EDITO mai 2023

"L’État est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement ; et voici le mensonge qui s’échappe de sa bouche : “Moi l’État, je suis le peuple.”
Friedrich Nietzsche

Cela a quelques chose de grisant de se retrouver en nombre dans les rues de Quimper, Brest ou ailleurs. Grisant car cela faisait bien longtemps qu’on espérait un mouvement social d’ampleur, avec son lot de retrouvailles, de rencontres humaines, d’apéros, de fêtes, mais aussi et surtout ces moments de discussions, de blocages, de débats et de solidarité. Un mouvement social, c’est aussi et surtout cela. Rompre l’isolement que le travail, le chômage ou les galères du quotidien crééent dans nos vies, pour se retrouver tous ensemble afin de faire retirer un projet de loi, mais plus globalement s’organiser collectivement pour voir comment nous pourrions entrer dans la maison capitaliste et y foutre le feu une bonne fois pour toute ! Dans le cadre de ce mouvement contre la retraite à 64 ans, nul ne sait quelle en sera l’issue. Peut-être est-il en phase déclinante. Espérons qu’on se trompe ! En effet, l’utilisation du 49.3 a réveillé une partie de la population encore peu encline à sortir dans la rue. Les manifestations menées par l’inter-syndicale ont enfin commencé à déborder. Une autre frange de la population, plus réformiste et comptant sur les « sages » retraités aux mains sales du conseil constitutionnel, sont aujourd’hui bien déçues en apprenant la validation de la loi par cette équipe de séniles. Même la plus haute sphère à la tête de l’état marcherait donc pour les capitalistes et le patronat ? Quelle surprise venant de défenseurs des institutions et membres de la classe dirigeante ! Cette nouvelle « déconvenue » ne laisse pas de marbre ces opposants réformistes qui ne prennent que rarement le pavé... mais les langues se délient et dans les discutions informelles qu’on peut avoir en parallèle des manifs, il n’est plus rare d’entendre « il faut passer à la vitesse supérieure », « peut-être que c’est avec violence qu’on gagnera ? », etc., etc. de la bouche de ceux qui encore hier critiquaient sans ménagement les débordements en parallèle des rassemblements. Alors oui, on ne gagnera pas un mouvement social avec 4-5 réformistes radicalisés, mais il faut reconnaître que dans cette époque post-covid très individualiste, cela nous redonne un brin d’espoir.

Ce brin d’espoir, nous l’avons aussi si nous regardons à l’échelle internationale. Focalisés que nous sommes sur la situation chez nous, un rapide coup d’œil ailleurs ne fait pas de mal pour constater que des mouvements populaires de la base existent aussi ailleurs. Comme par exemple, en Grèce, où, mi mars, une catastrophe ferroviaire faisant 57 morts entraîne, dans la surprise générale, une grève générale d’ampleur et très suivie, appelée conjointement par les organisations du public comme du privé. Le peuple tout entier réagit frontalement et rapidement à une catastrophe qui aurait pu être évitée si les coupes budgétaires, liées aux politiques d’austérités de ces dernières décennies n’avaient pas réduit la qualité du transport public grec à peau de chagrin !

On peut aussi prendre l’exemple bien différent du Soudan. Une guerre y débute à l’instant entre deux fractions militaires se réclamant le pouvoir ! Cette guerre a fait en quelques jours de nombreux dégâts et morts dans Khartoum ! La société civile soudanaise, au lieu de prendre parti pour l’une ou l’autre des armées, officialise instantanément qu’elle ne se reconnaît pas dans ce conflit de pouvoir et que « les forces en conflit ne représentent pas le peuple soudanais ». Les civils s’auto-organisent, malgré les nombreux morts, par le biais de comités de résistance créés lors du mouvement social populaire de ces dernières années. Des mois de contestations sociales leurs donnent pour le moment la force de résister collectivement à cette guerre qui n’est pas la leur. Vu le contexte localement cela fait tout de même plaisir !

De l’espoir il en faut aussi et massivement pour soutenir les blessés de la répression disproportionnée du 25 mars à Sainte-Soline dans les Deux Sèvre, comme celle qui touche plus ponctuellement le mouvement social. Des corps mutilés, des yeux crevés et des vies abîmées. De l’espoir surtout en voyant Mickael sortir de l’hosto toujours aussi déter, mais de la rage aussi, de savoir Serge, notre pote, toujours dans le coma après 1 mois d’hosto.

On se disait entre camarades il y a quelques semaines que nous étions pour une fois en situation de riposte face au capital, à nous maintenant de ne pas la rater !

Douarnenez le 21 avril 2023