EDITO 327
mercredi 8 février 2023, par
Cela a quelque chose de jouissif de voir l’énergie obstinée que les dirigeant·es mettent à jouer les pédagogues face à des masses bornées pour tenter de les convaincre de la justesse-justice de leur "réforme" des retraites. Depuis des semaines, iels rabâchent les mêmes pseudo arguments : "Notre réforme est nécessaire ; elle est juste ; elle vise à sauver notre système de retraite par répartition...".
Jouissif d’entendre les gouvernant·es nous concéder généreusement le "droit" de faire grève et de manifester,- iels sont trop bons !-, pourvu qu’on ne gêne personne et qu’on défile sagement.
Et le gouvernement se targue d’agir au nom et sous couvert de la "Démocratie" : un Macron élu à 38,5% des voix des inscrits se considère totalement légitime pour imposer sa loi au peuple, et tient pour parfaitement négligeable qu’une majorité de personnes soit hostile à sa réforme.
Jouissif de voir en face la détermination des opposant·es qui ont fait grève et envahi le 19 janvier les rues des villes, grandes et petites. Nous avons bien compris qu’on cherchait à nous imposer des changements allant totalement à l’encontre de nos intérêts : un départ à la retraite à 64 ans (minimum !) et 43 ans de cotisations (minimum !), c’est évidemment complètement insupportable, injuste, une sanction à l’encontre de ceux et celles qui ont commencé à travailler très jeunes, aux femmes dont les carrières sont plus que hachées, une atteinte insoutenable au droit de profiter de sa retraite après une vie de labeur contraint vécue comme usante et oppressante, de travail-exploitation qu’on aspire à quitter au plus vite.
Et puis, si les gouvernant·es veulent reculer l’âge de départ à la retraite, il est évident qu’il s’agit, en mettant plus de monde plus longtemps au travail, d’extorquer plus de richesse, de tenter de combler une partie de la dette et de renflouer les caisses de l’État, d’apparaître fiable aux yeux des partenaires européens, et surtout auprès des marchés financiers sans toucher aux fortunes capitalistes. Rien à voir avec un sauvetage du système des retraites par répartition. Cette réforme soulève l’indignation et la colère, d’autant qu’elle vient s’ajouter à tous les autres mauvais coups portés par le pouvoir, gouvernants et patrons : conditions de travail, chômage, salaires, inflation, répression... Elle vient percuter des infos montrant comment des banques et des industriels se gavent de millions, télescoper des mesures qu’étale avec morgue le gouvernement : annonce de 430 milliards d’euros d’argent public pour l’armée et la police, loi criminalisant les locataires ne pouvant pas payer et les squatteurs, attaques contre les chômeur·ses, obligation de travailler faite aux allocataires du RSA, mesures répressives à l’encontre des sans-papiers, construction de toujours plus de prisons, extension accélérée du nucléaire et des armements....
Ceci dans un contexte de précarisation, de fragilisation, de prolétarisation croissantes de franges de plus en plus importantes de la société.
Ces inégalités sont internationales : la mondialisation capitaliste entretient l’appauvrissement des pauvres et l’enrichissement des riches. Tant de profits, cela peut nuire semble-t-il, et l’appel de près de 200 millionnaires dans le monde (dont 2 français !), pour sauver ce qui peut l’être, est un fameux exemple. Les signataires, dénonçant « une richesse qui ne coule que vers le haut », demandent à ce que « les riches soient taxés » afin que la Démocratie soit sauvée et pour « rétablir la confiance » : « Montrez aux gens que vous méritez leur confiance […] Taxez-nous, les riches, et taxez-nous maintenant. » De fait, c’est bien la richesse qu’on doit faire disparaître comme le proclame ce slogan : "Eat the rich !" car ainsi disparaîtra la pauvreté.
Les mouvements sociaux de protestation ne sont pas animés, en général, par l’idée de « Révolution » ou d’une société radicalement autre, peut-être depuis 1968, et ce n’est pas par manque de conscience politique ou de volonté de changer tout. La plupart du temps, ils sont mis face aux conséquences d’une gestion capitaliste, à des luttes séparées, fragmentées, sans qu’il aient le temps d’analyser les causes profondes des phénomènes qu’ils combattent car ce sont l’État, le capitalisme qui fixent le calendrier. Les grèves, manifestations, … en permanence en réaction pour défendre des acquis ne sont pas en capacité d’anticiper, de proposer une autre organisation sociale et c’est à nous de le faire. L’État impose le terrain des luttes avec des crises programmées (chômage, trou de la Sécu, déficit de la SNCF, ... et actuellement réforme des retraites) mais le le lien entre toutes ces atteintes aux droits sociaux, c’est le travail, le sens du travail qui n’est jamais analysé ou questionné ni par les partis d’opposition ni par les syndicats. Pour que le travail prenne sens et fasse lien social, c’est toute la structure de la société qu’il faut changer de fond en comble.
Aujourd’hui, c’est un mouvement collectif offensif et s’inscrivant dans la durée qu’il faut construire et la confiance est à mettre dans notre force de résistance par l’unité à la base que nous soyons syndiqué·es ou non. La clé de la victoire tiendra dans notre capacité à entraver l’accumulation des profits et désorganiser le quotidien du capital. Par la grève la plus large possible, dans tous les secteurs, par l’arrêt de la production et le blocage de la circulation des marchandises, quelles qu’elles soient. Si l’épisode de la réforme des retraites n’est qu’un pas de plus dans l’offensive du capital, il peut devenir un premier pas dans la contre-offensive des exploité·es.
Mais qui peut prédire où se situe le point de bascule ? Quelle étincelle peut mettre le feu ? Le temps où, enfin, une majorité de personnes comprend qu’il y a plus à gagner dans la lutte que dans la résignation. Ne rien faire c’est faire fonctionner ce système infernal qu’est le capitalisme qui n’a pas de limite, même s’il va droit au mur : comme un bulldozer, il continuera sa route exploitant toujours plus les ressources quelles soient humaines ou terrestres.
Alors ladite réforme peut être le ferment qui soulève l’élan combatif nécessaire pour gagner face au pouvoir, car comme le craignent les riches dans leur appel : « ce sont les taxes ou les fourches ! »
OCL Sud-Ouest