certaines auteures comme la « quatrième vague » féministe [1], et cette expression peut donner en Occident l’illusion d’un mouvement unifié sous la bannière de courants réformistes et intégrateurs. Elle recouvre néanmoins, d’un pays à l’autre, des réalités sociales très diverses qu’il convient d’analyser – d’autant plus que la pandémie a fait ressortir la solidité du système patriarcal et capitaliste, et que sa persistance met actuellement à mal toute contestation de l’ordre établi.
Rappelons d’abord des événements qui ont forgé le renouveau du féminisme à l’échelle internationale :
En 2015 est née en Argentine la coordination Ni Una Menos (« Pas une de moins ») en réaction au taux élevé de féminicides dans le pays – et il y a également eu alors de grosses manifs sur ce sujet en Uruguay, au Chili et au Pérou.
Toujours en Argentine, l’assassinat de la jeune Lucia Perez (dont les médias ont fait leur une) a déclenché en 2016 1 heure d’arrêt de travail à l’échelle nationale sur le thème « Si nos vies sont sans valeur, qu’ils produisent sans nous ! ». Cette grève a visé tant le travail productif et reproductif que l’éducation et la consommation. La participation, assez élevée dans plusieurs entreprises multinationales et surtout dans les écoles, a reflété les revendications féministes, mais aussi le ras-le-bol de millions de salarié·e·s et de scolaires face aux programmes d’austérité mis en œuvre par les gouvernants. Pan y Rosas (« Du pain et des roses [2] »), collectif trotskiste créé en 2003 par Andrea D’Atri (voir l’article suivant) pour défendre le droit à un avortement sûr et gratuit et pour réclamer la séparation de l’Église et de l’État, est devenu, d’après ses représentantes, le principal courant militant de femmes en Argentine (où il comprendrait plus de 3 000 membres) et au Brésil ; il s’est étendu depuis à d’autres pays d’Amérique et d’Europe, avec en France un réseau de collectifs régionaux.
En 2016 est également apparu le Czarny protest en Pologne : le « Black Monday » 3 octobre, entre 100 000 et 200 000 femmes ont fait grève et manifesté dans 147 villes contre la restriction du droit à l’avortement que voulait imposer le gouvernement, alors que ce droit y est déjà très limité. (La mobilisation s’est poursuivie les années suivantes, en particulier après le jugement du Tribunal constitutionnel du 22 octobre 2020 déclarant l’avortement contraire à la Constitution : 430 000 manifestant·e·s dans 410 villes le 28, 100 000 lors de la Grande Marche vers Varsovie le 30…).
Le 24 octobre 2016, à 14 h 38, des milliers d’Islandaises ont quitté leur travail pour protester contre l’écart des revenus entre hommes et femmes. A la même période a commencé la mobilisation des Irlandaises qui a débouché (en 2018) sur un référendum et sur le vote d’une loi autorisant l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse ; et, en Italie, Non Una di Meno s’est structuré le 26 novembre à l’occasion de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes [3]
Le 21 janvier 2017, la Women’s March sur Washington a rassemblé aux États-Unis des centaines de milliers de femmes contre la présidence de Trump et pour les droits des femmes, des personnes LGBTQI+ et des migrant-e-s – et ailleurs dans le monde des millions de gens ont marché de concert. L’appel international à une grève des femmes le 8 mars, dont les coordinations féministes argentine et états-unienne ont été à l’initiative, a reçu un écho dans 55 pays – et obtenu davantage de succès encore en 2018. En Espagne, où plus de 5 millions de femmes ont manifesté avec Huelga feminista (« Grève féministe ») dans 120 villes et bloqué le pays durant la Journée internationale des droits des femmes, les grandes centrales syndicales ont été obligées de les soutenir.
En 2019, le mouvement transnational féministe appelé 8M qui était déjà représenté en Argentine, aux États-Unis, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Pologne s’est étendu à la Belgique et à la Suisse, et en 2020 au Luxembourg et à la France.
Le 8 mars 2021, le collectif On arrête toutes a invité ici à la « grève féministe [4] » en plus de la manifestation, mais cette cessation d’activité a été assez symbolique. En revanche, le lendemain au Mexique, celle qui était promue par #Un DiaSinNosotras (« Un jour sans nous ») contre les féminicides et pour une hausse des salaires concernant les femmes a été suivie par 45,5 % de la main-d’œuvre nationale, avec pour l’économie une perte équivalant à 1,4 milliard d’euros. Un bon rapport de forces contre l’Etat et le patronat : le Président AMLO a dû assurer qu’il n’y aurait aucune retenue de salaire pour les grévistes dans le secteur public, et des directions d’entreprise faire de même dans le privé – mais, comme chaque jour au Mexique, 10 femmes ont été assassinées…
Les nombreuses coordinations existant aujourd’hui de par le monde s’accordent pour dénoncer les violences faites aux femmes et revendiquer le droit ou le maintien du droit à l’avortement, mais leur composition sociale et certaines caractéristiques nationales ont des incidences sur leurs objectifs, leurs choix tactiques ou leur audience.
• L’inégale intensité des luttes menées dans le monde par les femmes pour la libre disposition de leur corps n’est pas seulement liée au degré de machisme dans les sociétés souvent pointé par les médias : le niveau d’antagonisme entre leurs classes sociales ainsi que les forces en présence au sein de leurs mouvements contestataires jouent bien sûr aussi. L’importance numérique des classes populaires dans les mobilisations féministes d’Amérique latine et centrale donne à leur combat une tonalité nettement plus anticapitaliste que celles d’Europe de l’Ouest, de Scandinavie ou d’Amérique du Nord. Particulièrement en Argentine, où Ni Una Menos vise, par ses appels internationaux à une « grève féministe » générale et globale pour interrompre tous les types de travail et occuper tous les lieux, à dénoncer « la débâcle capitaliste et patriarcale » accrue par l’inflation galopante et l’arrêt qu’a connu l’industrie touristique avec la pandémie : 41 % de la population argentine vit présentement dans la pauvreté. Cette coordination rejette à la fois l’endettement auprès du FMI, « l’extractivisme [exploitation massive des ressources naturelles] qui est à la base des processus de colonisation (…) à l’échelle mondiale », la militarisation, la « politique raciale et sexuelle lesbophobe, transphobe et misogyne [de la droite néofasciste au pouvoir] qui renforce le racisme » contre les indigènes, les Noir-e-s et les métis-ses, et « l’exclusion des racisé-e-s et des migrant-e-s ». Il s’agit de se révolter aussi bien contre « la normalité oppressive » que contre « la crise mondiale du soin, l’augmentation de l’endettement et de l’emprisonnement, qui sont des formes directes de dépossession, de précarisation et de déni de vie ».
• Alors qu’en Occident la revendication féministe est relayée par beaucoup de médias, d’intellectuel-le-s, d’élu-e-s voire de gouvernants, elle a souvent ailleurs pour adversaires ouvertement déclarés l’appareil d’Etat dans son ensemble, une ou des Eglises, ou encore des réseaux mafieux. En Pologne par exemple, l’opposition à l’avortement dont fait preuve une hiérarchie catholique particulièrement puissante et réactionnaire donne à la revendication féministe une connotation nettement anticléricale : Czarny protest place dans ses priorités non seulement la destitution du gouvernement, mais un État laïc, la suppression de l’éducation religieuse dans les écoles, et la création d’une commission indépendante pour enquêter sur la pédophilie dans l’Église et punir tant leurs auteurs que les protecteurs de ceux-ci.
• Les mobilisations féministes ne sont pas confrontées partout à la même répression. En Pologne toujours, 79 interpellations ont été violemment opérées le 25 octobre 2020 lors d’actions menées contre l’Église catholique [5], ce qui est assez rare en Europe de l’Ouest. Certes, le 5 juin dernier à Nice, les forces de l’ordre ont stoppé par des lacrymos et des arrestations la manif « Toutes aux frontières », un cortège bon enfant et pacifique de 5 000 personnes arrivées de plusieurs pays européens pour dénoncer le durcissement des politiques migratoires et défendre « les femmes, lesbiennes, trans victimes de violences sur la route de l’exil » ; mais cette charge est sans nul doute imputable en premier lieu au « sujet sensible » que sont les migrations.
• Tandis que la plupart des coordinations féministes en Occident requièrent l’intervention de l’État ou des tribunaux en cas de violences sexuelles, au Mexique la corruption et la misogynie généralisées de la police, de la justice et des gouvernants incitent des militantes telles que celles du Bloque Negro (« Bloc noir ») à miser sur une autodéfense féministe plutôt qu’à porter plainte.
Enfin, la dynamique féministe de certains pays a eu un effet boule de neige dans d’autres. Par exemple, en France, où la défense du droit à l’avortement était faible (entre autres parce qu’il est rogné de façon insidieuse depuis des décennies, par le manque de moyens matériels accordés pour réaliser les interventions, par la fermeture progressive des centres IVG…), on a constaté un regain d’intérêt pour lui lors des mobilisations en Espagne, où il a été attaqué en 2014, et en Argentine, où il a été acquis le 30 décembre 2020 par la « marée verte ».
Dans le sous-continent latino-américain, l’avortement n’est légal qu’à Cuba, en Uruguay, au Guyana, et maintenant en Argentine (le 21 septembre dernier, des milliers de femmes ont encore défilé au Mexique, au Pérou, au Salvador, au Chili et en Colombie pour l’obtenir) ; et les féminicides sont au moins deux fois plus nombreux qu’en Europe : 7 000 à 8 000 contre 3 000 par an [6]. Les ennemis des femmes ne manquent pas, en Amérique latine et centrale : au Chili, le Président Pinera a évoqué en mars 2020 leur « attitude » comme étant une cause de viol ; au Brésil, les néo-pentecôtistes mettent tout en œuvre pour empêcher les mobilisations féministes, tandis qu’au Nicaragua, au Salvador ou au Honduras c’est l’Église catholique qui s’y emploie ; dans ce dernier État, les 463 féminicides commis en 2016 n’ont suscité l’ouverture que de 15 enquêtes ; au Mexique, les narcotrafiquants et autres gangs s’en prennent impunément aux femmes. Etc. Face à une telle situation, les coordinations féministes s’attaquent directement à l’Etat, mais aussi au capital par le biais des manifs et des « grèves féministes » ; et leurs mobilisations ont une ampleur bien supérieure à celles qu’a produite #MeToo [7]. Le slogan « Ni Una Menos » – qui est parti du « nous » de la société argentine avant que ne soit énoncé ce « moi » aux États-Unis – porte davantage d’aspirations sociales que le féminisme occidental, et il a fait émerger dans plusieurs pays latino-américains une politisation et une participation féminines inédites, visibles dans tous les secteurs de la société [8]. Ce féminisme-là fait fantasmer à juste titre les jeunes générations dans le monde entier, par sa réactivité, sa créativité, sa capacité à organiser des opérations éclairs (bloquer l’accès du métro, taguer des murs, etc.) et son esprit assez libertaire : il ignore partis et syndicats, rejette tout leaderisme…
Il faudra cependant voir comment il évolue dans le temps. La coordination Ni Una Menos du Chili a par exemple été, en octobre-novembre 2019, une des grandes forces de l’« insurrection » déclenchée contre l’État, la classe politique et le modèle néo-libéral hérité de Pinochet. Le 8 mars 2020, 1 million de personnes ont manifesté à Santiago (et 45 autres cortèges défilaient au même moment dans d’autres villes) ; dans la gigantesque chorégraphie Un violador en tu camino (« Un violeur sur ton chemin ») diffusée par le collectif Las Tesis de Valparaiso, et qui a aussitôt fait le tour du monde via le Net, elles ont scandé : « Le violeur, c’est toi. Ce sont les flics, les juges, l’État, le Président. L’État oppresseur est un macho violeur… » Mais ce même collectif a ensuite créé le Parti féministe alternatif afin de mener campagne avant le référendum du 25 octobre 2020 sur un changement de Constitution (une universitaire mapuche, Elisa Loncón, a été élue présidente de l’Assemblée constituante chilienne le 4 juillet 2021).
Des collectifs féministes avaient déjà surgi ici en 2016, lors du mouvement contre la loi travail, mais d’autres ont ensuite contribué – par l’organisation de débats, l’édition d’affiches et de journaux, la constitution de réseaux – à ce que les cortèges féministes y soient de plus en plus fournis. Le 24 novembre 2018 a eu lieu, à l’appel de #NousToutes, la première grande Marche contre les violences sexistes et sexuelles. Selon les organisatrices de cette association (apparue en 2017 dans le sillage de #MeToo et de #BalanceTonPorc), la Marche du 23 novembre 2019 a rassemblé en France 150 000 personnes. En 2020, toutefois, le confinement a enrayé cette mobilisation : hormis dans quelques villes comme Toulouse où elle a été maintenue, il y a surtout eu des actions en ligne « d’interpellation, de sensibilisation, de formation et des concerts ». Mais la dynamique des femmes est actuellement telle que, le 8 mars 2021, la CGT, la FSU et Solidaires ont appelé avec 34 autres organisations à soutenir la « grève féministe » – il est en effet difficile pour les syndicats et les partis de l’ignorer (Macron lui-même n’a-t-il pas fait de la « cause féministe […] un fil rouge de ce quinquennat » ?).
Aujourd’hui, il existe des collectifs réformistes – en particulier #NousToutes – et d’autres qui s’affirment révolutionnaires (par exemple Toutes en grève à Toulouse). Ils présentent cependant des points communs sur le plan théorique, en posant comme principes de fonctionnement l’auto-organisation des femmes et la démocratie interne, mais aussi un « féminisme inclusif » qui, à partir des analyses intersectionnelles et de la « théorie queer », a tendance à noyer l’exploitation économique dans une multitude de discriminations – la classe venant fréquemment après le genre ou la « race » quand ils se disent anticapitalistes. De plus, tout en affichant la volonté de taire les désaccords entre les diverses sensibilités féministes (sur la prostitution, le voile ou la place des trans dans le féminisme) pour privilégier la sororité et la non-violence, ils se positionnent – comme bien d’autres collectifs occidentaux [9] – en faveur de l’« inclusivité » sur ces questions. Enfin, leur investissement militant s’appuie beaucoup sur les réseaux sociaux. # NousToutes, surtout, pratique une nouvelle forme de lobbying en impulsant à partir de hashtags des campagnes pour réclamer l’intervention des pouvoirs publics.
• Féministes révolutionnaires (FR) s’est constitué à Paris en 2016 à partir de deux AG (« Femmes et minorités de genre contre la loi travail », sur les facs franciliennes, et « Femmes et travail » à la Bourse du travail), et certaines de ses militantes ont poussé à la création de la commission FéminismeS de Nuit Debout. Dans sa charte, ce collectif dit être ouvert à « toutes les personnes qui veulent militer à [ses] côtés, en particulier les personnes trans, les personnes qui portent le voile et les travailleur·se·s du sexe » ; il considère que « seul un renversement complet des structures sociales permettra de mettre fin aux différentes dominations sociales ». Cependant, tout en déclarant : « Détruire le capitalisme ne réglera pas tout mais c’est la première condition d’une réelle émancipation », il insiste sur « la lutte contre le racisme et l’islamophobie d’Etat », qui doit être croisée avec les « perspectives féministes et LGBTIQ [10] ». Il se déclare investi aux deux tiers sur les facs et lycées, avoir « une intervention salariée, auprès des femmes et minorités de genre travailleur.ses, au foyer, précaires, chômeur.ses » ; et il précise regrouper « des personnes, cis, trans, et/ou non-binaires », de diverses générations, « blanches (3/4) et raciséEs (1/4), françaises et d’ailleurs, issuEs de différentes classes sociales, mais aucunE d’entre nous n’est en situation d’extrême précarité », (…) certainEs sont parents et ont des enfants et certainEs n’en veulent pas ! »
• #NousToutes est né en juillet 2018 [11] après une réunion à la Bourse du travail de Paris, afin de mobiliser « contre les violences économiques, psychologiques, verbales, physiques ou sexuelles, notamment quand ces violences visent des personnes victimes en raison de leur situation de handicap, de vulnérabilité, de leur âge, de leur origine sociale, de leur situation économique, de leurs croyances, de leur statut de migrant·e·s, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou parce que racisé·e·s ». Trois mois plus tard, 600 femmes participaient physiquement à une autre réunion, et 7 000 autres virtuellement grâce à sa diffusion en direct sur Facebook.
Ce collectif fonctionne à coups de pétitions et de campagnes en ligne pour obliger le gouvernement à mettre « en place des politiques publiques efficaces de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et (…) sensibiliser un maximum de personnes à la thématique de ces violences afin de leur permettre de les détecter dans leur entourage et de savoir orienter les femmes qui en sont victimes ». Après la publication du livre de Camille Kouchner La Familia grande, en janvier 2021, il a ainsi lancé le hashtag #MeTooInceste – qui a reçu 80 000 messages – et une pétition. Il prône la bienveillance dans les échanges de mails, interdit les images ou récits violents, conseille d’éviter les échanges le soir ou le dimanche matin pour « garantir un bien-être dans le militantisme ». Il assure être sans leader et « a-partisan », juste soutenu par plus de 80 associations, organisations syndicales et politiques (féministes, de gauche, d’extrême gauche, ou encore EELV, la LDH, la Cimade… et Radio-Libertaire). La tribune « Quand “Nous Toutes” exclut les femmes » (signée de 400 femmes et parue le 19 octobre sur le site de Marianne, où on peut encore la lire) l’épingle pourtant pour ses « positionnements problématiques dès ses débuts » face à des agressions de femmes critiquant « cette idéologie qui s’impose partout comme un dogme, l’idéologie de genre » ; et pour avoir publié sur sa page Facebook, le 5 octobre dernier, « un visuel déclarant vouloir exclure les femmes appelées “TERF” de la marche organisée le 21 novembre à Paris ».
• Toutes en grève 31 (TEG) : l’Assemblée féministe toulousaine autonome s’est aussi créée en octobre 2018 pour « s’auto-organiser, agir et défendre les droits y compris de manifester ». Ses objectifs sont de promouvoir la grève générale féministe contre le système patriarcal, dans tous ses aspects, pour parvenir à un changement radical de société – et divers groupes de Toulouse se sont inscrits dans sa démarche, comme Le Planning familial, le DAL, l’Union syndicale Solidaires ou la CGT Educ’Action.
Plus de 4 000 personnes ont manifesté dans cette ville le 8 mars 2019, et l’organisation de la grève le même jour s’est faite principalement via des assemblées autonomes de femmes. Lors des Rencontres féministes (inter)nationales qui ont eu lieu la même année en octobre à Toulouse, une coordination féministe nationale a vu le jour pour s’inscrire dans la durée : « Mobilisées aujourd’hui, nous le serons le 8 mars et au-delà. Tant qu’il le faudra féministes, anti-impérialistes, anti-patriarcales, anticapitalistes, anticolonialistes, antiracistes, contre le système hétéro-normatif. » TEG se déclare en mixité choisie parce qu’elle regroupe les « femmes cis et trans, et personnes perçues comme femmes par la société ».
A la manif du 25 novembre 2020 (qui a rassemblé 5 000 personnes, selon ses organisatrices), il y avait un important dispositif policier, et des gaz lacrymogènes ont été lancés sur le cortège pour provoquer sa dispersion. De même, la marche non-mixte du 5 mars 2021 a été violemment réprimée : les manifestant-e-s ont été nassé·e·s et insulté·e·s, plusieurs interpellations ont été faites, et des amendes envoyées pour rassemblement interdit. Le 8 mars 2021, plus de 9 000 personnes n’en ont pas moins marché à Toulouse – un bon score dans la période actuelle.
Un collectif Du pain et des roses participe aux marches féministes toulousaines. Rattaché à la IVe Internationale et soutenu par la tendance Révolution permanente qui a quitté récemment le NPA, il a essaimé dans d’autres villes pour former un réseau féministe sur un positionnement clairement « lutte de classe » et anticapitaliste.
Le courant « lutte de classe » reste cependant très minoritaire dans les collectifs féministes en France, qui s’insurgent plus contre les inégalités de salaire entre hommes et femmes, les « dysfonctionnements » de la justice ou les « méfaits du néolibéralisme » que contre les structures patriarcales et capitalistes elles-mêmes. Lorsque leurs sites relaient des luttes menées dans les entreprises, c’est pour l’essentiel parce qu’elles portent sur du harcèlement ou des violences sexistes [12].
Or la pandémie a aggravé la situation pour beaucoup de femmes, sur le plan mondial : 5 % d’entre elles ont perdu leur emploi, selon l’OMT (contre 3,9 % pour les hommes) ; et la pauvreté s’est accrue dans les pays en développement, où elles sont surreprésentées dans les secteurs informels et sans protection sociale, selon le PNUD. Dans les Etats où l’accueil de la petite enfance est inexistant et où la garde repose sur la solidarité familiale, les femmes ont dû jongler plus que jamais entre vie professionnelle et vie familiale lors des confinements (en Italie, beaucoup ont lâché leur boulot pour s’occuper de leurs enfants).
En France, les femmes des classes populaires, majoritaires dans les emplois précaires [13] et dans certains secteurs [14], ont vu leurs conditions de travail se durcir pendant le premier confinement. Dans la grande distribution alimentaire, où le travail a été maintenu, les « premières de corvée » ont subi des changements d’horaire incessants, la disparition des pauses (due au non-remplacement des personnes contaminées), la dégradation des rapports avec les collègues et la clientèle, etc. Et dans le médico-social, il y a eu beaucoup de démissions ces derniers mois, pendant que les fermetures de lits et de services se poursuivaient à l’hôpital et que les plans de « relance économique » européens étaient axés sur l’environnement et le numérique, des secteurs où les hommes prédominent.
L’inégale répartition des tâches domestiques et parentales entre les sexes ainsi que la réalité des « familles monoparentales » – à 84 % des femmes – sont crûment ressorties, notamment à travers la demande massive d’aide alimentaire : par exemple, dans le Puy-de-Dôme, 92 % des personnes venues au Secours populaire lors du premier confinement étaient des femmes.
Les interventions à domicile pour violences conjugales ont augmenté en 2020 de 42 % ; et si le nombre de féminicides est tombé cette année-là à 90, contre 146 en 2019, cela semble surtout dû au fait que la plupart de ces meurtres ont lieu au cours des séparations et que la situation pandémique n’incitait guère les femmes à quitter leur foyer. Les chiffres sont repartis à la hausse en France (comme en Italie ou en Espagne) dès la fin des restrictions de déplacement.
On le voit, la nécessité de détruire l’ordre patriarcal et capitaliste est toujours d’actualité… mais la revendication féministe dominante, c’est-à-dire celle que formule l’Occident par le biais d’Internet et des médias, ne peut inquiéter les défenseurs de cet ordre car elle demeure récupérable à leur profit.
Les manifs féministes du 25 novembre 2021 et du 8 mars 2022 seront sans doute importantes en France – même si les mesures « sanitaires » du gouvernement génèrent de nos jours un découragement peu propice à la contestation sociale en général –, et elles seront saluées, n’en doutons pas, tant par la classe politique que par les journalistes comme un pas en avant vers davantage d’« égalité ».
Néanmoins, pour que ces mobilisations ne soient pas juste de joyeux anniversaires à fêter ensemble dans la rue et l’occasion d’une nouvelle profession de foi féministe pour Macron, ce sont toujours les piliers de l’exploitation économique et de la domination masculine qu’il faut déboulonner.
Vanina
[1] Notamment la sociologue et militante trotskiste Aurore Koechlin dans son livre La Révolution féministe
[2] En référence à la Bread and Roses strike, grève victorieuse déclenchée dans le textile, en 1912, à Lawrence (Massachusetts) par 20 000 ouvrier-ère-s immigrant-e-s (majoritairement des femmes) syndiqué·e·s aux IWW contre la diminution de leur salaire
[3] En hommage aux sœurs Mirabal, assassinées par la dictature de Trujillo, en République dominicaine, le 25 novembre 1960
[4] Voir l’« appelle » sur son site. Ce collectif « lutte de classe » est maintenant une coordination regroupant des syndicalistes et soutenue par une quinzaine d’organisations
[5] De la peinture a été jetée sur des bâtiments religieux et des logements de gouvernants ou sur des monuments de Jean-Paul II et de Ronald Reagan, des messes ont été perturbées…
[6] ONU femmes estimait en 2017 à 50 000 le nombre global de féminicides dans le monde, mais beaucoup d’informations manquent pour parvenir à une évaluation précise
[7] Créé en 2007, ce hashtag s’est répandu dans le monde entier en 2017 avec l’affaire Weinstein.
[8] Des rassemblements intercontinentaux se tiennent aussi tous les deux ou quatre ans, depuis le premier en Colombie en 1981. Du 10 au 12 janvier 2021 à Santiago, 3 000 féministes de 28 États ont ainsi participé à la « 2e Rencontre plurinationale de celles qui luttent »
[9] Selon le « Manifeste de l’inclusivité » du collectif 8 Maars belge, par exemple, une femme est « toute personne identifiée et-ou s’identifiant comme femme »
[10] FR, qui a essaimé à Nantes et Rennes, parle maintenant de LGBTQIA+ (lesbienne, gay, bisexuel·le, trans, queer, intersexe et asexuel·le ou aromantique)
[11] Parmi ses fondatrices figure Caroline de Haas, qui a auparavant créé Osez le féminisme !
[12] Par exemple l’affaire de Rozenn, étudiante et travailleuse précaire syndiquée CGT mise à pied par Chronodrive Toulouse
[13] 10,6 % d’entre elles sont en CDD, contre 6,5 % d’hommes