CA 325 Décembre 2022
jeudi 8 décembre 2022, par
Les ministres des États membres, se sont réunis à Bruxelles le 29 septembre dernier. Lors de ce Conseil de la « Compétitivité », la Commission européenne cherchait à anticiper les mouvements sociaux qui vont advenir et garantir le fonctionnement du marché, la libre circulation des marchandises et des travailleurs dans l’Union Europénne. Elle veut donner également à l’exécutif européen davantage de pouvoirs pour faciliter la surveillance des chaînes d’approvisionnement des secteurs stratégiques et, en cas d’ « urgence », intervenir (IUMU, Instrument d’urgence du marché unique pour sécuriser les chaînes d’approvisionnements critiques en temps de crise). En effet l’augmentation des prix des matières premières qui plombent les conditions de vie des salariés, des retraités, chômeurs et précaires et assurent des profits colossaux aux industriels, creuse les inégalités et attise la colère.
La Commission s’y prépare, en s’inspirant de la gestion du Covid, et brandit la notion « d’urgence », qui permet de remettre en question entre autres le droit de grève, déjà bien malmené depuis des décennies. La Commission européenne institutionnalise une logique : la subordination des droits, et singulièrement du droit de grève pour les salariés, aux intérêts économiques des entreprises, et de l’État, qui en la matière est exemplaire. Il s’aligne sur sa gestion de la casse de France Télécoms pour terroriser les salariés de l’éducation nationale, de la santé et du soin dans le but de privatiser les services publics. Il abuse des emplois aidés, précaires, via la sous-traitance, ou la sur exploitation des sans papiers.
Déjà lorsque Sarkozy officiait au Ministère de l’intérieur en 2002, pour édifier l’espace judiciaire européen, le Conseil de l’Européen revoyait la définition du terrorisme. La nouvelle formulation, définissait comme terroriste tout acte commis « par un individu ou un groupe contre un ou plusieurs pays, leurs institutions ou leur population, et visant à les menacer ou à porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques ou sociales d’un pays » [1], ce qui permettait de soumettre aux lois d’exception antiterroristes aussi bien la simple occupation d’une gare, qu’une grève à EDF, un piratage informatique, ou simplement la solidarité avec ce type d’action.
Ainsi en France, au petit matin du 4 octobre 2022, après plusieurs mois d’enquête, quatre agents de maintenance du Réseau de Transport d’Électricité (RTE) ont vu débarquer à leur domicile la police pour des perquisitions. Menottés devant leur famille et qualifiés de « cybercriminels en bande organisée », ils sont emmenés dans les locaux de la DGSI (direction générale de la sécurité intérieur) à Levallois-Perret pour 96 heures de garde à vue. Le 7 octobre, ils ressortent sous contrôle judiciaire et seront convoqués au tribunal le 28 février 2023. Ils sont également mis-à-pied à titre conservatoire.
Ces agents de maintenance ont participé activement à une mobilisation sociale de quatre mois en juin dernier pour demander des hausses de salaires. L’entreprise a fait des profits record, avec un résultat net de 661 millions d’euros en 2021, en hausse de 27% par rapport à l’année précédente. Face au refus de négocier, les agents ont décidés collectivement d’effectuer des coupures de courant. Une pratique classique dans le cadre des luttes menées dans le secteur de l’énergie. Pourtant, cette fois-ci, la répression a pris des proportions délirantes.
Le choix de RTE de porter plainte auprès de la DGSI [2] et le fait que celle-ci décide d’intervenir dans un conflit social est un signe supplémentaire du durcissement des politiques répressives. Phénomène qui s’accentue aussi bien aux niveaux hexagonal, européen que mondial.
Les États européens visent à constituer un véritable arsenal juridico-policier pour contrôler et réprimer les résistances de tous genres au développement du système capitaliste. Pour contraindre l’ensemble des populations, les États ne lésinent pas sur les moyens : ils définissent une politique commune à l’encontre des travailleurs, des précaires et des immigrés. Ils appliquent une définition de la notion de « terrorisme » qui englobe désormais les mouvements sociaux radicaux et les moyens de luttes efficaces qui jusqu’à présent faisaient partie de l’arsenal classique de lutte du monde du travail ; ils parlent d’éco-terroristes, de cyber-criminels pour désigner et réprimer durement des manifestants, grévistes, opposants.
La promulgation de mesures d’exception antiterroristes ou sanitaires se banalisent et deviennent des outils ordinaires de gestion de l’ordre public qui remettent en question jusqu’au droit de manifester, de se réunir et réduit toujours plus notre expression politique et nos déplacements. À chaque nouvelle réforme ou manifestation de la violence d’État, de grands cris se font entendre, alertant contre les lois liberticides, la remise en question des droits de l’homme, la fin de l’État de Droit. Les lois se succèdent et s’inscrivent dans le marbre des codes et les suivantes arrivent avec le même cortège d’indignations. La pénalisation de gestes individuels ou collectifs qui étaient perçus il n’y pas si longtemps comme l’expression d’une critique sociale, la conséquence de l’inégalité et de la pauvreté sont marqués désormais du sceau de l’« illégalité » ou du « terrorisme » donc regardé par une frange importante de la population comme un choix impossible puisque hors du terrain du Droit. Le Droit enferme toujours plus les dépossédés en les rendant invisibles, inaudibles, impuissants. Il faudra bien interroger cette notion et cesser de s’y référer en permanence si nous voulons renverser la logique capitaliste. Depuis le temps, de 49.3 en circulaires, de mensonges en détournements, de violences en licenciements, ne serions-nous pas passés à un autre mode de gouvernance ?
Il s’appelait Mathieu Poli, il avait 29 ans. Il travaillait à Saumur pour l’entreprise RTE*
Mathieu avait participé, comme beaucoup d’autres salariés de RTE, à une mobilisation en juin dernier pour réclamer une augmentation de salaire de 5 %. Mathieu n’était pas parmi les arrêtés. Par contre, il avait subi un interrogatoire au commissariat d’Angers dans le cadre de cette enquête. Le 7 septembre, la police l’avait auditionné concernant la grève et les coupures de courant. Un épisode qui l’avait beaucoup marqué, puisque l’agent a arrêté le travail pendant un mois. Il s’est donné la mort le 17 octobre 2022. Le décès de Mathieu Poli, et de tant d’autres, témoigne de la souffrance au travail, du mépris patronal qu’il soit privé ou public et de la répression. Mais surtout de l’impuissance face à la dépossession des moyens de lutte et l’aggravation des conditions de vie. Des raffineurs font grève ? Ils sont réquisitionnés. Une manifestation dans la rue ? Des salves de grenades, des nasses, des matraquages, des visages éborgnés, des arrestations… la prison. Une mesure impopulaire ? 49-3 sans débat. Des électriciens en lutte coupent le courant ? On leur envoie la police anti-terroriste. Face à la violence de l’État et du patronat les mobilisations se font trop timides.
* le Réseau de transport d’électricité qui gère les lignes et l’acheminement d’électricité haute tension.
Gakou, gréviste de GRDF perquisitionné pour avoir fait la grève
Six heures du matin, lundi 4 juillet 2022, la police frappe à la porte d’un pavillon d’Argenteuil. Moussa Gakou ouvre. Quatre agents du commissariat de Colombes (92) l’attrapent et lui passent les menottes sans ménagement, devant femme et enfants. Gaz Réseau Distribution France (GRDF), l’employeur de Moussa Gakou, a porté plainte contre lui. Cette filiale de l’entreprise Engie (25% du capital détenu par l’Etat) l’accuse de « dégradation volontaire d’une installation de gaz ». Le technicien de 35 ans travaille à l’agence GRDF de Villeneuve-la-Garenne (92) depuis 15 ans. Les 15 et 22 juin dernier, à l’appel de la Fédération nationale des mines et de l’énergie de la CGT (FNME-CGT), il participe à la grève nationale des agents de l’électricité et du gaz pour l’augmentation des salaires. L’intervention sur l’outil de travail ; la coupure de gaz est un moyen de lutte réfléchi, collectif, bien connu des syndicalistes du gaz. Il écope de 90 heures de TGI (travail d’intérêt général) et de six mois d’interdiction d’exercer dans le gaz. Moussa Gakou a le sentiment d’avoir été arrêté pour l’exemple. « J’assume. Pour moi ce n’est pas un acte délictueux. ». « On est en plein dans la répression syndicale. Dans mon agence, ils ont instauré un climat de terreur. »