CA 330 mai 2023
mercredi 17 mai 2023, par
Les frontières de l’Europe étant de plus en plus difficiles à traverser et la méditerranée étant un cimetière géant, les populations voulant rejoindre la France pour faire une demande d’asile utilisent de nouvelles voies d’accès. Depuis 2019, la Guyane Française est devenue une des portes d’entrées pour faire sa demande d’asile en France. Face à ce phénomène relativement récent, l’état débordé laisse la responsabilité de l’accueil aux autorités locales incompétentes, évidemment débordées elles aussi, qui avec des méthodes longuement testées et éprouvées à Calais ou en Grèce, cherchent a rendre invisible ces personnes, créer les « bons et mauvais » migrants, le tout dans une méconnaissance ahurissante du droit international sur les demandeurs d’asile... résultat les quelques associations humanitaires pansent les plaies tant bien que mal d’un phénomène qui ne s’arrêtera pas par des expulsions de squats ou de campement urbains... Une membre de l’association Upaya qui aide entre autres aux démarches administratives pour ces personnes nous explique un peu la situation sur place.
Historiquement en Guyane, les demandes d’asiles viennent principalement de ressortissants d’Amérique centrale, du Brésil, des Caraibes mais aussi de Chine, voulant s’installer sur place. Depuis plusieurs années, on observe l’arrivée de nationalités bien plus éloignées géographiquement, telle que des Syriens, des Yemenites et plus récemment des Afghans et Sahraouis. Vu de France hexagonale cela parait assez incongru. Peux tu nous décrire le parcours généralement utilisé par ces personnes pour arriver jusque Cayenne !
Si ce parcours semble en effet assez dingue et il faut se rendre compte qu’il est par ailleurs moins dangereux et plus facile que par voies terrestres ou maritimes pour rejoindre l’Europe. En effet, pour le cas des Syriens, c’est grâce aux visas humanitaires délivrés relativement facilement par le Brésil, qu’ils peuvent atteindre l’Amérique du sud en toute légalité. Il reste en suite à faire route vers le nord, passer le fleuve Oyapock ( fleuve frontière avec la Guyane) pour venir demander l’asile à l’état français.
Selon les nationalités il est plus ou moins difficile d’obtenir cette entrée au Brésil (certains passent d’abord par l’égypte, le maroc, la Turquie ..) , mais c’est bien ce pays, la porte d’entrée principale pour l’Europe via les continent sud américain.
Les autres nationalités n’ayant pas le droit au visa brésilien prennent des visas humanitaires venezueliens. D’autres encore, comme les yéménites par exemple, qui n’ont accès à aucun de ces visas doivent passer par l’Equateur (le seul pays d’amérique du sud ne demandant pas de visa) puis passer illégalement par le Pérou et le Brésil pour rejoindre la Guyane.
Au vue des frais engendrés par un tel voyage, on imagine que ces gens ne sont majoritairement pas des gens issu des classes populaires dans leurs pays ? Quelle est globalement la sociologie de ces personnes qui arrivent en Guyane ?
Le voyage est assez coûteux, mais si on compare aux autres alternatives via l’europe et les réseaux de passages illégaux, les frais engendrés par cette voie légale (ou quasi légale) restent bien inférieur au coût d’un passage terrestre des frontières européennes.
Il est évident que les classes les plus pauvres n’ont que très difficilement accès à ce genre de périple pour fuir leur pays que ça soit par le trajet classique via l’est de l’europe ou la méditerannée, comme par la Guyane. Nous rencontrons cependant des gens d’origines sociales assez variées. Beaucoup ont vendu tous leurs biens, emprunté de l’argent à la famille, au village et tentent le tout pour le tout pour pouvoir partir. Certains arrivent ici évidemment fauchés après ce périple. De nombreux étudiants également partent seuls pour éviter de se faire enrôler dans l’armée et espèrent pouvoir se faire rejoindre par leur familles une fois arrivés en France.
Évidemment le but final de ce voyage n’est pas de rester en Guyane. C’est juste une porte d’entrée pour demander l’asile en France et être transféré en France métropolitaine par la suite.
Quelle est la démarche classique en Guyane pour faire une demande d’asile ?
Une fois arrivées en Guyane, il faut que ces personnes se présentent au bureau de la croix rouge pour l’enregistrement de leur identité, puis l’OFII ( office français de l’immigration et de l’intégration), ainsi qu’à l’OFPRA pour demander le dossier de demande d’asile. Celui-ci entièrement rédigé en français doit être rempli dans la semaine puis redéposé à l’OFPRA. Il s’agit d’une démarche accélérée en Guyane qui ne laisse que peu de temps pour trouver un traducteur et remplir correctement ce dossier pourtant clef dans le cadre d’une demande d’asile. Les assos humanitaires sont donc constamment dans l’urgence... S’en suivra le parcours classique et un entretien pour exposer oralement les raisons de cette demande d’asile. La décision d’accorder ou non l’asile est alors rendue plusieurs mois après.
Comme en France metropolitaine, durant ce laps de temps le demandeur d’asile n’a pas d’autorisation de travailler. Son affiliation à la sécurité sociale n’est possible qu’après 3 mois sur le territoire, ce qui pose rapidement des problème de santé publique
L’OFII accorde l’ADA ( aide aux demandeurs d’asile), un petit solde utilisable par carte. Malgré le fait que « le cout de la vie » est beaucoup plus élevé en Guyane qu’en métropole, ce solde est inférieur en Guyane. Compter environ 140 € par mois par personne. Ce solde est revu à la baisse si la personne obtient un hébergement.
Si l’asile est accordé, l’attente pour avoir un passeport peut prendre parfois 6 à 8 mois voire plus, durant lesquels le réfugié doit trouver une adresse pour pouvoir ouvrir comptes bancaires, compte CAF, etc etc. Une fois le passeport reçu, les réfugiés peuvent enfin prendre l’avion et se rendre en métropole où ils recommenceront les démarches administratives classiques pour leur intégration dans le système français
Si l’asile est refusé, faire appel en recours à la CNDA est possible. Les recours peuvent prendre parfois 1 an ou plus avant d’être traités, comme en métropole.
Arrivés en Guyane, comment sont ils accueillis ?
L’arrivée en Guyane est évidemment difficile. Certains la décrive comme la pire des étapes de leur périple.
En Guyane, pas de CADA (centre d’accueil de demandeurs d’asile) et la Croix Rouge, qui gère les manquements de l’état en la matière n’a que très peu de logements d’urgence. Les nouveaux arrivants se retrouvent donc à dormir dans les rues de Cayenne, seule ville de Guyane où ils pourront faire leurs démarches de demande d’asile. La préfecture, l’OFII et l’OFPRA n’ont pas de points relais dans d’autres villes de Guyane. Certains y passent plusieurs mois avant de trouver des solutions d’hébergement. On y trouve des familles entières, personnes âgées, femmes et enfants. Si les personnes les plus sensibles se voient proposer des hébergements en hôtel après quelques jours ou semaines, les hommes seuls, non prioritaires, n’ont aucun espoir de se voir proposer un hébergement .
Comment sont ils perçus par la majorité de la population cayennaise, population elle meme extrêmement cosmopolite ?
Lors des débuts de grosses vagues migratoire (principalement des syriens et palestiniens) en 2019, ceux-ci étaient regroupés sur une place (la place des amandiers) et un gros mouvement citoyen spontané est né. Des personnes se relayaient pour venir aider, discuter, apporter à manger etc etc …
Puis on a commencé à voir apparaître des oppositions, avec l’habituel discourt de la peur de l’étranger, bien entretenu par les sorties médiatiques de la maire de Cayenne.
De grosses tensions sont nées et sont arrivées jusqu’à des menaces très virulentes envers ces populations. Ont alors commencé à fleurir les interdictions de camper, les arrêtés municipaux en tout genre pour interdire à ces personnes de vivre dans la rue... et avec tout cela les vagues de discours haine et de rejet.
Les cayennais sont aujourd’hui très clivés sur le sujet.
La municipalité et le conseil territoriale ne semble pas très sensible de cette nouvelle vague migratoire ? La maire de Cayenne semble d’ailleurs en roue libre dans la presse locale au sujet de ces demandeurs d’asile ?
En effet la maire de Cayenne se bat activement contre la présence de ces « illégaux » dans sa ville.
Le discours habituel en métropole est repris à la sauce guyanaise : « la guyane est une terre d’accueil mais nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Elle répète cette phrase très régulièrement dans ses différents communiqués dans lesquels elle s’offusque de ce que ces illégaux hantent et salissent les trottoirs de sa ville.
La volonté n’est clairement pas de les accompagner mais plutôt de les invisibiliser, les criminaliser et de faire en sorte de rendre les conditions de vie de pire en pire pour éviter « un appel d’air ». Des négociations avec le Brésil sont en cours pour demander de limiter la délivrance des visas humanitaires pour ces migrants au Brésil afin qu’ils ne finissent pas en Guyane.
Des évacuations des rues « souillées » (pour reprendre les mots des autorités locales) de la ville sont organisées régulièrement et les forces de l’ordre viennent enlever les bâches, jettent les matelas, protections et parfois les effets personnels des exilés aux ordures. Les techniques utilisées à Calais et Paris depuis plusieurs décennies servent d’exemple à la maire de Cayenne. Des PV sont même distribués pour « occupation non conforme à l’arrêté d’autorisation portant atteinte à la libre circulation sur la voie publique »
Face à ces conditions d’accueil exécrables, y a t il eu des soulèvements au sain de ces populations ? De quel type ? Des actions coup de poing pour visibiliser leurs situation ?
Quelques tentatives de « soulèvement » ont été initiées par des groupes vivant dans la rue, manifestant devant la préfecture pour demander un accueil digne et une mise à l’abri. Ces actions ont généralement fait grand scandale , relayées par la presse et les réseaux sociaux par des vidéos sous lesquelles les commentaires haineux fusaient.
Beaucoup considèrent que la Guyane a déjà bien trop de problèmes à gérer et que ces gens venus d’ailleurs n’ont pas à être traités avant les problèmes Guyanais.
Par ailleurs on observe certaines actions solidaires, d’aide alimentaire, d’hébergements, d’aide vestimentaires faites de manière spontanée par des citoyens.
Les volontés actuelles sont surtout d’éloigner le plus possible ces populations, de les sortir de Cayenne et son centre ville.
Le problème de l’absence du CADA est essentiel dans toute cette problématique. Et si on est bien conscient que le CADA est rarement un endroit très agréable, il fait extrêmement défaut en Guyane et ferait presque office de palace en comparaison à la situation actuelle on l’on voit des personnes vivant sous la pluie sans aucun accès à l’eau potable ou sanitaires.
Les dépenses faites pour la location d’appartement et de chambre d’hôtel depuis des années dépassent de loin le montant de construction d’un CADA ce qui semble être un non-sens total.
Valentine, interviewée par Arturo