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CA 330 mai 2023

Le marquage chimique – PMC

vendredi 12 mai 2023, par Courant Alternatif

Les produits marquant codés (PMC) ont été commercialisés en Angleterre dès 2003. Ils sont majoritairement utilisés pour marquer des objets ou des individus, dans l’espoir de pouvoir dire d’où provient tel objet et où telle personne a été aspergée. En France, leur utilisation par la police dans les manifestations est toute nouvelle, même si elle avait été annoncée par Édouard Philippe après l’Acte XVIII des gilets jaunes (GJ), le 16 mars 2019.


{{Un marqueur discret, unique et durable

Il se présente sous la forme d’un liquide inodore et invisible à l’œil nu qui révèle sa présence sous une lumière ultraviolette (UV, dite aussi lumière noire). Il est unique, c’est-à-dire qu’après analyse on sait qui vient d’où. Le site de la Gendarmerie nationale nous explique qu’il y a trois types des marqueurs différents : les marqueurs minéraux (une combinaison d’éléments chimiques), les biologiques (une combinaison de nucléotides formant un ADN synthétique) et les physiques (des microparticules métalliques sur lesquelles est gravé un code). À chaque technique sa méthode de détection : de la plus simple, le marqueur chimique qu’on lit avec un simple microscope numérique, à la plus complexe, qui nécessite un microscope électronique à balayage ou des techniques de séquençage de génome/génotypage. Dans tous les cas, le marquage est unique et on sait retrouver distinctement l’origine de chaque trace relevée.

Les vendeurs nous l’assurent : une fois sur la peau, ce marqueur tient six à huit semaines, le temps que celle-ci se renouvelle. Sur les cheveux, six mois ; et sur les habits… à vie. Te voilà fleur-de-lysé ad vitam aeternam K-Way Quechua noir, il ne te reste plus comme avenir que la poubelle, le feu ou Emmaüs !

Le marqueur peut être déposé sur des objets précieux à l’aide d’un genre de feutre, pulvérisé par un petit boîtier télécommandé ou à déclenchement automatique (dans un local de banque ou à la sortie d’un magasin), et il y a même un pulvérisateur au format « bombe au poivre », que tout une chacune se doit de garder dans son sac à main. Et pour finir on le vend à projeter avec un fusil type paintball, voire additionné à l’eau d’un canon à eau. Pour rappel, l’usage du marqueur dans le canon à eau est la déclinaison de la peinture bleue (du bleu de méthylène) déjà utilisée à Hong Kong en 2019 et lors de l’Acte XXIII des GJ (20 avril 2019). Une déclinaison encore plus surprenante étant l’usage nauséabond, au sens littéral, de restes d’animaux (os, sang séché et poudre de sabot) en additifs à l’eau, lors de la manifestation du 1er Mai 2018 à Paris (1)… Le véganisme a échoué.

{{Usage commercial

Les argousins ne sont pas les seuls à faire joujou avec les marqueurs chimiques, en fait ils suivent une mode que le privé a initiée. Nous avons écrit dans le chapeau de ce texte qu’en Angleterre ces marqueurs sont vendus depuis 2003. On retrouve le produit sous la marque SmartWater ; et son commercial français nous l’affirme, grâce à son produit, « des quartiers en Angleterre ont vu le nombre de cambriolages baisser de 100 % (2) », rien de moins ! On se croirait revenu aux grandes heures de la vidéosurveillance, qui annonçait des résultats à peu près semblables pour justifier à la fois le coût des caméras et leur implantation dans tous les lieux publics.

M. Tout-le-Monde peut acheter un kit contenant un stylo marqueur et un autocollant. C’est avec ces arguments et la complicité coupable de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône que la mairie d’Aubagne a commandité la distribution de 700 de ces kits en 2015. À 90 euros le kit, le maire UMP nous affirmait que la facture s’élevait à quelques milliers d’euros et que ce kit aurait un effet dissuasif fort. Dommage qu’il n’ait pas inclus une calculatrice, car d’aucuns auront multiplié 90 par 700 et auront trouvé un total de 63 000 euros, ce qui fait un peu plus que « quelques milliers d’euros ». On revient là au cœur du sujet de l’insécurité domestique : un business rentable. En 2014, la pose du produit à la galerie commerciale du Grand Littoral à Marseille n’a coûté que la bagatelle de 100 000 euros.

Et le vendeur de nous gratifier de vidéos promotionnelles de femmes seules se faisant aborder par des hommes encapuchonnés dans la nuit, mais qui, en les repoussant heureusement grâce à ce spray, pouvaient rentrer chez elles ou aller en boîte de nuit en toute sécurité. Bref, la rhétorique à la Alain Bauer est connue : « Vous – surtout les femmes et les commerçants – êtes en insécurité car, par chance, un produit – coûteux mais hyper efficace – existe pour vous. »

{{Leur nouveau joujou

Si la première utilisation du produit date de 2019 lors des manifestations GJ, ce n’est que deux ans plus tard que l’on a vu des gendarmes le tirer au fusil de paintball. Ces fusils étaient jaune fluo, la marque d’un usage encore expérimental (3). À Sainte-Soline, cette fois, c’est l’inauguration en grande pompe ; les contrôles de gendarmes ont été massifs à la fin de la manifestation, et surtout ces gendarmes ont fait un grand usage de lampes UV pour détecter la présence du produit, cela signifiant qu’il y avait des consignes quant à la recherche de ces fameux PMC. Pour autant, seules deux personnes ont été contrôlées positives (4)… et donc placées en garde à vue. Pour l’une d’elles, un journaliste indépendant, une trace a été révélée sur sa main. Pour l’autre, un manifestant, ils ont trouvé une petite tache « entre le pouce et l’index », déposée semble-t-il par transfert. Bref, C. Rodriguez, directeur général de la Gendarmerie nationale, l’annonçait à une commission d’enquête : « Dans une manifestation, une personne peut avoir été marquée par l’ADN chimique [comme précisé ci-dessus, les marqueurs peuvent être de l’ADN de synthèse] sans que l’on n’ait rien à lui reprocher. En effet, participer à une manifestation n’est pas illégal, c’est une liberté fondamentale (5). » Un gendarme mobile a résumé ainsi la situation au manifestant arrêté : « Vous allez voir, c’est leur nouveau joujou, ils ne vont pas vous lâcher. »

Comme c’est désormais la tradition avec les nouveaux joujoux, ils sont utilisés hors cadre légal, et, pour le droit, on verra après. Avec l’augmentation délirantes des budgets pour les flics, les matons et les militaires, ça promet beaucoup d’expérimentations de ce type dans les temps à venir !

Des participants du 25 mars 2023
et des membres du mouvement antibassines

Notes
(1) https://www.francetvinfo.fr/decouve...

(2) https://www.tf1info.fr/france/ladn-...

(3) https://desarmons.net/2022/11/15/pr...

(4) https://www.mediapart.fr/journal/fr...

(5) https://reporterre.net/Sainte-Solin...

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