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LGV Pays Basque : Le refus incontournable d’une opposition populaire

mardi 9 mars 2010, par Courant Alternatif

L’Etat, Réseau Ferré de France et certains grands élus veulent imposer la construction de deux nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse : Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne, composantes, avec les lignes Tours-Bordeaux et Poitiers-Limoges, de l’ensemble baptisé LGV Sud Europe Atlantique (SEA) (cf. encart).
Si, au Pays Basque sud, les opposants au TGV cherchent un second souffle alors que les travaux sont engagés et que la répression se fait féroce, la mobilisation au Pays Basque nord contre la création d’une nouvelle ligne à grande vitesse prend un réel essor et cherche à créer des liens avec toutes les résistances européennes.


Le coût des trois liaisons Sud-Europe-Atlantique (SEA) en territoire hexagonal est estimé, aujourd’hui, à 20 milliards d’euros.
Le combat contre la création d’une nouvelle ligne LGV et pour l’entretien et l’optimisation des voies existantes ne date pas d’hier au Pays Basque. Dès 1992, un projet de tracé de nouvelle ligne à grande vitesse était dévoilé au Pays Basque nord, entraînant une opposition et des mobilisations alors assez faibles, mais amenant les anti-LGV du Pays Basque nord à engager des liens avec les anti-TGV du sud, impliqués dans une lutte anticapitaliste et antidéveloppementaliste contre toute implantation de voie à grande vitesse.
Puis, pendant quelques années, le projet de ligne à grande vitesse a été mis sous le coude au Pays Basque nord, alors qu’il avançait à grands pas au sud. Les opposants, organisés dans le Collectif des associations de défense de l’environnement (CADE), ne sont pas restés en sommeil. Sachant que le projet allait réapparaître, ils ont profité de quelques années de répit pour fourbir leurs armes informatives et argumentatives. Au début des années 2000, le projet a en effet resurgi et le CADE a réanimé le combat.

 Une opposition amplifiée

Au départ, seule une poignée de riverains, plutôt peu combatifs, s’était organisée dans le CADE. Mais depuis quelque temps, l’opposition s’est nettement amplifiée. Comment l’expliquer ?
Un des axes du CADE a été de dénoncer les manipulations, les mensonges et l’arrogance des partisans du projet ainsi que de Réseau Ferré de France (RFF) : alors que RFF s’appuie sur une estimation du trafic décuplée pour tenter de justifier une LGV, le CADE démontre, avec chiffres à l’appui, que la voie existante, sous-employée, suffit amplement à assurer le trafic de fret et de voyageurs pour les 50 prochaines années. Il sollicite un organisme d’expertise suisse indépendant, qui lui donne raison ; ainsi, les petits, les non experts, montrent qu’ils sont capables d’effectuer un diagnostic correct, face à l’énorme machine des politiques et des technocrates. Les élus se sentent alors trahis par RFF à qui ils avaient fait confiance, et l’annonce de l’énorme facture que les collectivités locales auraient à payer ainsi que la perte importante de leurs terrains ont provoqué leurs doutes et leurs inquiétudes. Aussi 29 maires de petites communes touchées par le projet ont-ils sollicité à leur tour une autre étude indépendante, qui confirme l’analyse du CADE et fait basculer ces élus dans le rejet du projet. L’intention affichée par les promoteurs de la LGV -chefs d’Etats, présidents de régions, élus des grosses villes- de l’imposer au mépris de l’avis des élus et des populations a fini par convaincre les indécis.
Mais le CADE ne se cantonne pas à une bataille technique de chiffres avec RFF. Il organise une série innombrable de réunions publiques dans les localités du Labourd (province côtière du Pays basque), débouchant sur la constitution de nouveaux collectifs locaux fédérés dans le CADE.
Ainsi, l’opposition s’est-elle notablement étendue et accrue au Pays Basque nord, au fil des années, réussissant à mobiliser le 17 octobre 2009 12 000 manifestants à Bayonne à l’appel des élus, et le 23 janvier 2010, 20 000 de Hendaye à Irun, à l’appel conjoint du CADE et de AHT Gelditu ! Elkarlana (Pays Basque sud) sur le thème « Non aux LGV, Assez de projets destructeurs ».

Une opposition plus politisée

Alors que, au tout début de la lutte, c’étaient essentiellement les riverains directement touchés par un éventuel chantier qui bougeaient, dorénavant la mobilisation exprime une réelle prise de conscience des enjeux écologiques et sociaux d’un type de développement destructeur. Les nombreuses banderoles « LGV, ni ici, ni ailleurs » dans la manifestation témoignent d’un éloignement clair et net du syndrome du nymbisme (« pas dans mon jardin »). Les projets pharaoniques abondent au Pays Basque et en Aquitaine (agrandissement de l’aéroport de Fontarrabie, extension du port de Bayonne, super-port de Pasajes, élargissement des autoroutes A8 et A63, construction de l’autoroute Pau-Langon...). Dans ce contexte, amplifié par une extrême sensibilité des habitants du Pays Basque à tout ce qui peut porter atteinte à leur territoire, la création d’une nouvelle ligne LGV apparaît comme une agression et un gâchis insupportables non seulement aux habitants des communes touchées (1300 maisons menacées ainsi que des zones d’activité économique) mais encore à tous ceux et celles qui refusent une politique de grands chantiers inutiles et coûteux, alimentés par l’argent public au détriment des besoins sociaux réels des populations, réalisés pour les plus gros profits des lobbies du BTP. La LGV est refusée en tant que projet destructeur de l’environnement, de la vie sociale et économique, de la terre (perte de 9ha/km), de la petite agriculture... (77 tracteurs ouvraient la manifestation de Hendaye-Irun, pour rappeler qu’une trentaine d’exploitations agricoles seraient détruites, 700 ha de prairies et de champs).
C’est une conception inacceptable du « développement », du « progrès » , « de la modernité » (« Ils prétendent faire notre bonheur malgré nous. Ils nous prennent pour des crétins ») qui est dénoncée, ainsi que l’insulte permanente à la démocratie de la part des promoteurs du projet, une démocratie instrumentalisée au service des lobbies soutenus par les Etats.
Si la lutte a pris de l’ampleur et s’est rapidement politisée, c’est aussi parce qu’elle s’inscrit dans un contexte riche de résistances dans de nombreux domaines (luttes agricoles, culturelles, médias alternatifs, réseau associatif dense) ; parce qu’elle bénéficie aussi des expériences récentes ou actuelles de conflits marquants liés au refus de grands chantiers (centrales nucléaires, autoroutes, 2x2 voies, barrages...), soit au Pays Basque, soit ailleurs.

Des actions avec d'autres forces sur le terrain social et sur celui des transports

Si des paysans sont partie prenante de la lutte contre la LGV, avec le syndicat ELB (Confédération paysanne) des salariés de la SNCF et des usagers des transports le sont aussi et mènent des actions avec le CADE, que ce soit le syndicat abertzale LAB (pour l’aménagement de la ligne intérieure « secondaire » Bayonne-Saint Jean Pied-de-Port ; pour une réflexion sur les transports en Pays Basque), le collectif Oldartu et l’association Bizi (pour des transports collectifs urbains gratuits et pour le développement de transports collectifs entre villes et bourgs), le syndicat local de la CGT-cheminots (contre la suppression de postes à la SNCF)...
Les contradictions des discours des décideurs sautent aux yeux de tous : l’Etat parle de développer le fret ferroviaire sur la LGV alors que des milliers de postes (3500 sur 12000) sont menacés dans la SNCF en France, et qu’une soixantaine de postes de cheminots au Pays Basque sont « redéployés » ou en voie de redéploiement d’ici juin. De plus, l’autoroute Bayonne-Hendaye est en chantier pour une mise à 3x3 voies pour le plus grand bonheur des transporteurs routiers. L’Etat parle de LGV pour les voyageurs alors que des lignes de proximité, en particulier d’ouest en est, sont en piètre état ou laissées à l’abandon (TER insuffisants, retard des trains, pannes sur la ligne Bayonne-Pau-Tarbes)...
Le combat contre la LGV est donc également un combat pour un drainage de proximité du territoire par le train et pour faire du transport ferroviaire un véritable service public. Il s’accompagne aussi d’une réflexion sur les aberrations destructrices d’un mode de production et de consommation qui amène à importer des marchandises soit inutiles et dangereuses, donc à éliminer à la source, soit qui pourraient être produites sur place.

 Une opposition anti-LGV qui se structure au niveau européen

La réunion organisée à Hendaye par le CADE et AHT Gelditu ! Elkarlana, au matin de la manifestation du 23 janvier, a vu se succéder un nombre important d’intervenant-es représentant les luttes contre les projets de LGV en Europe : collectifs de Bretagne, du Poitou, du Limousin, de nombreux départements d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, des Alpes, de Bresse, de Rhône-Alpes ; des associations des Asturies, de l’Andalousie ; le collectif italien No TAV contre la ligne Lyon-Turin (40 000 opposants manifestaient dans le Val Susa, ce même jour). Tous-toutes faisaient valoir des problématiques semblables : la propension des promoteurs à faire des estimations de coûts sous-évalués et des projections de trafics surestimés ; le levier et/ou le piège des débats publics ; l’étincelle mobilisatrice de la mise au jour de projets gardés secrets  ; les fluctuations de l’implication des élus ; l’importance du facteur temps…
Une charte commune, signée de nombreux collectifs et associations (cf. sur le site ), a donné naissance à un réseau européen contre toute nouvelle construction de ligne et qui ambitionne d’interpeller la commission Européenne et le parlement Européen « pour l’ouverture d’une réflexion sur l’absurdité et la non-nécessité des grandes infrastructures et une révision profonde de la stratégie de l’UE relative aux transports européens ».

L'après-manifestation

Après la manifestation du 23 janvier, les partisans de la LGV, à défaut d’arguments, tentent une stratégie de division en cherchant à monter les riverains de la voie actuelle contre les opposants à la LGV. Tentative qui avorte, puisque ces derniers revendiquent que l’argent public soit dépensé justement pour la protection des riverains contre les nuisances des voies actuelles, et pas pour construire une infrastructure réservée à une élite de voyageurs pressés et qui produirait d’autres riverains victimes.
Autre carte tentée : la nomination d’un médiateur, réclamée par les élus anti-LGV. Le premier ministre a fini par nommer une médiatrice, le 1° février. Mais sa mission est exclusivement limitée « à la recherche de la meilleure insertion possible de la nouvelle ligne à grande vitesse en Pays Basque », écartant d’emblée l’option « voies existantes » soutenue par les opposants à la LGV. Le CADE a accepté de rencontrer cette médiatrice, par « politesse » et sans rien attendre (l’intitulé de sa mission signifie que « l’Etat fait un bras d’honneur aux associations et aux revendications de la population »), et il est clair que cette « médiation somnifère passagère » est un non dialogue, une tactique bien connue pour tenter d’anesthésier les opposants et de désamorcer la contestation.
Pendant ce temps, la mobilisation continue de s’étendre. Des associations se sont récemment créées dans les Landes, d’autres le seront prochainement ou sont en gestation. Elles se sont coordonnées, en lien avec le CADE. Il est prévu de renforcer les liens entre les sites en lutte. Ainsi le CADE appelle-t-il à manifester à Nérac, le 6 mars, aux côtés des opposants du Lot et Garonne. Chacune des avancées obtenues par l’opposition au TGV à un endroit et à un autre renforce la lutte de tous.

La LGV, enjeu électoral

Un des axes de l’action du CADE est la mise en place de référendums locaux sur la LGV. Selon le Collectif, ces consultations ont le mérite, en offrant un cadre qui permet l’expression de la volonté populaire, de « démocratiser la démocratie », de montrer que le peuple est souverain et détient le pouvoir collectivement ; elles permettent aussi d’impliquer et de souder les habitants d’une commune, de faire fortement pression sur les élus, de témoigner de l’ampleur du refus. Le succès de ces référendums symbolise l’exigence qu’ont les habitants de pouvoir décider de toutes les infrastructures et de tous les projets qui conditionnent totalement présent et l’avenir de chacun-e.

Lors des référendums précédemment organisés par les collectifs d’opposants à la LGV, dans cinq communes du Labourd, parallèlement aux élections municipales et cantonales, 91,34% du total des votants ont dit non à une nouvelle LGV. Le 14 mars, à l’occasion des élections régionales, de tels référendums se feront dans 8 autres communes du Pays Basque et dans une commune du sud-Landes [1].

Un autre axe de circonstance est de faire que la LGV s’invite comme un thème majeur et incontournable lors des élections régionales de mars, alors que le mouvement anti-TGV a produit des craquements dans toutes les lignes politiques : retournements spectaculaires de vestes à l’UMP, positions pro-LGV identiques de l’UMP, du PS et du FN ; conflits entre Verts et PS, alliés à la Région ; clivages au sein de plusieurs partis. Le CADE appelle à n’accorder aucune voix aux listes des politiques qui soutiennent le projet de la LGV, au premier rang desquels, les listes UMP et PS, locomotives du projet, et la liste du Front national, wagon d’appoint sur ce dossier. Quant aux listes du Front de gauche et du Modem, elles affichent chacune quelques personnalités pro-LGV qu’il s’agira de rayer, ce qui rendra nul le bulletin de vote. Le PNB (Parti nationaliste basque), discret sur la LGV au Pays Basque nord, la soutient en revanche sans réserve au sud ; Lutte Ouvrière juge le problème LGV « secondaire », donc pas une voix ni pour le PNB, ni pour LO. Seules les listes AEI (Alliance écologiste indépendante), Europe Ecologie, EHBai (abertzale de gauche) et NPA se sont opposés à la LGV. Ces consignes pour le premier tour des élections n’influenceront pas fondamentalement les rapports de force politiques ni n’empêcheront les magouillages au second tour, mais elles montrent symboliquement qu’il ne faut pas craindre de stigmatiser les personnages publics et de prendre les élus pour cible.
Depuis le début et jusqu’à aujourd’hui, la lutte contre la LGV au Pays basque nord se mène dans le respect de la légalité, en utilisant, avec habileté et efficacité, les ficelles existant sur ce terrain : participation au débat public, consultations populaires, manifestations, intervention sur le terrain des élections..., l’objectif premier étant d’informer, d’élargir et de renforcer la mobilisation et l’action collective. Le combat s’inscrit dans la durée et les opposants sont loin d’être naïfs. Ils savent ce que valent l’engagement et la parole des élus, surtout en période électorale. Ils savent aussi que la raison d’Etat l’emporte en matière de grands chantiers, qui plus est transfrontaliers, et que les gouvernements partagent la même volonté de les imposer coûte que coûte. Ils savent la répression féroce subie par les opposants à la LGV au Pays Basque sud et dans la Vallée de Susa. Sans doute les formes de lutte seront-elles amenées, ici aussi, à évoluer et à se radicaliser. Un responsable du CADE a déclaré le jour de la manifestation à Hendaye : « Au Pays Basque, à Toulouse, à Bordeaux, en Italie et en Espagne, il y a le feu partout parce que l’on nous a piétinés ! Une simple étincelle peut mettre le feu à la plaine et ces incendiaires jouent encore avec des allumettes ? Chiche !".
Pays Basque, le 20 février 2010

Sites :

www.voiesnouvellestgv.webou.net
www.ace.hendaye.overblog.fr
www.sindominio.net.ahtez
www.ahtgelditu.org

Notes

[1Le Maire d’Aramaio, en Alava (province du Pays Basque sud) devra passer en jugement (le procès, initialement prévu le 10 février, a été reporté), accusé de prévarication et de désobéissance pour avoir organisé, à la demande des habitants, en 2007, au sein de sa commune, une consultation populaire sur la construction de la LGV. Avec un taux de participation de 54 %, la population s’est prononcée à 97% contre la LGV.

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