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CA 328 mars 2023

Brèves de l’éco 328

jeudi 23 mars 2023, par Courant Alternatif


*** Combien de sans domicile en France ?

La fondation Abbé Pierre a publié son 27ème rapport annuel sur le mal logement, ce qui a (brièvement et légèrement) focalisé l’attention sur le sujet. Notamment l’annonce selon laquelle il y aurait 300 000 personnes sans domicile.

En fait, on ne sait pas combien il y a de sans domicile en France.

On ne le sait tellement pas que des communes, notamment Paris, ont appuyé une « nuit de la solidarité » annuelle le 26 janvier pendant laquelle des bénévoles arpentent les rues pour compter les sans abris. Est-ce un chiffre fiable ? Évidemment non. Il dépend d’abord du nombre de bénévoles, ensuite de la pertinence des quartiers choisis (les maraudes ne vont généralement pas dans les endroits les plus dangereux et/ou les plus éloignés comme les talus des périphériques par exemple), et enfin du sérieux du comptage, qui ne l’est forcément pas. Vous êtes bénévole, vous maraudez, vous tombez sur un sdf qui a visiblement besoin urgemment d’un médecin. Vous l’aidez ou vous continuez votre comptage ? Si vous l’aidez, vous interrompez le comptage… L’an dernier, 2 598 personnes sans solution d’hébergement ont été recensées dans la capitale, 487 dans les 9 communes du Grand Paris participant à l’initiative. J’ai les plus gros doutes sur ces chiffres voyez-vous. Parce que 3 000 sans abris sur 7 millions d’habitants, c’est certainement 3 000 sans abris de trop, mais une situation nettement moins catastrophique qu’on en a l’impression en se baladant. En fait, ce genre de comptage ne sert pas à savoir combien il y a de sdf, mais plutôt quel est leur profil et quels sont leurs besoins (à part un logement, bien sûr !). Et même ça, il n’est pas sûr du tout que ce soit fiable.

L’INSEE a une définition assez précise des sans domicile : « Dans le cadre de l’enquête auprès des personnes fréquentant les lieux d’hébergement ou de restauration gratuite, une personne est qualifiée de « sans-domicile » un jour donné si la nuit précédente elle a eu recours à un service d’hébergement ou si elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune). » Il ne faut donc pas confondre le sans domicile et le sans domicile fixe. Le sans domicile fixe peut être à la rue, mais il peut aussi habiter un squat, une caravane, un hôtel meublé, chez quelqu’un… Il y a beaucoup plus de sdf que de sans domicile, mais là encore, on ne sait pas combien : il y a des squats connus et des squats cachés, il n’est pas certain que vous vous précipitiez pour le déclarer à votre proprio ou à l’administration quand vous hébergez un pote qui se retrouve à la rue... Pour 2019 d’après l’INSEE environ 800 000 personnes vivaient en meublé (logement ou hôtel) et environ 1 200 000 étaient hébergées gratuitement. L’INSEE fait régulièrement des enquêtes sur la situation du logement (enquêtes ENL). Mais la proportion de sans domicile y est trop faible pour pouvoir être appréhendée par cette enquête. Il fait donc aussi une enquête spécifique « sans domicile », mais la dernière date de 2012 et la prochaine n’est pas prévue avant 2025. Quelle méthode suit l’INSEE pour les recenser ? En fait, l’INSEE n’enquête pas directement dans la rue, mais dans les « lieux susceptibles d’accueillir des sans domicile ». Mais bien sûr, on ne sait pas quelle proportion de sans domicile s’y rend, donc le chiffre qu’on en déduit est très aléatoire, même si l’INSEE fait le tri entre les usagers (certains ont un domicile).

Début décembre, près de 4 000 personnes appelaient chaque soir en vain le 115 faute de places. D’après la dernière enquête de la Fédération des Samu Sociaux, 80 % des personnes à la rue rencontrées par les maraudes n’avait pas appelé le 115 ce jour-là. Mais on ne sait pas sur ces 4 000 personnes combien ont appelé ce jour là et combien appellent régulièrement. D’après l’enquête de 2012, plus d’un million de personnes logées avaient vécu dans leur vie au moins un épisode sans domicile. Les personnes sans abri (ce qui est bien pire que sans domicile) étaient estimées par l’INSEE à 27 000 en 2016. L’enquête de l’INSEE de 2012 concluait à 123 000 sans domicile.

D’où la fondation Abbé Pierre tire-t-elle son chiffre de 300 000 ? En fait tout simplement parce qu’ils pensent que le nombre de sans domicile a plus que doublé depuis 2012, d’où le chiffre de 300 000. Ils se basent pour estimer cette évolution sur celle d’autres chiffres (taux de pauvreté, nombre d’appels au 115, nombre de places d’hébergement d’urgence, fréquentation des lieux pour sans abri, etc). Les nuits de la solidarité par contre ne sont ni assez généralisées en terme de territoire couvert ni assez fiables pour pouvoir s’y référer. On voit donc qu’en réalité, on nage dans l’inconnu.

Paradoxalement, on a un peu plus de données sur le mal logement : on peut au moins savoir le nombre de personnes déclarées dans les meublés et les hébergements gérés par les associations, et l’INSEE recueille des données sur le taux d’occupation des logements et leurs caractéristiques matérielles. Mais où est la frontière entre mal logement et logement correct ? En effet, elle évolue avec le temps. Autrefois, on ne tenait pas compte de la précarité énergétique par exemple.

Quels sont les autres chiffres-clefs que l’on trouve dans le rapport de la fondation Emmaüs ?

  • Le nombre de nuitées hôtelières a quintuplé en onze ans (chiffre fiable, mais on ne sait pas la part du tourisme et du mal logement).
  • Un demandeur d’asile sur deux n’est pas hébergé dans le dispositif national d’accueil (ce chiffre ne comprend bien sûr pas ceux qui n’ont pas pu déposer leur demande).
  • Le nombre d’expulsions des lieux de vie informels (bidonvilles, squats...) enregistre un record : entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021, 1 330 expulsions ont été recensées en France métropolitaine (472 personnes expulsées chaque jour), dont 64 % pendant la trêve hivernale ; 91 % de ces expulsions sont sans solution apportée aux personnes concernées. Ce chiffre est difficile à obtenir et probablement pas complètement exhaustif. Il n’inclut pas les expulsions de locataires ni de locataires de meublés.
  • En mai 2021, 22 189 personnes vivent dans 439 lieux de vie informels, soit une augmentation de 2 810 personnes par rapport à décembre 2018, dont 5 965 mineurs. Des chiffres aussi précis, c’est forcément le résultat d’un comptage. Donc, on sait juste qu’il y en a probablement plus. Mais combien ???
  • En sept ans, la demande de logement social a progressé cinq fois plus vite que le nombre de ménages et deux fois plus vite que le nombre de logements sociaux, pour atteindre 2,2 millions de ménages. Enfin un chiffre à peu près sûr ! Mais il ne nous dit rien des conditions de logement des demandeurs.
  • Les prix des logements ont crû de 154 % depuis 20 ans. Ils ne précisent pas s’il s’agit des prix de vente, des loyers ou de l’ensemble.
  • Les aides publiques au secteur du logement, exprimées en pourcentage de PIB, diminuent depuis 10 ans et n’ont jamais été aussi basses (1,6 % du PIB en 2020) alors que les recettes fiscales que rapporte le logement à l’État ont plus que doublé en 20 ans (79 milliards d’euros). Ça aussi, c’est un chiffre fiable.

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