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CA 314 novembre 2021

Sachons garder l’enfant qui est en nous !
Soyons indomptables !

jeudi 25 novembre 2021, par Courant Alternatif

En mars 2020, une nouvelle réforme par voie d’ordonnance est venue aggraver le texte fondateur de la justice des mineurs : l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance en danger et l’enfance délinquante.


« La meilleure façon de se battre contre les prisons, c’est de se battre contre l’enfermement extérieur. » Jacques Fasel [1]

L’ordonnance de 1945 est censée protéger les mineurs en privilégiant les réponses d’accompagnement, d’éducation, de prévention – il a fallu attendre 1977 pour que les bagnes pour enfants, les maisons de correction ferment. Depuis sa promulgation, elle est systématiquement remise en cause et a subi 38 modifications – abaissant l’âge de la responsabilité pénale, accélérant les procédures, remettant en question l’excuse de la minorité, augmentant la durée de la garde à vue, optant toujours plus au cours du temps pour les réponses répressives...

Ces réformes successives ont augmenté le nombre d’enfants incarcérés depuis une vingtaine d’années. Actuellement

, 894 adolescents sont incarcérés en prison, auxquels s’ajoutent les 1 350 jeunes placés en centres éducatifs fermés, ceux placés en psychiatrie, les enfants étrangers enfermés en centres de rétention administrative (CRA) : en 2018, ils étaient 208 en métropole, 1 221 à Mayotte, auxquels s’ajoutent les 339 mineurs non accompagnés (MNA) enfermés pour un soupçon de majorité. Le gouvernement souhaite encore renforcer la justice des mineurs, pour la rendre encore plus répressive qu’elle ne l’est afin de tuer dès le plus jeune âge toute velléité de critique, de subversion, de révolte.

Une politique coercitive depuis des décennies

Cette tendance ne date pas d’hier : déjà en 1997 l’Etat, pour établir ses politiques publiques, organise le colloque de Villepinte pour « Des villes sûres pour des citoyens libres ». La gauche plurielle, alors aux manettes, ne s’appuie plus uniquement sur les délits ni sur des faits précis pour jauger l’insécurité, mais également sur le sentiment d’insécurité qu’elle participe grandement à alimenter à coups de faits divers, d’infos, de reportages, de statistiques, de rapports, de politiques libérales... Les jeunes deviennent des « sauvageons » objets de tous les fantasmes.

Des comportements spécifiques aux mineurs sont pénalisés. Ainsi, en 1998, les violences commises aux abords d’un établissement scolaire, dans les gares et les moyens de transport collectif sont des circonstances aggravantes. Par la suite, la loi renforce la protection des personnes chargées d’une mission de service public et pénalise le stationnement dans les halls d’immeuble. De la même manière que les flics peuvent entrer dans l’enceinte d’un établissement scolaire et venir interpeller un élève jusque dans sa classe, les enseignants sont protégés, au même titre que les représentants de l’ordre. En 2021, même les gardiens d’immeuble peuvent mettre des amendes.

La prévention ne sert plus à agir en amont de la prison en réajustant les inégalités, en donnant des moyens à la construction de logements sociaux, à la santé, à l’éducatif, à la culture populaire, aux revenus. L’Etat détruit consciencieusement les services publics, le peu de protections acquises grâce aux luttes – préférant investir dans l’isolement, le contrôle, le fichage, la répression, l’enfermement. Ainsi les polices municipales, les caméras de surveillance, la construction de centres éducatifs fermés sont largement dotés. La prévention sert désormais avant tout à détecter les actes répréhensibles avant qu’ils ne se produisent, et les comportements « antisociaux » dès la maternelle. Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté en France, soit près de 3 millions d’enfants sont en situation de pauvreté selon l’Unicef.

Depuis 2002, le traitement pénal des mineurs se rapproche de celui des majeurs ; un renversement des valeurs intervient ; l’enfant devient responsable de ses actes juridiquement dès l’âge de 10 ans avec suivi et mesures coercitives, emprisonnable à partir de 13 ans, et considéré de plus en plus comme un adulte à partir de 16 ans. Six prisons pour enfermer des enfants sont construites, les établissements pour mineurs (EPM). Elles viennent renforcer les 47 quartiers mineurs (QM) implantés au sein des prisons pour adultes (75 % des détenus adolescents sont enfermés dans ce qui peut être un étage entier ou quelques cellules).

C’est en 2002 que les CEF (centres éducatifs fermés) font leur apparition. C’est un dispositif coûteux et décrié dès sa création. Un chantage à la prison présenté comme son alternative : les CEF permettent en fait d’enfermer des mineurs qui ne l’auraient pas été sans l’existence de ces structures. D’autant que le développement de ces dernières s’est fait au détriment d’autres types de prise en charge plus ouverts. Bien que la délinquance juvénile n’ait pas augmenté, le gouvernement Macron poursuit cette expérience désastreuse en projetant la construction de 20 nouveaux CEF en 2021 en plus des 52 déjà en activité, pour un budget de 17 millions.

Individualisation oblige ; il n’existerait plus de causes politiques, économiques, sociales à la délinquance. Les parents sont donc désignés responsables et complices du comportement de leurs enfants dans la société. Ainsi, les allocations, pourtant vitales pour les familles concernées, peuvent leur être supprimées. A Nice, le maire a expulsé de son HLM la famille d’un jeune délinquant pourtant majeur !

L'enfermement n'est jamais la solution

Plus l’emprisonnement intervient jeune, plus il est destructeur irrémédiablement. Bien trop de jeunes ayant connu les maisons de correction, les prisons pour mineurs se retrouvent dans les centrales pour longues peines. Le taux de re-condamnations qui devrait être la démonstration de l’inefficience de la prison devient pour le pouvoir le signe qu’il ne frappe pas assez fort, qu’il est laxiste ; 70 % des mineurs retournent en détention dans les cinq ans après leur sortie, taux plus élevé encore que chez les majeurs (63 %). La nouvelle réforme de 2020 détruit la primauté de la mesure éducative pour privilégier la réponse répressive ; la culpabilité du mineur délinquant sera jugée avant l’évaluation de sa situation et la mise en place d’une prise en charge éducative.

Méfions-nous des mots ; quand les possédants parlent à grand renfort de communication et d’oxymores, c’est pour faire exactement l’inverse de ce qu’ils disent ; là où ils disent PSE, plan de sauvegarde de l’emploi, ils licencient. Là où ils assouplissent la carte scolaire pour « favoriser l’égalité des chances et la diversité sociale », ils ségrèguent socialement, regroupent les plus démunis. Les jeunes ne doivent pas se mélanger plus que leurs aînés, ni dans les écoles ni dans la rue, pas plus que dans les villes ou lors de leurs activités.

Pour contrôler une population dès le plus jeune âge, l’école a une longue tradition de formatage derrière elle ; elle sait que la meilleure façon d’avoir des adultes soumis, c’est de les modeler dès le plus jeune âge. Les instituteurs et professeurs sont convoqués pour participer à ce grand dépistage des déviances, propos litigieux, comportements incivils ; des bases informatiques sont créées pour repérer, répertorier, mettre en statistiques tous les enfants qui ne veulent plus être à genoux. Peu de professionnels ont saisi le changement de fonction qui les assimile encore plus précisément à des auxiliaires de police.

Paradoxalement, plus les jeunes sont estimés responsables de leurs actes juridiquement, plus ils sont jugés comme les adultes et plus ils restent irresponsables politiquement ! A l’école, il n’y a pas d’espace d’affichage pour une libre d’expression politique, pas de local autogéré où il est possible de se réunir, s’organiser, participer à l’élaboration des contenus et à l’organisation de l’école, d’occuper son lieu d’éducation, de manifester ses oppositions… La politique n’a pas droit de cité, sauf quand elle accompagne l’idéologie dominante dûment cadrée par l’autorité et dispensée par ses fonctionnaires disciplinés.

Tous ces dispositifs mis en place depuis des décennies fonctionnent et se sont banalisés. Ils se sont désormais incrustés dans les pratiques quotidiennes et sont très peu questionnés ; raison de plus pour tout chambouler et cesser d’en rester à l’aménagement de cette institution qui reproduit l’ordre social, formate les individus, empêche toute vie collective. La sécurité devient la première des libertés ! Elle consiste à piétiner la jeunesse parée de son énergie créative, bâillonner sa soif de transformations, étouffer sa capacité de remise en question pour que rien ne soit bouleversé, et maquiller la vie en peur. La mobilisation pour défendre la république se doit d’être générale, tous les corps de métier sont réquisitionnés ; la jeunesse est épluchée, disséquée par des spécialistes en tout genre. Il est décidé de la repérer, de la contrôler, de la museler, de l’enfermer pour le plus grand bien de tous, pour que le changement se fasse dans la continuité.

La prison est l’aboutissement d’une longue série de mépris, d’exclusions, d’humiliations, de dépossessions qui commencent dès la naissance… Bien que les institutions décrivent la jeunesse comme amorphe et lobotomisée par les écrans, elle s’exprime. Mais dès qu’elle manifeste, elle est violemment réprimée et ramenée à sa place de sujet immature, et elle reste souvent trop seule face à une police surarmée et à une justice impitoyable. Gazée, éborgnée, humiliée, mise à genoux, elle continue de se révolter malgré tout.

Nadia M.

Vous pouvez sur le même sujet écouter l’émission du 9 décembre 2020 sur actulaités des luttes,

Notes

[1Jacques Fasel : braqueur suisse de la fin des années 70. Il purge treize ans de prison et s’évade à plusieurs reprises. Fasel n’a jamais été riche et n’en a jamais rêvé

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