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CA 327 Février 2023

Notes sur l’Iran : les années 1978-79

mercredi 15 février 2023, par Courant Alternatif

Dans le numéro de Décembre, en revenant sur les prémisses de la révolution iranienne de 1979, nous avons laissé le cours du récit suspendu à la veille de l’année 1978. L’article se terminait sur le contexte de crise et les années chaudes de la décennie 1970. Nous rentrerons ici dans le vif du sujet de la dite révolution, toujours en nous appuyant largement sur le livre de Tristan Leoni.


*** Montée en puissance de la contestation et encadrement religieux

Janvier 1978. Alors que les photos du chah réveillonnant au champagne avec le président américain Carter s’étalent dans la presse, le régime se permet de calomnier Khomeyni, un ayatollah tout de même… Ce sont les gouttes d’eau qui ouvrent un nouveau cycle de manifestations, d’émeutes et de grèves, le tout au rythme du calendrier rituel de deuil chiite. Il faut dire que sous la dictature du chah, il n’y a guère que les mosquées et les cimetières pour offrir des lieux de réunion et d’expression. Les partis ou syndicats d’opposition étant étouffés, c’est avec la temporalité religieuse que se coordonnent les rassemblements.

Depuis la banlieue parisienne, l’exilé Khomeyni, assisté de son entourage et des moyens technologiques modernes, met en place une véritable machine de propagande. Stratège, restant discret sur son projet de gouvernement des clercs et recyclant les écrits d’autres intellectuels, il s’impose progressivement comme figure de proue du mouvement de contestation. Après les émeutes de l’été, il demande l’abolition de la monarchie et la création d’une république islamique. Ses adversaires de tous bords minimisent le danger, ne l’imaginant pas sérieusement conquérir et conserver le pouvoir.

*** Situation pré-insurrectionnelle et luttes d’influence

Dans la monarchie, ni la répression ni les concessions ne parviennent à rétablir l’ordre. Alors qu’un pic de mobilisation est atteint début septembre, le chah décrète la loi martiale et instaure un couvre feu. Cela n’arrête pas la protestation du huit, nommé vendredi noir en raison du massacre commis par l’armée. Les morts deviennent des martyrs, la contestation se poursuit. Confrontés au foisonnement des initiatives, les partis d’opposition, le Front National (FN), nationaliste et le Mouvement pour la liberté de l’Iran (MLI), une scission plus religieuse, tentent de reprendre la main. Le clergé fait valoir son assise et de ses ressources. Il organise notamment le soutien aux familles des martyrs et aux ouvriers en lutte, en acceptant que leurs soient directement versées les contributions des fidèles. Autour des mosquées, des comités organisent le service d’ordre des manifestations et l’assistance médicale aux blessés. Mais quelle que soit leur provenance, les tentatives d’encadrement et les appels au calme sont en permanence dépassés. Aux défilés ordonnés succèdent des cortèges incendiaires comme ceux du 4 puis du 5 novembre. Mollahs et politiciens dénoncent les provocateurs à la solde du régime.

Pendant ce temps, en cette fin d’année, on se dirige vers la grève généralisée. L’arrêt du secteur pétrolier coûte cher à l’État. Le gouvernement y concentre ses efforts pour obtenir la reprise, tandis que les khomeynistes cherchent à prendre le contrôle des comités de grève, non sans déclencher de protestations. Alors que les revendications concernaient jusqu’à lors les conditions de travail et les salaires, elles se font également politiques tandis que le mouvement de grève se rattache au mouvement général, mais également toujours plus exigeantes.

Tout en déployant l’armée dans les rues et les entreprises, le gouvernement s’ingénie à déployer des mesures ciblées pour chaque pan de l’opposition. Rien n’y fait, et fin décembre, trois jours d’émeutes débouchent sur des manifestations quotidiennes, sur fond de pénuries, d’attentats, de mutineries et de paralysie économique. Alors qu’une partie de sa famille, de ses partisans et de nombreux étrangers fuient le pays, le chah charge Chapour Bakhtiar, opposant nationaliste (FN), de former un nouveau gouvernement. En ce début janvier 1979, celui ci amorce un programme de libéralisation. En réaction, le FN exclut son ancien leader et organise de nouveaux défilés, en concurrence avec Khomeyni, qui de son côté met sur pied un Conseil de la révolution et un Conseil de régence. Les militants de chaque tendance s’affrontent. Les soutiens à Khomeyni se comptent également chez les protestataires proches de l’extrême gauche, notamment des Fedayines du peuple. Au sommet de sa popularité, le leader religieux refuse les propositions de négociation du premier ministre Bakthiar. Ses partisans obtiennent son rapatriement, donnant lieu à une euphorie aux penchants millénaristes. L’ayatollah installe ses quartiers non loin du parlement et planche sur un nouveau gouvernement, tandis qu’une queue de dignitaires se presse pour lui prêter allégeance. Bazargan, leader du MLI reçoit de sa part mission de former un gouvernement provisoire, première étape vers une république islamique.

*** Insurrection, transition et retour à l’ordre

Mais alors que la victoire des opposants au chah semblait acquise, le 9 février, une rixe entre officiers à propos de Khomeyni fait craindre un retour en arrière. L’affrontement s’étend à tout le quartier et se mue en soulèvement. Les casernes, commissariats et manufactures d’armes sont pillées, des prisons sont assiégées et leurs prisonniers libérés. Une partie de l’armée demeure passive ou déserte. Les uns après les autres, les lieux de pouvoir sont pris d’assaut avec succès, de même que la radio et la télévision. Après avoir encouragé à braver le couvre feu, Khomeyni est ignoré dans ses rappels à l’ordre. L’insurrection de février ne cessera qu’une fois arrivée à court de cibles. Toutefois, à haut niveau, la passation entre Bakhtiar et Bazargan était prête et se fait sans vacance du pouvoir.

Alors que le gouvernement provisoire de Bazargan se restructure, l’instabilité règne encore. Les attaques contre les lieux de pouvoir se poursuivent, des centaines de comités de quartiers se sont créés, prolongement des comités ou conseils de grève de 1978, pour permettre à leurs participants de s’informer et de s’organiser. Les islamistes mobilisent les réseaux des mosquées pour se faire les relais du nouveau pouvoir, remplaçant la police et organisant la récupération des armes. Alors que les vengeances incontrôlées menacent l’ordre public, des tribunaux révolutionnaires se chargent d’orchestrer une justice spectaculaire. L’ancienne élite est largement reconduite à ses fonctions étatiques. Face à l’opposition qui entend s’opposer à la naissance d’une nouvelle dictature, Khomeyni fonde en mai le corps des Gardiens de la révolution. Dans la foulée, il censure la presse, fait pourchasser les militants, interdit toute manifestation ainsi que plusieurs organisations adverses. Les grévistes sont comptés parmi les traîtres.

Les efforts du gouvernement se heurtent néanmoins à une vague printanière de grève et de manifestations, à laquelle se joint un important mouvement des chômeurs. Mais à force de concessions et d’intimidations, de nationalisations et de reconquête des postes clés dans les entreprises, l’État remet l’économie en marche forcée. Bien opportunément, les partenariats commerciaux reprennent avec les puissances honnies de l’Occident. Un des régimes les plus brutaux au monde consolide son assise, il faudra attendre dix ans pour de nouveaux changements politiques, et plus de quarante pour de plus profonds soubresauts.

paul

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