jeudi 1er juin 2006, par
La meilleure façon de résister, c’est de passer à l’offensive.
Après les révoltes des banlieues et le mouvement anti-CPE, qui – malgré leurs limites - ont contribué à ébranler le pouvoir autour de vraies questions, nous venons d’assister à un matraquage médiatique autour de “ l’affaire Clearstream ”. Que nous importent ces querelles de politiciens ? Que certains hommes politiques profitent de leur position pour faire des profits financiers, cela n’aurait rien de nouveau. Que certains essayent de se débarrasser d’un rival en tentant de le mouiller dans une affaire louche, cela ne fait que nous ramener aux plus belles heures de la troisième république.
Ce feuilleton médiatique a une double fonction. Tout d’abord nous convaincre que les politiciens sont “ tous pourris ”, et nous sommes déjà convaincus que c’est en très grande partie vrai. Chirac vient d’en administrer une nouvelle preuve en amnistiant éhontément son copain Guy Drut. Mais ce faisant on suggère aussi qu’ils sont tous pourris sauf… l’innocent calomnié Sarkozy ou Le Pen, dénonciateur de la “ ripouxblique ”. Bref, la dénonciation de ces comportements inadmissibles peut faire le lit de la droite extrême ou de l’extrême droite, comme elle a contribué à amener Pétain au pouvoir.
Ensuite, comme tout matraquage médiatique, il a pour fonction de nous détourner des vrais problèmes, de l’exploitation économique et du mépris des hommes et des femmes qui sont exclus par les classes dominantes. En ce sens, le feuilleton Clearstream avait surtout pour fonction de nous faire attendre le mondial de foot où chacun pourra oublier ses soucis en regardant des millionnaires se renvoyer des balles, comme viennent de le faire nos dirigeants, mais sous une forme plus ludique, à même de séduire les foules.
Comment combattre cette dérive vers le populisme qui nous promet de la rigueur et des jeux virils ? En rappelant que l’important ce n’est pas que tel politicien abuse de ses fonctions ou que tel patron s’octroie un salaire inimaginable. Le vrai scandale c’est tout d’abord l’existence d’un système économique, le capitalisme, qui permet aux possédants d’exploiter le travail des autres humains et de piller à leur profit des richesses qui devraient contribuer au bien-être de tous. Le vrai scandale c’est aussi d’abandonner son pouvoir de participer à la gestion commune de la cité (la politique au vrai sens du terme) à des élus qui ne tiennent aucun compte des souhaits de leurs mandants.
Il est donc plus que jamais nécessaire de passer à l’offensive contre ce système politique et économique. Passer à l’offensive, c’est tout d’abord avoir des analyses claires de ce que l’on tente de nous imposer ; c’est forcer au débat, amener des contradictions lorsqu’on tente de nous imposer un consensus. Une des avancées de ces dernières années, c’est le développement, en partie grâce à Internet, de moyens d’information, de communication, de débats au service des luttes, contournant l’information standardisée que nous serinent les média. Les étudiants et lycéens ont largement utilisé ces moyens pour se mobiliser contre le CPE, mais il faudrait encore beaucoup d’occasions comme celle-là pour renforcer les analyses critiques qui ont émergé çà et là.
Cependant ces moyens ne sont pas forcément à la portée de tous. Economiquement ou culturellement parlant, ils sont moins accessibles aux plus précaires, aux plus exploités, aux exclus, qu’aux classes moyennes. Cela explique sans doute que la révolte des banlieues, bien que chargée de significations accusatrices très lourdes face à notre société en soit restée pour beaucoup au niveau du spectacle médiatique de la révolte.
Enfin, c’est par l’expérience des luttes que l’on s’enrichit et devient capable à la fois de mettre en avant les revendications les plus fondamentales et de les porter au-delà du simple réflexe défensif. C’est peut-être ce qui est en train de se passer actuellement au niveau des luttes des sans papiers et de leurs soutiens. Au niveau des soutiens tout d’abord, il y a bien sûr des réactions humanistes de défense des personnes menacées d’expulsions ; mais lorsque ce soutien prend la forme d’engagements massifs à la désobéissance civile, c’est le fondement même du pouvoir qui est ébranlé. Ce sont des hommes et des femmes qui se redressent et disent : “ notre conception de la politique, de la vie en commun ne reconnaît pas vos lois ”.
Enfin au niveau des sans-papiers eux-mêmes , ce qui est porteur d’espoir actuellement, c’est le fait que des luttes offensives émergent, sous diverses formes, pour des régularisations massives alors qu’en ces temps difficiles on aurait pu en rester à des résistances contre les nouvelles lois ou contre les expulsions. Il en va de même au niveau des salariés : une lutte en résistance contre des suppressions d’emplois est toujours à moitié perdue alors qu’une lutte pour améliorer ses conditions de travail ou de revenus est toujours un pas en avant.
Si beaucoup de jeunes viennent de faire l’expérience - toujours amère - de la reprise du travail, ce n’est pas seulement parce que le retrait du CPE n’était qu’une demi victoire… du pouvoir qui a réussi à maintenir le reste de sa loi de régression sociale, c’est surtout parce qu’une lutte sociale est toujours un moment fort où l’on se sent exister vraiment. “ La libertat qu’ei lo camin. ” comme dit une chanson du groupe Nadau. La liberté c’est le chemin… C’est dans l’action collective que nous créons dès aujourd’hui notre libération économique et politique. A nous de leur aider à comprendre qu’il serait illusoire d’attendre un an pour voir un changement politique factice et qu’il vaut mieux au plus tôt repartir à l’offensive.
Limoges, 29 mai